Le Chiisme :
Prolongement naturel
de la ligne du Prophète
(Recherche sur la Wilâyah)
Mohammad Bâqir al-Sadr
Traduction, préface, annotation et glossaire :
Abbas Ahmad al-BOSTANI
Publication de la Cité du Savoir
Editeur:
Abbas Ahmad al-Bostani
(La Cité du Savoir)
C.P. 712 Succ. (B)
Montréal, Qc, H3B 3K3
Canada
E-mail: abbas@bostani.com
Première édition : Juillet 1983
© Abbas Ahmad al-Bostani
(La Cité du Savoir)
Tous droits de reproduction et d'adaptation interdits sans l'autorisation
de l'éditeur
Table des Matières
PRÉFACE DE L'ÉDITEUR 2
Préambule 7
PREMIÈRE PARTIE : COMMENT EST NÉ LE CHIISME? 9
LA PREMIÈRE VOIE 9
LA DEUXIÈME VOIE 13
LA TROISIÈME VOIE 28
DEUXIÈME PARTIE :COMMENT SE SONT CONSTITUÉS LES CHIITES?
32
GLOSSAIRE 42
PRÉFACE
DE L'ÉDITEUR
L'auteur de "Notre Economie" (l'Economie Islamique), de "Notre Philosophie",
de "La Banque Islamique non-usuraire" est notoirement connu dans le monde
musulman, comme un grand mujtahid "panislamique", pour ses efforts
soutenus en vue de restituer à l'Islam sa position sublime, dans
une conjoncture historique où la pensée matérialiste
fait une entrée en force dans une nation islamique disloquée
et accablée par plusieurs siècles de déviation.
On est donc habitué à voir Mohammad Bâqir al-Sadr
soucieux, avant tout, de confronter dans l'ensemble de son oeuvre l'acculturation
et de lui opposer la Charia(1) islamique
constante et porteuse de tous les éléments mobiles et flexibles
qui la rendent toujours vivante et conforme aux exigences de tous temps
et de toutes circonstances.
Or qui dit souci de la sauvegarde de l'Islam, dit aussi souci de
l'unité islamique, lequel n'a jamais fait défaut chez l'auteur
du célèbre appel pathétique: «frère sunnite,
frère chiite...», qu'il a lancé en Irak à un
moment où le sort de l'Islam y était mis en jeu.
Cela dit, faut-il considérer le présent ouvrage(2):
"Le Chiisme: Prolongement naturel de la ligne du Prophète", comme
une exception à la règle dans les préoccupations de
l'auteur et le cheminement de son oeuvre? En écrivant ce livre,
le mujtahid al-Sadr ne risque-t-il pas de paraître partisan
et de s'écarter de la ligne qu'il a toujours suivie, celle de l'Islam
universel et au-dessus de tendances et de courants?
Vaines interrogations!
Loin de remettre en cause l'unité et la continuité
d l'oeuvre et des préoccupations de notre auteur, le présent
ouvrage ne fait que les confirmer.
En effet, ici comme ailleurs, le principal souci de l'auteur reste
la sauvegarde du Message de l'Islam, laquelle passe, comme nous l'avons
dit, par son unité. Mais l'unité islamique n'est pas un mot
creux. Il ne suffit de la prêcher pour qu'elle se réalise.
L'unité islamique ne peut se faire que par la dissipation des malentendus
et l'éradication des préjugés, des idées préconçues
et des contre-vérités qui rongent le corps de la Umma (la
Nation islamique). C'est justement à ce noble but que s'efforce
d'atteidre al-Sadr dans ce livre, au risque de déplaire à
quelques esprits sectaires, soucieux plus de vénérer certaines
traditions que de connaître la vérité du cheminement
de l'expérience islamique.
Aujourd'hui, beaucoup de Musulmans s'interrogent sur les raisons
de la décadence et du sous-développement de la Umma, pourtant
héritière du Message divin le plus sublime, qui sacralise
la recherche du savoir et de la science au point d'en faire un acte de
dévotion!
Certes, les sceptiques, les esprits malveillants et les détracteurs
de la Foi tentent d'attribuer cette décadence au Message lui-même,
en passant sous silence ses Appels réitérés à
l'acquisition des sciences, et ses incitations inlassables à la
recherche du savoir. Mais le croyant lui, qui est éclairé
par a lumière de la Foi et guidé par les enseignements du
Message, ne doit-il pas être assez lucide pour rechercher l'origine
du mal et la cause du déclin dans les diverses déviations
qu'a connues la ligne islamique tracée par le Prophète (P)
et dans la mauvaise application du Message?
Le malheur est que ces déviations se sont tellement enracinées
(à force de se perpétuer, et à cause de continuelles
campagnes de désinformation menées par les «Prédicateurs
de la Cour» et reprises et consacrées - consciemment ou inconsciemment
- par des «historiens» portés plus à rapporter
des «témoignages» et des «documents», fussent-ils
tendancieux, qu'à rechercher la vérité) que bon nombre
de Musulmans ne distinguent plus le vraie du faux, le légal de l'illégal,
le fait du préjugé, dans les péripéties de
la longue histoire de l'Islam.
Jadis, les différentes dynasties qui ont gouverné la
Umma au nom de l'Islam, étaient plus préoccupés de
la conservation du pouvoir que du respect scrupuleux et à la lettre,
des préceptes du Message. Aussi, sachant que la légitimité
islamique de leur règne était pour le moins douteuse, ont-elles
tout fait pour maintenir les déviations et mieux, encourager la
pratique de désinformation et de dénigrement à l'encontre
du courant islamique chiite, puriste et légitimiste. Mais aujourd'hui,
alors que la Umma a pris du recul vis-à-vis de cette passion sordide
pour le pouvoir, et qu'elle éprouve un besoin impérieux de
retour à la source et de retrouvailles avec la ligne islamique telle
qu'elle fut dessinée par le Coran et la Sunnah du Prophète
(P), al-Sadr nous propose ici de nous rappeler, dans un esprit purement
islamique et loin de toute velléité de polémique ou
de débat passionnel, quelques vérités évidentes,
mais longuement ignorées et délibérément déformées.
La principale vérité sur laquelle l'auteur attire l'attention
du Musulman, concerne l'origine du chiisme. Pour ce faire, il nous rappelle
tout d'abord que du vivant du Prophète, la première génération
de Musulmans - les Compagnons - était répartie entre deux
courants, quant à leur attitude vis-à-vis des décisions,
des commandements et des recommandations du Messager (P) - c'est-à-dire
de la Sunnah. Un courant «suiviste»(3)
se soumettait totalement aux faits et dires du prophète (P) et les
considérait comme infaillibles; un autre, qui s'arrogeait le droit
de les discuter et même de les contester. L'auteur dénomme
le premier courant, «le Courant de l'observance du Texte »(4)
(ou du Culte du Texte)(5), et appelle le
second, «le Courant de l'opinion prsonnel (ijtihâd)
dans le Texte»(6).
La différence entre les deux tendances va éclater au
grand jour lors du décès du Prophète (P). Alors que
le premier courant, celui de l' «observance du Texte» estimait
que la succession du Prophète (P) était déjà
résolue puisque celui-ci (P) en avait - explicitement et implicitement
- confié le soins à l'Imam Ali (p), à travers beaucoup
de Hadith et notamment «Hadith al-Thaqalayn» et «Ghadîr
Khum», et que de ce fait les Musulmans devaient s'en tenir au testament
ou aux déclarations et recommandations du Prophète (le Texte);
les tenants du second courant se sont réunis à la Saqîfah
pour choisir l'un d'entre eux comme Successeur (Calife) du Prophète,
invoquant pour cela le principe de Chourâ.
Ainsi, contrairement à ce que pourrait
croire un profane ou un Musulman non averti, c'est le premier courant,
celui de l'«observance du Texte» ou du «respect scrupuleux
de la Sunnah du Prophète» qui constitue l'origine, le noyau
et la base du Chiisme.(7)
Par conséquent, la première constatation que l'auteur
nous invite à faire, c'est que le Chiisme est né d'un courant
islamique attaché au respect scrupuleux de la Sunnah du Prophète
(P), et opposé à un autre courant islamique tendant à
faire prévaloir son opinion personnellehé face aux directives
prophétiques.
Après le décès du Prophète (P), alors
que le courant de l' «opinion personnelle face au Texte du Prophète»
- celui de la Saqîfah - accéda au pouvoir et devient
de ce fait majoritaire dans la Ummah; l'autre courant, celui de l' «observance
du Texte» estima que le respect de la Sunnah lui imposait l'obligation
de considérer l'Imam Ali Ibn Abî Tâlib (p) comme
le successeur légitime du Prophète (P), et devient - du fait
de son opposition au pouvoir - le courant minoritaire au sein de l'État
islamique. Ainsi l'Imam Ali (p) et ses descendants d'Ahl-ul-Bayt se transformèrent
peu à peu en symbole de l'attachement à la Sunnah prophétique
et de la ligne islamique légitimiste. Les partisans de cette ligne
ou de ce courant islamique seront appelés les chiites (les partisans
de Al i(p).
Comme on peut le constater, les termes «sunnisme» et
«chiisme» par lesquels on oppose généralement
les héritiers respectifs des deux courants initiaux, ne correspondent
pas à la réalité historique et sont improprement conçus
et utilisés, surtout lorsqu'ils sont définis l'un par rapport
à l'autre ou l'un par opposition à l'autre. En effet, on
a généralement tendance à définir le Chiisme
comme le courant des partisans de l'Imam Ali (p) et le Sunnisme comme la
tendance des partisans de la Sunnah. Or, si l'on
définit le terme «sunnisme», dérivé du
mot «Sunnah» comme l'attachement à la Sunnah,
les Chiites ont
plus d'un titre de s'en réclamer et de le revendiquer. Car, comme
nous venons de le voir, la «raison d'être» du
Chiisme, c'est d'abord l' «observance
du Texte» et le refus de s'en écarter; de là son opposition
au courant de la Saqîfah. Ensuite les Chiites
ne sont les «partisans de Ali (p)» que parce qu'ils sont attachés
à la Sunnah et que ce dernier symbolise, incarne et traduit cet
attachement. C'est dire que l'attachement à l'Imam Al i(p) est un
trait secondaire et non essentiel du Musulman chiite. Il est subordonné
à l'attachement à la Sunnah du Prophète. Enfin, faut-il
rappeler que de même que l' «observance du Texte» ne
se limite pas, chez les Chiites, à la désignation de l'Imam
Ali (p) comme successeur du Prophète (P), mais s'étend à
toutes les stipulations de la Sunnah, de même le recours à
l' «Opinion personnelle face au Texte» et l'écart
de la Sunnah, ne se borne pas chez le courant de Saqîfah,
à la question du Successeur légitime du Messager, mais touche
bien d'autres domaines. L'auteur nous en cite plusieurs exemples.
Donc les appellations «sunnisme»
et «chiisme» par lesquelles on
désigne généralement les adeptes des deux courants
originels précités, contribuent à entretenir le malentendu
et les préjugés, à fausser la signification réelle
de l'attachement à la Sunnah et à cultiver un terrain favorable
à la propagation des contre-vérités. Aussi faudrait-il
assigner aux deux termes leur signification réelle qui correspond
à la vérité des faits: le «Sunnisme»
peut être défini comme l'orthodoxie
loyaliste, c'est-à-dire la tendance dominante et caractérisée
par sa loyauté envers le pouvoir califal établi; par
opposition au Chiisme, courant légitimiste,
considérant l'Imam Ali (p) (et la ligne qu'il représente)
comme le seul Successeur légitime et légal du Prophète
(P).
Cela étant dit, il convient de noter que Sayyed Mohammad
Bâqir al-Sadr ne cherche guère à opposer dans ce livre
le Chiisme au Sunnisme - d'ailleurs ce dernier terme n'y figure point -
mais seulement de corriger la désinformation et dissiper les malentendus
afin de permettre aux masses de Musulmans de s'unir autour de la Charia
représentée par le Coran et la Sunnah auxquels elles sont
toutes solidement attachées.
En soulignant quelques Hadith du Prophète (P) et quelques
témoignages de certains califes, l'auteur fournit au Musulman des
repères qui lui permettent de rechercher la vérité
lui-même à travers toutes les références historiques
de l'Islam, sans tenir compte des préjugés et des idées
reçues et tendancieuses que les auteurs de ces références
pourraient lui suggérer.
De nos jours, alors que des voix malveillantes s'élèvent
çà et là pour remettre en question les sources mêmes
de la Charia, beaucoup de Musulmans s'interrogent sur le passé,
le présent et l'avenir de l'Islam! Mais n'est-il pas plus logique
et plus équitable de regarder plutôt du côté
de l'application qu'on a faite de la noble Charia? N'est-ce pas le devoir
le plus élémentaire de tout Musulman. L'auteur n'entend point
inciter le Musulman à épouser le rite juridique chiite plutôt
qu'un autre, mais tout simplement à connaître et respecter
les préceptes du Message dans leur intégralité, ou
tout au moins, à avoir le courage de rendre justice à ceux
qui se sont acharnés à les observer, malgré toutes
sortes de répression et de vexation qu'ils ont subies des siècles
durant.
Si nous refusons de souligner objectivement les erreurs de nos prédécesseurs,
comment nous serait-il possible de corriger nos propres défauts
et errements aujourd'hui?
Abbas Ahamad al-Bostani
Paris 1983
* * * * * * *
Préambule
Certains chercheurs modernes se sont appliqués à étudier
le Chiisme comme un phénomène accidentel dans la société
islamique et à considérer le secteur chiite comme un secteur
qui s'est formé à la longue dans le corps de la Ummah (Nation
islamique), à la suite d'événements et de développements
spécifiques qui ont conduit à une formation intellectuelle
doctrinale particulière dans une partie de ce grand corps, partie
qui va grandir progressivement.
Après avoir avancé cette hypothèse, ces chercheurs
divergent sur les événements et les développements
qui ont conduit à l'apparition de ce phénomène, et
à la naissance de cette partie. Les uns supposent que c'est «Abdullâh
Ibn Saba'» et sa prétendue activité politique qui se
trouvent à l'origine du Chiisme. D'autres attribuent le phénomène
chiite à l'époque du Califat de l'Imam Al (p) et à
la position politique et sociale que cette époque a créée
sur la scène des événements. D'autres prétendent
que l'apparition du Chiisme est due événements survenus ultérieurement.
Je pense que ce qui a amené ces chercheurs à croire injustement
que le Chiisme est un phénomène accidentel dans la société
islamique, c'est le fait que les Chiites ne constituaient qu'une minorité
dans l'ensemble de la Ummah au début de l'Islam.
Ce fait a laissé croire que la règle dans la société
islamique c'était le non-Chiisme alors que le Chiisme y constituait
'exception et le phénomène accidentel dont il faut chercher
les causes dans le développement de l'opposition à l'ordre
établi.
Mais prendre la majorité numérique et la minorité
relative comme critère de distinction entre la règle et l'exception,
entre la racine et la dérivation n'est pas logique. Car il est erroné
de qualifier l'Islam non-Chiite, l'orthodoxie, et de taxer l'Islam chiite
de phénomène accidentel et de schisme, en se fondant sur
la majorité numérique.
