L’homme et la foi
Mortadhâ Motahhari
Édité et Traduit par
Abbas Ahmad al-Bostani
Publication de la Cité du Savoir
Editeur:
La Cité du Savoir
(Abbas Ahmad al-Bostani)
C.P. 712 Succ. (B)
Montréal, Qc. H3B 3K3
Canada
Copyright: Tous droits réservés à l'éditeur
Table des Matières
Chapitre 1: L'HOMME ET
L'ANIMAL
1- La Sphère
des Perceptions de L'animal et le Niveau de Ses Aspirations
2- La Sphère
des Perceptions de L'homme et le Niveau de Ses Aspirations
3- Les Fondements du Privilège
de L'homme
4- L'homme est-il une Superstructure?
Chapitre 2: LA SCIENCE ET LA FOI
1- La Relation Entre
la Science et la Foi
2- La Rupture Entre
la Science et la Foi
Chapitre 3: LA FOI RELIGIEUSE
1- Les effets et les
utilités de la Foi
2- Le rôle
de la foi sur le plan des relations sociales
Chapitre 4: LA DOCTRINE ET L'IDÉOLOGIE
Chapitre 5: L'ISLAM, RELIGION INTÉGRALE
Chapitre 6: LES SOURCES DE LA PENSÉE
Chapitre 1:
L'HOMME ET L'ANIMAL
L'homme est une sorte d'animal. De là il possède des propriétés
communes à tous les êtres vivants; mais il en possède
d'autres qui le différencient des autres espèces vivantes
et font de lui un être distinct, doué de qualités sublimes
dont il a l'exclusivité.
Les propriétés distinctives qui lui confèrent la
qualité humaine et le qualifient à fonder une civilisation
et une "culture humaine" se rapportent:
1- aux perceptions conscientes;
2- aux aspirations.
Les êtres vivants se caractérisent en général
par la perception de soi et du monde environnant. Ils se caractérisent
aussi par les efforts qu'ils déploient en vue de satisfaire leurs
besoins et les exigences de leur vie, dans les limites de la perception
qu'ils en ont.
L'homme, à l'instar de tous les êtres vivants, a des penchants,
des désirs et des aspirations qu'il s'efforce de réaliser
selon ses connaissances et ses perceptions. Mais il diffère des
autres êtres vivants par l'étendue de la sphère de
ses connaissances, de ses informations et de son savoir, et par le caractère
sublime de ses désirs et de ses aspirations. C'est ce qui le fait
se distinguer de tous les êtres vivants et lui confère, par
rapport à eux, un caractère de "supériorité"
et de transcendance.
1- LA
SPHÈRE DES PERCEPTIONS DE L'ANIMAL ET LE NIVEAU DE SES ASPIRATIONS
Les perceptions que l'animal a du monde extérieur se caractérisent
par ce qui suit:
1)- Elles sont superficielles et apparentes, car elles se réalisent
uniquement au moyen des sens apparents.
2)- Elles sont individuelles et partielles, c'est-à-dire qu'il
leur manque l'aptitude à la généralisation.
3)- Elles sont locales, c'est -à-dire qu'elles sont limitées
au milieu de l'animal et ne dépassant pas ce cadre.
4)- Elles sont immédiates, c'est-à-dire qu'elles sont
liées au présent et coupées du passé et du
futur. L'animal, en effet, n'est conscient ni de son histoire, ni de celle
de l'humanité. Il ne pense pas à l'avenir et ses efforts
ne visent point la vie future.
En ce qui concerne ses perceptions, l'animal ne sort donc jamais du
cadre de l'apparent-individuel, du partiel, du milieu environnant, du présent.
Il est prisonnier entre les quatre murs de ce cadre quadripartite; et,
s'il arrive à en sortir, ce ne sera ni consciemment ni volontairement,
mais sous l'effet d'une contrainte naturelle ou d'une pulsion instinc-tive
dépourvue de toute conscience et de toute affectivité.
