Histoire des premiers temps de l’islam
Deuxième et dernière partie
Safdar Hussein
Traduit de l'anglais, édité et annoté par
Abbas Ahmad al-Bostani
Édition
La Cité du Savoir
Abbas Ahmad al-Bostani
C.P. 712, Succ. (B)
Montréal, Qc, H3B 3K3
Canada
E-mail: abbas@bostani.com
Copyrights: Tous droits réservés à l'éditeur
L'EXPÉDITION DE WÂDI-L-RAMAL OU DE THÂT-AL-SALÂSIL.
L'EXPÉDITION DE TABÛK.
L'ANNONCE DE LA SOURATE AL-TAWBAH.
LES CHRÉTIENS DE NAJRÂN, ET D'AUTRES EVÉNEMENTS
SURVENUS AU COURS DE LA NEUVIÈME ANNÉE DE L'EMIGRATION 233
La Soumission des Banî Thaqîf 233
L'Expédition de Wâdi-l-Ramal ou de Thât-al-Salâsil
234
L'Expédition de Tabûk 235
Conspiration contre la Vie du Prophète 238
La Destruction du Masjid al-Dherâr 240
La Mort d'Om Kulthûm 241
La Mort de 'Abdullâh B. Obay, l'Hypocrite 241
La Conduite de 'Âyechah et de Hafçah 242
Le Prophète Se Sépare de ses Femmes pendant un Mois
246
L'Annonce de la Sourate al-Tawbah 247
L'Année des Délégations 248
Les Chrétiens de Najrân 249
LE PÈLERINAGE D'ADIEU DU PROPHÈTE.
SON SERMON A GHADIR KHUM.
LA SIGNIFICATION D'AHL-UL-BAYT EXPLIQUÉE 254
Les Fonctions Missionnaires de 'Alî au Yémen
254
Le Pèlerinage d'Adieu du Prophète 256
Le Sermon de Ghadîr Khum 257
La Signification d'Ahl-ul-Bayt Expliquée 260
Conclusion en faveur de 'Alî Tirée de la Parole du
Prophète
264
QUELQUES IMPOSTEURS.
LA DERNIÈRE MALADIE DU PROPHÈTE, SA DERNIÈRE
PRIÈRE ET SON DERNIER SERMON DANS SON MASJID.
LA MORT DU PROPHÈTE ET SES FUNÉRAILLES.
266
La Distribution du Yémen 266
Aswad, l'Imposteur 266
Musaylamah, l'Imposteur 267
Tulayhah l'Imposteur 267
L'Ordre de l'Expédition vers la Syrie 268
Prédiction concernant 'Âyechah 268
La Dernière Maladie du Prophète 270
'Âyechah Espionne les Mouvements du Prophète
271
Hâter l'Expédition vers la Syrie 272
Avertissement aux Muhâjirîn et aux Ançâr
273
De l'Or Destiné à l'Aumône 273
Le Prophète Empêché de Transcrire sa Volonté
274
Abû Bakr Conduit la Prière 276
Prophète dans son Masjid 281
La Mort du Prophète 281
'Omar Joue une Scène Bizarre 285
Le Lavage Rituel et l'Enterrement du Prophète
287
ABÛ BAKR : LE PREMIER CALIFE
L'Election à Saqîfah 292
Abû Bakr "Elu" à la Succession du Prophète 295
L'Installation d'Abû Bakr
Le Premier
Discours public d'Abû Bakr du Haut de la Chaire
L'Absence d'Abû Bakr et de 'Omar aux Cérémonies
Funéraires du Prophète 299
Le Père Surpris par l'Election de son Fils 300
L'Attitude
de 'Alî après l'Election d'Abû Bakr
Le Nom et les Titres
Originels d'Abû Bakr
Les Habitudes
et la Profession d'Abû Bakr
'Alî Soumis à
l'Humiliation
Fâtimah Réclame son Héritage
Offre d'Ouvrir
les Hostilités, Rejetée par 'Alî
Abû Bakr Prétend Vouloir Renoncer au Califat 308
L'Admonestation Faite par al-Hassan
Quelques Récits
du Califat d'Abû Bakr
Tulayhah, l'Imposteur 310
Mâlik Ibn Nowayrah
et son Sort Cruel
Plainte auprès
du Calife contre Khâlid
Le Jugement d'Abû Bakr
Fujâ'ah al-Salmî 314
La
Rébellion à Hadhramawt, Conduite par Ach'ath B. Qays
Abû Bakr Juge Ach'ath 318
Expéditions vers des
Pays Etrangers
La Nomination de Yazîd
La Connaissance du Coran par Abû Bakr 321
Quelques Récits Concernant Abû Bakr 322
Successeur 323
Le Lit de Mort d'Abû Bakr 325
La Mort d'Abû Bakr 325
Abû Bakr et les Rapports de sa Famille avec Celle du Prophète
326
'OMAR, LE DEUXIÈME CALIFE 330
L'Accession de 'Omar au Califat 330
Les Ancêtres
et les Antécédents de 'Omar
L'Admonestation Faite par al-Hussayn 332
L'Introduction des Tarâwîh 332
Quelques Récits Relatifs au Califat de 'Omar 333
Ziyâd 333
L'Ère Musulmane 334
La Révocation de Khâlid 334
La Famine 335
La Peste 335
La Nomination de Mu'âwiyeh, comme Gouverneur de Syrie336
La Connaissance du Coran par 'Omar 338
Le Sens du Jugement de 'Omar 341
Les Erreurs Judiciaires de 'Omar 341
'Omar Surveille les Citoyens 343
Les Innovations de 'Omar 344
Le Récit de la Mort de 'Omar 345
La Désignation des Electeurs et du Mode d'Election du Successeur
346
L'Apparition de 'Omar dans les Rêves après sa Mort 349
'OTHMAN, LE TROISIEME CALIFE 351
Le Conclave en l'An 24 H 351
L'Election en l'An 24 H. 353
Un Désastre Durable 355
L'Inauguration du Califat de 'Othmân et son Premier Discours
355
La Première Cour de Justice de 'Othmân 356
L'Année de l'Hémorragie 358
La Nomination de Walîd comme Gouverneur de Kûfa 358
L'Extension des Limites de la Ka'bah 359
La Nomination de 'Abdullâh B. Abî Sarh, Gouverneur d'Egypte
359
Des Cadeaux Faramineux 360
La Nomination de 'Abdullâh B. 'Âmir comme Gouverneur
de Basrah 361
Révolte en Perse 362
Une Décision Brutale et Injuste 362
Retour aux Coutumes Païennes 362
Des Actions Contraires aux Enseignements et aux Pratiques du Prophète
363
La Compilation du Coran en 30 H. 363
La Déposition de Walîd et la Nomination de Sa'îd
364
Les Menaces de 'Othmân à l'Adresse du Peuple. 'Ammâr,
Maltraité 365
Changement dans le Caractère National des Arabes 366
Le Bannissement d'Abû Thar al-Ghifârî 368
La Perte de la Chevalière de 'Othmân 370
La Fin de l'Empereur Perse et de son Empire 370
Emeute à Basrah 371
Révolte à Kûfa 371
Le Retour
de Mâlik à Kûfa; Abû Mûsâ Al-Ach'arî,
Nommé Gouverneur
Les Gens
Prennent Conscience de la Faiblesse de 'Othmân
Des Illustrations des Agissements Outrageants de 'Othman 373
La Liste des Charges contre 'Othmân 375
Des Voix Menaçantes d'Avertissement 376
Conférence des Gouverneurs à Médine en 34 H.