Il arrive souvent qu'un message (une doctrine) fasse l'objet de la dissidence
doctrinale chez ses adeptes, que cette dissidence soit due à un
différend sur la détermination des aspects de ce message
et que les deux parties de la division soient numériquement inégales
tout en se prévalant par leur originalité et leur représentativité
du message qui fait l'objet de leur division. Il n'est aucunement permis
de fonder nos conceptions de la division doctrinale dans le cadre du message
islamique en Chiisme et non-Chiisme sur le fait numérique.
De même, il ne faut pas assimiler la naissance de la thèse
du Chiisme en Islam à l'apparition du mot «Chiite» ou
«Chiisme», en tant que désignant un groupe déterminé
de Musulmans, car la naissance du terme et de l'expression est une chose,
la naissance du contenu et de la thèse qu'ils désignent en
est autre.
Aussi, si nous ne trouvons pas le mot «Chiisme» dans la
langue courante du vivant du Prophète ou dans la période
qui a suivi son décès, cela ne signifie pas que la thèse
et le courant Chiite n'existaient pas déjà.
C'est dans cet esprit que nous allons traiter de la question du Chiisme
et des Chiites, en nous efforçant de répondre aux deux questions
suivantes:
1- Comment est né le Chiisme?
2- Comment les Chiites ont-ils surgi?
PREMIÈRE PARTIE :
COMMENT EST NÉ LE CHIISME?
On peut dire que le Chiisme est le produit naturel de l'Islam et la
représentation de la thèse vers laquelle l'Appel islamique
aurait dû s'acheminer pour sauvegarder (un développement sain
après le décès du Prophète).
Cette thèse, il est possible de la déduire logiquement
du déroulement de l'Appel islamique qui, en raison de la nature
de sa formation et des circonstances qu'il vivait, fut dirigé par
le Prophète lui-même. Celui-ci se chargeait en effet de la
direction d'une mission révolutionnaire et menait une opération
de changement radical de la société, de ses normes, de ses
règlements et de ses conceptions. Pour réussir cette entreprise,
la route a parcourir n'était pas courte, lion de là, elle
devait prolonger la longue série d'énormes disparités
morales entre la jâhiliyyah (la société antéislamique)
et l'Islam.
L'Appel islamique entrepris par le Prophète avait la tâche
ardue de rééduquer l'homme Jâhilite (antéislamique),
de le façonner à l'image de l'Islam, en lui faisant porter
une lumière nouvelle, et en en extirpant toutes les racines et les
séquelles du passé Jâhilite.
Le Prophète a franchi, en un court laps de temps, des pas gigantesques
dans cette opération révolutionnaire. Il fallait que l'action
qu'il avait entreprise se poursuive après sa mort. Or, quelque temps
avant sa mort, le Prophète avait pressenti que ses jours étaient
comptés; et cela, il l'avait annoncé clairement et publiquement
dans Hujjat al-Wadâ' (le Pèlerinage d'Adieu). La mort ne l'a
donc pas pris au dépourvu. Cela signifie que même si nous
ne tenons pas compte du facteur de la Révélation et de la
Providence et leur rôle dans l'orientation du Prophète quant
à l'avenir de l'Appel après sa disparition.
Cela dit, on peut remarquer logiquement que le Messager se trouvait
devant trois vois, dot il devait choisir une, pour l'avenir de l'Appel.
LA PREMIÈRE VOIE
La première voie qui se présentait au Prophète
consistait <a adopter une attitude passive vis-à-vis de l'avenir
de l'Appel, à se contenter de le diriger et de l'orienter durant
son existence, laissant le soin de cet avenir aux circonstances et aux
hasards.
Or, une telle passivité de la part du Prophète ne saurait
être envisagée, car elle découle de deux hypothèses
qui ne correspondent guère à l'état d'esprit du Messager:
1- Penser que le fait de ne rien entreprendre pour assurer l'avenir
de l'Appel n'aura aucune incidence sur cet avenir et que la Ummah qui hériterai
de cet Appel sera capable d'en assurer la protection et de l'empêcher
de dévier.
Or, une telle vision de l'avenir de l'Appel n'est guère conforme
à la réalité de la situation qui prévalait.
Celle-ci incitait plutôt à avoir une vision contraire. Car
l' «Appel», ayant consisté en une action de transformation
révolutionnaire (radicale)(8), au
stade embryonnaire, visant à édifier la Ummah et à
en extirper les racines Jâhilite, aurait été
exposé à toutes sortes de graves dangers, si son Guide (le
Prophète) avait disparu de la scène sans rien prévoir
pour sa succession. Il y a tout d'abord es dangers découlant d'une
situation où il faudrait envisager un vide pour lequel on n'avait
rien prévu, et de la nécessité d'improviser hâtivement
sous le grand choc que provoquerait la disparition du Prophète.
Car si celui-ci quittait la scène sans planifier l'avenir de l'Appel,
la Ummah aurait pour responsabilité première de confronter,
sans Guide, les problèmes les plus graves qui se poseraient à
l'Appel, alors qu'elle ne serait guère préparée à
une telle situation. Aussi, cette situation imposerait-elle à la
Ummah de prendre une décision hâtive et impromptue, malgré
la gravité du problème auquel elle serait confrontée,
car le vide créé ne pourrait attendre. Or, que vaut une telle
décision hâtive, prise sous l'effort du choc qu'éprouve
la Ummah, à la disparition de son grand Guide? Le choc que la Ummah
a subi en perdant son Prophète a créé une telle émotion
qu'il fut de nature à troubler l'acheminement normal de la pensée,
et qu'il conduisit un Compagnon bien connu à déclarer sous
le coup de l'émotion: «Non! Le Prophète n'est pas mort
et il ne mourra pas».
Il y a ensuite les dangers provenant du fait que la Ummah n'avait pas
atteint un degré de maturité doctrinale, qui permettrait
au Prophète de s'assurer préalablement de l'objectivité
de l'attitude qui serait adoptée après sa mort, de la concordance
de cette attitude avec le cadre missionnaire de l'Appel, de sa capacité
à vaincre les contradictions latentes qui, au fond, habitaient des
Musulmans divisés en «Muhâjirine»(9)
(Emigrés) et «Ançâr»(10)
(Partisans), Arabes «Quraychites»(11)
et les Arabes non Quraychites, Mequois(12)
et Médinois(13).
Puis, il y a aussi les dangers provenant des faux convertis qui complotaient
secrètement et constamment contre 'Islam du vivant du Messager.
Il s'agit de ceux que le Coran désigne sous le vocable d' «hypocrites».
Et
si on ajoute à ceux-ci un grand nombre d'individus qui se sont convertis
à l'Islam après la Conquête(14)
moins par conviction que par soumission au fait accompli, on pourra imaginer
les dangers que représenteraient de tels éléments
lorsqu'ils se trouvaient subitement les mains libres dans une situation
de vide du pouvoir et d'absence e Guide!
La gravité de la situation qui devrait prévaloir après
la disparition du Prophète n'aurait donc pu échapper, aucun
dirigeant ayant exercé une action missionnaire, et a fortiori au
«Sceau des prophètes»(15)
(le Prophète Muhammad-P).
Et si l'on admet:
- qu'Abû Bakr ne s'est pas permis de quitter la scène (de
la vie) avant d'intervenir activement dans le sort de sa succession afin
de garantir l'avenir du califat, en prétextant une mesure de précaution;
- que les Musulmans ont accouru à Omar lorsqu'il a été
blessé en l'implorant: «Si tu nous faisais une promesse(16)
(si tu désignait un successeur)», craignant le vide qui serait
créé après sa mort, et ce, bien qu'une certaine maturité
politique et sociale ait commencé à se dessiner chez la Umma,
dix ans après la disparition du Messager, et que Omar, partageant
leur appréhension, ait désigné six successeurs possibles;
- que Omar était conscient de la gravité de la situation
le Jour de la Saqîfah(17),
et des complications que pourrait créer la désignation improvisée
d'Abû Bakr au Califat, puisqu'il a déclaré à
ce propos: «C'était une erreur et Allah nous en a évité
les conséquences fâcheuses»(18);
et puisqu'Abû Bakr lui-même a justifié sa hâte
à accepter du Prophète, par la gravité de la situation
(créée à la suite de la mort du Prophète) et
de la nécessité de lui trouver une solution rapide, en déclarant
(lorsqu'on l'a blâmé d'avoir accepté le pouvoir): «Le
Messager de Dieu a rendu l'âme alors que les fidèles n'avaient
pas assez de recul pour oublier la jâhiliyyah. C'est pourquoi,
mes amis m'ont chargé de cette responsabilité».(19)
Si tout cela est donc vrai, il est tout naturel et évident que
le Précurseur et Prophète de l'Appel islamique, était
encore plus conscient que tout autre de l'Islam après sa mort, et
qu'il comprenait mieux que quiconque la nature de la situation et les exigences
de l'action de transformation révolutionnaire qu'il exerçait
auprès d'une Umma qui venait de quitter la jâhiliyyah
de fraîche date, selon l'expression d'Abu Bakr.
2- La seconde hypothèse absurde qui expliquerait la prétendue
passive du Prophète vis-à-vis du sort et de l'avenir de l'Appel
après sa mort, c'est de penser que, bien qu'i fût conscient
du danger que comporte cette passivité, il ne fit rien qui pût
prévenir l'Appel de ce danger, et ce parce qu'il aurait considéré
l'Appel dans un esprit intéressé, se contentant de le protéger
tant qu'il vivait lui-même, afin d'en tirer profit et de jouir de
ses avantages, sans guère se soucier de la suivre de l'Appel après
sa propre disparition.
Hypothèse d'autant plus insensée que, même si l'on
dépouillait le Prophète de sa qualité de Messager
de Dieu et que l'on oubliait qu'il était en contact permanent avec
la Providence pour tout ce qui concerne l'Appel, même si nous nous
contentions de le considérer comme un dirigeant missionnaire, pareil
à l'autres dirigeants de message, cette hypothèse ne pourrait
s'appliquer à lui, dirigeant missionnaire inégalé
dans le dévouement qu'il montrait pour l'Appel, dans la fidélité
qu'il lui vouait et dans les sacrifices qu'il lui offrait jusqu'au dernier
moment de sa vie.
Toute son histoire en porte témoignage. Même lorsqu'il
était sur son lit de mort et que sa maladie s'aggravait sérieusement,
il n'a cessé de se préoccuper d'une bataille dont il avait
établi des plans et pour laquelle il avait préparé
l'armée de Usâmah. C'était de son lit de mort qu'il
ne cessait de donner les ordres suivants, entrecoupés de pertes
de conscience répétées: «Prépares l'armée
de Usâmah! Mettez-la sur pied de guerre...»(20).
Si le Prophète s'est montré si préoccupé
par l'un des aspects militaires de l'Appel, alors même qu'il s trouvait
sur son lit de mort, et tout en sachant qu'il mourrait avant d'avoir cueilli
les fruits de cette bataille, comment peut-on concevoir qu'il ne se souciait
pas de l'avenir de l'Islam et qu'il n'établissait pas des plans
pour le prévenir des dangers qui le guetteraient après sa
mort?
Enfin, un seul faut survenu lors de la dernière maladie du Messager
suffit à prouver que celui-ci n'avait pas choisi cette première
voie et qu'il était à mile lieues d'adopter une attitude
passive vis-à-vis de l'avenir de l'Appel, d'ignorer le danger d'une
telle attitude ou de ne pas s'en soucier. Ce fait, tous les Çihâh
(ouvrages spécialisés reproduisant les Hadiths(21)
authentiques) des Musulmans, Sunnites et Chiites, l'ont rapporté:
il s'agit de ce que le Prophète a dit au moment de mourir, en présence
de plusieurs témoins dont Omar Ibn al-Khattâb: «Apportez-moi
l'épaule (la planche) et l'encrier pour que je vous écrive
une lettre (testament) grâce à laquelle vous ne vous égarerez
pas».(22)
Ce gestes du Guide, dont l'authenticité fait l'unanimité
des Musulmans, montre clairement que le Prophète pensait aux dangers
qui planaient sur l'avenir et qu'il était profondément conscient
de la nécessité d'immuniser la Umma contre la déviation
et de protéger l'Appel des risques de relâchement t d'écroulement.
Donc, en aucun cas on ne peut envisager l'hypothèse d'une attitude
passive de la part du Prophète à l'égard de l'avenir
de l'Appel.
LA DEUXIÈME VOIE
La seconde voie que le Prophète pouvait choisir vis-à-vis
de l'avenir de l'Appel, c'était d'adopter une «attitude active»(23)
et de préparer un plan pour sa succession, qui consisterait à
confier la tutelle de l'Appel et la direction de l'Expérience(24)
à la Ummah elle-même, laquelle serait représentée,
selon le système de Choura (concertation), par la première
génération doctrinale qui comprenait l'ensemble des Muhâjirine
et des Ançâr. Cette génération qui est la représentante
de la Ummah serait le fondement du pouvoir et l'axe de la direction de
l'Appel dans le cours de son développement.
Mais là encore, un examen sérieux de la situation générale
(qui prévalait à l'époque du Prophète) et des
faits incontestables qu'on connaît du Messager, de l'Appel et de
l'avant-garde islamique réfute cette supposition et nous conduit
à constater que le Prophète n'a pas confié à
la Ummah - représenté par sa génération d'avant-garde
(les Muhâjirine et les Ançâr) - le soin de désigner
la direction de l'Appel selon le principe de Chourâ.
Ci-après quelques points explicatifs et démonstratifs
(de cet examen):
I - S'il était vrai que le Prophète avait adopté
une attitude positive vis-à-vis de l'avenir de l'Appel, en préconisant
l'application d'un système de Choura - directement après
sa mort - ayant le pouvoir de désigner une direction pour l'Appel,
une telle attitude exigé du Prophète - et c'eût été
la moindre des choses, ou la chose la plus évidente à faire
- qu'il s'appliquât à familiariser la Ummah et les pionniers
de l'Appel avec le système de Choura, ses règles et
ses détails, à conférer à celui-ci un caractère
religieux sacré, afin de préparer - intellectuellement et
spirituellement - la société islamique à s'en accommoder,
sachant que celle-ci se constituait de tribus qui n'avaient pas vécu,
avant l'Islam, une situation politique basée sur le Choura,
mais sous un système clanique et tribal où prévalaient,
dans une grande mesure, la force, la fortune et le facteur de l'hérédité.
Or, il est facile de constater que le Prophète (P) n'a pas mené
une action de nature à préparer les gens à un régime
de Choura et à ses détails législatifs. Car,
si une telle action avait été accomplie, elle aurait été
tout naturellement reflétée dans les hadith du Messager,
dans la mentalité de la Ummah, ou, tout au moins, dans celle de
la génération d'avant-garde censée être responsable
de l'application du système de
Choura. Or, en cherchant dans
les hadith du Prophète, nous ne trouvons aucune image législative
précise du système de Choura, et lorsque nous examinons
la mentalité de la Ummah ou celle de sa génération
d'avant-garde, nous n'y remarquons aucune trace ni aucun reflet précis
d'une action quelconque de préparation à ce système.
