L'ESPRIT DU MONOTHÉISME
Âyatollâh Sayyed Ali Khâmenéy
Édition et traduction par:
Abbas Ahmad al-Bostani
Publication de la Cité du Savoir
Éditeur
Abbas Ahmad al-Bostani
C.P. 712 Succ. (B) Montréal, Qc., H3B 3K3
Canada
Copyright: L'éditeur ISBN 2-92223-07-8
INTRODUCTION DU TRADUCTEUR
De prime abord, le sujet de ce livre pourrait laisser indifférent,
car on pourrait croire qu'il s'agit d'un thème vieux comme l'histoire
des religions, évident comme la foi et trop classique pour apporter
quoi que ce soit de nouveau au monde et à l'homme contemporain.
Mais dès qu'on passe à la lecture, l'intérêt
du sujet s'impose et, au fur et à mesure qu'on s'y plonge, on découvre
qu'il est doublement d'actualité.
Le premier volet de son actualité se situe au niveau du monde
islamique. En intitulant son livre: "L'Esprit du Monothéisme",
l'auteur met en évidence la lutte acharnée qui oppose, aujourd'hui,
ceux qui oeuvrent pour que le monothéisme, - colonne vertébrale
de l'Islam -, recouvre sa signification authentique, son esprit et sa lettre,
sa raison d'être, c'est-à-dire sa qualité spirituelle
de base d'un mode de vie pratique, d'un programme social, politique et
économique, et d'une philosophie universelle qui offre à
l'homme, à la société et à l'humanité,
la possibilité de vivre en parfaite harmonie avec le vaste univers
(le milieu naturel) qui les entoure et d'en tirer le meilleur profit -
et ceux qui persistent à vouloir le vider de son contenu en l'acculant
à une existence passive et formelle et en le réduisant à
une affaire intime entre l'homme et son Seigneur.
Le second volet de son actualité apparaît au niveau de
la pensée moderne. L'auteur s'ingénie, en effet, à
ramifier le thème de l'unicité en s'appuyant sur des dizaines
de versets coraniques savamment choisis et pertinemment regroupés
autour d'une diversité de thèmes qu'on pourrait bien intituler,
selon la terminologie moderne: la liberté de l'homme, la lutte des
classes, la libération de l'homme, l'exploitation de la nature,
la propriété, l'égalité des hommes...
Chacun de ces thèmes trouve, certes, au sein de la pensée
moderne, ses tenants, ses défenseurs et même ses détracteurs.
La philosophie monothéiste authentique a la particularité
de les contenir dans une vision globale où ils vivent en symbiose,
harmonie et complémentarité.
L'auteur s'adresse non seulement à certains monothéistes
contemporains qu'il compare à ces "hanafites" mekkois de
l'époque préislamique, qui se voulaient monothéistes
tout en vivant, sans sourciller, des situations jahilites qui contredisaient
l'esprit de leur doctrine, mais également à tous ceux qui
luttent pour la libération de l'homme, pour défendre les
déshérités et les opprimés, afin qu'ils tournent
leurs regards vers l'esprit du monothéisme et y trouvent l'incarnation
de leurs objectifs et les solutions à leurs préoccupations.
Au travers d'un exposé historique des messages divins, l'auteur
nous montre que ce n'est pas un hasard si chaque fois qu'un prophète
apporte un message, ses adversaires se trouvent du côté des
tyrans, des possédants, des nantis, en un mot des Mustakbirine,
alors que ses partisans se recrutent parmi les dépossédés,
les déshérités, les opprimés, en un mot les
Mustadh`afine. On a là un beau sujet de réflexion
et de méditation pour tous les défenseurs des opprimés,
de la libération et des droits de l'homme!
Paris, 1983
Abbas Ahmad al-Bostani
L'Esprit du Monothéisme
Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux
Le jour où le Prophète de l'Islam porta le Message de
la libération de l'homme et lança le slogan: «Point
de divinité, si ce n'est Dieu», il se heurta à une
vive opposition et à une résistance violente à la
tête desquelles figuraient les chefs et les notables des tribus.
Les autres opposants étaient les subalternes et les suivants des
grands seigneurs.
Ceux-ci ont affronté le Prophète et le groupe de croyants
qui l'entourait, tout d'abord par les plus simples armes d'agression: chuchotements,
clins d'oeil et moqueries. Puis, à mesure que le mouvement monothéiste
se développait, ils recouraient à des armes plus dangereuses
et plus meurtrières. Le front de l'opposition n'a cessé de
répéter, pendant les treize années qui ont précédé
l'Emigration (l'Hégire), ces scènes honteuses où l'injustice
s'acharnait sur le bon droit.
Cette vérité historique mérite qu'on l'examine
avec plus de soin et de précision car elle constitue un indice important
pour la compréhension profonde de l'Islam et de l'Unicité
qui forme la colonne vertébrale de l'Islam.
Il est très regrettable et tragique pour tous ceux qui appellent
à la libération de l'homme de voir la conception du monothéisme
dévier à notre époque; car cette conception constitue
la base la plus profonde du contenu des religions, et aucune autre conception
ne l'égale quant à la profondeur de sa propension à
libérer l'homme et à sauver l'humanité martyrisée
tout au long de l'histoire. A notre connaissance, les messages divins ont
oeuvré en général et à travers l'histoire,
en vue de changer la société et de l'orienter vers une voie
susceptible de servir les intérêts de l'Homme, de sauver les
masses déshéritées et opprimées et de mettre
fin à toutes les formes d'injustice, de discrimination et d'agression.
Selon Eric Froom, le contenu moral de toutes les grandes religions aspire
à la science, à l'amour fraternel, à la solidarité,
à l'indépendance et au sens de la responsabilité (il
y a évidemment d'autres aspirations nobles et sublimes qu'un penseur
matérialiste ne pourra saisir).
Toutes ces aspirations et espérances sont contenues dans le principe
de l'Unicité. Les prophètes présentaient tous leurs
objectifs à travers le slogan de l'Unicité. Ils réalisaient
ces objectifs ou facilitaient leur réalisation par un combat qu'ils
menaient au nom de ce slogan.
Il est vraiment regrettable, non seulement pour les monothéistes
mais également pour tous ceux qui soutiennent ces espérances
et objectifs, de voir le contenu de l'Unicité tomber dans l'ignorance,
le superficiel, la déviation et se restreindre au cadre intellectuel,
notamment à une époque où la nécessité
d'oeuvrer dans le sens de ces objectifs se fait sentir plus que jamais.
* * * * *
Nous avons dit que les affrontements qui ont eu lieu à l'aube
de l'Islam peuvent nous révéler une vérité
importante relative à la conception de l'Unicité, à
savoir que le slogan "Point de divinité, si ce n'est Dieu" s'est
dirigé d'abord contre ceux qui l'ont combattu et lui étaient
hostiles, en l'occurrence la classe dirigeante et puissante de la société.