(655 ap. J. -C.) 379
Les Prédictions de Ka'b al-Ahbar 380
Les Délégations Demandent la Réforme et 'Othmân
fait Preuve d'Inconstance 380
Des Délégations Menaçantes d'Egypte, de Kûfa
et de Basrah 383
La Nomination de Mohammad Ibn Abî Bakr pour Remplacer Ibn
Abî Sarh en Egypte 384
L'Interception de la Lettre Perfide 385
Des Sentiments de Colère contre 'Othmân 386
Les Dénégations
de 'Othmân à propos de la Lettre Perfide
La Part
de 'Âyechah dans l'Incitation au mauvais Traitement Réservé
à 'Othmân
L'Attitude Violente contre 'Othmân
Le Blocus du Palais de 'Othmân
La Collusion de Talhah avec
les Insurgés
L'Assassinat de 'Othmân
Salmân al-Fârecî
'ALÎ IBN ABÎ TÂLIB,LE
QUATRIEME CALIFE
Réflexions
Concernant l'Election d'un Calife à la Place de 'Othmân
L'Election de 'Alî
L'Inauguration du Califat de
'Alî
Les Cris de Vengeance
pour l'Assassinat de 'Othmân
Les Réformes Envisagées
par Ali
Le Plan
des Omayyades en Vue de Soulever les Gens contre 'Alî
Le Défi
de Mu'âwiyeh à l'Autorité de 'Alî
Le Départ de Talhah et
de Zubayr
Le Plan de Rébellion de 'Âyechah
Le Conseil de Guerre
'Âyechah Incite Om Salma
La Marche de 'Âyechah sur
Basrah
'Âyechah dans la Vallée
de Hawab
Le Campement de 'Âyechah
à Khoraybah
'Âyechah S'Empare de Basrah
'Alî Apprend
la Nouvelle de la Révolte de 'Âyechah
La Marche de 'Alî contre
'Âyechah
La Conduite
d'Abû Mûsâ al-Ach'arî envers le Calife
Abû
Mûsâ al-Ach'arî démis de ses Fonctions de Gouverneur
de Kûfa
Al-Hassan
Ibn 'Alî Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites
L'Arrivée de 'Alî
à Basrah
La Bataille d'Al-Jamal
(du Chameau)
Le Sort de Talhah
Le Sort de Zubayr
La Défaite de 'Âyechah
La Magnanimité de 'Alî
envers l'ennemi
Le Carnage dans la Bataille
La Retraite de 'Âyechah
Les Butins de Guerre
Le Transfert du Siège du
Gouvernement
La Zone de Domination de 'Alî
Les Activités Préliminaires
de Mu'âwiyeh
La Marche de 'Alî
vers la Frontière Syrienne
La Source
Miraculeuse dans le Désert Mésopotamien
Le Campement de 'Alî
à Çiffîn
Des Combats sans
suite pendant un Mois
Des Combats Féroces
à Çiffîn
'Ammâr Tombe dans la
Bataille
Le Piètre État
de 'Amr Ibn al-'Âç
Une Bataille Férocement
Livrée
Les Combats
Décisifs à Çiffîn ; Le Combat Vateureux de Mâlik
al-Achtar
Une Supercherie
pour Détourner la Crise
Des Propositions d'Arbitrage
L'Acte d'Arbitrage
Le Massacre de Çiffîn
Le Retour des Armées
La Décision des Juges
Stupéfaction devant
la Décision
Les Khârijites
La Révolte des Khârijites
La Bataille de Nahrawân
L'Expédition Syrienne Avortée
Les Affaires d'Egypte (38 H.)
L'Empiétement de Mu'âwiyeh
sur l'Egypte
L'Empiétement de Mu'âwiyeh
sur Basrah
D'Autres Révoltes des Khârijites
La Politique Agressive de Mu'âwiyeh
Les Raids de Mu'âwiyeh au
Hidjâz
La Mauvaise Conduite
de 'Abdullâh Ibn 'Abbâs
La Défection de 'Aqîl
Les Plans
des Khârijites en vue de se débarrasser des Gouvernants
Attentat contre la Vie de Mu'âwiyeh
Attentat contre la Vie
de 'Amr Ibn al-'Âç
Attentat contre la Vie de 'Alî
Les Présages de
'Alî relatifs à sa Mort
La Mort de 'Alî en l'An
40 H.
L'Oeuvre Littéraire de 'Alî
Des Anecdotes de la Vie de 'Alî
Une Décision Ingénieuse
de 'Alî
Quelques hadiths
relatifs aux mérites de 'Alî, tirés de "Târîkh
al-Kholafa'" de
Jalâl-ul-Dîn
As-Suyûtî
L'EXPÉDITION DE WÂDI-L-RAMAL OU DE THÂT-AL-SALÂSIL.
L'EXPÉDITION DE TABÛK.
L'ANNONCE DE LA SOURATE AL-TAWBAH. LES CHRÉTIENS DE NAJRÂN,
ET D'AUTRES EVÉNEMENTS SURVENUS AU COURS DE LA NEUVIÈME ANNÉE
DE L'EMIGRATION
La Soumission des Banî Thaqîf
Après la soumission et la conversion des Banî Hawâzin
et de leur chef, Mâlik B. 'Awf, les Banû Thaqîf se virent
entourés de toutes parts par les partisans du Prophète, qui
les considéraient avec mépris et les traitaient d'infidèles.
Ils étaient obligés donc de s'enfermer à l'intérieur
de leurs murs, étant donné que les Banû Hawâzin,
en connivence avec Mâlik, maintenaient un état de guerre incessant
contre eux. Ils finirent par envoyer au mois de Ramadhân de l'an
9 H., une délégation à Médine pour négocier
un compromis.
Le Prophète reçut avec plaisir les délégués,
qui sollicitèrent l'autorisation de leurs pratiques idolâtres,
mais devant le refus du Prophète de leur faire toute concession
sur ce point, ils acceptèrent finalement de se soumettre inconditionnellement
en se ralliant à la nouvelle religion et en abandonnant l'idolâtrie,
Abû Sufiyân B. Harb et Moghîrah, qui avaient exercé
une grande influence sur la tribu furent chargés de détruire
leur célèbre idole, "Al-Lât". Ils partirent en compagnie
de la délégation. A leur arrivée à Tâ'if,
Moghîrah fit tomber l'image par terre et confisqua ses ornements
et bijoux au milieu des cris et des lamentations des femmes.