En effet, la génération d'avant-garde comprenait deux
tendances:
1- La tendance dirigée, par Ahl-ul-Bayt(25)
2- La tendance représentée par la Saqîfah(26)
et le califat qui a pris le pouvoir effectif après la décès
du prophète.
En ce qui concerne la première tendance, elle croyait à
la «prédésignation»(27)
et à l'Imamat, et met l'accent sur la parenté (avec le Prophète).
Elle n'a rien fait qui puisse laisser entendre qu'elle croyait à
l'idée de Choura.
Quant à la seconde, tous les faits dans la vie pratique et dans
les actes de ses tenants, montrent indubitablement que ceux-ci ne croyaient
pas au principe de Choura et qu'ils n'avaient pas fondé leur
exercice du pouvoir sur ce principe. Il en va de même de tous les
secteurs musulmans contemporains de la période du décès
du Prophète.
Citons quelques exemples pour étayer cette assertion:
Lorsque l'état de santé d'Abû Bakr s'est aggravé,
il a désigné Omar Ibn al-Khattâb pour sa succession
(au califat) et a demandé à Othmân de rédiger
son testament que voici: «Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Voici ce que le calife (successeur) du Messager de Dieu, Abû Bakr
a confié aux Croyants et aux Musulmans: Que la paix soit sur vous.
Louange à Dieu (vous, dis-je). J'ai désigné pour vous,
Omar Ibn al-Khattâb. Ecoutez-le donc et obéissez-lui».
Et lorsque Abdul Rahmân Ibn 'Awf s'est rendu auprès de
lui et lui a demandé: «comment vas-tu, ô Calife du Messager
de Dieu?», celui-ci a répondu: «Je suis mourant. Et
vous, vous avez aggravé ce dont je souffre, lorsque, voyant que
j'ai désigné l'un d'entre vous, chacun de vous a eu le nez
enflé et chacun de vous demandait la désignation pour soi».(28)
Ce procédé de succession au califat et la protestation
qu'il a suscitée chez l'opposition, montrent que le calife (Abû
Bakr) ne pensait pas avec une mentalité de
Choura, qu'il
estimait être en droit de nommer son successeur t que cette nomination
imposait aux Musulmans obéissance; c'est pourquoi il leur a ordonné
de l'écouter et de lui obéir. Il ne s'agissait donc pas d'une
simple suggestion ni d'une simple proposition de candidature, mais d'une
obligation et d'une nomination.
On peut remarquer que Omar Ibn al-Khattâb, lui aussi, estimait
qu'il avait le droit d'imposer aux Musulmans un successeur au califat;
c'est pourquoi il a désigné six personnes à qui il
a demandé de choisir l'une d'entre elles pour être calife,
sans laisser à l'ensemble des Musulmans aucune rôle réel
dans cette «élection».
C'est dire que ni le procédé adopté par le premier
(calife Abû Bakr) pour assurer sa succession, ni celui du second
calife (Omar ibn al-Khattâb), ne reflétaient un esprit de
Choura.
De même, en nous référant (des deux califes), nous
n'y remarquons pas de traces de cet esprit de Choura.
Ainsi, lorsqu'on a posé à Omar la question de sa succession,
il a dit: «Si l'un de ces deux hommes (Salîm Mawlâ Ibn
Abî Huthayqah et Abî 'Ubaydah al-Jarrah) était là,
je la(29) lui avais confiée et j'aurais
confiance en lui. Et si Salîm était vivant, je l'(30)aurait
faite sans Choura».(31)
Quant à Abû Bakr, il confiait (de son lit de mort) à
Abdul Rahmân Ibn 'Awf: «J'aurais aimé demander au Messager
de Dieu à qui revenait cette affaire (la succession). De cette façon,
personne ne l'aurait contestée».(32)
Lorsque des Ançâr, réunis à la Saqîfah,
décidèrent de désigner l'un des leurs pour commander
les Musulmans après le décès du Prophète, l'un
d'eux s'inquiéta:
- Et si les Muhâjirine de Quraych(33)
s'y opposaient en faisant valoir leur droit (à la succession, au
califat), en leur qualité de Muhâjirine, de fidèles
Compagnons du Prophète et de membres de sa famille?
- Nous leur dirions alors: «L'un (calife) des nôtre et l'un
des vôtres. C'est notre dernier mot», lui répondit-on.
Effectivement, Abû Bakr s'adressa à eux (Ançâr)
et fit le discours suivant : «Nous les Musulmans Emigrés
(Muhâjirine), étions les premiers à nous convertir
à l'Islam. Les gens nous ont suivis. Nous sommes la tribut du Messager
de Dieu et nous descendons des plus honorables des arabes».
Et lorsque les Ançârs suggérèrent que le
califat revînt alternativement aux Ançâr et aux Muhâjirine,
Abû Bakr répondit : «Lorsque le Messager de Dieu
fut révélé, les arabes ne voulurent pas renoncer à
la religion de leurs ancêtres. C'est pourquoi, ils s'opposèrent
à lui et lui créèrent des difficultés. Dieu
désigne les premiers Emigrés de sa tribu (du Prophète)
pour le croire. Ils sont donc les premiers à adorer Allah sur la
terre. Ils sont les fidèles compagnons du Prophète et les
membres de sa famille. Ils ont plus que quiconque, le droit à sa
succession. Ne peut leur disputer ce droit qu'un injuste».
Et lorsque, al-Habbâb Ibn al-Munthir s'adressa aux Ançârs
pour les inciter à rester sur leur position en leur disant : «Tenez
bien ce que vous avez entre vos mains. Les gens vivent sous votre ombre
et sur votre terre. Si ceux-ci (les Emigrés) refusent(34),
alors un prince à nous et un prince à eux».
Omar Ibn al-Khattâb lui répondit: «Jamais deux épées
ne se réunissent dans un fourneau... Celui qui nous dispute le pouvoir
et la succession de Muhammad, dont nous sommes pourtant les compagnons
fidèles et la tribut, n'est peut-être qu'un faux, tendant
au péché ou compromis dans une grande faute».(35)
Le procédé de désignation d'un successeur, adopté
par le premier et le second califes, l'absence de protestation contre ce
procédé, l'esprit général qui prévalait
le jour de la Saqîfah chez les deux ailes rivales de la génération
de l'avant-garde (les Muhâjirine et les Ançâr), la tendance
manifeste des Muhâjirine à limiter le pouvoir à eux-mêmes
en en excluant les Ançâr, leur insistance sur les conditions
héréditaires, selon lesquelles la tribu du Prophète
avait la priorité dans la succession sur les autres Arabes, la disposition
de beaucoup d'Ançâr à accepter l'idée de deux
émirs (califes), l'un parmi les Ançâr, l'autre parmi
les Muhâjirine, le fait qu'Abû Bakr a manifesté, le
jour où il était porté au califat, son regret de n'avoir
pas demandé au Prophète à qui reviendrait la succession...
tout cela montre d'une façon indiscutable que cette génération
d'avant-garde de la Ummah islamique - y compris le secteur qui a eu le
pouvoir après le décès du Prophète - ne pensait
pas dans un esprit de Choura et qu'elle n'avait pas une idée
précise du système de Choura. Comment peut-on, dès
lors, concevoir que le Prophète ait oeuvré en vue de préparer
les Musulmans - au système de Choura, et qu'il ait formé
la génération de Muhâjirine et d'Ançâr
pour qu'elle se charge de la direction de l'Appel selon ce système,
alors que nous ne remarquons aucune application consciente, ni aucune idée
précise de ce système chez cette même génération!
D'un autre côté, on ne saurait concevoir que le Messager ait
institué ce système et en ait défini la notion et
la législation, sans s'appliquer à y préparer les
Musulmans.
Il ressort de ce qui précède que le Prophète n'a
pas proposé à la Ummah le système de Chourâ,
comme solution à sa succession. Car il n'est pas possible normalement
qu'un projet de cette importance ait pu être débattu d'une
façon proportionnelle à son importance, et qu'il ne laisse
aucune trace nulle part.
Récapitulons pour mieux expliquer notre raisonnement:
a) - Le système de Chourâ était, de par sa
nature, une nouveauté pour le milieu des Musulmans de l'époque,
milieu qui n'avait connu aucun régime gouvernemental structuré.
Il était donc indispensable de mener une campagne intensive d'explication
sur ce thème, comme nous l'avons expliqué.
b) - Le Chourâ, en tant qu'idée, est une notion
floue. Pour l'appliquer, il ne suffisait donc pas de l'énoncer sans
en expliquer les détails, les règles et les critères
de nature à faire pencher la balance d'un côté ou d'un
autre au cas d'un désaccord dans le Choura, et sans préciser
si ces critères devaient être fondés sur le nombre
et la quantité ou sur la qualité et l'expérience.
Bien d'autres détails de nature à déterminer les différents
aspects de l'idée de Choura et à la rendre praticable
et applicable directement après le décès du Prophète,
auraient dû être mis en évidence, si le Guide de l'Appel
avait vraiment lancé et choisi cette idée pour résoudre
la question de sa succession.
c) - Le Chourâ est, en vérité, l'expression
de l'exercice du pouvoir, d'une façon autre, par la Ummah, et de
la détermination du sort du gouvernement par la concertation. Il
s'agit donc d'une responsabilité que doit assumer un grand nombre
de citoyens, c'est-à-dire tous ceux qui sont concernés par
le Choura; ce qui signifie que s'il constituait une prescription
canonique (légale), destinée à être appliquée
après le décès du Prophète, le plus grand nombre
de ces citoyens auraient dû en être informés, étant
donné qu'ils avaient le devoir d'y participer activement et que
chacun d'eux y assumait sa part de responsabilité.
Tout cela prouve que si le Prophète opté pour le système
de Choura comme moyen d'assurer la direction de la Ummah après
sa disparition, il lui aurait été indispensable de lancer
largement et profondément l'idée de Choura, d'y préparer
tout le monde psychologiquement, d'en colmater toutes les failles, d'en
expliquer tous les détails de nature à la rendre pratiquer.
Or, il est impossible que le Prophète ait lancé l'idée
de
Choura à ce niveau - de profondeur, de qualité
et de quantité - et qu'il ne restât de celle-ci aucune trace
sur tous les Musulmans qui ont vécu avec lui (le Prophète)
jusqu'à sa mort.
On pourrait échafauder une autre hypothèse à ce
propos, à savoir que le Prophète aurait lancé l'idée
de Choura aussi amplement et aussi largement que la situation l'aurait
exigé, et que les Musulmans l'auraient bien assimilée, mais
que des motivations politiques apparues subitement auraient dissimulé
la vérité et imposé aux gens de garder le silence
sur ce qu'ils auraient entendu du Prophète, concernant le
Choura,
ses statuts et ses détails.
Mais une telle hypothèse ne résiste guère à
l'examen, car de telles motivations, quoi qu'on en dise, ne comprennent
pas les compagnons qui n'avaient pas participé aux événements
politiques qui se sont déroulés après la mort du Prophète,
ni à la réunion de la Saqîfah. Ils s'étaient
tenus à l'écart de ces événements. Ces Musulmans
représentent, numériquement, une grande partie de toute société,
quel que soit le degré de sa politisation. Si l'idée de Choura
avait été lancée par le Prophète de la façon
que nous avons soulignée, elle n'aurait pas eu de motivations politiques,
mais serait répandue naturellement par les Compagnons, comme ce
fut le cas des textes prophétiques concernant les vertus de l'Imam
Alî et sa qualité de régent (waçyy) par
l'intermédiaire de ces compagnons. Pourquoi les motivations politiques
n'ont-elles pas empêché les centaines de hadith du Prophète
concernant les vertus de Alî, sa qualité de régent
et son autorité, de nous parvenir grâce aux compagnons, bien
que cela (ces hadith) ne fût pas favorable à la situation
qui prévalait à l'époque - alors qu'elles auraient
empêché les hadith relatifs à l'idée de Choura
de nous être transmis! N'est-ce pas un paradoxe insoutenable! Mieux
même ceux, qui représentaient la tendance dominante à
l'époque, n'invoquaient pas le slogan de Choura - comme une
référence attribuée au Prophète - lorsque des
divergences politiques les opposaient souvent les uns aux autres, alors
qu'ils se trouvaient dans une situation où cette invocation aurait
pu les favoriser! Prenons-en un exemple. Talha s'est révolté
contre la désignation de Omar par Abû Bakr pour la succession
et l'a désapprouvée publiquement; pourtant il n'a pas songé
à jouer la carte de Choura contre cette nomination en faisant
valoir que l'attitude d'Abû Bakr serait contraire aux hadith du Prophète
concernant le Choura et l'élection. Si un tel argument était
fondé, aurait-il manqué de l'utiliser?
II - Si le Prophète avait vraiment décidé
de confier à a génération d'avant-garde, qui comprenait
les Emigrés et les Partisans parmi les Compagnons, la responsabilité
de poursuivre l'action du changement islamique, il aurait été
obligé de mobiliser largement cette génération, sur
les plans missionnaire et intellectuel, afin qu'elle puisse posséder
profondément la théorie (islamique), la traduire consciemment,
par la suite dans la pratique, et trouver des solutions conformes au Message,
aux différents problèmes qui se poseraient continuellement
à l'Appel. Une telle action de mobilisation intensive et générale
eût été d'autant plus indispensable que le Prophète
qui avait déjà prédit la chute de Cyrus et de César,
savait pertinemment que de grandes conquêtes attendaient l'Appel,
que la Ummah devrait par conséquent se préparer à
assumer la responsabilité d'initier les peuple conquis à
l'Islam, et de se prémunir contre les dangers de cette ouverture
sur le monde, d'appliquer les prescriptions de la législation islamique
dans les pays conquis et chez leurs peuples. Or, bien que la génération
d'avant-garde ait été la plus probe de celles qui ont hérité
successivement de l'Appel après elle, et la plus disposée
d'entre elles au sacrifice, on n'y remarque pas les reflets de cette préparation
spéciale susceptible de la rendre apte à assumer la responsabilité
de l'Appel et l'Assimilation profonde de ses concepts.
Notons à ce propos que le total de hadith prophétiques
rapportés par les Compagnons et concernant le domaine de la législation,
ne dépasse pas quelques centaines, alors que nombres de Compagnons
était selon les livres d'histoire, d'environs 12.000, qui vivaient
pourtant matin et soir avec le Prophète dans un même pays,
et dans une même mosquée. Lorsqu'on compare ces deux chiffres,
peut-on y voir des indices d'une préparation spéciale en
vue de diriger un pouvoir islamique?(36)
Prenons un autre exemple qui soit à même de corroborer
notre affirmation de l'inexistence d'une telle préparation. On sait
en effet que les Compagnons évitaient de prendre l'initiative de
poser des questions au Prophète; et ce à tel point que l'un
d'eux, lorsqu'il avait quelque chose à lui demander, préférait
la venue d'un visiteur (d'un bédouin venant de l'extérieur
de la ville), dans l'espoir qu'il poserait la question dont il voulait
lui-même connaître la réponse. Ils estimaient que c'était
un superflu à éviter que de poser des questions sur les statuts
des problèmes qui n'existaient pas encore. En témoignent
ces propos que Omar prononça de sa chaire:
«Par Dieu, j'interdis qu'un homme pose des questions sur ce qui
n'existe pas, car le Prophète a expliqué ce qui existe».(37)
Et «Il n'est pas permis que l'on pose des questions sur ce qui n'est
pas (arrivé). Dieu a pris Sa décision sur ce qui est (existe
effectivement)».