La réaction que manifestent les adversaires de tout mouvement
de changement dans une société donnée exprime toujours
clairement les orientations sociales de ce mouvement ainsi que la portée
de l'influence de celles-ci. Et, pour bien connaître les orientations
du mouvement en question, il suffit d'étudier la nature et l'appartenance
de classe de ses adversaires. De même, on peut mesurer la portée
de son influence en tenant compte du degré d'hostilité de
ses ennemis à son égard.
Tout ceci nous permet d'affirmer que l'étude du front des adeptes
des messages divins et du front de leurs ennemis constitue l'une des méthodes
sûres pour comprendre avec pertinence ces messages.
Lorsque nous nous apercevons que les catégories des gens aisés
étaient toujours à la tête de ceux qui combattaient
les messages divins, nous réalisons clairement que ceux-ci s'opposent
- de par leur nature - à celles-là (les catégories
des gens aisés), s'opposent à leur tyrannie et à leur
vie luxueuse et s'opposent surtout et fondamentalement à la discrimination
de classe qui privilégie ces catégories aux dépens
des autres.
Avant de traiter du monothéisme (ou de l'Unicité) sous
cet angle, c'est-à-dire du combat du monothéisme contre toutes
sortes de domination sociale, il est indispensable de signaler tout d'abord
que ce sujet ne se limite pas au cadre d'une théorie philosophique
intellectuelle, comme le laisse croire une idée répandue,
mais qu'il constitue une théorie fondamentale sur l'homme et l'univers,
et un programme social, économique et politique de la vie.
Il est rare de trouver dans les lexiques religieux et non religieux
un vocable exprimant aussi bien que le mot "unicité", les notions
révolutionnaires constructives et les dimensions sociales et historiques
de l'homme. Ce n'est point par hasard si tous les messages et les mouvements
théistes dans l'histoire commencent leur appel par l'annonce de
l'unicité de Dieu et la limitation de la seigneurie et de la divinité
à Dieu seul.
Nous pouvons résumer les dimensions du contenu de l'unicité
en ce qui suit:
a) L'unicité sur le plan de la conception (la conception
générale de l'unicité et de la vie) signifie:
1- L'unicité de l'ensemble du monde, l'harmonie et la concordance
dans ses composants et de ses éléments.
Le principe de la création est un, et tous les "créés"
sont régis par ce principe unique. Il n'y a pas de divinité
multiple derrière la création du monde et sa direction, ce
qui implique l'unité de tous les composants de l'univers quant à
leur constitution et leur orientation:
«...Sans que tu voies de failles dans la création du
Miséricordieux.»
(Le Royaume <al-Molk>, 67: 3)
«N'ont-ils pas réfléchi en eux- mêmes?
Dieu n'a créé les cieux et la terre et ce qui se trouve entre
les deux qu'en toute vérité et pour un temps déterminé.»
(Les Romains <al-Roum>, 30:8)
Selon cette conception, le monde en mouvement est un convoi dont les
composants sont reliés les uns aux autres, comme les maillons d'une
même chaîne et comme les rouages d'un appareil fonctionnant
dans un seul objectif. La signification réelle et le devoir de chacun
de ces rouages (ou composants) sont déterminés par la position
qu'il occupe dans l'ensemble de la composition. Tous les rouages s'entraident
et se parfont dans cette marche complémentaire empressée.
Chacun de ces rouages constitue un outil nécessaire au groupe. Tout
arrêt, toute avarie, tout ralentissement, toute déviation
dans l'un d'entre eux conduit au ralentissement, à la panne ou à
la déviation de l'ensemble de l'appareil. De cette façon,
tous les atomes se rattachent les uns aux autres par un lien "moral" profond.
2- Elle signifie aussi que le monde a une finalité, qu'il est
fondé sur un calcul précis et sur une précision parfaite,
et que chacun de ses composants a une âme et une signification: le
monde a un Créateur Avisé. Il s'ensuit que l'origine de la
création, ainsi que beaucoup de ces composants, ont une finalité,
une direction et un but.
«Nous n'avons pas créé par jeu le ciel, la terre
et ce qui se trouve entre les deux».
(Les Prophètes <al-Anbiyâ'>, 21:
16)
Toujours selon cette conception, le monde dans son ensemble n'est ni
désemparé, ni absurde. Il est plutôt comme une machine
fabriquée en vue d'un but précis. On peut s'interroger sur
son objectif mais point sur l'origine de cet objectif. Il est comme un
poème à thèse sur lequel il faut bien méditer
pour en comprendre le contenu, et que l'on ne peut guère considérer
comme une voix émanant d'un mouvement fortuit.
3- Et mieux encore, elle signifie que toutes choses et que tous les
éléments de l'univers sont soumis à Dieu.
Dans cet ensemble d'éléments, aucun élément
n'est ni anormal, ni rebelle. Toutes les lois de la Nature (ainsi que tout
ce qu'elles régissent) sont soumises à Dieu et sont Ses serviteurs.
L'existence des lois constitutives et naturelles sur le stade de l'univers
n'abolit point la Seigneurie de Dieu ni le principe de Dieu:
«Tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre se présentent
au Miséricordieux comme de simples serviteurs».
(Marie <Maryam>, 19: 93)
«Ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre Lui appartient
en totalité; tous Lui adressent leurs prières».
(La vache <al-Baqarah>, 2: 116)
«Ils n'ont pas estimé Dieu à Sa juste mesure.
La terre entière, le Jour de la Résurrection, sera une poignée
dans Sa main et les cieux seront pliés dans Sa main droite. Gloire
à Lui! Très Elevé au-dessus de ce qu'ils Lui associent!».
(Les Groupes <al-Zomar>, 39:67)
b) L'unicité sur le plan de la conception de l'homme signifie:
1- L'unité des êtres humains et l'égalité
de leur lien avec Dieu.
Dieu est le Seigneur de tout le monde. Personne n'entretient de rapports
privilégiés - fondés sur la nature de l'homme - avec
Dieu, et personne n'a de lien de parenté avec Lui. IL n'est pas
le Dieu d'un peuple particulier ou d'une tribu en particulier. IL n'a pas
choisi un peuple en particulier pour en faire le maître des autres
peuples. Tous les hommes sont égaux devant Dieu. Personne n'a une
position privilégiée auprès de Dieu si ce n'est par
la bonne action et par l'assiduité à servir les gens et à
appliquer les prescriptions divines qui subliment l'homme.
«Ils ont dit: "Dieu s'est donné un fils". Mais gloire
à Lui! Ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre Lui appartient
en totalité: tous Lui adressent leurs prières».
(La Vache <al-Baqarah>, 2: 116)
«Le zèle du croyant qui accomplit des oeuvres bonnes
ne sera pas effacé, car Nous l'inscrivons».
(Les Prophètes <al-Anbiyâ'>, 21: 94)
«O vous, les hommes! Nous vous avons créés d'un
mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples
et tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d'entre
vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d'entre vous...».