L'Expédition de Wâdi-l-Ramal ou
de Thât-al-Salâsil
Au début de l'an 9 H., le Prophète reçut un renseignements
selon lequel les tribus habitant Wâdi-1-Ramal projetaient un raid
sur Médine et rassemblaient des hommes et des armes à cet
effet. Aussi envoya-t-il Abû Bakr à la tête d'une année
afin de les ramener à la raison.(192)
La vallée était entourée de collines et d'arbrisseaux
épineux de tous les côtés, ce qui formait un terrain
idéal pour des embuscades. Mis au courant de l'approche de cette
armée, les combattants de la vallée tendirent une embuscade
et attaquèrent la force musulmane avec une telle férocité
que les hommes d'Abû Bakr furent obligés de battre en retraite
après avoir subi de lourdes pertes. Le Prophète envoya par
la suite une autre armée, sous le commandement de 'Omar laquelle
ne se montra guère meilleure que la première. 'Amr Ibn al-'Âç
offrit alors ses services et il fut envoyé à son tour à
la tête d'une armée, mais lui non plus ne put faire mieux
que de revenir bredouille à Médine.
Finalement le Prophète dépêcha 'Alî à
la tête d'une armée qui comprenait notamment Abû Bakr,
'Omar et 'Amr comme capitaines. Au début, 'Alî prit une autre
direction, et après avoir parcouru quelque distance, tourna subitement
vers sa destination à travers une région rocailleuse, marchant
la nuit, campant le jour pour se reposer. 'Amr, Abû Bakr et 'Omar
protestèrent contre les dangers de cette route, mais 'Alî
ne prêta pas l'oreille à leurs protestations et continua sa
marche en avant. Finalement un beau matin, il surprit l'ennemi, et l'armée
musulmane ravagea la vallée et vengea les pertes qu'elles avaient
subies lors des précédentes expéditions.
Le Prophète reçut une révélation qu'on trouve
dans la sourate al-'Âdiyât, et il annonça tout de suite
la victoire de 'Alî à ses Compagnons.(193)
Lorsque 'Alî fut de retour, victorieux, le Prophète sortit
avec ses partisans pour l'accueillir. Voyant le Prophète, 'Alî
descendit de son cheval. Le Prophète lui dit de remonter et l'informa
que ses services étaient approuvés par Dieu et Son Prophète.
'Alî pleura de joie à l'annonce de cette nouvelle. Le Prophète
ajouta: «Si je ne craignais que les gens ne t'attribuent ce que les
adeptes du Christ lui ont attribué, je dirais tellement de choses
sur toi que, où que tu ailles, les gens ramasseraient de la terre
sous tes pieds pour y chercher la guérison».(194)
Cette expédition est connue sous l'appellation de l'expédition
de Thât al-Salâsil. Elle se déroula selon certains historiens
en l'an 8 H.
L'Expédition de Tabûk
C'est au milieu de l'an 9 H. que des Nabatites, venant de Syrie et visitant
les marchés de Médine, firent circuler une rumeur selon laquelle
l'Empereur Romain, Héraclius préparait une armée colossale
en vue de surprendre les Musulmans à Médine.(195)
Ayant appris cette nouvelle, le Prophète se résolut à
affronter l'ennemi sur sa route, et donna des ordres explicites à
ses hommes pour se préparer à cette expédition. La
saison était très chaude et sèche. Les gens ne voulaient
pas entreprendre le voyage. Ayant toutefois rassemblé une armée
forte de dix mille cavaliers et de vingt mille fantassins, il nomma formellement
son lieutenant 'Alî, Gouverneur de Médine et gardien de sa
famille durant son absence.
Dans son livre "Life of Muhammad" p. 170, W. Irving écrit: «Mohammad
nomma alors 'Alî Gouverneur de Médine et gardien de leurs
deux familles. 'Alî accepta le dépôt à contrecur,
étant accoutumé à accompagner toujours le Prophète
et à partager les périls qu'il affrontait. Tous les préparatifs
étant terminés, Mohammad quitta Médine (au mois de
Rajab 9 H.) et commença cette importante expédition. Une
partie de son armée était composée de Khazrajites
et de leurs alliés, conduits par 'Abdullâh B. Obay. Cet homme,
que le Prophète avait bien désigné comme le chef des
Hypocrites, campa séparément avec ses partisans, pendant
la nuit, à une certaine distance derrière le gros de l'armée,
et lorsque celle-ci avança le matin, il resta en arrière
et fit demi-tour en direction de Médine. Se rendant auprès
de 'Alî dont l'autorité dans la ville lui causait un problème
ainsi qu'à ses partisans, il s'efforça de le rendre mécontent
de sa position en alléguant que Mohammad l'avait laissé à
Médine uniquement pour se débarrasser de son encombrement.(196)
Piqué au vif par cette suggestion, 'Alî s'empressa de demander
à Mohammad si ce que disaient 'Abdullâh et ses partisans était
vrai. "Ces hommes, lui répondit-il, sont des menteurs. Ils sont
le parti des hypocrites qui voudrait provoquer une sécession à
Médine. Je t'ai laissé derrière afin que tu les surveilles
et que tu sois le gardien de nos deux familles. Je voudrais que tu sois
par rapport à moi ce que fut Aaron par rapport à Moïse,
à cette différence près que tu ne peux pas être
comme lui, un prophète, puisque je suis le dernier des Prophètes".(197)
Ayant eu cette explication, il revint content à Médine. Beaucoup
de gens ont déduit de ces propos que le Prophète désignait
par là 'Alî comme son Calife ou Successeur, en tenant compte
de la signification des termes arabes utilisés pour dénommer
le rapport d'Aaron à Moïse».
L'armée continuait à avancer. Le voyage était fatiguant,
car l'eau se faisait rare sur la route. Et comme on était en été,
la chaleur du soleil et du sable brûlant était insupportable
pour la tête et les pieds des soldats. Après un voyage difficile
de sept jours, l'armée arriva à la vallée fertile
de Hejer où vivait jadis le peuple rebelle et impie de Thamûd
qui fut détruit sous la colère divine. Elle commença
à faire halte sur les pâturages verts, à puiser de
l'eau dans les sources fraîches et à préparer le repas.
Mais dès que le Prophète - qui marchait habituellement
à l'arrière de l'armée fut arrivé sur le lieu,
il interdit aux combattants de faire halte dans cet endroit maudit et ordonna
que personne ne boive de l'eau, ni n'en utilise pour l'ablution, et que
la pâte qu'ils avaient pétrie pour leur pain soit donnée
aux chameaux. Ils obéirent tout de suite à l'ordre et reprirent
la route pour ne s'arrêter quelque part, la nuit venue, que lorsqu'ils
se trouvèrent très souffrants en raison du manque d'eau.