Ibn Omar a répondu à un homme venu lui poser une question
sur un problème donné: «Ne pose pas de question sur
ce qui n'est pas arrivé, car j'ai entendu Omar Ibn al-Khattâb
maudire celui qui pose des questions sur ce qui ne s'est pas encore produit».(38)
De même lorsque quelqu'un interrogea Abî bin Ka'b sur une
affaire, celui-ci lui dit:
- Le problème sur lequel tu me poses la question s'est-il produit
?
- Non, dit l'interlocuteur.
- Attends donc jusqu'a ce qu il se produise.(39)
Un jour, alors que Omar lisait le Coran, il s'est arrêté
sur ce verset: «... Nous en avons fait sortir des céréales,
des vignes et des légumes, des olives et des palmiers, des jardins
touffus, des fruits et des pâturages...», en se demandant:
« Bon, tout cela nous l'avons compris, mais que veut dire "pâturages"?»,
avant de trancher lui-même: «C'est, par Dieu, une peine inutile.
Si vous ne savez pas ce que veut dire "pâturages", cela n'est pas
grave. Cherchez ce que Dieu vous a expliqué dans le Livre et suivez-le.
Quant à ce qui ne vous est pas connu, confiez-le à Dieu».
Tous ces exemples montrent donc qu'il y avait chez les Compagnons une
tendance à ne poser des questions que dans la limite des problèmes
précis et posés effectivement. Et c'est cette tendance qui
était la cause du nombre limité de hadith qu'ils ont rapportés
du Prophète, concernant la législation, et la raison pour
laquelle les musulmans ont eu recours à des sources de législation
autres que le Coran et la Sunnah, telles que l' «istihsan»
(jugement prudentiel)(40), le «qiyâs»
(analogie)(41) et bien d'autres types d'ijtihâd
(jugement personnel), dans lesquels l'élément personnel du
Mujtahid (docteur de la Loi) joue un rôle; ce qui a conduit à
l'infiltration de la personnalité de l'homme, de ses goûts
et conceptions particulières, dans la Législation (divine).
Cette tendance est le contraire d'une préparation missionnaire
spéciale nécessitant une large action de formation culturelle
et une prise de conscience des problèmes qui ne tarderaient pas
à se poser à la direction et auxquels celle-ci devrait trouver
des solutions conformes à la Loi islamique.
De même que les Compagnons ont évité d'interroger
le Prophète de leur propre chef, de même ils ont omis d'enregistrer
ses paroles et sa Sunnah, bien que celle-ci constitue la seconde source
de la législation islamique et que l'enregistrement soit le seul
moyen susceptible de la conserver et de la prémunir contre les risques
de perte et de déviation.
A ce propos, al-Harawi, citant, dans son "Tham al-Kalam", Yahiyâ
Ibn Sa'd, a rapporté ce témoignage de Abdullâh ibn
Dinar: «Ni les Compagnons ni les Suivants (al-Tabi'în)(42)
n'enregistraient les hadith du Prophète. Ils se sont contentés
de les apprendre oralement et de les mémoriser». Selon "Tabaqât"
d'Ibn Sa'd, le deuxième calife (Omar) réfléchissait
pendant un mois sur la meilleure décision (ou attitude) à
prendre vis-à-vis de la Sunnah du Prophète. Il a fini par
interdire de l'enregistrer. Il s'en est suivi que cette Sunnah, la plus
importante référence de l'Islam après le noble Livre
(le Coran), reste pendant environ 250 ans à la merci du destin,
risquant tantôt l'oubli, tantôt la déviation et tantôt
la mort des «Mémorisateurs» (hafidoun).(43)
Cela dit, comment peut-on concevoir, un instant, que les tenants de
cette tendance naïve - encore s'il s'agissait vraiment de naïveté
- qui dédaignaient de poser des questions sur un problème
avant qu'il ne se produise effectivement, et refusaient d'enregistrer les
Sunan(44)
du Prophète une fois celles-ci décrétées, soient
compétents pour diriger le nouveau Message, pendant l'étape
la plus importante et la plus difficile de sa longue marche? Pis, comment
peut-on imaginer que le Prophète ait pu laisser sa Sunnah dispersée,
sans enregistrement ni précision, tout en ordonnant à ses
fidèles de s'y attacher?
S'il préparait les Musulmans vraiment à l'idée
de Choura, n'aurait-il pas été nécessaire de
fixer la constitution du Choura et de préciser sa Sunnah
afin que le
Choura suive une direction précise et déterminée,
à l'abri des caprices.
La seule explication rationnelle de l'attitude du Prophète n'est-elle
pas que celui-ci avait préparé l'Imam Ali pour être
la haute autorité et le dirigeant de l'expérience islamique
après lui, en lui apprenant «mille chapitres du savoir»
et en lui confiant l'intégralité de sa Sunnah? Car la seule
exception à la règle ou à la tendance dominante celle
qui omettait d'enregistrer les hadiths du Prophète - se trouvait
incarnée par Ahl-ul-Bayt. En effet, selon les récits rapportés
des Imams d'Ahl-ul-Bayt, ceux-ci s'étaient appliqués dès
le début à enregistrer tous les hadith prophétiques.
Ils avaient conservé, selon ces récits, un livre volumineux
contenant toutes les Sunan (coutume juridico-religieuse) prophétiques,
dictées par le Messager et écrit de la main de l'Imam Ali
ibn Talib.
Les événements survenus après la mort du Prophète
ont prouvé que la génération des Emigrés et
des Partisans ne possédaient pas de prescriptions précises
concernant beaucoup de problèmes que l'Appel devait rencontrer inéluctablement
après la disparition du Guide, et ce à tel point que le Calife
attitré et ses conseillers ne savaient pas exactement quel était
le statut canonique (légal) à appliquer sur une grande superficie
de territoires conquis par l'Islam, et si ceux-ci devaient être partagés
entre les combattants et devenir le legs pieux des Musulmans. Comment peut-on
penser, dès lors, que le Prophète affirme aux Musulmans qu'ils
conquerront les territoire de Cyrus et César, et qu'il confie à
la génération des Muhâjirine et Ançâr
la tutelle de l'Appel et la responsabilité de cette conquête,
sans pour autant les informer du statut à appliquer à cette
grande superficie du monde sur laquelle l'Islam s'étendra?
Pis encore, nous pouvons constater que la génération contemporaine
du Prophète n'avait pas d'idées claires et précises
même sur des questions d'ordre religieux (cultuel), en l'occurrence
la prière de morts. Bien que cette prière constituât
une pratique cultuelle que le Prophète accomplit des centaines de
fois n public et devant les foules qui assistaient aux funérailles
et aux prières, beaucoup de Compagnons ne semblaient pas croire
à la nécessité d'en connaître la forme exacte,
tant que le Messager le faisait lui-même et en tant qu'ils pouvaient
se contenter de le suivre passivement et pas à pas dans ses mouvements.
La preuve en est qu'ils n'ont pas tardé à diverger sur le
nombre de takbîr(45) dans
cette prière.
Selon al-Tahawî, citant Ibrâhim: «Le Prophète
a rendu l'âme et les Musulmans n'étaient pas d'accord sur
le nombre de takbir à prononcer sur la dépouille mortelle.
L'un disait: "J'ai entendu que le Messager de Dieu faisait sept takbir",
l'autre affirme: "J'ai entendu que le Messager de Dieu faisait cinq takbir".
Ils sont restés sur leur désaccord jusqu'à la mort
d'Abû Bakr. Et lorsque Omar a accédé au califat et
constaté ce désaccord, il en a été très
peine. Il a convoqué quelques Compagnons du Messager de Dieu et
leur dit: "Vous, Compagnons du Messager de Dieu, lorsque vous tombez en
désaccord, les gens vous suivent dans ce désaccord, et lorsque
vous vous mettez d'accord sur une affaire, les gens se mettez eux aussi
d'accord. Voyez donc sur quoi vous vous accordez!" C'était comme
s'il les avait réveillés. Ils ont dit: «Vous avez bien
raison».(46)
Cela confirme que les Compagnons comptaient souvent sur la personne
du Prophète, de son vivant, et n'éprouvaient pas la nécessité
d'assimiler les statuts et les concepts de la législation tant qu'il
s'en occupait lui-même.
Peut-être objectera-t-on que le portrait, ainsi brossé,
des Compagnons - avec tout ce qu'il comporte de faits montrant leur incompétence
de diriger l'Appel - est en contradiction avec ce que nous connaissons
tous: à savoir que l'éducation que le Prophète avait
donnée aux Compagnons a enregistré un grand succès
et permis de former une génération missionnaire merveilleuse!
Nous répondons à cette objection que le portrait réel
que nous avons dessiné de la génération d'avant-garde
ne s'oppose en rien à la haute appréciation que nous faisons
de l'action éducative que le Messager avait menée durant
sa noble vie. Car tout en croyant que l'action éducative prophétique
constituait le modèle éducatif divin par excellence et l'exemple
caractéristique de révélations missionnaires tout
au long de l'histoire de l'action prophétique, nous estimons que
pour parvenir à cette croyance et faire une appréciation
juste du résultat de cette éducation, il faut éviter
de dissocier ce résultat des circonstances et des péripéties
de l'éducation, et de voir la quantité séparément
de la qualité. Pour nous expliquer, prenons l'exemple suivant. Lorsque
nous voulons apprécier l'aptitude d'un professeur qui dispense l'enseignement
de la langue et de la littérature anglaises, nous ne nous bornons
pas à examiner le degré de connaissance - en matière
- auquel sont parvenus ses étudiants, mais nous devons tenir compte
du nombre de cours qu'il leur a fait, du degré de leur connaissance
en la matière avant le commencement de ces cours, du degré
de leur éloignement ou de leur proximité des ambiances de
la langue et de la littérature anglaises, de la somme de difficultés
et d'obstacles exceptionnels auxquels l'opération de l'enseignement
s'est heurtée, du but que le professeur avait fixé en enseignant
à ses étudiants cette langue et cette littérature,
du coefficient déterminé du résultat final de l'opération
de l'enseignement en question par rapport à d'autres opérations
d'enseignement.
Revenons au sujet de l'appréciation de l'opération éducative
menée par le Prophète. Dans ce domaine, nous devons tenir
compte de ce qui suit:
1)- La courte durée pendant laquelle le Prophète a pu
exercer son action éducative. Elle ne dépasse pas deux décennies,
en ce qui concerne les rares Compagnons qui l'ont accompagné dès
ses débuts, une décennie, pour la plupart des Partisans,
trois ou quatre ans pour les très nombreux Musulmans qui se sont
convertis au Message islamique à partir de la Réconciliation
de Hudaybiyyah et en passant par la Conquête de la Mecque.
2)- La situation antérieure dans laquelle vivaient ces Compagnons
sur les plans intellectuel, spirituel, religieux et comportemental avant
que le Prophète n'ait entrepris son action missionnaire, la naïveté,
la spontanéité et le vide qui caractérisaient les
différents domaines de leur vie. On n'a pas besoin d'une explication
supplémentaire de ce dernier point, car il est évident; si
l'on tient compte que l'Islam ne consistait pas en une action de changement
superficiel dans la société, mais en une transformation radicale
et une restructuration révolutionnaire d'une nouvelle Ummah; c'est
dire combien était profond le fossé moral qui séparait
la situation antérieure à l'action du Messager et la situation
nouvelle où il a entrepris son action.
3)- Du fait que la période pendant laquelle le Prophète
diffusait le Message était riche en événements, en
luttes politiques et militaires sur différents fronts; c'est ce
qui fait que la nature de la religion entre le Messager et ses Compagnons
était différente de celle de la relation entre Jésus
christ et ses disciples, la première relation étant caractérisée
par la position du Prophète en tant qu'éducateur, commandant
des campagnes militaires et chef d'État, la seconde par la position
de Jésus en tant que professeur et éducateur disponible et
se consacrant à la formation de ses disciples.
4)- Les incidences sur les Musulmans, des confrontations qu'ils ont
eues avec «Les Gens du Livre» et avec les différentes
cultures religieuses qu'ils côtoyaient. En effet, ce contact permanent
entre l'Islam et les idées que propageaient les adversaires du nouveau
Message, en L'occurrence les adeptes des cultures religieuses antérieures,
constituaient une source d'inquiétude et de troubles constants,
et ont conduit, comme on le sait, à la formation d'un courant de
pensée israélite qui s'est infiltré, involontairement
ou par malveillance, dans beaucoup de domaines de la pensée. Il
suffit de jeter un coup d'oeil scrutateur sur le noble Coran, pour découvrir
l'ampleur du contenu de la pensée contre-révolutionnaire,
et combien la Révélation prenait soin de la souligner et
de réfuter.
5)- Le but que le grand Educateur (le Prophète) poursuivait sur
le plan général et pendant cette période était
de former une base populaire saine avec laquelle la nouvelle direction
du Message pouvait traiter (de son vivant et après sa disparition)
et poursuivre l'Expérience islamique. Le but (transition) du Prophète
à cette époque, n'était point d'amener la Ummah au
niveau où elle pouvait se charger elle-même de la direction
de l'Appel, c'est-à-dire à un niveau où elle aurait
assimilé parfaitement le Message, en une connaissance jurisprudentielle
profonde et intégrale de ses statuts (du Message) et une fusion
complète avec ses conceptions. La détermination du but pour
cette période de la façon que nous venons de signaler, était
tout à fait logique et s'imposait par la nature de l'action de changement.
Car il n'était raisonnable de fixer un but que selon les possibilités
pratiques existantes, et il n'y avait de possibilités pratiques
dans un cas comme celui auquel était confronté l'Islam, que
dans les limites que nous avons soulignées, étant donné
que le fossé moral, spirituel, intellectuel et social entre le nouveau
Message et la réalité corrompue qui prévalait à
l'époque ne permettait pas d'élever la Ummah au niveau où
elle pouvait diriger elle-même, directement, le Message. C'est ce
que nous expliquons dans le point suivant pour démontrer que, soumettre
la direction de l'expérience de la transformation à une régence
assurée par l'Imams d'Ahl-ul-Bayt et le Califat de l'Imam Alî,
était une nécessité qu'imposait la logique de l'action
révolutionnaire tout au long de l'histoire.
6)- Une grande partie de la Ummah, lors de la disparition du Prophète,
se constituait de ce qu'on appelle les Musulmans de la Conquête,
c'est-à-dire ceux qui s'étaient convertis à l'Islam
après la Conquête de la Mecque et une fois que le Nouveau
Message était le maître de la situation, politiquement et
militairement parlant, dans la Péninsule Arabie. Ces Musulmans-là,
le Prophète n'a pu avoir que peu d'échanges avec eux, pendant
la courte période qui s'étendait entre la Conquête
de la Mecque et sa disparition. De même, ce peu d'échanges
qu'il a eus avec les dits Musulmans, il les a eus surtout en tant que Gouvernant,
en raison de la nature de la phase que traversait l'État islamique.