(Les Appartements privés <al-Hojorât>,
49: 13)
2- Elle signifie aussi l'unité des êtres humains et l'égalité
de leur création et de leur constitution humaine.
L'humanité est une seule race qui coule de façon égale
dans le sang de tous les individus du genre humain. Il n'y a pas de divinité
multiple qui eût créé des catégories humaines
multiples. C'est pourquoi il n'y a pas d'écarts et de différences
insurmontables dans la création. De même, le dieu de la classe
sociale supérieure n'est pas plus fort que celui de la classe inférieure.
Tout le monde est la créature de Dieu Un et Unique, et tout le monde
est semblable dans l'essence de sa création:
«O vous les hommes! Craignez votre Seigneur Qui vous a créés
d'un seul être...».
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 1)
3- Elle signifie ensuite que les êtres humains sont égaux
quant à leur possibilité de se transcender et de se parfaire.
Les êtres humains sont semblables quant à leur essence
humaine et leur nature humaine. Celle-ci étant pétrie par
la Main du Créateur Avisé, personne n'est donc incapable
- de par sa nature - de gravir les échelons de la perfection. De
là on comprend que l'Appel de Dieu est général et
ne se limite pas à un peuple ou à une catégorie en
particulier. Certes, les différentes circonstances laissent des
effets différents sur l'homme. Mais ces circonstances accidentelles
n'ont pas pu le transformer définitivement en un satan ni en un
ange, pas plus qu'elles n'ont pu enchaîner ses mains, ni le priver
de sa capacité de choisir, ni lui interdire toute possibilité
de sélection et de changement.
«Nous t'avons envoyé à la totalité des
hommes».
(Les Saba' <Sabâ'>, 34: 28)
«Nous t'avons envoyé aux hommes comme Prophète.»
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 79)
«O vous les hommes! Une preuve décisive vous est déjà
parvenue de la part de votre Seigneur: Nous avons fait descendre sur vous
une lumière éclatante. Dieu introduira bientôt dans
Sa Miséricorde et Sa Grâce ceux qui auront cru en Lui et qui
se seront placés sous Sa Protection. IL les dirigera vers Lui dans
un Chemin Droit.»
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 174-175)
4- Et puis elle signifie que tout le monde est affranchi des chaînes
de la captivité et des chaînes de toute servitude autre que
celle de Dieu; c'est là une autre façon d'exprimer la nécessité
de la servitude envers Dieu.
Les êtres humains, qui sont soumis d'une façon ou d'une
autre à la domination (quelle qu'elle soit: intellectuelle, économique
ou politique) de tout autre que Dieu, sont asservis à des serviteurs
comme eux, - au sens le plus large de la servitude-, et admettent des égaux
à Dieu. Or, l'unicité refuse une telle conception de la vie,
considère l'homme comme un serviteur de Dieu et rien de plus, et
le libère de la servitude et la de soumission à tout régime
et même à tout facteur de domination qui se met à la
place de Dieu. L'unicité signifie donc la soumission à Dieu
seul et, par conséquent, le refus de toute autre autorité
(quelle que soit sa forme ou sa qualité) que celle de Dieu:
«Le jugement n'appartient qu'à Dieu. IL a ordonné
que vous n'adoriez que Lui: telle est la Religion immuable.»
(Joseph <Yousof>, 12: 40)
«Ton Seigneur a décrété que vous n'adoriez
que Lui.»
(Le Voyage Nocturne <al-Isrâ'>, 17: 23)
5- L'unicité, selon le sens précité, fait honneur
à l'homme et le valorise.
Car la race humaine est trop sublime pour se soumettre et s'asservir
à tout autre que Dieu. C'est seulement l'Existence sublime, la Beauté
sublime, qui mérite la servitude et l'amour de l'homme. Cette propension
sublime est un degré de la transcendance.
Rien, - si ce n'est l'Essence divine -, ne jouit d'une position digne
de la prière et de l'adoration de l'homme. Toutes les idoles figées
et mobiles qui se sont imposées à la pensée, au coeur
et au corps de l'homme en usurpant la place de l'Autorité divine
dans la vie de l'homme, ne constituent que souillure et fétiches
qui entachent la pureté et la limpidité naturelles de l'être
humain, le rapetissent et entravent son mouvement. Et, s'il veut revenir
à sa position sublime, l'homme doit éviter absolument ces
fétiches et purifier son existence de la souillure de leur adoration:
«Evitez la souillure des idoles; évitez les paroles
fausses comme de vrais croyants en Dieu et non comme des polythéistes.
Quiconque associe quoi que ce soit à Dieu se trouve comme s'il était
tombé du ciel; un oiseau de proie le saisit alors et l'emporte,
ou bien le vent le précipite dans un lieu très éloigné.»
(Le Pèlerinage <al-Hajj>, 22: 30-31)
«Ne place pas une autre divinité à côté
de Dieu, sinon tu serais méprisé et abandonné.»
(Le Voyage Nocturne <al-Isrâ'>, 17: 22)
«Ne place aucune autre divinité à côté
de Dieu; sinon tu serais dans la Géhenne, méprisé
et réprouvé.»
(Le Voyage Nocturne <al-Isrâ'>, 22: 39)
6- Elle signifie également l'unité et l'harmonie de la
vie de l'homme et de son existence.
La vie de l'homme comprend l'esprit et la réalité, la
pensée et l'action. Si l'un de ces deux aspects se soumet, - totalement
ou partiellement -, aux ennemis de Dieu (c'est-à-dire si l'esprit
devient monothéiste et la réalité non monothéiste
ou vice versa), la dualité et le polythéisme apparaissent
dans la vie de l'homme. L'homme devient, dans ce cas, comme une aiguille
aimantée dans le champ de laquelle apparaît un élément
étranger et qui va par conséquent, soit dévier totalement
de sa direction naturelle, soit osciller à gauche et à droite.
C'est dire que l'homme déviera du droit chemin qui concorde avec
sa nature humaine et qu'il déviera de Dieu :
«Croyez-vous donc à une certaine partie du Livre et
restez-vous incrédules à l'égard d'une autre? Quelle
sera la rétribution de celui d'entre vous qui agit ainsi, sinon
d'être humilié durant la vie de ce monde et d'être refoulé
vers le châtiment le plus dur le Jour de la Résurrection?...»
(La Vache <al-Baqarah>, 2: 85)
7- Elle signifie enfin l'harmonie de l'homme avec le monde qui l'entoure.
Le vaste stade de l'univers est riche en lois de la création.
Aucun phénomène naturel n'échappe au cadre de ces
lois. C'est grâce à la concordance, à la conjugaison
et à la rencontre de ces lois que la forme de l'univers est ordonnée
et que le monde se voit régi par des lois générales
et des lois particulières. Ces mêmes lois particulières
sont compatibles et en harmonie avec les lois des autres phénomènes.