Toutefois, le lendemain matin, à leur grande surprise, une averse
abondante, survenue après la prière faite par le Prophète
à cet effet, compensa la perte des puits de Hejer et ressuscita
les hommes et les animaux. Quittant le lieu pour poursuivre leur marche,
ils arrivèrent à Tabûk, une ville située à
mi-chemin entre Médine et Damas, sur la frontière sud de
l'ancien Edom, à dix étapes de Médine.
Là, ils découvrirent que la rumeur qui avait été
à l'origine de cette expédition était fausse. Le Prophète
donna l'ordre de faire halte à cet endroit, ne voulant pas aller
plus loin. Il envoya ses capitaines avec un petit détachement pour
reconnaître la région environnante et pour inviter les chefs
de ce territoire et leurs peuples à l'Islam. Il resta vingt jours
à Tabûk. Durant cette période, plusieurs clans juifs
et chrétiens embrassèrent l'Islam et professèrent
leur adhésion au Prophète.
Certains offrirent de payer un tribut annuel en signe de soumission
à son autorité. Donc, l'expédition n'était
pas tout à fait inutile. La presque totalité du nord de la
Péninsule était désormais soumise. Après les
vingt jours de halte à Tabûk, le Prophète entama le
chemin du retour vers Médine, qu'il atteindra au mois de Ramadhân.
Conspiration contre la Vie du Prophète
Sur le chemin de retour de Tabûk, le Prophète avait à
traverser 'Aqabah Thî Fetaq. Il ordonna à ses hommes de ne
pas prendre ce passage avant qu'il ne le traverse lui-même.(198)
Pendant la nuit, alors qu'il traversait 'Aqabah sur son chameau, guidé
par Hothayfah B. al-Yaman qui tenait la bride à la main, et 'Ammâr
Ibn Yâcir qui le poussait par derrière, un soudain éclair
de lumière leur fit voir quatorze ou quinze hommes s'avancer vers
eux. Hothayfah poussa un cri d'alarme et le Prophète accosta durement
les intrus qui prirent la fuite. «Et ils avaient combiné
ce qu'ils n'ont pas pu réaliser». (Sourate al-Tawbah,
9: 74).
«Les commentateurs nous informent que quinze hommes avaient projeté
l'assassinat de Mohammad lors de son retour de Tabûk, en le poussant
de son chameau vers un précipice, pendant qu'il traversait la nuit
sur son chameau la plus haute partie de 'Aqabah. Mais alors qu'ils s'apprêtaient
à exécuter leur dessein, Hothayfah qui suivait et conduisait
le chameau du Prophète, tiré par 'Ammâr B. Yâcir,
ayant entendu le bruit des pas de chameaux et le cliquetis d'armes, donna
l'alerte, ce qui les fit fuir» ("Sale").
Le Prophète demanda à Hothayfah s'il les avait reconnus.
Il répondit par la négative. Le Prophète dit alors
que ces hommes avaient projeté de l'assassiner en terrifiant son
chameau afin qu'il le jette du haut de la falaise escarpée, et qu'ils
resteraient des hypocrites jusqu'au dernier jour. Il donna le nom de chacun,
accompagné du nom du père, tout en interdisant strictement
à Hothayfah de divulguer leur secret. Hothayfah lui exprima son
désir de les voir tous décapités, mais le Prophète,
refusant cette suggestion, dit: «Les gens vont dire que Mohammad
ayant obtenu des victoires avec leur concours veut maintenant les tuer».
Hothayfah fut par la suite connu sous l'appellation du "Possesseur du Secret".
Plus tard, importuné constamment par des adjurations solennelles
du calife 'Omar, Hothayfah semble avoir fini par donner les noms des hypocrites.
Mais étant donné que la liste comprenait d'éminents
Compagnons du Prophète, les historiens et les commentateurs se seraient
abstenus de les rendre publics. Ibn Babawayh (al-Çadûq), un
savant érudit a toutefois divulgué leurs noms que je me garde
de mentionner, par décence.
La Destruction du Masjid al-Dherâr
Alors qu'on était encore à une heure de voyage de Médine,
le Prophète, reçut une délégation des mêmes
hommes de Qobâ qui l'avaient prié, au moment de son départ
pour Tabûk, de consacrer par ses prières leur masjid nouvellement
construit, consécration qu'il avait différée jusqu'à
son retour. Ces hommes étaient revenus voir le Prophète pour
la même commission. Le Prophète ordonna qu'on détruise
le bâtiment et envoya quelques-uns de ses hommes pour porter son
ordre.
En fait, ce masjid avait été construit dans un dessein
hostile ou sectaire comme cela ressort du récit suivant(199):
il y avait un prêtre Khazrajite, Abû 'Amîr, qui était
très versé dans l'Ecriture et savait qu'un Prophète
devait apparaître. Mais ayant refusé cependant de reconnaître
en Mohammad le Prophète promis et étant devenu jaloux de
son influence et de son pouvoir en constante augmentation à Médine,
il avait fui à la Mecque après la victoire du Prophète
à Badr. Il avait rejoint les Mecquois et les avait accompagnés
dans la campagne d'Ohod contre le Prophète. Après le retrait
des Mecquois, il avait fui vers le territoire romain.
Quelques mécontents étaient entrés en communication
avec lui et l'avaient invité à se rendre à sa ville
natale, Qobâ. Là, il avait suggéré de construire
un masjid en vue d'y trouver un refuge et de faciliter les réunions
avec ses associés pour discuter des mesures à prendre contre
le Prophète. Ils avaient donc construit un masjid, et pour attirer
les gens du masjid original de Qobâ, ils avaient demandé au
Prophète de venir le consacrer lui-même en y priant. C'était
au moment où le Prophète se préparait à aller
à Tabûk; c'est pourquoi le Prophète avait différé
l'exaucement de leur désir jusqu'à son retour.
Entre-temps, il avait reçu la révélation suivante
du Ciel: «Et ceux qui ont édifié une mosquée
nuisible et impie pour semer la division entre les croyants et pour en
faire un lieu d'embuscade au profit de ceux qui luttaient auparavant contre
Dieu et contre son Prophète, ceux-là jurent avec force: "Nous
n'avons voulu que le bien!" Mais Dieu témoigne qu'ils sont menteurs».
(Sourate al-Tawbah, 9: 107).
Lorsqu'ils avaient réapparu devant le Prophète pour la
même raison après son retour de Tabûk, il ordonna la
démolition du bâtiment.