C'est pendant cette phase que l'idée des «Cours à rallier»(47)
était apparue et a trouvé sa place dans la législation
de la Zakât et dans d'autres domaines. Or, cette partie de
la Umma n'était pas séparée de ses autres parties.
Au contraire, elle y était intimement liée, elle les influençait
et en subissait les influences.
Au vu de ces six points, nous pouvons constater que l'éducation
prophétique était très fructueuse, qu'elle a réalisé
une transformation inégalable et qu'elle a formé une génération
répondant au but du Prophète de constituer une base populaire,
prête à entourer la direction de la Nouvelle Expérience
et à la soutenir. C'est pourquoi on remarque que cette génération
accomplissait bien son rôle de base populaire irréprochable
tant que le Prophète assurait la direction du Message. Et si cette
direction avait conservé, après le décès du
Prophète, la voie que Dieu lui avait tracée, la base aurait
continué son rôle parfait. Mais cela ne signifie en aucun
cas que celle-ci était effectivement préparée à
assurer elle-même la direction de la Nouvelle Expérience.
Car une telle préparation aurait nécessité chez cette
génération plus de fusion spirituelle avec le Message, plus
de foi en lui, une plus large connaissance de ses prescriptions, ses conceptions
et ses différents points de vue sur la vie, une plus grande épuration
dans les rangs des Musulmans afin de se débarrasser des Hypocrites,
des intrus et des éléments subversifs, et des «Coeurs
à rallier» (al-mu'allafa qulubulum) qui constituaient
encore une grande partie de cette génération - que ce soit
par leur nombre ou par les positions historiques qu'ils qu'ils occupaient
- et exerçaient des influences d'autant plus négatives que
le noble Coran le relate lorsqu'il parle des Hypocrites, de leurs complots
et de leurs attitudes. Certes, cette génération comptait
quelques très bons éléments tels que Salmân,
Abû Tharr, 'Ammâr, etc. auxquels l'Expérience islamique
a pu donner une formation missionnaire d'un niveau sublime en les fusionnant
dans son creuset. Mais la présence de ces quelques très bons
éléments parmi la vaste génération en question
ne prouve pas que celle-ci ait atteint dans son ensemble le degré
de formation qui justifie qu'on lui confie la mission de diriger l'Appel
sur la base de Chourâ.
Même chez ceux qui ont atteint un haut niveau d'endoctrinement
parmi cette génération, la plupart ne possédaient
pas les qualités requises qui permettent de supposer leur aptitude
missionnaire à diriger l'Expérience sur le plan intellectuel
et culturel, et ce malgré leur dévouement et leur attachement
profond et sincère à l'Islam. Car celui-ci n'est pas une
théorie humaine susceptible de se préciser intellectuellement
avec la pratique et l'application et dont les concepts peuvent se cristalliser
à travers l'expérience. L'Islam est, avant tout, un message
divin dans lequel les prescriptions et les notions sont prédéterminées,
et que Dieu a pourvu de toutes les législations générales
que l'Expérience nécessite. Pour diriger donc cette Expérience
il faut absolument assimiler toutes les limites et tous les détails
du Message, et avoir une conscience profond de toutes ses conceptions.
Autrement, on risquerait d'interpréter d'une façon personnelle
ses axiomes et ses postulats, ce qui pourrait conduire l'Expérience
à subir des revers dans son cheminement, risque d'autant plus grave
que l'Islam et le Message divin final ou «le Sceau des Messages divins»,
et que de ce fait, il doit s'étendre à la longueur du Temps
et dépasser les limites de «temporel», du «régional»
et du «national». C'est pourquoi, il ne faut pas que sa direction
qui constitue le fondement de cette étendue, soit basée sur
le principe de «l'essai et l'erreur», lequel principe comporte
le risque de l'accumulation des erreurs (à travers l'étendue
du Temps), et par conséquent de la naissance de failles et de l'écoulement
de l'expérience.
On peut formuler les conclusion que nous venons de tirer, de la façon
suivante: l'action éducative que le Prophète a exercée
sur un plan général auprès des Muhâjirine et
des Ançâr n'était pas de nature à préparer
une direction consciente, intellectuelle et politique pour l'avenir de
l'Appel et la poursuite de l'opération du changement entrepris par
le Messager, mais à édifier une base populaire consciente,
susceptible de soutenir la direction de l'Appel, du vivant du Prophète
et après sa mort.
Toute supposition visant à faire croire le Prophète avait
oeuvré en vue de confier la Direction et la Tutelle de l'Appel directement
après sa disparition à la génération des Muhâjirine
et des Ançâr, accuserait implicitement le plus grand et le
plus clairvoyant Guide missionnaire de toute l'histoire des expériences
révolutionnaires (de transformation), d'être incapable de
distinguer de conscience requis au niveau de la base populaire de l'Appel,
du degré de conscience requis au niveau de la Direction de l'Appel
ou de son Imamat(48) (avant-garde) idéologique
et politique.
III - L'Appel est une opération de transformation et un
mode de vie nouveau. Il comporte donc la reconstruction de la Ummah t l'extirpation
des racines et des séquelles de la jâhiliyyah (la société
préislamique).
La Ummah islamique - dans son ensemble - n'avait vécu cette opération
de changement que pendant une décennie tout au plus. Or, cette courte
période ne suffit pas normalement et selon la logique des messages
doctrinaux et des mouvements révolutionnaires (de changement), à
former, chez la génération qui n'a vécu que pendant
dix ans l'expérience du changement, un niveau de conscience, d'objectivité,
de libération des séquelles du passé, et d'assimilation
des données du nouveau message, susceptible de la qualifier pour
la tutelle du Message et la responsabilité de poursuivre sans dirigeant
l'opération du changement. Pour que la Ummah ait pu atteindre le
niveau qui la qualifie pour assurer cette tutelle, elle avait besoin d'une
plus longue période de régence. C'est là la logique
de tous les messages doctrinaux.
Mais cette affirmation ne traduit pas seulement une simple déduction.
Elle exprime aussi une vérité que les événements
survenus après la mort du Prophète-Dirigeant corroborent
et qui est apparue au grand jour, un demi-siècle (ou même
moins) plus tard à travers l'exercice du pouvoir (la direction ou
la tutelle de l'Appel) par la génération des Muhâjirine
et des Ançâr. En effet, un quart de siècle à
peine après que cette génération s'est chargée
de la tutelle de l'Appel, le «Califat bien dirigé»(49)
et l'Expérience missionnaire ont commencé à s'écouler
sous les coups violents des anciens ennemis de l'Islam - mais opérant
cette fois-ci de l'intérieur et non pas de l'extérieur de
l'Appel - qui avaient pu s'infiltrer progressivement dans les centres d'influence,
et s'emparer insolemment et violemment de la direction en profitant de
son inconscience. Ils n'ont pas tardé à obliger la Umma,
ainsi que sa génération d'avant-garde, de renoncer à
sa personnalité et à sa direction. Il s'en est suivi que
la direction du Message s'est transformée en une propriété
héréditaire qui bafouait la dignité des fidèles,
assassinait les innocents, gaspillait les biens de la Umma, suspendait
les peines prescrites, gelait les dispositifs de la Loi, disposait à
sa guise des destinées des Musulmans, que les dépouilles
(al-fay') et les biens sont devenus une ferme privée des
Quraych, et le califat, un ballon avec lequel jouaient les gamins des Omayyades.
Ainsi, l'Expérience de l'Appel après la mort du Prophète
et les résultats auxquels elle a Abûti un quart de siècle
plus tard corroborent ;a conclusion que nous avons tirée plus haut
et selon laquelle: «confier la direction» (ou l'imamat) intellectuelle
et politique à la génération des Ançâr
et Muhâjirine, directement après la mort du Prophète,
est une mesure prématurée et que par conséquent, il
n'est pas raisonnable de penser que le Prophète ait pris une telle
mesure.
LA TROISIÈME VOIE
La troisième voie qui se présentait au Prophète,
c'est la seule qui paraît adaptée à la nature de la
situation et raisonnable à la lumière des circonstances de
l'Appel et ses adeptes et de la conduite du Messager. Il s'agissait pour
le Prophète de prendre une attitude active(50)
vis-à-vis de l'avenir de l'Appel après sa mort, en désignant,
sur ordre de Dieu, un personnage, choisi en fonction de son enracinement
dans l'entité de l'Appel, et en lui assurant une formation spéciale
de dirigeant missionnaire afin qu'il puisse incarner l'autorité
intellectuelle et la direction politique de l'Expérience, poursuivre
(après la disparition du Messager), avec le soutien de la base populaire
consciente, constituée des Ançâr et les Muhâjirine,
la direction de la Ummah, et son édification doctrinale pour la
hisser à un niveau qui la qualifie pour assumer elle-même
les responsabilités de direction.
Cette voie, comme on peut le constater, est en effet la seule voie qui
pouvait garantir la sauvegarder de l'avenir de l'Appel et la protection
de l'Expérience contre les risques de déviation dans sa ligne
de développement. Et c'est ce qui s'est produit effectivement.
Les hadith prophétiques concordants qui affirment que le Messager
assurait à un Compagnon une formation missionnaire particulière
et une culture doctrinale spéciale, en vue de le préparer
à assumer la tâche de l'autorité intellectuelle (haute
référence intellectuelle) et de la direction politique (de
l'Expérience) et qu'il lui avait confié cette tâche
ainsi que l'avenir de l'Appel, confirment que le Prophète-Guide
a bien choisi la troisième voie qui, comme nous l'avons vu, était
la seule voie valable que la nature de la situation mettait en évidence.
Le Compagnon en question n'était autre que Alî Ibn Abî
Tâlib (p), désigné en raison de ses racines profondes
dans l'Appel, puisqu'il était le premier à combattre pour
l'Islam et contre tous ses ennemis, qu'il était élevé
par le Prophète chez lequel il avait ouvert les yeux sur le monde,
qu'il avait grandi à ses côtés et qu'il a eu toutes
les occasions de s'entendre avec lui et de s'identifier à sa ligne.
Personne d'autre que Alî, n'a pu se doter de toutes ces qualités.
Beaucoup d'indices corroborent l'allégation selon laquelle le
Prophète s'est appliqué à assurer une formation missionnaire
spéciale au futur Imam Alî. Ainsi, on sait que le Messager
lui expliquait souvent les différentes conceptions et vérités
de l'Appel. Il prenait l'initiative de soulever des débats d'idée
lorsque Alî n'avait pas de questions à lui poser. Il s'entretenait
avec lui durant des heures, pour ouvrir ses yeux sur les conceptions de
l'Appel et les problèmes qu'il (l'Appel) pourrait rencontrer, ainsi
que sur les méthodes de travail..., et ce jusqu'au dernier jour
de sa noble vie.
Abû Is-hâq, cité par al-Hâkim dans son livre
"Al-Mustadrak" dit à ce propos: «Lorsque j'ai demandé
à Qatham Ibn al-Abbas comment Ali avait hérité du
Prophète, il m'a répondu: parce qu'il était le premier
d'entre nous à le suivre, et le plus déterminé à
s'accrocher à lui».
Huliyat al-Awliyâ' nous rapporte le témoignage suivant
d'Ibn Abbas: «Nous disons que le Prophète a fait à
Ali soixante-dix confidences qu'il n'avait faites à aucun autre».
Al-Nisaï cite ce témoignage de l'Imam Ali, rapporté
par ibn Abbas: «J'occupais auprès du Messager de Dieu une
position que n'avait personne d'autre. J'entrais auprès du Prophète
de Dieu chaque nuit. S'il était en train de prier, il glorifiait
Dieu(51), et j'entrais. Et s'il ne priait
pas, il m'invitait à entrer».
On attribue aussi ces propos à l'Imam Ali: «J'avais deux
entrées chez le Prophète, l'une pendant la nuit, l'autre
pendant la journée».
Al-Nisaî, rapporte cet autre témoignage de l'Imam Ali:
«Si je posais des questions au Prophète, il me répondait,
et lorsque je me taisais, c'est lui qui commençait (à m'instruire)(52)
». Al-Hakim, lui aussi, a rapporté ce même témoignage.
Toujours selon al-Naçaï, Om Salam jurait que ali était
le dernier des Musulmans à voir le Prophète et disait: «Le
matin du jour où le Messager de Dieu a rendu son âme, il attendait
le retour de Ali qu'il avait envoyé pour une commission, je crois,
et il a demandé trois fois: Ali est-il revenu? Celui-ci est arrivé
avant le lever du Soleil. Lorsqu'il est entré, nous avons compris
que le Prophète avait quelque chose de confidentiel à lui
dire. C'est pourquoi nous sommes sortis de la maison. C'était dans
la maison de Aïcha. J'étais la dernière à sortir
de la maison, et je me suis assise juste derrière la porte. Parmi
les assistants, j'étais la plus proche d celle-ci. J'ai vu ali s'approcher
de lui. Il était le dernier à voir le Prophète. Celui-ci
s'est mis à lui confier ses secrets et lui faire des confidences».
Dans une célèbre oraison, l'Imam nous décrit son
lieu, unique en son genre, avec le Messager-Dirigeant et le soin particulier
avec lequel celui-ci le formait t le préparait (à la Tutelle
de l'Appel): «Vous connaissez ma proche parenté avec le Messager
et ma position particulière auprès de lui. Il me mettait
dans son giron lorsque j'étais tout petit. Il me serrait contre
sa poitrine, m'entourait dans son lit, me faisait toucher son corps et
sentir son parfum. Il mâchait les aliments avant de me les mettre
dans la bouche. Il ne m'a jamais entendu mentir, ni ne m'a jamais vu commettre
une faute dans mes actes. Je le suivais comme le petit chameau suivait
sa mère. Chaque jour il m'apprenait davantage de sa morale et m'ordonnait
de suivre son exemple. Chaque année, il m'amenait à Harâ,
où je le voyais, alors que personne ne pouvait en faire autant.
En ces moments-là l'Islam réunissait sous un même toit,
le Messager, Khadija et moi, le troisième. J'y voyais la lumière
de la Révélation et du Prophète, et j'y sentais le
vent de la Prophétie».
Tous ces témoignages et bien d'autres nous donnent une idée
de la formation missionnaire que le Prophète assurait à l'Imam
Ali en vue de l'élever au niveau de la direction de l'Appel. De
même la vie de l'Imam Ali après la disparition du Messager,
nous fournit de très nombreux indices révélateurs
de cette formation doctrinale spéciale dont elle reflète
les traces et les résultats. Ainsi, l'Imam Ali s'affirmait comme
le refuge et la référence, auquel recourait le califat chaque
fois que celui-ci se trouvait confronté à un problème
dont il ne connaissait pas la solution. Et si l'on ne connaît, dans
l'histoire de l'Expérience islamique sous les quatre Califes Bien
Dirigés(53), aucun cas où
l'Imam Ali ait en recours à quelqu'un pour lui demander quel est
l'avis de l'Islam sur telle ou telle autre question, on peut citer en revanche
des dizaines de cas dans lesquels les califes au pouvoir étaient
acculés à faire appel à lui, malgré les réserves
qu'ils avaient à ce sujet.