Quant à l'homme, à la différence de tous les autres
phénomènes qui se meuvent d'une façon mécanique,
naturelle et innée, il est doté d'une force de volonté
et d'une faculté de choisir. Il doit, par conséquent, choisir
volontairement sa voie naturelle et innée puisque c'est la voie
de sa sublimation et de sa perfection. C'est dire qu'il est capable de
dévier de cette voie naturelle:
«Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut
soit incrédule».
(La Caverne <al-Baqarah>, 18: 29)
L'unicité appelle l'homme à marcher sur sa voie naturelle
et innée qui concorde avec tout l'univers, afin qu'il soit lié,
dans son action et ses efforts, à tous les composants de l'univers
et qu'il participe ainsi à son unité et à son harmonie.
«Désirent-ils une autre religion que celle de Dieu,
alors que tout ce qui est dans les cieux et sur la terre se soumet à
Lui, de gré ou de force et qu'ils seront ramenés vers Lui?»
(La Famille de `Imrân <Âle `Imrân>,
3: 83)
«N'as-tu pas vu? C'est devant Dieu que se prosternent ceux
qui se trouvent dans les cieux et ceux qui demeurent sur la terre: le soleil,
la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux et
un grand nombre d'hommes...»
(Le Pèlerinage <al-Hajj>, 22: 18)
c) L'unicité sur le plan des programmes sociaux (économiques
et politiques...)
1- Elle supprime à toute source non divine le pouvoir exclusif
d'élaborer des programmes indépendants pour la vie et l'homme.
Car Dieu est le Seul Créateur de l'homme et de l'univers; c'est
Lui Seul qui a élaboré cet ordre harmonieux de l'univers;
Lui Seul connaît les possibilités et les besoins de l'homme.
Dieu Seul connaît les trésors enfouis et les énergies
emmagasinées chez l'être humain. IL est le Seul à connaître
les trésors et les possibilités que renferme l'univers. Lui
Seul connaît le bilan et les portées de l'exploitation de
ces trésors et possibilités et sait comment ils se rencontrent
tous.
Pour cela, IL est le Seul à pouvoir élaborer un programme
de mode de vie, de relations humaines et de mouvement de l'homme dans le
cadre du système de l'univers, à promulguer les lois de la
vie et à y déterminer la forme du système social.
La compétence de Dieu dans ce domaine découle naturellement
et logiquement de la Créativité et de la Divinité.
Toute autre intervention dans la détermination du déroulement
pratique de l'humanité constitue donc une ingérence dans
l'autorité de Dieu, une prétention à la divinité
et un facteur de polythéisme:
«Non!... Par ton Seigneur!... Ils ne croient pas tant qu'ils
ne t'auront pas fait juge de leurs différends. Ils ne trouveront
plus ensuite, en eux-mêmes, la possibilité d'échapper
à ce que tu auras décidé et ils s'y soumettront totalement».
(Les Femmes <al-Nisâ'>, 4: 65)
«Lorsque Dieu et Son Prophète ont pris une décision,
il ne convient pas à un croyant, ni à une croyante de maintenir
son choix sur cette affaire. Celui qui désobéit à
Dieu et à son Prophète s'égare totalement et manifestement.»
(Les Factions <al-Ahzâb>, 33: 36)
2- Supprimer le droit de priorité sur la société
et sur la vie de l'homme à tout autre que Dieu.
Si la tutelle de l'homme sur l'homme se fonde sur un droit indépendant
et sans responsabilité, elle débouchera sur l'injustice,
la tyrannie et l'agression. Car l'homme- gouvernant ou l'appareil-gouvernant
ne peut se débarrasser de la déviation, de la tyrannie et
de l'excès que s'il est investi pour cette tâche par une autorité
supérieure et dans le cadre de responsabilités proportionnelles
à ses compétences. Cette haute autorité est, dans
l'école religieuse, Dieu, qui sait toute chose:
«...Le poids d'un atome ne Lui échappe ni dans les cieux,
ni sur la terre;...»
(Les Saba' <Sabâ'>, 34: 3)
«S'il Nous avait attribué quelques paroles mensongères,
Nous l'aurions pris par la main droite, puis Nous lui aurions tranché
l'aorte...»
(Celle qui doit venir <Al-Hâqqah>, 69:
44 -46)
Cette Haute Autorité ne saurait être dupée comme
cela peut arriver aux masses, ni servir d'instrument de domination et de
tyrannie, comme c'est le cas des partis, ni transiger, comme c'est le cas
des notables et des dirigeants du peuple.
En d'autres termes, si l'ordre de la vie exigeait que tous les organismes
de la vie sociale conduisent vers un point unique et qu'une seule force
dominante se charge de toutes leurs affaires, cette dominante ne serait
autre que le Créateur de l'univers et de l'homme.
Le pouvoir est un droit exclusif de Dieu. Il doit être conduit
par ceux que Dieu désigne, c'est-à-dire ceux qui jouissent
plus que les autres de qualités et de critères précisés
dans l'idéologie divine et qui sont les exécutants et les
gardiens des lois divines:
«Dis: "Prendrai-je pour Seigneur un autre que Dieu le Créateur
des Cieux et de la terre; alors qu'IL nourrit les êtres et qu'IL
n'a pas besoin qu'on Le nourrisse?" Dis: "Oui, j'ai reçu l'ordre
d'être le premier à me soumettre. Ne soyez pas au nombre des
polythéistes."»
(Les Troupeaux <al-An`âm>, 6: 14)
«Vous n'avez pas de maître en dehors de Dieu et de Son
Prophète, et de ceux qui croient: ceux qui s'acquittent de la prière,
ceux qui font l'aumône tout en s'inclinant humblement.
(La Table Servie <al-Mâ'idah>, 5: 55)
«Dis: "je cherche la protection du Seigneur des hommes, Roi
des hommes, Dieu des hommes."»
(Les Hommes, <al-Nâs>, 114: 1-3)
3- Elle signifie que Dieu est le propriétaire exclusif, absolu
et originel de tous les bienfaits et de tous les trésors de l'univers.
Personne n'a le droit de posséder et de disposer à sa
guise d'une richesse d'une façon directe et indépendante.
Tout ce qui se trouve dans l'univers est un Dépôt entre les
mains de l'homme, lequel doit s'en servir en vue de se transcender et de
se perfectionner. L'homme favorisé n'a pas le droit d'endommager
et gaspiller les biens du monde, lesquels sont les fruits des efforts de
milliers de phénomènes et d'éléments de cet
univers, ni de les négliger ou de les exploiter dans une voie autre
que celle de la transcendance humaine.
Tout ce que possède l'homme, même lorsqu'il s'agit d'une
propriété privée, est un don divin. C'est pourquoi
ce don doit être exploité conformément aux prescriptions
de Dieu, c'est-à-dire dans sa place naturelle, celle pour laquelle
il fut créé. Utiliser ce don divin dans une autre voie, ce
serait le dévier de sa direction naturelle, et ce serait une corruption.