La Mort d'Om Kulthûm
Om Kulthflm, la femme de 'Othmân B. 'Affân (qui sera plus
tard le troisième calife) rendit l'âme au mois de Cha'bân
9 H.
La Mort de 'Abdullâh B. Obay, l'Hypocrite
Environ deux mois après le retour du Prophète de Tabûk,
'Abdullâh B. Obay, le chef des Hypocrites à Médine,
mourut au mois de Thil-qa'dah 9 H. après une courte période
de maladie. Sensibilisé par les supplications pressantes du fils
de cet homme, lequel était, lui, un Musulman sincère, prêt
à couper la tête de son propre père par dévotion
pour le Prophète, celui-ci accepta d'accomplir le service funèbre
d'usage et il lui donna sa chemise pour y envelopper le corps, étant
donné qu'il désirait que le corps de son père fût
couvert avec un vêtement porté par le Prophète.
Tout de suite après les prières sur le mort, il reçut
cette révélation: «Demande pardon pour eux ou ne
demande pas pardon pour eux; si tu demandes pardon pour eux soixante-dix
fois, Dieu ne leur pardonnera, parce qu'ils sont absolument incrédules
envers Dieu et Son Prophète. Dieu ne dirige pas les pervers».
(Sourate al-Tawbah, 9: 80).
Le Prophète marcha derrière le cercueil jusqu'à
la tombe et assista aux funérailles. Quelque temps après,
il reçut la révélation qu'on trouve dans la même
Sourate al-Tawbah, verset 84, et qui lui interdit de prier sur le corps
de tout hypocrite et de s'arrêter devant sa tombe.
La Conduite de 'Âyechah et de Hafçah
Les femmes du Prophète formaient deux groupes. D'une part 'Âyechah
et Hafçah, respectivement les filles d'Abû Bakr et de 'Omar,
et de l'autre, toutes les autres. (200)
Tirant davantage de la position de leurs pères auprès du
Prophète, 'Âyechah et Hafçah voulaient exercer leur
influence sur leur mari, et parfois leur attitude envers le Prophète
n'était pas très respectueuse.(201)
Elles lui demandaient tellement de choses qu'il ne pouvait les satisfaire.
Une fois Abû Bakr et 'Omar étaient allés voir le Prophète,
et le voyant assis parmi elles, triste et sombre, chacun d'eux réprimanda
sa fille. Une autre fois, lorsque la part du Prophète dans le butin
d'une guerre fut distribuée, 'Âyechah demanda au Prophète
quelque chose qu'il ne pouvait lui accorder en toute justice. Elle insista
tellement pour obtenir satisfaction que le Prophète devint triste
et déprimé. 'Alî essaya de la raisonner, mais elle
perdit son sang froid et lui parla avec brutalité.
Le Prophète se mit en colère et lui dit qu'il répudierait,
ses femmes dès qu'il ('Alî) en exprimerait le désir.(202)
Une révélation intervint, qui condamnait cette attitude
des femmes du Prophète: «Ô Prophète! Dis à
tes épouses: "Si vous désirez la vie de ce monde et son faste,
venez: je vous procurerai quelques avantages, puis je vous donnerai un
généreux congé». (Sourate al-Ahzâb,
33: 28).
Certaines femmes du Prophète s'abaissèrent même
au niveau de femmes communes et n'hésitèrent pas à
adopter envers leur mari des attitudes qui le mettaient dans le tourment.
Voici quelques exemples de leurs comportements:
a) Zaynab Bint Johach, l'une des femmes du Prophète avait reçu
un peu de miel de bonne qualité comme cadeau. Lorsque le Prophète
se rendit chez elle, elle lui pivpara un breuvage dont on disait qu'il
l'affectionnait. Comme la dilution du miel dans l'eau demandait un certain
temps, le Prophète avait été obligé de rester
plus longtemps que prévu chez elle. Ceci suscita la jalousie de
'Âyechah qui après avoir consulté les membres de son
clan trouva un moyen d'obtenir la disgrâce de Zaynab. Ainsi, lorsque
le Prophète vint chez elle, elle lui laissa entendre qu'une odeur
désagréable de "Maghâfîr" (une substance de mauvaise
odeur) émanait de sa bouche. Il fut incommodé par sa remarque
et répliqua qu'il n'avait pas mangé de "Maghâfir" mais
qu'il avait bu seulement un breuvage à base de miel. Elle dit alors
que les abeilles avaient sucé le jus de la fleur de Maghâfîr
qui avait abouti au miel. La quittant pour se rendre chez Hafçah,
celle-ci lui répéta la même chose. Le lendemain, lorsque
Zaynab lui offrit ce même breuvage, il refusa de le boire.
b) Presque à la même époque, il était arrivé
un jour que Hafçah était allée chez son père
et qu'en son absence le Prophète se trouva avec Marya dans les appartements
de Hafçah.(203) Entre-temps, Hafçah
était rentrée chez elle, et ayant vu Marya dans sa maison
avec le Prophète, elle devint frénétique et se mit
dans une violente colère. Pour la calmer, le Prophète lui
offrit d'abandonner définitivement Marya.
c) Le troisième exemple est un abus de confiance et une divulgation
de secret dont s'était rendue coupable Hafçah vis-à-vis
du Prophète. Le Prophète avait l'habitude de présager
les événements et de relater les troubles qui interviendraient
après sa mort. Un jour, il dit à Hafçah que ce serait
une bonne nouvelle pour elle de savoir qu'après sa mort c'est Abû
Bakr qui assumerait le Califat et qu'après la mort de celui-ci c'est
son père 'Omar, qui lui succéderait. Hafçah sursauta
à cette prédiction mais elle retint vite son émotion.
Le Prophète lui interdit formellement de divulguer le secret. Elle
accepta volontiers, mais dès que le Prophète fut parti, elle
se rendit chez 'Âyechah. Elle la félicita d'abord de s'être
débarrassée de sa rivale, Marya, et elle continua à
parler jusqu'à ce qu'elle mentionnât le secret contre l'ordre
du Prophète. Après ces incidents, le Prophète reçut
les Révélations suivantes:
«Ô Prophète! Pourquoi interdis-tu ce que Dieu
a rendu licite (c'est-à-dire l'abandon de Marya) en cherchant d
satisfaire tes épouses? Dieu est Celui Qui pardonne. IL est Clément.
Dieu vous a autorisés à vous libérer de vos serments,
Dieu est votre Maître! IL est le Connaisseur, le Sage. Lorsque le
Prophète confia un secret (sur le Califat) à l'une de ses
épouses (Hafçah), et qu'elle le communiqua d une autre (
'Âyecheh) et que Dieu en informa le Prophète (de la divulgation
du secret), celui-ci en dévoila une partie et garda l'autre cachée.
Lorsqu'il l'eut avertie (Hafçah) de son indiscrétion, elle
dit: "Qui donc t'as mis au courant?" Il répondit: "Celui Qui sait
tout et Qui est bien informé m'en a avisé". (Il vaudrait
mieux) "Si toutes les deux (Hafçah et 'Âyechah), vous revenez
à Dieu, étant donné que vos curs ont déjà
dévié (de la droiture), mais si vous vous soutenez mutuellement
contre le Prophète, sachez que Dieu est son Maître et qu'il
a pour soutien Gabriel et l'homme juste ('Alî) parmi les Croyants
et même les anges. Il se peut que, s'il vous (Hafçah et 'Âyechah)
répudie, son Seigneur lui donne en échange des épouses
meilleures que vous, soumises à Dieu, croyantes, pieuses, repentantes,
adoratrices, pratiquant le jeûne; qu'elles aient été
déjà mariées ou qu'elles soient vierges».