Si nombreux sont les indices qui montrent que le Prophète préparait
l'Imam Ali spécialement pour lui confier la direction de l'Appel
après sa disparition, il y a autant d'indications qui prouvent que
le Messager avait rendu public son plan (de succession) et qu'il avait
désigné publiquement et officiellement l'Imam Ali pour assurer
la direction intellectuelle et politique de l'Appel. En témoignent,
Hadith al-Dar, Hadith al-Thaqalayn, Hadith al-Menzilah, Hadith al-Ghadir...
ainsi que des dizaines d'autres hadith prophétique.
Ainsi, le Chiisme est donc né dans le cadre de l'Appel islamique
comme l'expression de la thèse prophétique que le Messager
avait présentée, sur ordre de Dieu, afin de protéger
l'avenir de l'Appel.
Par conséquent, le Chiisme n'était pas un phénomène
accidentel sur la scène des événements, mais le résultat
nécessaire de la nature de la formation de l'Appel, de ses besoins
et des circonstances originelles qui ont imposé à l'Islam
d'engendrer le Chiisme. En d'autres termes, ces circonstances et la nature
de la formation de l'Appel imposaient au Premier Dirigeant de l'Expérience
(le Prophète) d'en préparer le Second Dirigeant (l'Imam Ali)
afin que celui-ci, ainsi que ses successeurs, assurent son développement
révolutionnaire, oeuvrent en vue de réaliser son objectif
d'extirper toutes les séquelles et racines du passé préislamique
(jâhilite), et d'édifier une Ummah digne de se hisser
au niveau des exigences et des responsabilités de l'Appel.
DEUXIÈME PARTIE :
COMMENT SE SONT CONSTITUÉS LES CHIITES?
Nous savons à présent comment est né le Chiisme,
il nous reste à savoir comment le secteur chiite s'est constitué
t comment la Ummah s'est scindée. C'est ce à quoi nous allons
essayer de répondre dans les pages suivantes.
Lorsqu'on retrace la première phase de la vie de la Ummah islamique,
à l'époque du Prophète, on constate que deux tendances
principales et différentes ont accompagné la naissance de
la Ummah et se sont manifestées depuis les premières années
de l'Expérience islamique. Elles cohabitaient à l'intérieur
du cadre de la Ummah naissante que le Messager avait fondée. Cette
différence entre les deux tendances conduira à une division
doctrinale, apparue directement après le décès du
Prophète, division qui a scindé la Ummah islamique en deux
parties: l'une, portée au pouvoir et devenue, de ce fait, majoritaire,
l'autre exclue du pouvoir et réduite, par conséquent à
jouer un rôle d'opposant minoritaire dans le cadre général
de l'Islam. C'est cette minorité qu'on appellera par la suite, les
«Chiites».
Les deux tendances principales qui ont accompagné la naissance
de la Ummah islamique du vivant du Prophète et depuis le début
de l'Expérience islamique sont:
1- La tendance qui croit au culte(54)
de la religion à son arbitrage et à l'acceptation absolue
du Texte religieux dans tous les aspects de la vie.
2- La tendance qui croit que la foi en la religion n'exige du Musulman
qu'une culte limité à certaines piétés et certains
aspects (de l'Islam) relevant du mystère. En dehors de ce cadre
limité, elle croit à la possibilité de l'ijtihâd(55)
dans les autres domaines de la vie, et par conséquent à la
légitimité de changer ou de modifier le Texte religieux selon
les intérêts du moment et les circonstances de la situation
(pour ce qui concerne ces autres domaines de la vie).
Bien que les Compagnons - en leur qualité d'avant-garde pieuse
et éclairée - aient constitué la meilleure graine
et la plus saine pour l'engendrement d'une nation missionnaire (et ce à
tel point qu'on peut dire que l'histoire de l'humanité n'a pas connu
une génération doctrinale plus merveilleuse, plus noble ou
plus pure que celle que le Prophète avait forgée), il faut
reconnaître qu'il y avait dans leurs rangs un large courant - du
vivant du Messager - qui tendait à préférer l'ijtihâd
(le jugement personnel) dans l'appréciation de l'intérêt
(de la Ummah ou du fidèle)(56) et
sa déduction des circonstances(57),
opposé à l'autre courant qui croyait à l'arbitrage
de la religion, à la nécessité de se soumettre à
elle et d'observer d'une façon scrupuleuse et absolue tous ses Textes,
dans tous les domaines de la vie. Sans doute, l'un des facteurs de l'adhésion
de la majorité des Musulmans au second courant (le courant de l'ijtihâd)
réside dans la tendance naturelle d l'homme à agir selon
l'intérêt qu'il pressent et apprécie lui-même
et non pas conformément à une décision dont il ne
comprend pas le sens.
Ce courant comptait des représentants audacieux parmi les grands
Compagnons, tels que Omar Ibn al-Khattâb, qui discutait les décisions
du Prophète et se permettait de donner un avis personnel, qui n'allait
pas toujours dans le sens du Texte, convaincu qu'il pouvait s'arroger ce
droit.
Notons à ce propos sa position de protestataire à l'encontre
du traité de paix de Hudaybiyyah, son attitude vis-à-vis
de «l'Appel à la prière» (athân)
légal dont il a supprimé la formule (hayya alâ
khayr al-'amal)(58);
ou encore sa position à l'égard du Prophète (P) lorsque
celui-ci institua «muta'at al-hajj»(59)
ainsi que bien d'autres positions
ijtihâdites(60)
qu'il avait prises.
Les deux courants se sont reflétés dans une séance
qui se déroulait chez le Messager vers la fin de sa vie. Al-Bukhârî,
citant Ibn Abbâs, dans son "Çahîh",
rapporte le récit suivant:
«Lorsque le Messager de Dieu agonisait chez lui en présence
de quelques hommes, dont Omar Ibn a-Khattâb, il dit:
- Laissez-moi vous écrire une lettre (testament) de conduite
qui vous empêchera de vous égarer.
- Le Prophète est emporté par la souffrance. Vous
avez le Coran. Nous pouvons nous contenter du Livre de Dieu, dit Omar en
s'adressant aux assistants».
Là, un différend et une dispute éclatèrent
entre les hommes présents. Les uns disaient: «Laissez le Prophète
vous écrire une lettre qui vous empêchera de vous égarer
après sa mort, d'autres étaient d'accord avec ce qu'avait
dit Omar. Lorsque le différend et dispute s'élargirent, le
Prophète, excédé, leur a dit:
- Allez-vous-en».
Cet incident était suffisamment révélateur, pour
le Prophète, de la profondeur du fossé qui séparait
les deux courants, de la profondeur de leur contradiction et de leur rivalité.
On peut y ajouter - pour montrer la profondeur de ce courant et son
enracinement - le désaccord ou le différend qui divisa les
Compagnons à propos de la nomination de «Usâmah Ibn
Zayd» au commandement de l'armée, nomination ordonnée
pourtant clairement par le Prophète, dont relevant du Texte. Ce
différend était d'autant plus grave que le Messager s'est
vu obliger de sortir, malgré sa maladie, pour faire un discours
public à ce propos: «O gens! J'ai appris que certains d'entre
vous ont contesté la décision de la nomination de Usâmah
au Commandement, tout comme vous l'aviez fait avant, pour le commandement
de son père. Pourtant, Dieu sait combien le père était
digne de ce commandement, tout comme l'est son fils, après lui».
Ces deux courants qui sont entrés en conflit, du vivant du Messager,
vont se refléter sur la position des Musulmans vis-à-vis
d la thèse de la désignation de l'Imam Alî à
la direction de l'Appel de l'Appel après le Prophète.
Ainsi, les représentants du courant du «culte du Texte
prophétique» estimaient que celui-ci leur imposait l'obligation
d'accepter ladite thèse telle quelle, de ne pas la suspendre ni
l'amender; tandis que les tenants de l'autre courant pensaient qu'ils pouvaient
garder leur liberté vis-à-vis de cette thèse si leur
«ijtihâd» (leur déduction personnelle)
conduisait à un point de vue plus adapté aux circonstances
selon leur vision.
Ainsi, les Chiites ont vu le jour directement après le décès
du Prophète; et en cela, on peut les définir comme étant
«les Musulmans qui se soumis pratiquement à la thèse
désignant l'Imam Alî» à la direction et au leadership
de l'Appel, et dont l'exécution immédiate après la
disparition du Messager était rendue obligatoire par celui-ci.
Ce courant Chiite s'est opposé dès le début à
l'orientation de la Saqîfah tendant à geler la thèse
du leadership de Alî et à confier le pouvoir à quelqu'un
d'autre.
A propos de la protestation contre la décision de la Saqîfah,
al-Tabarcî cite le témoignage suivant de Abân Ibn Taghlib
qui dit: «Lorsque j'ai demandé à Ja'far Ibn Muhammad
al-Sâdiq s'il y avait quelqu'un parmi les Compagnons du Prophète
à s'être élevé contre l'acte d'Abû Bakr,
il m'a répondu:
- Oui, il y en avait douze: Khâlid Ibn Sa'd Ibn Abî Waqqâç,
Salmân al-Farecî, Abû Tharr al-Ghifârî, Al-Muqdâd
Ibn al-Aswad, Ammâr Ibn Yâcir, Buraydah al-Aslami, parmi les
Muhâjirine, et Abû Haytham Ibn al-Tayhan, Othmân Ibn
Hanafi, Khuzayma Ibn Thâbit Thoul Chahâdatayn, Abî Ibn
Ka'b, Abû Ayyûb al-Ançârî, parmi les Ançârites.
Certes, on peut opposer à cette affirmation l'objection suivante:
«Si le courant chiite représente la fidélité
au Texte et que l'autre courant représente le recours à l'ijtihâd,
cela signifierait que les Chiites refusent et rejettent l'ijtihâd.
Or, on sait que les Chiites pratiquent toujours l'ijtihâd!»
La réponse à cette objection est que l'ijtihâd
que les Chiites pratiquent et considèrent du moins permis, sinon
«conditionnellement obligatoire»(61),
c'est l'ijtihâd dans la déduction d'un jugement à
partir du Texte, et non pas un ijtihâd dans le refus du Texte
lorsque le Mujtahid en voit la nécessité ou en suppose l'intérêt.
Un tel l'ijtihâd n'est pas permis. Le courant chiite refuse
de pratiquer tout ijtihâd pris dans ce sens. Lorsque nous
parlons de deux courants apparus au début de l'Islam, l'un prêchant
«le culte du Texte»(62), l'autre
partisan de l'ijtihâd, nous entendons par
ijtihâd
ici, l'ijtihâd dans l'acceptation ou le refus du Texte
(c'est-à-dire le fait que Mujtahid décide lui-même
de l'opportunité ou de l'inopportunité de l'application d'un
Texte dans une situation donnée)(63).
L'application de ces deux courants est tout à fait naturelle,
dans tout message radicalement révolutionnaire qui vise à
changer dès les racines la réalité corrompue. Car
un tel message exerce des degrés d'influence qui varient selon l'ampleur
des séquelles du passé, et le degré de l'adhésion
et de l'allégeance de l'homme nouveau au nouveau message. De là
nous pouvons alléguer que, dans le cas de l'expérience islamique,
le courant du «culte du Texte» représente le degré
supérieur de l'adhésion et de la soumission totale au Message,
sans pour cela refuser l'ijtihâd, si celui-ci se fait dans
le cadre du Texte, ni l'effort personnel en vue de déduire de celui-ci
un jugement légal. Il est important de noter à ce propos
que le culte du Texte ne signifie pas figement et raideur, lesquels s'opposent
aux exigences de l'évolution et aux facteurs du renouveau dans la
vie de l'homme. Car, certes, comme nous l'avons vu, le «culte du
Texte» signifie fidélité à la religion t son
acceptation intégrale et non partielle; mais cette religion elle-même
porte dans ses entrailles tous les éléments de la souplesse
et de l'aptitude de s'adapter aux changements des circonstances, ainsi
qu'à toutes les formes du renouveau et de l'évolution que
ces changements comportent. En conséquence, la fidélité
à tous ces éléments et à tout ce qu'ils comportent
d'esprit de création, d'invention et de renouveau.
Telles sont les lignes générales de l'interprétation
du Chiisme, en tant que phénomène naturel né dans
le cadre de l'Appel islamique, et de l'explication de l'apparition des
Chiites comme une conséquence de ce phénomène naturel.
L'Imamat d'Ahl-ul-Bayt (et de l'Imam Alî) que ce phénomène
naturel représente, exprime deux autorités (références):
l'autorité intellectuelle (autorité en matière de
la pensée) et l'autorité directoriale (autorité en
matière de l'action dirigeante et de l'action sociale). Ces deux
autorités étaient représentées dans la personne
du Prophète. Aussi était-il inévitable que celui-ci
prenne en considération les circonstances de la formation de l'expérience,
et prépare, en conséquence, un successeur sain susceptible
d'assumer le rôle de ces deux autorités, afin qu'il puisse,
en sa qualité d'autorité intellectuelle, remplir les vides
qui pourraient se créer dans la mentalité des Musulmans,
présenter la conception islamique appropriée et le point
de vue islamique concernant toute nouvelle situation, expliquer les parties
ambiguës du Noble Livre qui constitue la première autorité
intellectuelle de l'Islam; et afin qu'il (le successeur) poursuive, en
sa qualité d'autorité directoriale et sociale, la direction
de l'Expérience islamique dans sa ligne sociale.
En examinant les circonstances et les péripéties de l'Expérience
islamique, on peut constater que les Ahl-ul-Bayt étaient les seuls
qualifiés à incarner ces deux autorités. Les Textes
prophétiques venaient continuellement confirmer cette vérité.
Le principal exemple de Texte prophétique réaffirmant
l'appartenance de l'autorité intellectuelle de l'Appel, aux Ahl-ul-Bayt,
après la disparition du Messager, c'est le Hadith
al-Thaqalayn. Dans un discours célèbre, le Prophète
(P) a, en effet, tenu les propos suivants: «Je m'approche
du moment où je serai appelé et où je devrai répondre
à cet appel.(64) Je vous laisse
donc les Thaqalayn (les deux poids)(65):
le Livre de Dieu, lequel est une corde étendue entre le Ciel et
la Terre, et ma famille, Ahl-ul-Bayt (les Gens de ma Maison). Le Doux(66)
et le Bien Informé(67)m'a appris
qu'ils ne se sépareront pas jusqu'à ce qu'ils reviennent
à moi auprès du Bassin(68).