Le rôle de l'homme vis-à-vis de ces divers biens divins
consiste à les exploiter pertinemment, à les mettre en valeur
et à s'en servir à la perfection:
«Dis: "A qui donc appartiennent la terre et ceux qui s'y trouvent?
Si seulement vous le saviez!» Ils diront: "Dieu!...". Réponds:
"Et quoi?... Ne vous en souviendrez- vous pas?"»
(Les Croyants <al-Mo'minoun>, 23: 84-85)
«C'est Lui qui a créé pour vous tout ce qui est
sur la terre.»
(La Vache <al-Baqarah>, 2: 29)
«Adorez Dieu! Il n'y a pas de Dieu que Lui. IL vous a créés
de cette terre où IL vous a établis.»
(Houd, 11: 61)
«Ceux qui violent le pacte de Dieu après avoir accepté
Son alliance; ceux qui tranchent les liens que Dieu a ordonné de
maintenir; ceux qui seront maudits; ceux auxquels la détestable
demeure est destinée.»
(Le Tonnerre <al-Ra`d>, 13: 25)
4- Elle signifie aussi que les êtres humains ont un droit égal
à l'exploitation des biens de la vie.
Les possibilités et les occasions d'exploiter ces biens sont
offertes d'une façon égalitaire à tous les êtres
humains, selon le besoin de chacun et dans le cadre de l'effort et du travail
fait par chacun. Ce stade universel ne réserve pas d'emplacement
privé à une catégorie particulière de l'humanité.
Tout le monde doit pouvoir exploiter les diverses richesses naturelles
selon l'effort consenti, et ce sans distinction de race, de position géographique
et historique et même d'appartenance idéologique.
«IL a créé pour vous les bestiaux».
«Ils vous semblent beaux...»
«Ils portent vos fardeaux...»
«C'est Lui qui fait descendre du ciel l'eau qui vous sert»
et «Grâce à elle, Il fait encore pousser pour vous les
céréales...»
«Ce qu'IL a créé pour vous sur la terre...»
«...pour que vous en retiriez une chair fraîche.»
Ces versets, tirés du début de la sourate "Les Abeilles"
(al-Nihal), s'adressent à tout le monde sans distinction
et ne sont pas destinés à une catégorie ou à
un groupe particulier d'individus. Ils figurent dans un contexte où
d'autres versets de la même sourate s'adressent également
à tous les êtres humains:
«Mais Dieu vous dirigerait tous s'IL le voulait.»
«Votre Dieu est un Dieu Unique...» * * * *
Nous avons traité de l'un des aspects du vaste et profond contenu
de l'unicité. Il ressort clairement de ce rapide exposé que
l'unicité n'est pas une vision philosophique, intellectuelle, non
pratique, coupée de la vie et du mouvement des groupes humains et
de l'activité de l'individu. L'unicité ne se contente pas
de remplacer une croyance par une autre croyance, mais consiste d'une part
en une vision générale de la vie, comprenant une conception
particulière de l'univers et de l'homme, de la place de celui-ci
parmi les phénomènes de l'univers, de sa position dans l'histoire,
de ses possibilités, de ses besoins et de ses exigences personnelles,
ainsi que de ses tendances et des étapes de sa sublimation et de
sa perfection; et, d'autre part, en un programme social global adapté
à la nature humaine et dans le cadre duquel l'être humain
peut gravir rapidement et facilement les échelons de la perfection.
C'est une thèse particulière sur la société
dans laquelle les lignes générales et fondamentales de la
structure sociale sont clairement définies.
Pour cette raison, lorsqu'une voix s'élève dans les sociétés
jahilites (1) (fondées
sur l'ignorance de la vérité de l'homme) et les sociétés
tyranniques (fondées sur l'hostilité à l'égard
des véritables valeurs humaines), un changement global s'y opère
qui éclaire les coeurs ténébreux, ressuscite les âmes
inertes, suscite un frisson dans le corps social inactif, réorganise
les affaires désordonnées et contradictoires. L'unicité
opère un changement dans le contenu psychologique de la société,
dans les établissements économiques et sociaux, dans ses
valeurs morales et humaines. En un mot, l'unicité s'attaque à
la situation jahilite en vigueur et aux autorités qui protègent
cette situation et à l'atmosphère qui oxygène cette
situation et la fait survivre.
L'unicité n'est donc pas seulement une thèse relative
à une question purement théorique à cadre pratique
restreint, mais c'est aussi et surtout une nouvelle voie ouverte à
l'homme et visant à lui présenter un autre style de travail
et de vie, tout en se fondant sur une analyse intellectuelle et théorique.
Partant de cette conception du contenu de l'unicité, nous croyons
que celle-ci forme la pierre angulaire de la citadelle religieuse, son
fondement et son contenu essentiel. Comprendre l'unicité comme une
vision métaphysique, ou au mieux comme une thèse morale...,
c'est la placer très en-dessous de l'idéologie islamique
vivante qui comporte une thèse intégrale sur la vie sociale.
Il y eut, tout au long de l'histoire, des individus qui, tout en croyant
en Dieu et à l'unicité, ignoraient ou faisaient semblant
d'ignorer le contenu concret et pratique, - social notamment -, de cette
doctrine (de l'unicité). De tels individus se sont habitués
à vivre à toute époque, partout et dans toutes les
circonstances, de telle sorte que l'on ne peut les distinguer de ceux qui
ne croient pas à l'unicité; c'est-à-dire que la doctrine
de l'unicité ne suscite pas en eux un sentiment d'opposition à
la situation non unicitaire en vigueur et qu'ils ne sentent pas le poids
du polythéisme qui pèse lourd sur leur société.
A l'aube de l'Islam, il y avait un groupe de hanafites(2)
qui vivaient à la Mecque, centre de l'idolâtrie et grande
capitale des idoles à l'époque. Pourtant leur présence
ne laissait aucune influence sur l'atmosphère intellectuelle et
sociale de cette ville. La raison en est que leur conception de l'unicité
ne dépassait pas leurs coeurs, leurs esprits et le cadre de leur
vie privée et ne s'étendait guère aux labyrinthes
jahilites, ni n'avait le moindre effet sur la vie désolante qu'on
y menait. Ces hanafites vivaient avec les autres sur un même terrain
et menaient le mode de vie des autres, sans que cela les ait gênés.
Cette conception intellectuelle de l'unicité se caractérise
justement par l'apathie et la marginalisation, sociale notamment. Dans
de telles circonstances, l'Islam a lancé sa conception du monothéisme,
comme une doctrine engagée, une organisation de la vie et une nouvelle
thèse sociale. Il a présenté son identité comme
un appel au changement radical à tous ses interlocuteurs, croyants
ou infidèles. Tous ceux qui avaient entendu l'appel islamique ont
compris qu'il s'agissait d'un système social, économique
et politique nouveau, absolument incompatible avec le système établi
à l'époque et visant à enrayer et à remplacer
celui-ci.