(Sourate al-Tahrîm, 66: 1-5).
Ces versets constituent une véritable menace de répudiation
adressée aux femmes du Prophète, et on a tendance à
croire que le Prophète eût dû répudier effectivement
ses femmes inconcevables mais que s'il ne l'a pas fait, c'est par compassion,
sachant qu'une fois répudiées, leur vie aurait été
ruinée, car elles n'auraient jamais pu se remarier avec un Musulman.
Le Prophète Se Sépare de ses Femmes
pendant un Mois
Le Prophète ayant été ainsi informé de l'attitude
de 'Âyechah et de Hafçah, fut attristé et de mauvaise
humeur. Il jura de se séparer par conséquent, pendant un
mois, de ses femmes et s'enferma dans un appartement isolé de son
Masjid désignant Rabah, l'un de ses serviteurs, pour veiller à
la porte pour empêcher toute intrusion. Une rumeur se répandit
dans la ville laissant entendre que le Prophète avait répudié
ses femmes.
Toutes les autres femmes devinrent très tristes en entendant
cette nouvelle. 'Omar fut très inquiet à propos de sa fille,
Hafçah, qui était la cause de tous ces troubles. Aussi tenta-t-il
à plusieurs reprises de s'approcher du Prophète, mais le
surveillant ne lui permit pas de le faire. Finalement, un jour, 'Omar trouva
un moyen de se faire admettre, en parlant à haute voix au portier
(pour que le Prophète puisse l'entendre) pour qu'il demande au Prophète
la permission d'entrer et l'informant en même temps qu'il ne recommanderait
pas un pardon pour Hafçah et qu'il était prêt à
la tuer carrément si le Prophète en exprimait le désir.
Le Prophète entendit la voix et ordonna au portier de laisser
entrer 'Omar. Ayant obtenu audience, 'Omar évoqua des sujets qui
firent rire le Prophète. A la fin, constatant que le Prophète
était de bonne humeur, 'Omar lui demanda s'il avait vraiment répudié
ses femmes. Le Prophète lui ayant répondu par la négative,
'Omar sortit pour annoncer publiquement la nouvelle.
Un mois s'étant écoulé, le Prophète reprit
contact avec ses femmes. En le revoyant, 'Âyechah fit remarquer que
sa séparation avait duré seulement vingt-neuf jours et non
un mois comme il l'avait juré. La réponse qu'elle reçut
était que le mois consistait en vingt-neuf jours seulement.
L'Annonce de la Sourate al-Tawbah
La plupart des pèlerins du Pèlerinage annuel de la Mecque
étaient des païens qui mélangeaient des pratiques idolâtres
avec les rites sacré.(204) Jusqu'ici
le Prophète s'absentait de ces cérémonies, et se contentait,
pendant les années précédentes, du Pèlerinage
Mineur.
La saison sacrée de l'an 9 H. était maintenant proche.
Le Prophète avait reçu à cette époque une Révélation
interdisant aux idolâtres d'accomplir le Pèlerinage après
cette année, (voir les premiers versets de la Sourate al-Tawbah).
Aussi, députa-t-il Abû Bakr au Pèlerinage de la Mecque
afin qu'il promulgue la révélation aux pèlerins. Trois
cents Musulmans accompagnèrent Abû Bakr et vingt chameaux
lui furent donnés afin qu'ils soient sacrifiés pour le Prophète.
Peu après le départ d'Abû Bakr, le Prophète
reçut un Commandement de Dieu, et se conformant à ce Commandement,
il dépêcha 'Alî sur son plus rapide chameau, al-Ghadhbah
en lui donnant l'instruction de rattraper la caravane et reprendre le Livre
(les versets de la Sourate al-Tawbah) à Abû Bakr et de le
signifier lui-même aux pèlerins à la Mecque.
'Alî atteignit la caravane à Araj et, récupérant
d'Abû Bakr le Livre, il se rendit à la Mecque, alors qu'Abû
Bakr retournait démoralisé à Médine et demandait
au Prophète si le fait de lui avoir retiré la mission de
convoyer la Révélation aux gens était vraiment un
Commandement de Dieu. Le Prophète répondit qu'il avait reçu
une révélation en ce sens que personne d'autre que lui-même
ou un membre de sa famille ne devait communiquer la révélation
(selon Hichami), ou (selon al-Tirmithî et al-Nasâ'î)
que personne d'autre que lui-même ou 'Alî ne devait la communiquer.(205)
Arrivé à la Mecque, 'Alî lut à haute voix
vers la fin du pèlerinage, le grand jour du sacrifice, aux larges
masses de pèlerins, les passages du Coran. Ayant terminé
la lecture, il poursuivit: «J'ai reçu l'ordre de vous expliquer
que:
1. Personne ne devra dorénavant faire les tournées autour
de la Maison Sacrée, tout nu;
2. Tout traité conclu avec le Prophète restera valable
jusqu'à son terme. C'est-à-dire que quatre mois de liberté
sont accordés à tout le monde; passé ce délai,
toute obligation incombant au Prophète prendra fin;
3. Aucun incroyant n'entrera au Paradis;
4. Les pèlerins idolâtres ne devront pas venir au pèlerinage
après cette année.
L'Année des Délégations
Vers la fin de l'an 9 de l'Hégire, des représentants de
toutes les régions d'Arabie affluèrent sans interruption
vers le Prophète à Médine, pour professer l'Islam
et déclarer l'adhésion de leurs tribus au Prophète
(Sourate al-Naçr). La plupart des princes et chefs d'Oman, de Bahrein,
de Yamama et de Bahra firent connaître par lettres et représentants
leur soumission au Prophète et leur conversion à sa Foi.
Le Prophète reçut les représentants avec une gentillesse
marquée, s'entretint avec eux dans un esprit large et les reconduisit
avec de beaux cadeaux et des provisions abondantes pour leur voyage de
retour. Il envoya avec eux ses hommes afin d'apprendre aux gens le Coran
et les doctrines de la Foi, et de collecter les impôts publics. L'un
des membres de la délégation des Banî Hanîfah,
une branche chrétienne des Banî Bakr, qui habitait à
Yamama, représentait "Musaylamah l'imposteur" celui-là même
qui se proclamera prophète plus tard. Les délégations
furent si nombreuses cette année-là que la neuvième
année de l'Hégire est connue comme "l'année des Délégations".
Cet état de choses continua jusqu'à l'année suivante.