Regardez donc bien comment vous vous y prenez».(69)
Quant au principal exemple de Texte prophétique concernant «l'autorité»
d'Ahl-ul-Bayt, en matière d'action directoriale et sociale, c'est
Hadith
al-Ghadir qu'al-Tabari a rapporté selon une chaîne (de
transmetteurs) dont l'authenticité est unanimement admise et qui
remonte jusqu'à Zayd Ibn Arqam, Selon ce Hadith, le
Prophète (P) s'adressant aux masses des Musulmans dit
:
- «"O gens! Je m'approche du moment où je serai appelé
et où je devrai répondre à l'Appel. J'ai une responsabilité
et vous en avez une! Qu'avez-vous donc à dire?
- Nous témoignons, ont répondu les auditeurs, que vous
avez transmis (le Message)(70), accompli
votre lutte missionnaire et apporté vos conseils. Dieu vous en récompense
de la meilleure façon.
- "Ne témoignez-vous pas qu'il n'y a de Dieu que Dieu, que
Muhammad est Son Serviteur et Son Messager, que Son Paradis est vrai, que
la mort est vraie, que la résurrection après la mort est
vraie, que l'Heure viendra immanquablement, où Dieu ressuscitera
à ceux qui sont dans les tombeaux? leur a-t-il demandé."
- Si, ont-ils répondu.
Il a dit alors:
- O Dieu! Sois-en témoin, et d'ajouter:
- O gens! Dieu est mon Maître je suis le maître des fidèles
dont je suis plus responsable qu'ils ne le sont d'eux-mêmes. Aussi
de quiconque je suis le maître, celui-ci (c'est-à-dire Ali)
est également son maître. Mon Dieu, soutiens qui le soutient
et sois ennemi de son ennemi».(71)
Ainsi, ces deux nobles Textes prophétiques, comme bien d'autres
semblables, ont consacré les deux maraja'iyyah (autorités)
d'Ahl-ul-Bayt. Le courant islamique «attaché aux Textes Prophétiques»
a épousé ces deux Hadith et a cru par conséquent aux
deux maraja'iyyah précitées. Il est le courant des
Musulmans partisans d'Ahl-ul-Bayt.
Notons que si «l'autorité (maraja'iyyah) directoriale
et sociale» de chaque imam a un caractère temporaire, puisqu'elle
est limité à la durée de la vie de l'imam, et traduite
par son exercice du pouvoir pendant cette durée, «l'autorité
intellectuelle» est une vérité constante et absolue
qui n'a pas de limites temporelles, et qui, de ce fait, revêt une
signification pratique et vivante de tout temps; ce qui est tout à
fait normal, puisque tant que les serviteurs ont besoin d'une compréhension
précise de l'Islam et de la connaissance de ses jugements, de ses
«permis» et ses «interdis», de ses conceptions
et de ses valeurs, ils ont besoin d'une autorité (maraja'iyyah)
déterminée par Dieu et représentée par:
1)- Le Livre de Dieu;
2)- La Sunnah du Prophète et de la Famille Impeccable d'Ahl-ul-Bayt
(du Prophète), laquelle est inséparable du Livre comme l'a
dit le Messager dans le Hadith précité.
Quant au second courant des Musulmans, lequel a penché vers l'ijtihâd
au lieu du «culte du Texte», il a décidé dès
le décès du Prophète, de confier «l'autorité
directoriale», chargée d'exercer le pouvoir, à des
hommes choisis parmi les Muhâjirine, selon des bases changeantes,
souples et variables. Ainsi Abû Bakr était porté au
pouvoir, directement après la mort du Messager, à la suite
d'une concertation limitée dans le Conseil de Saqîfah.
Et enfin Othmân a succédé à Omar grâce
à un testament de celui-ci, le désignant indirectement au
califat. Aussi cette souplesse dans les règles de l'accession à
la direction officielle de la Ummah a-t-elle Abouti, un tiers de siècle
après la mort du Prophète, à l'infiltration des «fils
des relâchés (tulaqâ')» (ou libérés)(72)
- qui avaient combattu la veille, l'Islam - dans les centres de l'autorités
(le pouvoir).
«L'autorité directorial» (le pouvoir, le califat)
des Ahl-ul-Bayt étant ainsi confisquée grâce à
l'ijtihâd, il était difficile de laisser «l'autorité
intellectuelle» (idéologique) à ses héritiers
légitimes (Ahl-ul-Bayt); car cela aurait permis à ces derniers
de trouver les conditions objectives qui les conduiraient au pouvoir, et
de réunir ainsi pour eux les deux autorités. Mais d'un autre
côté, il était également difficile de conférer
des exigences de l'exercice du pouvoir. En effet, reconnaître la
compétence de quelqu'un pour diriger le pouvoir et appliquer les
lois, ne signifie en aucun cas qu'on l'admette du même coup comme
imam spirituel et autorité idéologique suprême (en
matière de connaissance de la théorie islamique) après
le Coran et la Sunnah prophétique. Car cet imamat(73)
spirituel et idéologique exige un haut degré de culture,
de connaissances générales et d'assimilation de la théorie.
Or, il est évident que personne parmi les Compagnons - les Ahl-ul-Bayt
mis à part - ne pouvait y prétendre à titre individuel.
Pour cela, la balance de l'autorité spirituelle restait oscillante
pendant un certain temps. Les califes continuèrent pendant longtemps
à traiter avec Alî en sa qualité d' «Imam spirituel»(74),
ou presque. Aussi, le second calife, Omar, répétait-il à
plusieurs reprises: «Sans Alî, Omar aurait péri. Que
Dieu ne me confronte à un problème qui n'aie pas un Abû-l-Hassan(75)-
l'Imam Alî- (pour le résoudre)(76)».
Après la mort du Prophète (P) et au fur et à mesure
qu'on s'éloignait de cet événement, et que les Musulmans
s'habituaient peu à peu à considérer l'Ahl-ul-Bayt
et l'Imam Alî comme des hommes ordinaires et des «gouvernés»,
on a fini par ignorer leur position de «haute autorité spirituelle».
Mais cette position ne pouvant pas être vacante, elle fut conférée,
non pas au calife au pouvoir, mais à l'ensemble des Compagnons.
Et l'autorité spirituelle d'Ahl-ul-Bayt n'étant plus de mise,
celle de l'ensemble des Compagnons, qui l'a remplacée, semblait
d'autant plus conforme à la raison, que ceux-ci avaient longtemps
côtoyé le Prophète, vécu sa vie, son expérience,
ses hadith et sa Sunnah.
De cette façon Ahl-ul-Bayt ont perdu pratiquement leur privilège
divin, leur primauté spirituelle, et furent réduits à
une part de l'autorité spirituelle, en leur qualité de Compagnon
parmi les Compagnons. Et étant donné que les Compagnons eux-mêmes
étaient déchirés par des différends graves
et des contradictions profondes qui les opposaient les uns aux autres et
conduisaient parfois à des batailles, à l'effusion du sang,
à l'atteindre à la dignité de l'adversaire, à
des accusations réciproques de déviation t de trahison, il
s'en est suivi que diverses contradictions doctrinales et idéologiques
apparurent dans le corps de la Ummah, comme reflet des diverses contradictions
à l'intérieur de cette même autorité spirituelle
qu'avait créée l'ijtihâd.
Avant de terminer mon exposé, j'aimerais attirer l'attention
sur un point dont l'explication revêt une tendance à scinder
le Chiisme en deux courants distincts: le Chiisme spirituel et le Chiisme
politique, croyant que le premier est plus ancien que le second, et que,
après la tuerie de Karbalâ' où l'Imam al-Hussayn (p)
fut assassiné, les Imams d'Ahl-ul-Bayt (p), descendants de celui-ci,
se sont désintéressés de ce bas-monde, ont renoncé
à la vie politique et se sont consacrés à la prédication
et aux pratiques cultuelles.
Or, cette distinction ne correspond pas à la vérité,
car depuis sa naissance, le Chiisme n'a jamais été une tendance
purement spirituelle. Mieux, il est né tel que nous l'avons expliqué
exactement lorsque nous exposions les circonstances de la naissance du
Chiisme - comme une thèse défendre la désignation
de l'Imam Alî pour la poursuite de la direction spirituelle et sociale
de la communauté islamique après la disparition du Prophète.
Il n'est pas donc possible, vu les circonstances précitées,
de séparer l'aspect spirituel de l'aspect social dans la thèse
du Chiisme, pas plus qu'on ne peut faire une telle distinction dans l'Islam
lui-même. Le Chiisme ne pourrait faire l'objet d'une telle distinction
que s'il était vidé de son contenu, c'est-à-dire de
sa qualité de thèse visant à sauvegarder l'avenir
de l'Appel après le Prophète. Car pour sauvegarder cet avenir,
l'Expérience islamique avait besoin et d'une autorité spirituelle
- idéologique, et d'une direction socio-politique.
En tant que successeur digne de poursuivre le rôle de ses trois
prédécesseurs(77), à
la tête du pouvoir, l'Imam Ali jouissait largement de l'allégeance
des Musulmans à son égard, allégeance qui l'a conduit
effectivement au califat après l'assassinat du troisième
calife, Othmân. Mais cette allégeance n'est ni Chiisme spirituel,
ni Chiisme socio-politique, car le Chiisme signifie: «La croyance
à la thèse faisant de Alî le successeur légitime
direct du Prophète, au lieu de trois califes qui l'ont précédé
au pouvoir». Elle est donc plus large que le vrai chiisme intégral,
spirituel et socio-politique. C'est pourquoi, bien que le Chiisme intégral
fût développé dans le cadre de cette vaste allégeance,
on ne saurait considérer celle-ci comme un exemple de Chiisme partiel.
D'un autre côté, l'Imam Alî bénéficiait
de l'allégeance spirituelle et idéologique d'un grand nombre
de Compagnons notables, tels Salmân, Abû Tharr, Ammâr
et d'autres... à l'époque d'Abû Bakr et de Omar. Mais
là encore, on ne peut appeler cette allégeance, «Chiisme
spirituel distinct du Chiisme politique»; car elle n'exprime, en
fait, que la croyance des dits Compagnons, suivant laquelle la direction
spirituelle et politique de l'Appel revient à l'Imam Alî directement
après le décès du Prophète. Alors que leur
croyance à l'aspect idéologique de l'autorité(78)
de Alî s'était traduite par leur allégeance spirituelle
précité, leur croyance à son aspect politique s'est
matérialisé dans leur opposition au califat d'Abû Bakr
et au courant qui a conduit à l'Imam Alî.
La vision fragmentaire d'un Chiisme spirituel dissocié du Chiisme
social, n'est apparu effectivement et n'a pris naissance dans l'esprit
du Chiite que lorsque celui-ci s'est soumis à la réalité,
et que la braise ardente du Chiisme - cet attachement spécifique
(du Chiisme) à une direction islamique légale, chargée
de poursuivre l'édification de la Ummah après le décès
du Prophète et d'accomplir la grande opération de transformation
entreprise par celui-ci - s'est éteinte en lui, et s'est transformée
en une simple doctrine que l'on garde dans le coeur et dans laquelle on
cherche espérance et consolation.
Là, nous rejoignons l'assertion selon laquelle les Imams d'Ahl-ul-Bayt
qui ont succédé à l'Imam al-Hussayn se seraient retirés
de la vie sociale, et désintéressés de ce bas-monde.
Rappelons à ce propos, tout formule exprimant l'attachement à
la continuité de la celle-ci ne signifie autre chose que la poursuite
de l'action de changement entreprise par le Prophète, afin de compléter
l'édification de la Ummah sur la base de l'Islam. Et cela étant
dit, il n'est pas possible de concevoir que les Imams puissent renoncer
à la vie sociale, sans renoncer du même coup au Chiisme!
Ce qui a laissé croire, donc, que ces Imams aient renoncé
à l'aspect social de leur autorité, c'est d'une part le fait
qu'ils n'avaient pas entrepris d'une action armée contre le pouvoir
établi, et d'autre part le fait que l'on confère à
l'acceptation d' «aspect social» un sens étroit qui
ne comporte que l'action armée.
Nous possédons beaucoup de textes montrant que les Imams étaient
toujours disposés à passer à la lutte armée
s'ils avaient la conviction de l'existence d'hommes prêts à
y participer, et de la possibilité de réaliser par cette
lutte les buts islamiques escomptés.
Lorsque nous retraçons l'acheminement du mouvement chiite, nous
remarquons que la direction chiite, représentée par les Imams
d'Ahl-au-Bayt, croyait que l'accession au pouvoir ne suffirait ni ne pourrait
suffire à réaliser islamiquement l'opération du changement
si ce pouvoir n'était pas appuyé sur des bases populaires,
conscientes de ses objectifs (du pouvoir), croyant à sa théorie
du gouvernement, disposées à le protéger, capables
d'expliquer ses positions aux masses et de résister à tous
les tourbillons.
C'est pourquoi, pendant la première moitié du siècle
qui a suivi la mort du Prophète, la direction chiite essaya toujours
de reprendre le pouvoir - après en être exclue - par tous
les moyens auxquels elle croyait, car elle pensait qu'il existait des bases
populaires conscientes ou sur le point de l'être, parmi les Muhâjirine,
les Ançâr et les Suivants. Mais un demi-siècle plus
tard, lorsque ces bases conscientes ont disparu ou presque, et que l'on
l'on assistait à la naissance - sous le règne déviationniste
- de générations nonchalantes, la prise du pouvoir par le
mouvement chiite n'aurait pu conduire à la réalisation du
grand objectif islamique, n l'absence d'une assise populaire prête
à fournir consciemment le soutien et le sacrifice nécessaires.
Devant une telle situation, il était indispensable, pour la direction
chiite, de mener deux types d'action:
1- Oeuvrer en vue de constituer les bases populaires conscientes afin
de préparer le terrain pour la prise du pouvoir;
2- Ramener la conscience et la volonté de la Ummah, et les maintenir
dans un degré de fermeté et de vie, où elles pourraient
immuniser la nation islamique contre le risque de céder totalement
sa personnalisé et sa dignité aux gouvernements déviés.
Le premier type d'action était accompli par les Imâms eux-mêmes,
le second, par des Alawides(79) révoltés
qui tentaient, par leurs sacrifices désespérés de
protéger la conscience et la volonté islamiques. Les Imams
soutenaient les plus honnêtes d'entre eux.
L'Imam Alî Ibn al-Ridhâ(80)
parlait du martyr Zayd Ibn Ali Talib, au calife al-Mimine dans les termes
suivants: «Il était parmi les ouléma(81)de
la famille du Prophète. Il s'est élevé contre ennemis
de Dieu et les a combattus jusqu'à ce qu'il fût tué
pour Sa Cause (de Dieu). Mon père Moussa Ibn Çafar m'a raconté
que son père Çafar disait: que Dieu donne Sa Miséricorde
à mon oncle Zayd qui avait appelé au soutien des Âle-
Muhammad(82). S'il avait gagné (la
bataille), il se serait acquitté de son engagement devant Dieu (de
faire triompher Âle-Muhammad) ...».(83)
Ainsi le fait que les Imams avaient renoncé à l'action
armée directe contre les déviationnistes, ne signifie pas
qu'ils aient abdiqué l'aspect social de leur autorité ni
qu'ils se soient confinés dans les pratiques cultuelles, mais exprime
seulement la différence des méthodes d'action sociale selon
les conditions objectives, et traduit leur conscience profonde de la nature
et 'action de transformation à mener et du moyen approprié
de sa réalisation (de l'action sociale).