Les exigences et les aspirations de l'animal sont elles aussi, tout
comme ses perceptions du monde, limitées à un cadre spécifique.
Elles sont:
1)- Matérielles: elles ne dépassent pas les limites du
manger, du boire, du coucher, du jeu, de la recherche d'un foyer et de
la satisfaction des instincts sexuels. L'animal n'a pas d'exigences morales
ni de valeurs éthiques.
2)- Personnelles et individuelles: c'est-à-dire qu'elles sont
relatives à soi et peuvent, au plus, s'étendre au partenaire
de sexe opposé et à la progéniture.
3)- Locales: elles ne sortent pas du cadre du milieu.
4)- Actuelles: elles sont liées uniquement au présent.
Les mêmes limites qui encadrent les perceptions de l'animal encadrent
donc également ses aspirations et ses désirs.
S'il arrive que l'animal travaille dans un objectif situé au-delà
de ces quatre limites - par exemple un objectif spécifique et non
individuel, ou relatif à l'avenir et non au présent, comme
c'est le cas de certains animaux vivant en communauté, tels que
les abeilles - il le fait instinctivement et non pas consciemment, sous
l'effet d'une force que son Créateur, le Créateur du monde,
lui a assignée.
2- LA
SPHÈRE DES PERCEPTIONS DE L'HOMME ET LE NIVEAU DE SES ASPIRATIONS
Elle est plus large que celle de l'animal, que ce soit au niveau des
perceptions ou des aspirations.
Les perceptions et les connaissances de l'homme vont au-delà
des apparences des choses. Elles pénètrent leurs profondeurs,
leurs essences et leurs relations ainsi que les nécessités
qui les régissent.
Les perceptions de l'homme ne sont pas limitées à une
zone ou à un lieu, ni enchaînées à un temps
précis. Elles franchissent l'espace et le temps et sortent du milieu
humain pour se lancer vers d'autres milieux, et même vers d'autres
planètes. Elles comprennent le passé et le présent,
découvrent l'histoire du monde, c'est-à-dire celle de la
terre avec tout ce qu'elle contient et celle des planètes, et contemplent
les horizons lointains de l'avenir.
Non content de toutes ces possibilités, l'homme s'envole, au
travers de ses pensées, vers les infinis et les valeurs éternelles
pour en connaître quelques-unes, dépassant ainsi les limites
du savoir partiel et individuel. Il s'emploie à découvrir
les lois univer-selles et les vérités générales
du monde pour parvenir à maîtriser la nature.
Dans ses aspirations et ses exigences, l'homme peut se transcender et
parvenir à des positions sublimes. C'est un être qui aspire
à la valeur, à l'idéal et à la perfection.
Il aspire à des objectifs immatériels qui dépassent
les limites de sa personne, de sa femme et de ses enfants. Ses objectifs
sont généraux, globaux et susceptibles de contenir toute
l'humanité; ils ne se limitent pas à un milieu particulier,
ni à une région spécifique, ni à un moment
historique précis.
L'homme peut porter ses aspirations sublimes à un degré
où les valeurs et les objectifs doctrinaux dépassent chez
lui toutes les autres valeurs, où il devient plus disposé
à servir les autres que ses intérêts personnels, où
il se soucie plus des autres que de lui-même, se réjouit pour
autrui et s'attriste devant la peine des autres, et où son attachement
à ses idéaux sacrés devient tel, qu'il se sacrifie
pour eux.
L'aspect humain de la civilisation de l'humanité est justement
le produit de ces nobles aspirations et sentiments par lesquels se caractérise
l'homme.
3- LES FONDEMENTS
DU PRIVILÈGE DE L'HOMME
Les larges perceptions humaines du monde résultent des efforts
collectifs de l'humanité, accumulés et perfectionnés
durant des siècles. Elles sont déterminées par des
règles, des normes et une logique particulière, ce qui leur
a permis de prendre l'appellation de "science".