Les Chrétiens de Najrân
Cependant les Chrétiens de Najrân restèrent à
l'écart et ne suivirent pas l'exemple des autres populations. Le
Prophète leur envoya alors une lettre, les appelant à sa
Foi. En réponse, ils sélectionnèrent quatorze hommes
- des Evêques et des Prêtres - parmi eux et les dépêchèrent
auprès du Prophète à Médine pour s'informer
sur lui et sur sa Religion et pour se faire une idée de ses mérites.
Arrivés à Médine, ces hommes habillés élégamment
de soie et ornés de bagues en or à leurs doigts saluèrent
le Prophète, mais celui-ci se détourna d'eux et ne répondit
pas à leur salutation.(206) Ils
quittèrent le Masjid, et se plaignant de cet accueil froid, ils
demandèrent à 'Othmân et à 'Abdul-Rahmân
B. 'Awf de leur conseiller ce qu'il convenait de faire. Ces derniers les
conduisirent chez 'Alî qui leur conseilla d'ôter leurs vêtements
de soie et leurs bagues en or, et de retourner ensuite chez le Prophète.
Ils s'exécutèrent et furent reçus par le Prophète
aimablement.
Ils eurent l'occasion de participer à une conférence dont
le sujet concernait entièrement la Seconde personne de la Trinité,
à propos de laquelle ils citèrent des passages des Evangiles,
auxquels le Prophète répondit en leur expliquant que Jésus-Christ
n'était qu'un Prophète. Ils prirent congé du Prophète
en promettant de revenir après avoir étudié ses arguments.
Entre-temps, le Prophète reçut la Révélation
suivante:
«En effet, il en est de Jésus comme d'Adam auprès
de Dieu: Dieu l'a créé de terre, puis il lui a dit: "Sois",
et il fut». (Sourate Âle 'Imrân, 3: 59).
«Si quelqu'un te contredit après ce que tu as reçu
en fait de science, dit: "Venez! Appelons nos fils et vos fils, nos femmes
et vos femmes, nous-mêmes et vous-mêmes: nous ferons alors
une exécration réciproque en appelant une malédiction
de Dieu sur les menteurs".» (Sourate Âle 'Imrân,
3: 61).
Lorsqu'ils réapparurent devant le Prophète, il les informa
du Décret de Dieu, lequel fut admis comme un moyen de mettre fin
à la discussion. On convint de la date et du lieu, un endroit ouvert,
à l'extérieur de la ville, le 24 Thilhajj. Entre- temps,
ils méditèrent attentivement sur les risques qu'ils encouraient
et arrivèrent à la conclusion unanime d'éviter l'appel
de la malédiction de Dieu. Cependant, ils conservèrent le
rendez-vous. Le Prophète, amenant avec lui al-Hassan et al-Hussayn
pour ses fils, Fâtimah, sa fille bien-aimée, pour ses femmes,
et 'Alî, son lieutenant dévoué et son fils adoptif,
pour "nous-mêmes", accomplissant ainsi l'Ordre du Ciel, se présenta
sur le lieu du rendez-vous.
Une grande partie des Musulmans affirment que ce sont seulement ces
membres de la Maison du Prophète, - composant sa famille permanente
ou invariable - que le Prophète aimait beaucoup et qui étaient
distingués du reste de la Ummah pour avoir été déclarés
purifiés (sans péchés ni fautes) par Allâh dans
la Révélation contenue dans le Verset 33 de la Sourate al-Ahzâb.(207)
Remarque: Le pronom personnel de cette partie du verset, du genre
masculin (deuxième personne, masculin, pluriel: "'ankoum" = de vous)
désigne: 'Alî, al-Hassan et al-Hussayn, alors que celui du
genre féminin (pluriel) employé dans la première partie
de ce Verset, s'adresse aux épouses.
Dans son Çahîh, Muslim, citant Sa'd Ibn Abî Waqqâç,
note que lorsque le verset "Appelons nos fils et vos fils, etc... "
(Sourate Âle 'Imrân, 3: 61) fut révélé,
le Messager de Dieu convoqua 'Alî, Fâtimah, al-Hassan et al-Hussayn,
et dit: «Ô mon Dieu! Ce sont ma famille». ("History of
Califat", p. 173, la traduction anglaise de Major Jarret de "Târîkh
al-Kholafâ'" d'al-Suyûtî)
L'apparition solennelle de cette constellation sainte intimida l'Archevêque
et ses hommes.(208) Le verdict de l'Ordalie
les faisait trembler, car ils craignaient la terrible punition s'ils avaient
tort. Aussi firent-ils part de leur désir de ne pas encourir un
tel risque. Le Prophète leur donna alors le choix entre embrasser
l'Islam ou porter les armes contre lui. Ils dirent qu'ils étaient
prêts à payer un tribut annuel sous forme de deux mille cottes
de mailles, d'une valeur d'environ quarante dirhams chacune. Sous ces conditions,
le Prophète leur permit avec bienveillance de retourner chez eux.
L'histoire nous apprend l'existence de nombreuses ordalies similaires,
qui furent familières aux peuples orientaux pendant des siècles
avant et après cette époque.
En choisissant Fâtimah pour l'accompagner dans cette mission,
le Prophète montra aux gens qu'elle était la seule femme
qui avait l'exclusivité de lui appartenir, et qu'aucune de ses épouses
ne pouvait être choisie en vue de l'exécution du Commandement,
et en amenant 'Alî, il entendait spécifier qu'à part
'Alî, personne d'autre parmi ses proches ou Compagnons ne saurait
tenir lieu de l'Ame (le soi-même) du Prophète, dont fait mention
le Commandement de Dieu. Et amenant avec lui les enfants al-Hassan et al-Hussayn,
le Prophète précisa aux gens explicitement qu'ils étaient
ses fils, comme il avait déjà déclaré que Dieu
avait décrété que ses descendants en ligne directe
seraient issus de 'Alî et de Fâtimah et non pas directement
de lui-même.
En résumé, il montra pratiquement aux gens que lui-même,
'Alî, Fâtimah, al-Hassan et al-Hussayn étaient les seules
personnes qui soient à même de tenir la promesse de l'Ordalie,
étant donné qu'ils formaient une partie intégrante
d'une seule et même Lumière Céleste, et dont les appels
à Dieu étaient susceptibles d'être instantanément
exaucés.
LE PÈLERINAGE D'ADIEU DU PROPHÈTE.
SON SERMON A GHADIR KHUM.
LA SIGNIFICATION D'AHL-UL-BAYT EXPLIQUÉE
L'an dix de l'Hégire commença avec l'arrivée de
nouveaux ambassadeurs. Diverses tribus de la côte du Yémen,
de Hadhramawt, et de la côte du Sud, envoyèrent des délégations
pour signifier leur soumission au Prophète et leur adhésion
à sa Foi. Deux chefs de Banî Kindah, de Hadhramawt, en l'occurrence
al-Ach'ath et Walîd offrirent leur propre allégeance et embrassèrent
l'Islam. Ce même Ach'ath rejoindra plus tard la rébellion
qui éclatera après la mort du Prophète, et résistera
avec acharnement à l'adversaire qui aura finalement besoin de renforts.