Attirés par cette nouvelle thèse, les gens ont répondu
avec enthousiasme et ardeur à l'appel islamique. En revanche, agacés
par elle, les adversaires et les athées se sont mobilisés
pour manifester avec violence et sauvagement leur hostilité, sans
cesse croissante, à son égard.
Cette vérité historique peut constituer partout et à
toutes les époques, un critère de la véracité
ou de la fausseté de la prétention au monothéisme.
Il est difficile en effet de croire au monothéisme des gens comme
les monothéistes de la Mecque pré-islamique.
Le monothéisme conciliant, le monothéisme qui courtise
tous ceux qui sont imposés comme associés de Dieu, - c'est-à-dire
les faux dieux -, le monothéisme qui se contente de se présenter
comme une hypothèse intellectuelle, ce monothéisme-là
n'est qu'une copie déformée du monothéisme des Prophètes.
A travers cette vision saine de la religion, s'explique la raison de
la propagation de l'Islam aux époques du progrès et de son
recul, de sa défaillance et de sa dégradation à celles
du sous-développement.
L'Islam du Prophète Muhammad présentait le monothéisme
aux gens comme une voie et une pratique; celui des époques ultérieures
l'a présenté comme une théorie qui suscite des discussions
et des débats dans les réunions et les rassemblements. Dans
le premier cas, il s'agissait d'une nouvelle conception du monde et d'une
nouvelle théorie du mouvement de la vie; dans le second cas, il
s'agissait de discussions creuses sur des questions secondaires dépourvues
de tout intérêt vital.
Dans le premier cas, l'unicité constituait l'ossature du
système en place et l'axe de toutes les relations sociales, économiques
et politiques, alors que, dans le second cas, elle représentait
un beau tableau d'art accroché dans un salon et servant d'ornement.
Que peut-on espérer d'un tel objet de luxe?! * * * * * *
De ce qui précède, il ressort que le monothéisme,
sur le plan pratique, est une thèse sociale, un programme de vie
et la base d'un système que l'Islam a adapté à la
nature de l'homme, à son développement et à son aspiration
à la transcendance; et que, sur le plan théorique, il constitue
la base intellectuelle et philosophique de ce système.
Ayant terminé ces quelques préambules, nous pouvons à
présent revenir en arrière pour étudier ce que nous
avons soulevé au début de cette recherche, à savoir
le combat du monothéisme contre toutes les formes de la domination
sociale.
Nous avons dit que les premières oppositions auxquelles s'est
heurté l'appel au monothéisme étaient le fait des
catégories puissantes et dominantes de la société.
Cela prouve que la devise "Point de divinité si ce n'est Dieu" était
dirigée avant tout contre cette catégorie puissante et dominante
ou, selon l'expression coranique, la catégorie des "mustakbirine"
(les orgueilleux, les hautains, les dominateurs).
Nous avons dit également que, tout au long de l'histoire, les
appels monothéistes prenaient une position claire contre les mustakbirine.
C'est pourquoi la société se divisait toujours en deux catégories
opposées:
- la catégorie des opposants, formée des mustakbirine;
- et celle des fidèles, composée des mustadhifine
(les déshérités, les dépossédés,
les défavorisés)
Nous avons dit enfin que c'est la réaction de ces deux catégories
à l'égard du Message monothéiste qui nous permet de
distinguer le vrai et l'authentique monothéisme du faux monothéisme.
C'est dire que, lorsque le monothéisme affiche sa conception originelle
et authentique, il se heurte inévitablement à l'hostilité
et à la réaction négative des mustakbirine.
Maintenant, il nous faut examiner les dimensions du monothéisme
pour voir laquelle d'entre elles s'oppose directement aux intérêts
de la classe des mustakbirine et menace son existence. En d'autre
terme, nous devons comprendre cet aspect du monothéisme qui provoque
les mustakbirine et les pousse à recourir à la confrontation
violente. Pour ce faire, il faut comprendre tout d'abord la personnalité
du "mustakbir" (le hautain, l'orgueilleux) telle qu'elle est analysée
dans le Noble Coran.
En effet, le Coran met en scène cette personnalité dans
quarante endroits. Il nous parle de ses caractéristiques psychologiques,
de sa position sociale, de ses objectifs, de ses convoitises expansionnistes
et accapareuses.
Globalement, le Coran met en évidence les traits suivants du
"mustakbir":
1- Celui-ci refuse de concevoir Dieu selon l'expression: "Point de divinité,
si ce n'est Dieu" (c'est-à-dire la limitation du pouvoir et de la
propriété absolue à Dieu seul), bien qu'il ne refuse
pas Dieu en tant que vérité spéculative et honorifique
à cadre limité:
«Quand on leur disait: "il n'y a pas de divinité que
Dieu", ils s'enorgueillissaient...»
(Ceux qui sont placés en Rangs <Al-Çâffât>,
37: 35)
«...Ils se sont injustement enorgueillis sur la terre. Ils
ont dit: "Qui donc sera plus redoutable que nous par sa force?».
(Les Versets clairement exposés <Fuççilat>,
41:15)
«Quand on lui récite nos Versets, il se détourne
avec orgueil, comme s'il ne les entendait pas, comme si ses oreilles étaient
frappées de surdité. Annonce-lui la nouvelle d'un châtiment
douloureux.»
(Luqmân, 31: 7)
2- Il prend l'attitude de renégat et de contradicteur à
l'égard de l'appel au changement et à la libération
lancé par le Prophète et y fait face, sous prétexte
qu'il est plus capable que d'autres de connaître le bon chemin et
que Dieu doit s'adresser à lui directement:
«Les incrédules ont dit aux croyants: "Si ceci était
un bien, ce n'est pas eux, c'est nous qui y aurions cru les premiers.»
(Al- Ahqâf, 46: 11)
«Ils disent, lorsqu'un signe leur parvient: "Nous ne croirons
pas tant que nous ne recevrons pas un don semblable à celui qui
a été accordé aux Prophètes de Dieu.»
(Les Troupeaux <al-An`âm>, 6: 124)
3- Il accuse le prétendant à l'appel de vouloir être
porté à la notoriété et à la célébrité;
et il invoque les traditions révolues du système établi
et dominant pour endiguer la diffusion de l'appel dans la société.
«Ils dirent: "Es-tu venu à nous pour nous détourner
de ce que nous avons trouvé chez nos pères, et pour que la
puissance terrestre appartienne à vous deux? Nous ne croyons pas
en vous!»
(Jonas <Younis>, 10: 78)
4- Il recourt à la force, à la falsification et à
toutes sortes de tromperie et de duperie pour maintenir les gens sous sa
domination et son joug et pour les pousser à affronter tout appel
de libération:
«Ils diront encore: "Notre Seigneur! Nous avons obéi
à nos chefs, à nos grands et ils nous ont écartés
de la voie droite".»