La science, dans son acceptation la plus large, est définie comme
l'ensemble des pensées humaines sur le monde, y compris les pensées
philosophiques, issues des efforts intellectuels de l'humanité et
constituées sous forme d'un système logique particulier.
Les aspirations spirituelles et sublimes de l'homme, qui émanent
de la foi, de la doctrine et de l'attachement aux vérités
de ce monde, se caractérisent par leur généralité,
leur intégralité (c'est-à-dire qu'elles dépassent
le cadre de l'individualité) et leur transcendance par rapport au
matériel (c'est-à-dire qu'elles ne sont pas à but
lucratif ou intéressé).
Cette foi et cet attachement aux vérités sont à
leur tour le produit de certaines conceptions et de certaines visions générales
du monde et de la vie, conceptions et visions appartenant soit à
des apôtres et des prophètes, soit à des philosophes
qui voulaient répandre des pensées doctrinales sublimes.
Les aspirations humaines morales, sublimes et transcendantes par rapport
au niveau animal acquièrent l'appellation de "foi" lorsqu'elles
sont basées sur un fondement doctrinal et intellectuel.
Cela nous permet de conclure que la "science" et la "foi" sont à
la base de ce qui différencie l'homme de tous les autres êtres
vivants. Elles constituent également le fondement de "l'humanité"
de l'être humain.
On a beaucoup discuté de ce qui distingue l'homme de l'animal.
D'aucuns ont nié l'existence d'un facteur essentiel pouvant distinguer
l'homme des autres êtres vivants, en affirmant que la différence
entre les perceptions de l'homme et celles de l'animal est quantitative
ou, dans la meilleure des hypothèses, modèle, et non pas
essentielle, sans tenir compte de l'importance, de la grandeur et des prodiges
du savoir humain qui a capté l'attention de l'Orient et de l'Occident.
Les tenants de ce courant(1)
considèrent que l'homme, dans ses désirs et ses aspirations,
est identique à tous les animaux et que rien ne permet de l'en différencier.
D'autres estiment que ce qui différencie l'homme de l'animal
c'est la vie et que le premier est le seul des êtres vivants à
avoir une vie, alors que les autres n'ont ni sensibilité, ni désir,
ni plaisir, ni douleur et qu'ils représentent des appareils mobiles
ayant la forme d'êtres vivants.
Les partisans de ce courant(2)
définissent l'homme comme un "être vivant".
Etant donné que l'opinion des savants diverge quant à
ce qui distingue l'homme de tous les êtres vivants, elle diverge
également quant à la définition de l'homme. Les uns
dirent que l'homme est un animal engagé et responsable, libre et
électif, révolté, créatif, imaginatif, tendant
à l'ordre, aspirant à l'idéal, métaphysique...
et autres définitions représentant des points de vue contrastés
et traduisant la distinction de l'homme des autres êtres vivants.
Chacune de ces définitions est évidemment adéquate
dans son contexte, mais la définition du plus grand dénominateur
commun à toutes les différences essentielles entre l'homme
et l'animal est la suivante: l'homme est un animal "savant" et "croyant".
4- L'HOMME EST-IL UNE SUPERSTRUCTURE?
Nous avons dit que l'homme est une sorte d'animal et qu'il a beaucoup
de traits communs avec l'ensemble des êtres vivants. De même,
il possède des qualités essentielles qui l'en différencient.
Le fait que l'homme ait, dans certains aspects, des traits communs avec
les animaux et, dans d'autres aspects, des traits essentiels et propres
à lui qui l'en différencient, lui confère deux vies:
une vie humaine et une vie animale. En d'autres termes, une vie matérielle
et une vie culturelle.
Se pose ici la question du rapport entre ces deux vies: laquelle est
originale et laquelle est secondaire? Laquelle est essentielle et laquelle
en est le reflet? Laquelle représente l'infrastructure et laquelle
la suprastructure?