GLOSSAIRE
- athân: l'Appel à
la prière :
- Ahl-ul-Bayt: les Gens de la maison
(du Prophète): les membres de la famille du Prophète et des
descendants de sa branche Alî-Fâtimah.
- Ahl-al-Kitâb: les gens du Livre: les adeptes des religions
monothéistes: les Chrétiens et les Juif
- Alides ou alawides: de l'arabe alawiyyoune, sing. Alawi: les
descendants d'Ahl-ul-Bayt
- Âle-Muhammad (les): la famille et les descendants du
Prophète Muhammad
- Ançâr (les): les Partisans: les partisans médinois
du Prophète
- Appel (l'): l'Appel à l'Islam lancé par le Prophète
- "Le Califat bien dirigé" et "les Califes bien dirigés":
les quatre premiers califes qui ont succédé au Prophète.
Ce sont, dans l'ordre chronologique de leur califat: Abû Bakr, Omar
Ibn Affân, Othmân et Alî Ibn Abî Tâlib
- Chourâ ou Shourâ (la): concertation, consultation
chez les Musulmans
- Compagnon: de l'arabe Sahâbi, plu., Çahâbah:
les Compagnons du Prophète (P): les premiers Musulmans comprenant
les Partisans et les Émigrés.
- Conquête: arabe Fat-h: la Conquête de la
Mecque
- Duodécimains (chiites imâmites): les Chiites
loyaliste des Douze Imams d'Ahl-ul-Bayt
- Émigrés (les): arabe al-Muhâjirine: les
Musulmans mecquois qui ont émigré avec le Prophète
à Médine, fuyant la persécution que leurs compatriotes
polythéistes leur faisaient subir.
- Expérience: L'Expérience islamique
- Fay' : les dépouilles, les butin
- Hadith: paroles du Prophète (P)
- Harâ' (la grotte de): endroit où le Prophète
recevait la Révélation
- Hayya 'alâ khayr al'amal: accours pour accomplir le
meilleur des actes: l'une des formules de l' appel à la Prière
"athân"
- Hudaybiyyah (la Réconciliation de): endroit où
fut signé le traité de paix de Hudaybiyyah, près de
la Mecque (voir la Réconciliation)
-Hujjat al-Wadâ'": le pèlerinage d'Adieu, dernier
pèlerinage du Prophète, pendant lequel celui-ci fait un célèbre
prône
- Ijtihâd: avis personnel émis par un mujtahid
ou quelqu'un qui prétend à ce titre
- istihsân: préférence personnelle
en vue du bien: une des parties de l'ijtihâd
- Jâhiliyyah - Jâhilite: la jâhiliyyah est
l'époque antéislamique: l'époque de l'ignorance. Par
exemple, l'ignorance, l'obscurantisme et tut ce qui n'est pas monothéiste
- Libérés (les): les "Tulaqâ'
", les polythéistes mecquois qui ont refusé de se convertir
à l'Islam, et qui seront faits prisonniers lors de la Conquête
de la Mecque, puis libérés par le Prophète (P)
- Marja'iyyah: l'autorité suprême: la référence
suprême en Islam
- Mecquois (ou Mekkois): de la Mecque
- Médinois: de Médine
- Message (le): le Message islamique révélé
au Prophète Muhammad (P)
- Messager: le Prophète
- Mut'at al-Hajj (ou hajj al-tamatu'): une partie des rites
du pèlerinage. Elle fut supprimée par le calife Omar
- Muhâjirine (les): voir Émigrés
- Naçç: les Texte: ce qui est mentionné
dans le Coran et la Sunnah
-Pèlerinage d'Adieu: voir Hujjat al-Wadâ'
-Quraych: la tribu du Prophète. On dit aussi les Quraych,
les Qarachites
- Réconciliation (la) de Hudaybiyyah: traité de
paix entre les Musulmans et les polythéistes mecquois en l'an 6
de l'hégire
- Sahih, plu., Çihâh:
titre donné aux ouvrages qui sont censés ne reproduire que
des hadith authentiques.
- Saqîfah: la Saqîfah de Banû Sâ'idah:
la maison ou la tente de la tribu de Banû Sâ'idah. C'est là
que des Musulmans se sont réunis avant même l'inhumation du
Prophète pour choisir un successeur à ce dernier
- Sceau des Prophètes: le Prophète Muhammad (P)
considéré par les Musulmans comme le Prophète final
que Dieu révèle à l'humanité
- Chiisme (ou Shiisme): les Musulmans légitimistes t
minoritaires. On dit, chiite, parce qu'ils sont les partisans de la ligne
de l'Imam Alî. Ils considèrent que l'attachement à
la Sunnah du Prophète comporte obligatoirement l'observance intégrale
de toutes ses stipulations y compris la désignation de l'Imam Alî
faite par le Prophète, comme successeur. Selon eux, la Haute Autorité
de la Ummah islamique revient à la ligne de l'Imam Alî après
le décès du Prophète t selon la recommandation de
celui-ci
- Sunnah (la): la Tradition du Prophète: les paroles,
les gestes et les faits du Prophète. Plu. Plu. Sunan
- Tabaqât: notices biographiques concernant les transmetteurs
des hadith
- Texte: voir Naçç
- Tâbi'în: les Suivants: les Compagnons des Compagnons
du Prophète
- Takbîr: prononcer la formule "Allah Akbar" (Dieu est
le plus Grand)
- Ummah ou Umma: la nation islamique
- Uléma ou Ouléma (plus. de âlim): docteur
de la Loi en Islam.
Notes
1. La loi islamique, la législation islamique
2. Cet ouvrage était à l'origine une
préface que l'auteur a écrite pour le livre du Dr. Abdullâh
al-Fayyâdh: "Ta'rîkh al-Imâmiyyah wa aslâfihim
al-Chî'ah" (L'histoire des Imâmites et de leurs prédécesseurs
chiites). Elle fut par la suite publiée comme un livre à
part.
3. Qui suit la Sunna du Prophète à
la lettre
4. Le Texte: al-naçç (en arabe)
ce qui est mentionné dans le Coran et Sunna.
5. «Le Culte du Texte», signifie ici:
accepter et observer les prescriptions du Texte sans s'interroger sur leur
opportunité ou leur bien-fondé.
6. C'est-à-dire émettre un avis personnel
sur l'opportunité de l'application d'une prescription du Texte.
7. Etant donné que le Chiisme est connu pour
sa pratique de l'ijtihâd, et afin d'éviter toute confusion
avec le courant de l' «ijtihâd dans le Texte»,
l'auteur souligne que le Chiites font une distinction entre deux types
d'ijtihâd: l'ijtihâd dans le Sunnah (c'est-à-dire:
donner un avis personnel sur telle ou telle autre prescription de la Sunnah)
d'une part - et c'est le type d'ijtihâd qu'ils rejettent -
et l'ijtihâd à partir de la Sunnah (c'est-à-dire
déduire un jugement légal, à partir du Coran et de
la Sunnah, concernant des situations nouvelles et accidentelles à
propos desquelles le Texte ne se prononce pas explicitement), d'autre part
- et c'est justement ce type d'ijtihâd qu'ils admettent et
continuent de pratiquer.
8. Note du traducteur
9. Sing. muhâjir, émigré.
Ce sont les Musulmans qui ont quitté la Mecque avec le Prophète
vers Médine, pour échapper aux persécution des Mequois
infidèles.
10. Sing. naçîr, partisan: les
Partisans médinois du Prophète
11. de Qurayche, la tribu du Prophète
12. Mequois: les habitants de la Mecque
13. Médinois: les habitants de Médine
14. La conquête islamique de leur ville. Il
y avait deux sortes de Musulmans au début de l'Islam: ceux qui se
sont convertis de leur propre chef, et ceux qui sont passés à
l'Islam du fait de la Conquête de leur territoire.
15. Sceau des prophètes: le Prophète
Muhammad, le dernier Prophète que Dieu révèle à
l'humanité.
16. "Ta'rîkh al-Tabarî", 5/26
17. Le jour où des Musulmans se sont réunis
sous la tente (Saqîifah) de Bani Sâ'idah pour désigner
un successeur au Prophète (P).
18. "Ta'rîkh al-Tabarî", 3/20
19. "Charh al-Najhj" (L'Explication de Nahj al-Balâghah),
Ibn Hadîd, 6/42
20. "Ta'rîkh al-Kâmil", d'Ibn Athîr
et d'autres.
21. Parole du Prophète (P)
22. Musnad Ahmad, 1/300; Çahîh
Muslim, tome II, à la fin des testaments; Çahîh
al-Bukhari, tome I, "Kitâb al-Çulh"
23. C'est-à-dire de ne pas se confiner dans
la passivité vis-à-vis de l'avenir de l'Expérience
islamique après sa mort.
24. L'Expérience islamique naissante
25. Ahl-ul-Bayt (P): «les Gens de la Maison»:
la famille du Prophète (P)qui comprend selon les Chiites imâmites:
son cousin et gendre, l'Imam Ali ibn Abi Talib, sa fille Fâtimah
al-Zahrâ', femme de ce dernier, ainsi que leurs descendants (les
onze autres Imams).
26. Les Musulmans qui se sont réunis à
la Saqîfah (voir note précédente 17) pour désigner
un successeur au Prophète.
27. C'est-à-dire désigné par
le Texte prophétique.
28. "Ta'rîkh al-Ya'qûbî", 2/126-127
29. La succession
30. La succession
31. "Tabaqât Ibn Sa'd", 3/248
32. "Ta'rîkh al-Tabarî", 4/52
33. La tribu du Prophète
34. Refuser votre proposition, votre candidature
au califat (traduction littérale du texte en arabe).
35. Voir les textes concernant le Jour de Saqîfah,
dans "Sharh al-Nahj", tome 4, p. 6-9.
36. Un hadith prophétique, c'est n'importe
quelle paroles prononcée par le Prophète devant les fidèles
qui la mémorisent et s'en servent comme règle de conduite.
Donc, si le Prophète avait effectivement mené une campagne
d formation et d'information en vue de préparer les 12.000 compagnons
à assumer la responsabilité de diriger l'Etat islamique,
il aurait sûrement discouru sur la législation islamique concernant
le gouvernement, beaucoup plus longtemps que ne le laissent penser les
quelques centaines de hadith en question, et qu'il y aurait eu certainement
beaucoup plus de paroles prononcées par le Messager, vu l'importance
du sujet, le grand nombre de Compagnons susceptibles de mémoriser
ces paroles, et le nombre d'heures que le Prophète passait avec
eux. N.d.T
37. "Sunnah al-Darâmî", tome I, page
50
38. Idem.
39. "Sunan al-Darâmî", tome I, page
56.
40. Préférence personnelle en vue
du bien.
41. Raisonnement par analogie (puis: syllogisme).
42. Les Suivants, en arabe Tâbi'în,
pluriel de tâbi' : les compagnons des Compagnons du Prophète.
43. Al-hâfidûn: ceux qui
apprenaient par coeur les hadiths du Prophète afin de pouvoir les
transmettre aux autres.
44. Pluriel de Sunnah
45. Invocation de Dieu qui consiste à dire
«Allâhu Akbar» (Dieu est le plus Grand).
46. " 'Umdat al-Qâri' ", IV/129
47. Les coeur à rallier: al-mu'allafah
qulûbahum sens littéral: ceux dont le Coeur reste à
rallier, à domestiquer, à attendrir. Il s'agit des hommes
qui persécutaient les Musulmans, au début de l'Islam. Pour
éviter leur agression, les Musulmans tentaient de les attendrir
en les payant.
48. Le sens étymologique du terme imam,
c'est celui qui marche devant, qui se place devant, donc celui qui guide.
49. «Le Califat bien-dirigé»:
al-Khilâfah
al-rachîdah, la califat des quatre premiers Califes qui ont succédé
au Prophète (il s'agit d'Abû Bakr, Omar, Othmân, Alî).
50. C'est-à-dire intervenir et ne pas passif
vis-à-vis de l'avenir de l'Appel.
51. C'est-à-dire pour me donner la permission
d'entrer sans qu'il interrompe sa prière.
52. Note de traducteur
53. Abû Bakr, Omar, Othman, Ali
54. C'est-à-dire, suivre et respecter scrupuleusement
les prescriptions des Textes (non seulement du Coran mais aussi de la Sunnah
du Prophète). Les accepter telles quelles sans s'interroger sur
leur raison d'être ou leur opportunité.
55. L'opinion personnelle. L'ijtihâd
est opposé ici au respect scrupuleux du Texte (naçç).
56. Note de traducteur
57. Le Prophète (P) a souffert le martyre
- à diverses occassions et notamment au moment où il agonisait
- de ce courant ijitihâdite.
58. C'est-à-dire: Accourez accomplir es meilleur
des actes.
59. Une partie des rites du pèlerinage
60. Qui relève de l'ijtihâd,
et l'opinion personnelle.
61. «Wujub kifa'î» ou obligation
conditionnelle: c'est une obligation exigible lorsqu'il y a nécessité,
mais elle ne l'est plus dès lors que cette nécessité
disparaît.
62. L'observance du Texte, de la Sunnah
63. Note du traducteur
64. Où je serai appelé par Dieu, c'est-à-dire
rendre l'âme.
65. Note du traducteur
66. Attribut de Dieu
67. Attribut de Dieu
68. C'est-à-dire le Jour du Jugement Dernier
69. Ce Hadith est rapporté d'une vingtaine
de Compagnons, par al-Hakîm, dans son "Mustadrak alâ al-Çahîhayn",
ainsi que par al-Tarmathî, a-Nisâ'î, Ahmad Ibn Hanbal...
et d'autres.
70. Note du traducteur
71. Hadith al-Ghadir est pleinement cité
aussi bien dans les ouvrages des Sunnites que dans ceux des Chiites. Certains
chercheurs spécialistes en la matière ont recensé
les rapporteurs de ce Hadith. Le résultat est le suivait:
- plus de 100 Compagnons;
- plus de 80 Suivants (compagnons des Compagnons du Prophète)
- environs 60 "mémorisateurs" (de hadith) et spécialistes
de hadith, du 2ème siècle de l'hégire.
72. Les polythéistes mecquois qui ont été
faits prisonniers lors de la «Conquête de la Mecque»,
puis relâchés par e Prophète.
73. Pris ici au sens étymologique: sommité,
ce qui est placé devant, en tête.
74. C'est-à-dire la plus haute autorité
présente, en matière d Loi islamique (note du traducteur).
75. Abû al-Hassan: le père d'al-Hassan:
l'Imam Ali
76. Note du traducteur
77. Abû Bakr, Omar, Othmân
78. ou leadership, direction
79. Les descendants de l'Imam Alî Ibn Abî
Tâlib.
80. Huitième Imam de Chiisme imamite doudécimain.
81. Docteur de la Loi
82. Des Âle-Muhammad: les descendants de la
famille du Prophète Muhammad (P).
83. Al-Waçaïl, "Kitâb al-Jihâd".
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