(Les Factions <al-Ahzâb>, 33: 67)
«...les faibles diront aux orgueilleux: "Nous vous avons suivis;
pouvez-vous maintenant nous préserver d'une partie de ce Feu?"»
(Celui qui pardonne <al-Mo'min, Ghâfir>, 40: 47)
«Les chefs du peuple de Pharaon dirent: "Celui-ci est un savant
magicien et il veut vous chasser de votre pays; que prescrivez-vous?"»
(Al-A`râf, 7: 109-110)
5- Et enfin, il soumet le Prophète et ses adeptes révoltés
contre le régime régnant et le courant idéologique
en vigueur aux attaques les plus sévères et à toutes
sortes de torture, de supplice et de répression:
«Les hommes de Ukhdoud ont été tués. Le
feu était sans cesse alimenté, tandis que les gens se tenaient
assis autour, témoins de ce que subissaient les croyants.»
(Les Constellations <al-Borouj>, 85: 4-7)
«Pharaon dit: "Laissez-moi tuer Moïse! Qu'il n'altère
votre religion et qu'il ne sème la corruption sur la terre."»
(Celui qui pardonne <Ghâfer, al-Mo'min>,40: 26)
Tels sont, brièvement, les traits des "mustakbirine",
selon le Noble Coran. Dans d'autres endroits, le Coran ne se contente plus
de brosser le portrait, mais désigne du doigt les grandes figures
historiques des mustakbirine:
«Nous avons ensuite envoyé avec Nos Signes, Moïse
et Aaron à Pharaon et à ses conseillers; mais ceux-ci s'enflèrent
d'orgueil...»
(Jonas <Younis>, 10: 75)
«De même pour Coré, Pharaon et Haman: Moïse
leur avait apporté des preuves décisives, mais ils s'enorgueillirent
sur la terre...»
(L'Araignée <al-`Ankabout>, 29: 39)
Pharaon est notoirement connu; Hâmân est son conseiller
particulier et la première personnalité de son entourage.
"Les conseillers de Pharaon" sont les notables de son entourage. Ils le
suivaient, l'aidaient et le conseillaient (voir le Verset 126, Sourate
Al-A`râf). Quant à Coré (Qâroun),
il est connu pour ses fortunes fabuleuses et ses trésors "dont
les seules clés semblaient lourdes à une troupe d'hommes
robustes" (Le Récit <al-Qiçaç>, 28: 76).
En examinant les dizaines de versets coraniques relatifs à
"l'istikbar" (l'orgueil, l'hégé-monisme, la dominance),
il ressort que le "mustakbir" (l'orgueilleux...) est : la catégorie
dominante de la société jahilite qui tient les rênes
du pouvoir politique et économique sans mérite, qui détient
également - par souci de perpétuer son exploitation et sa
domination - la direction de la pensée et des croyances, qui oeuvre
par divers moyens en vue de forger chez les masses un esprit de soumission
et de résignation à son ordre établi. Ce "mustakbir"
qui s'apprête toujours à combattre la moindre tentative de
réveiller la conscience afin de préserver ses intérêts
et maintenir son existence, que ne fera-t-il pas pour contrer un appel
au changement radical. * * * * *
Revenons maintenant à notre sujet essentiel: Comment les Prophètes
ont-ils présenté la doctrine de l'unicité?
La réponse à cette question met en relief les points qui
provoquent dans cette doctrine la susceptibilité du "mustakbir",
la raison de sa susceptibilité et de son incapacité à
supporter la foi de l'unicité lorsqu'elle est présentée
de cette manière (celle des prophètes). Par ailleurs, elle
nous explique l'importance de l'unicité en sa qualité de
base essentielle sur laquelle se fonde le Message.
On sait que la profession de foi de l'unicité est le premier
appel qu'un prophète lance à sa communauté. Ainsi,
le Prophète-Sceau a lancé, à la Mecque, la devise:
«Dites: point de divinité, si ce n'est Dieu, vous serez
heureux». Le Coran rapporte l'appel lancé par de nobles
prophètes tels que Noé, Houd, Çâlih, Chu`aïb
à leurs peuples respectifs. Cet appel était axé sur
l'unicité.
«O mon peuple! Adorez Dieu! Il n'y a pas, pour vous, d'autre
Dieu que Lui».
(Al-A`râf, 7:59)
Cet appel est fondé essentiellement sur le refus de toute servitude
autre que celle requise enversde Dieu. A travers lui, le Prophète
incite les ignorants et les inconscients, plongés jusqu'au cou dans
les boues du régime jahilite tyrannique, à cesser d'être
des serviteurs de tout autre que Dieu. Cela signifie qu'il commence son
appel par une déclaration de guerre contre tous ceux qui se substituent
à Dieu.
Qui sont ces prétendants à la divinité dans la
société? Que signifie: "déclarer la guerre à
la fausse divinité?". Quelle situation l'appel vise-t-il à
instaurer dans la société?
L'expression: "les prétendants à la divinité" laisse
penser généralement à ceux qui se sont présentés
comme "Dieu", c'est-à-dire ceux qui ont prétendu au pouvoir
surnaturel auquel l'humanité a toujours cru d'une façon ou
d'une autre. Mais c'est là une appréhension simpliste de
cette expression.
Certes, l'histoire a connu des criminels de petite envergure qui ont
exploité leur puissance politique et sociale pour laisser croire
à des gens de moindre envergure qu'eux, qu'ils étaient "dieux"
au sens précité ou qu'ils portaient en eux un aspect de l'esprit
divin. Mais, lorsque nous étudions le sens large des termes de "servitude",
"seigneurie", "divinité", utilisés dans le Coran, nous constaterons
que le champ de la signification de l'expression "prétendants à
la divinité" est beaucoup plus étendu qu'il ne le paraît.
Le concept de "servitude", tel qu'il est utilisé dans le Coran,
signifie la soumission et l'obéissance absolue à un homme
ou à tout autre être. C'est dire que lorsque nous nous soumettons
aveuglément à un individu et que nous agissons selon ses
désirs, ses caprices et ses directives, nous devenons ses serviteurs.
De même, toute force qui parvient à nous soumettre à
elle, à dominer notre corps et notre esprit, à se servir
de nos énergies à sa guise, nous asservit. Peu importe que
cette force se trouve à l'intérieur de nous-mêmes ou
dans le milieu qui nous entoure. Voici quelques exemple coraniques de cette
utilisation (l'utilisation du terme "servitude" au sens de soumission et
d'obéissance à un homme ou à tout être).
-Au début de son appel, Moïse s'adresse au Pharaon
et lui dit:
"Est-ce là le bienfait que tu me reproches alors que tu gardes
les fils d'Israël en esclavage?"
(Les Poètes <al-Cho`arâ'>, 26: 22)
-Pharaon et ses courtisans s'adressent les uns aux autres
et se demandent:
«Allons-nous croire en deux mortels comme nous, alors que leur
peuple nous sert d'esclaves?»