Ces interrogations se formulent aujourd'hui en sociologie de la façon
suivante: la force de production est-elle l'essentielle alors que les autres
forces sociales en sont les branches et le reflet? Les phénomènes
dans lesquels apparaît l'humanité de l'homme, tels que la
science, la philosophie, la littérature, la religion, la loi, l'art,
la morale... etc, sont-ils des manifestations de la réalité
économique?
Ces recherches sociologiques entraînent à leur tour une
recherche philosophique sur l'homme et son originalité.
En effet, une nouvelle théorie sur l'originalité de l'homme
est apparue: l'Humanisme.
Elle prétend que l'humanité de l'homme n'est absolument
pas originale, que l'originalité appartient seulement à son
animalité. Les partisans de cette théorie tiennent le même
discours que ceux qui nient l'existence de toute différence essentielle
entre l'homme et l'animal.
Cette théorie récuse l'originalité des penchants
humains, tels que le penchant à la vérité, à
la beauté, à Dieu etc, tout en refusant d'admettre le "réalisme"
de la vision que l'homme a du monde, car elle ne croit pas à une
vision objective réaliste et estime que toute vision est le reflet
d'un matérialisme particulier.
Il est curieux que les partisans de cette théorie, qui se disent
humanistes et humanitaristes, prêchent des pensées supprimant
l'humanité de l'homme.
La vérité est que la marche évolutive de l'homme
commence par l'animalité et traverse en les comprimant les étapes
de la transformation de l'être, de l'état animal à
l'état humain. Ce principe vaut aussi bien pour l'individu que pour
la société.
L'homme est, au début de son existence, un corps matériel
qui se transforme, grâce à son mouvement substantiel, en une
âme ou en une substance spirituelle. "L'âme de l'homme" naît,
se complète et atteint l'autonomie dans le corps.
L'animalité de l'homme est comme un nid ou une niche où
se "développe" et se perfectionne son humanité.
Plus l'être "complet"-conformément aux caracté-ristiques
du transformisme - se perfectionne, plus il tend à maîtriser
et à contrôler son environnement et à en être
indépendant; plus l'humanité de l'homme se complète
- au niveau individuel et social - et plus elle tend à être
indépendante et à contrôler ce qui l'entoure.
L'individu humain perfectionné est un être qui contrôle
plus ou moins les influences de son milieu extérieur et intérieur.
C'est un être libéré de la contrainte des penchants
intérieurs et des influences du milieu extérieur. Il est
attaché à la foi et à la doctrine.
La transformation évolutive de la société se déroule
de la même façon dans les structures économiques, alors
que ses aspects culturels et moraux en représentent l'âme
sociale.
De même qu'il y a influence mutuelle entre l'âme et le corps,
de même il y a influence réciproque entre les structures à
caractère moral et celles à caractère matériel.
De même que la marche évolutive de l'individu tend à
affirmer la liberté de l'âme, son indépendance et le
renforcement de sa domination, la marche évolutive de la société
suit un processus parallèle: c'est dire que la vie culturelle de
la société aura, au fur et à mesure que l'évolution
sociale progressera, plus d'indépendance vis-à-vis de la
vie matérielle et plus de contrôle sur elle.
L'homme de l'avenir sera donc un animal culturel et non un animal économique;
un homme de doctrine, de foi, d'engagement et non de ventre et de sexe.
Mais ceci ne signifie pas forcément que la société
humaine marche inévitablement et dans tous les pas qu'elle effectue,
d'une façon linéaire vers le perfectionnement des valeurs,
ni qu'elle franchisse, dans chacune des étapes de son existence,
un pas en progrès par rapport au précédent. Il est
possible que l'humanité traverse une phase sociale où la
courbe de son évolution "humaine" régresse. C'est justement
ce que l'on dit de l'humanité contemporaine, malgré tous
les progrès qu'elle a réalisés dans le domaine de
la technologie.
Ceci signifie plutôt que la ligne générale du mouvement
de l'humanité s'achemine matériellement et moralement vers
le développement, et c'est cela que nous entendons par "l'avenir
brillant de l'homme".
L'homme du passé n'avait, selon cette théorie, que peu
de chance de bénéficier des dons de son existence et des
dons de la nature; il vivait plutôt dans la captivité de la
nature et dans celle de son animalité; à l'avenir, il exploitera
ces dons; ce qui lui permettra de se libérer relativement des chaînes
de la nature et de ses penchants animaux et même d'y imposer son
contrôle.
Toujours selon cette théorie, l'humanité de l'homme n'est
pas considérée comme la conséquence ou le reflet de
son évolution matérielle, bien qu'elle se manifeste en même
temps qu'elle (cette évolution).
L'humanité de l'homme est une réalité originale,
indépendante, complète. Elle influence les aspects matériels
et est influencée par eux. Ce qui décide du sort définitif
de l'homme c'est le perfectionnement de son aspect humaniste originel et
non pas le perfectionnement des moyens de production.
Ce qui continue à se mouvoir et à développer toutes
les activités de la vie - y compris les moyens de production - c'est
le réalisme de l'humanité originale de l'homme et non pas
le contraire!
Chapitre 2:
LA SCIENCE ET LA FOI
1- LA RELATION
ENTRE LA SCIENCE ET LA FOI:
Nous avons expliqué dans les pages précédentes
la relation entre l'humanité de l'homme et son animalité,
c'est-à-dire la relation entre sa vie intellectuelle et spirituelle
et sa vie matérielle. Nous avons constaté que l'humanisme
est originel et indépendant chez l'homme et qu'il n'est pas un simple
reflet de sa vie animale.
Nous avons remarqué également que la science et la foi
sont deux piliers essentiels de l'humanité de l'homme. Dans ce chapitre
nous allons éclaircir la relation existant entre ces deux piliers
humains.
Des idées sont malheureusement apparues dans le monde chrétien
qui laissent croire à l'existence de contradictions entre la science
et la foi. Ces idées puisent leur existence dans les déviations(3)
de l'Ancien Testament qui dit:
«Et Dieu fit à l'homme ce commandement: "Tu peux manger
de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du Bien
et du Mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu
mourras certainement"(4).
»Et d'ajouter: "Le serpent était le plus rusé
de tous les animaux des champs que Dieu avait faits. Il dit à la
femme: "Alors Dieu a dit: vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin!"
La femme répondit: "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin,
mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: vous
n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas sous peine de mort". Le serpent
réplique à la femme: "Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais
Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront
et vous serez comme des dieux, qui connaissent le Bien et le Mal". La femme
constata que l'arbre était bon à manger, beau à voir
et désirable pour l'acquisition de l'entendement. Elle en cueillit
quelques fruits dont elle mangea un peu. Elle en donna aussi à son
mari, qui était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux s'ouvrirent
et ils connurent qu'ils étaient nus: ils cousirent des feuilles
de figuier et se firent des pagnes"(5).
Sur ce, Dieu dit: "Voilà que l'homme est devenu l'un de nous, pour
connaître le Bien et le Mal! Qu'il n'étende pas maintenant
la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour
toujours"(6).
Selon cette conception donc, l'arbre interdit n'est autre que celui
du savoir; l'ordre de Dieu - la religion - exigea que l'homme ne s'approchât
pas de cet arbre; lorsque l'homme désobéit et devint con-naisseur,
il fut chassé du paradis!
Tous les mauvais conseils que l'homme reçoit ont ainsi trait
à la connaissance. De là, Satan - le mauvais conseilleur
- ne serait autre, selon l'Ancien Testament, que la raison elle-même.
Le Musulman ne peut que s'étonner d'entendre de telles assertions
car le Coran lui a appris que Dieu avait enseigné à Adam
tous les Attributs (donc les Vérités) et qu'IL a demandé
aux Anges de se prosterner devant lui (Adam), que ces derniers se sont
exécutés, à l'exception d'Iblis qui a désobéi,
refusant de se prosterner devant Adam, connaisseur des Vérités.