(Les Croyants <al-Mo'minoun>, 23: 47)
-Abraham s'adresse à son père et lui dit:
«O mon père! N'adore pas le Démon; le Démon
est rebelle envers le Miséricordieux»
(Marie <Maryam>, 19: 44)
-Dieu s'adresse à l'humanité):
«O fils d'Adam! Ne vous ai-Je pas engagés à ne
pas adorer le Démon - il est votre ennemi déclaré».
(Yâ Sîn, 36: 60)-Dieu à
Ses bons serviteurs:
«Il y a une bonne nouvelle adressée à ceux qui
se sont écartés des Tâghout en refusant de les adorer
et qui reviennent à Dieu».
(Les Groupes <al-Zomar>, 39: 17)
-Dieu dit, à propos de ceux qui reprochent aux croyants
leur croyance):
«Dieu a transformé en singes et en porcs ceux contre
lesquels Il est courroucé et ceux qui ont adoré les Tâghout.
Voilà ceux qui se trouvent dans la pire des situations: ils sont
les plus profondément égarés hors de la voie droite».
(La Table Servie <al-Mâ'idah>, 5: 60)
Dans ces versets, le mot "servitude" exprime la soumission à
Pharaon et à ses courtisans, au Tâghout (tyran) et à
Satan. Lorsqu'on étudie tous les versets du Coran relatifs à
ce sujet, on tire la conclusion que la "servitude", selon la concep-tion
coranique, signifie: la soumission, la subordi-nation et l'obéissance
absolue, - volontaires ou involon-taires, avec ou sans un sentiment de
vénération et de reconnaissance morale -, à une puissance
réelle et fictive. C'est cette puissance qui est "l'idole", et c'est
l'obéissant qui est "l'esclave" ou le serviteur".
A la lumière du cadre des concepts précités, il
ressort que les vocables "divinité" et "dieux" constituent une autre
expression du mot: "idole".
La société jahilite déviée est divisée
en deux classes: la classe des mustakbirine et celle des mustadh`afine,
c'est-à-dire en une classe dominante et aisée qui détient
tous les pouvoirs et une classe délaissée, asservie et déshéritée.
L'aspect le plus saillant de la fausse divinité et de la servitude
est ce rapport d'inégalité entre les deux classes. Il est
absurde de trop chercher ce qu'il y aurait derrière un être
sacré, humain, animal ou inorganique, lorsqu'on traite des dieux
des sociétés jahilites à travers l'histoire. Car la
manifestation la plus évidente d'un telle idole ou divinité,
c'est cette catégorie d'individus qui, en raison de ses liens particuliers
avec la classe des "mustakbirine", oeuvre en vue de soumettre les
masses des mustadh`afine et de les conduire à servir les
intérêts et l'avidité de ses commanditaires.
La vraie "religion" dans de telles sociétés, c'est le
"polythéisme". Car la divinité y est aussi multiple que les
centres d'influence dominants qui entraînent les gens dans leurs
sillages.
Le polythéisme, c'est diviniser des individus à côté
ou à la place de Dieu ou, en d'autres termes, c'est confier les
questions de la vie à autre que Dieu, c'est se soumettre à
une autre puissance que Dieu, c'est se fier, au moment du besoin, à
cette autre puissance et suivre sa direction.
Le monothéisme se situe à un point diamét-ralement
opposé au polythéisme: il récuse toutes ces fausses
divinités, refuse de s'y soumettre, résiste à leur
domination, immunise les coeurs contre leur charlatanisme, appelle à
leur éradica-tion, et fait se rattacher l'homme, corps et âme,
à Dieu.
Le premier slogan lancé par les envoyés de Dieu, c'était
justement ce refus-là (des fausses divinités) et cette soumission-là
(à Dieu):
«Oui, Nous avons envoyé un prophète à
chaque communauté: "Adorez Dieu! Fuyez les Tâghout!".»
(Les Abeilles <al-Nihal>, 16: 36)
«Nous n'avons envoyé aucun prophète avant toi
sans lui révéler: "Il n'y a de Dieu que Moi; Adorez-Moi!"
(Les Prophètes <al-Anbiyâ'>, 21: 25)
Les prophètes ont donc annoncé la fin de l'ère
jahilite corrompue et dégradée en lançant leur slogan
qui leur a servi du même coup à appeler à lutter avec
acharnement contre les tyrans, les bafoueurs des valeurs humaines authentiques
et les tenants de fausses valeurs qui servent l'injustice et les injustes.
Le refus du polythéisme, c'est en fait le refus de toutes les
entités sociales, politiques et économiques qui composent
la société jahilite et qui adoptent la doctrine polythéiste
pour, à la fois, dissimuler et justifier la situation de cette société.
Le refus de la fausse divinité signifie la répudiation
de tous ceux qui s'étaient appliqués à déposséder
les masses et à les exploiter par la force pour rassasier leurs
désirs indomptables.
C'est bien par ce slogan que Moïse a déclaré la guerre
à Pharaon... Oui, Pharaon et sa suite parlaient du refus de Moïse
de leur divinité traditionnelle:
«Les chefs du peuple de Pharaon dirent: "Laisserez-vous Moïse
et son peuple corrompre la terre et te délaisser, toi et tes divinités?»
(Al-A`râf, 7: 127)
Mais Pharaon et ses semblables savaient bien que cette "divinité"-là,
c'est-à-dire les idoles inertes, ne servait qu'à couvrir
et à justifier la divinité de Pharaon et de sa suite. L'idole
inerte justifiait en fait la divinisation des idoles vivantes. Il était
donc logique que Pharaon ait réagi négativement à
l'appel de Moïse à l'adoration de Dieu Un et Unique, Créateur
des Cieux et de la Terre, et l'ait menacé, - ainsi que ses adeptes
-de mort et de torture:
«Pharaon dit: "Si tu adoptes un autre dieu que moi, je te ferai
mettre en prison".»
(Les Poètes <al-Cho`arâ'>, 26:
29)
«Il répondit: "Nous tuerons leurs fils, nous laisserons
vivre leurs filles et nous les dominerons!"»
(Al-A`râf, 7: 127)
«Je vous ferai couper la main droite et le pied gauche, puis
je vous ferai tous crucifier".»
(Al-A`râf, 7: 124)
Ce refus obstiné du nom de "Dieu" et de l'appel à l'unicité
s'explique par le fait que cet appel ne signifie autre chose que:
- la croyance au pouvoir exclusif de Dieu sur la vie;
- le refus de la fausse divinité;
- l'attachement à Dieu l'unique et le brisement des chaînes
des autres servitudes.
Tels sont l'esprit de l'unicité et ses dimensions constructives
bien vivantes. Que la Paix, la Miséricorde et les
Bénédictions de Dieu soient sur vous.
NOTES
1. préislamique et, par extension,
tout ce qui n'est pas islamique.
2. Monothéistes, adeptes
de la religion d'Abraham.
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