Il s'étonne car la Sunna lui a appris que l'arbre interdit est
le symbole de la culpabilité, de la convoitise et de tous les défauts
liés à l'animalité de l'homme, et non à son
humanité, et que Satan, le mauvais conseilleur, le pousse toujours
vers tout ce qui est contraire à la raison et lié au caprice
de son animalité. Or, c'est celle-ci, et non la raison, qui, dans
l'existence humaine, représente la force satanique.
Oui, l'homme musulman, imprégné de ces conceptions, s'étonne
lorsqu'il entend ce qui est dit dans la Genèse.
On peut, à partir de là, comprendre la cause de la division
de l'histoire de la civilisation européenne durant les 25 derniers
siècles en deux ères distinctes: l'ère de la foi et
celle de la science, et la raison de l'existence d'une contradiction, dans
l'esprit de l'Européen, entre la science et la foi. Cette division
et cette contradiction n'ont pas d'équivalent dans l'histoire de
la civilisation islamique dont se dégagent deux époques où
la foi et la science font route commune vers le progrès et la décadence:
1)- L'époque de l'épanouissement de la foi et de la science;
2)- L'époque de la décadence de la foi et de la science.
Le Musulman doit donc être très prudent vis-à-vis
de la conception européenne de la relation entre la science et la
foi et prendre garde de tomber dans l'imitation aveugle de cette conception
qui pourrait porter le plus grand tort à la science et à
la foi.
Cela dit, il nous faut à présent traiter de cette question
d'une façon plus approfondie et examiner les fondements de l'allégation
selon laquelle il y aurait une opposition entre la science et la foi, en
commençant par répondre à la question suivante: la
vie humaine est-elle constamment condamnée à subir deux sortes
de malheur: celui de la misère et celui de l'incroyance?
Notons d'abord que toue foi se fonde forcément sur une vision
particulière de l'univers et de la vie - comme nous allons l'expliquer
dans les chapitres prochains - et que cette vision s'oppose parfois aux
fondements de la science et de la logique, ce qui ne fait pas l'objet de
la présente étude. Ce que nous voulons étudier ici
c'est la vision qui, d'une part, peut être soutenue par la science
et la logique et qui, d'autre part, reconstitue la base solide d'une foi
inspirant le bonheur.
Si nous parvenons à prouver l'existence de cette vision nous
aurons répondu à la question que nous avons soulevée
tout à l'heure.
On peut étudier la relation entre la science et la foi sur deux
plans:
1)- Etudier la possibilité de l'existence d'une conception de
l'univers et de la vie soutenue par la science et la logique, d'une part,
et caractérisée par la foi et le finalisme, d'autre part,
et c'est ce dont nous traiterons dans le Chapitre de "La Conception".
2)- Etudier l'influence de la science et l'influence de la foi sur l'homme;
savoir à quel point il y a opposition ou concordance entre ces deux
influences.
A notre avis, la relation entre la science et la foi est une relation
de complémentarité; c'est-à-dire que l'une complète
l'autre.
Ainsi:
- la science nous confère la force et nous éclaire le
chemin tandis que la foi fait naître dans nos coeurs l'espérance
et l'enthousiasme;
- la science permet de fabriquer la machine, la foi dessine l'objectif
de celle-ci;
- la science pousse à la vitesse, la foi détermine la
direction;
- la science est la force, la foi est une volonté saine;
- la science découvre ce qui existe, la foi ce qu'il faut faire;
- la science est une révolution extérieure, la foi une
révolution intérieure;
- la science transforme le monde en un monde humain, la foi le dote
d'une âme humaine;
- la science élargit horizontalement le cadre de l'existence
de l'homme, la foi rehausse verticalement le niveau de cette existence;
- la science fait la nature, la foi fait l'homme;
- la science et la foi confèrent toutes deux la force à
l'homme, mais alors que la première lui confère une force
"séparée", la foi lui confère une force "reliée";
- la science est une beauté, la foi aussi. Mais la première
est la beauté de la raison, la seconde est celle de l'âme.
La première est la beauté de la pensée, la seconde,
celle des sentiments;
- la science et la foi sont toutes deux sécurisantes, mais la
science est la sécurité extérieure et la foi, la sécurité
intérieure;
- la science protège l'homme des maladies du corps et des désastres
naturels, la foi le prévient des maladies et des complexes psychologiques;
- la science concilie le savoir et l'homme, la foi concilie l'homme
et son âme.
Le besoin de l'homme en science et en foi en même temps a capté
l'attention des penseurs. Muhammad Iqbal al-Lahour dit à ce propos:
"L'humanité a besoin de trois choses aujourd'hui: une explication
spirituelle du monde, une liberté spirituelle de l'être humain,
des principes fondamentaux ayant une influence internationale qui, sur
une base spirituelle, pousse la marche de l'humanité.
"Il ne fait pas de doute que l'Europe moderne a réussi à
fonder des centres intellectuels idéaux. Mais l'expérience
a prouvé que toute vérité qui résulte uniquement
de la raison ne peut comporter la chaleur d'une foi vivante qui ne saurait
émaner que de l'inspiration personnelle; c'est ce qui explique pourquoi
la raison pure n'a pas exercé une influence notable sur le genre
humain, alors que la religion a toujours constitué un facteur de
l'élévation des individus et de la transformation des sociétés
humaines.
"L'idéalisme de l'Europe n'a pas pénétré,
comme facteur actif, dans la vie sociale. Cela a favorisé l'apparition
d'un type d'homme indécis devant les démocraties contradictoires,
et toujours à la recherche de son identité, puisque ces démocraties
ont tendance à exploiter les pauvres au profit des riches.
"Aujourd'hui, alors que l'Europe constitue le plus grand obstacle au
progrès de l'éthique humaine, le monde islamique possède
une pensée et une croyance sublimes et intégrales, fondées
sur la révélation. Elles jaillissent des profondeurs de la
vie pour orner les apparences de celle-ci d'une qualité intime.
"Le Musulman croit dogmatiquement au fondement spirituel de la vie et
il est prêt à se sacrifier généralement pour
cette croyance"(7).
Will Durant, le célèbre auteur de "L'Histoire de la Civilisation"
dit (bien qu'il ne soit pas pratiquant):
"Le monde moderne de la machine diffère de l'ancien monde seulement
par les moyens, et point par les buts (...). Que dirons-nous si tous nos
développements s'orientaient vers la réforme des méthodes
et des moyens et se détournaient de la réforme des buts et
des objectifs"(8).
Et d'ajouter: "La richesse est une source de surmenage, la raison et
la sagesse constituent une lumière pâle et froide, alors que
l'amour, c'est lui qui, d'une façon inexprimable, donne de la chaleur
au coeur"(9).
La plupart des penseurs se sont rendus compte aujourd'hui que la science
est incapable de créer l'homme, que l'éducation purement
scientifique fabrique un demi-homme et non un homme complet, un homme fort
et puissant, et non pas vertueux.
Personne de nos jours n'ignore que l'ère de la pure science est
finie, que les sociétés sont menacées d'un vide spirituel
et que pour remplir ce vide, d'aucuns recourent à la philosophie
pure, d'autres se réfugient dans la littérature, l'art et
les sciences humaines.
En Iran, il y a eu (avant la victoire de la Révolution Islamique)
des tentatives de remplir ce vide par la littérature mystique, telle
celle de Mawali, de Sa'adi et de Hafèz. Les artisans de ces tentatives
ont oublié que les littératures de ces mystiques puisaient
leur âme et leur attrait dans la religion.
L'âme humaine, dans ces littératures, était l'âme
islamique. De là, leur attrait. La pre |