Il finira toutefois par être fait prisonnier, non sans difficulté,
et envoyé au calife, Abû Bakr, lequel lui pardonnera - malgré
les protestations de 'Omar - après qu'il lui aura renouvelé
son allégeance, et lui offrira sa sur, Um Farwah en mariage. Par
la suite il deviendra Khârijite en se rebellant contre 'Alî.
Ses fils, Mohammad et Ishâq, se feront remarquer dans l'armée
que Yazîd enverra à Karbalâ' pour perpétrer le
massacre de al-Hussayn Ibn 'Alî.
Les Fonctions Missionnaires de 'Alî au
Yémen
Au mois de Rabî' II, de l'an dix de l'Hégire, Khâlid
B. Walîd fut envoyé par le Prophète pour propager l'Islam
parmi le peuple du Yémen. Mais au lieu de rapports de satisfaction
à propos de son séjour de six mois dans ce pays, des plaintes
contre lui parvinrent en grand nombre à Médine.(209)
Le Prophète demanda alors à 'Alî de partir avec
trois cents hommes pour remplacer Khâlid. Le jeune héros exprima
modestement ses réserves sur cette mission auprès de gens
beaucoup plus âgés que lui et plus versés dans l'Ecriture.(210)
Le Prophète mit alors sa main sur la poitrine de 'Alî,
leva les yeux vers le ciel et pria: «Ô Dieu! Délie la
langue de 'Alî et guide son cur». Puis il donna pour la guidance
de 'Alî, en tant que juge, cette règle: «Lorsque deux
parties se présentent devant toi, ne prononce jamais un jugement
en faveur de l'un sans avoir tout d'abord entendu l'autre». Ensuite,
arrangeant avec ses mains la coiffure de 'Alî et lui remettant en
mains propres l'Etendard de la Foi, le Prophète lui fit ses adieux.
'Alî partit donc pour le Yémen où il lut la lettre
du Prophète aux gens, fit des sermons selon la dictée du
Prophète et prêcha les doctrines de l'Islam aux masses. Le
résultat fut un grand succès: en un jour toute la tribu de
Hamadânî embrassa l'Islam. ("Al-Kâmil" d'Ibn Athîr,
vol. II)
'Alî fit un rapport sur le succès de sa mission au Prophète,
lequel, dès la réception de cette grande nouvelle, se prosterna,
le front contre le sol, par révérence pour Dieu et Lui exprima
sa gratitude. D'autres tribus suivirent, l'une après l'autre, l'exemple
des Hamadânî. Certains chefs firent hommage et prêtèrent
serment d'allégeance pour leurs sujets. 'Alî faisait quotidiennement
un rapport sur les progrès de sa mission. Puis, sur ordre du Prophète,
il partit pour Najrân, y collecta les impôts dus et se dirigea
ensuite vers la Mecque pour rejoindre le Prophète dans son dernier
Pèlerinage, au mois de Thilhaj 10 H.
Pour accomplir leur vu, quelque deux cents personnes de Yémen
arrivèrent à Médine, au début de l'an 11 de
l'Hégire, (l'année commence au mois de Moharram) pour présenter
personnellement leur allégeance au Prophète et ce fut la
dernière délégation reçue par lui.
Le Pèlerinage d'Adieu du Prophète
Etant donné que la période du Pèlerinage annuel
s'approchait, le Prophète commença à faire les préparatifs
en vue de son Pèlerinage à la Mecque.(211)
Il invita les gens de toutes les régions de la Péninsule
à se joindre à lui afin qu'ils se familiarisent avec l'accomplissement
correct des différents rites ayant trait aux cérémonies
sacrées. Depuis son émigration à Médine, ce
serait le premier et le dernier Hajj (Pèlerinage à la Mecque)
du Prophète. Cinq jours avant le début du mois de Thilhaj,
le mois du Pèlerinage, le Prophète se dirigea vers la Mecque,
suivi de plus de cent mille pèlerins. Toutes ses femmes, ainsi que
sa fille bien-aimée, Fâtimah, la femme de 'Alî, l'accompagnèrent.
Au cours de ce voyage, Abû Bakr eut un fils de sa femme Asmâ'
Bint Wahab. Il fut appelé Mohammad.
Le Prophète arriva à la Mecque le dimanche 4 Thilhaj de
l'an 10 H. Tout de suite après son arrivée, 'Alî, qui
revenait du Yémen à la tête de ses hommes, rejoignit
le Prophète, lequel sembla très heureux de le revoir, et
lui demanda, en l'embrassant quel vu pour le Pèlerinage il avait
fait. 'Alî répondit: «J'ai fait le vu d'accomplir le
même Pèlerinage que le Prophète quoi qu'il arrive,
et j'ai amené trente-quatre chameaux pour le sacrifice». Le
Prophète s'écria joyeusement: "Allâh-u-Akbar" (Dieu
est le plus grand), et dit qu'il en avait amené soixante-six. Et
d'ajouter qu'il ('Alî) serait son partenaire dans tous les rites
du Pèlerinage et dans le sacrifice. Ainsi, 'Alî accomplit
donc le Grand Pèlerinage avec le Prophète.
Etant donné que les différences, cérémonies
devaient constituer des modèles à suivre dans l'avenir, le
Prophète observa rigoureusement chaque rite, soit conformément
aux Révélations faites à cet égard, soit selon
l'usage patriarcal. Ainsi, lorsqu'on amena les chameaux à offrir
en sacrifice, lui et 'Alî se mirent à abattre conjointement
les cent chameaux qu'ils avaient apportés. Et quand on prépara
un repas avec la viande des chameaux sacrifiés, le Prophète
s'assit avec seulement 'Alî, et personne d'autre, pour le partager.
Les cérémonies du Pèlerinage prirent fin avec le
rasage des chevaux et le coupage des ongles après le sacrifice des
animaux. L'habit du Pèlerinage fut alors ôté et une
proclamation fut faite par 'Alî, monté sur la mule du Prophète,
Duldul, levant les restrictions du Pèlerinage.
A la clôture du Pèlerinage, le Prophète informa
le Calendrier, abolissant l'intercalation trisannuelle et faisant l'année
purement lunaire, consistant en douze mois lunaires, ce qui permit de fixer
le mois du Pèlerinage selon les saisons changeants de l'année
lunaire.
Le Sermon de Ghadîr Khum
Faisant ses adieux à sa ville natale, le Prophète quitta
la Mecque pour Médine le 14 Thilhaj. Sur la route, le 18 Thilhaj,
il ordonna qu'on fasse halte à Ghadîr Khum, une région
aride aux abords de la vallée de Johfa, à trois étapes
de Médine, après avoir reçu la révélation
suivante:
«Ô Prophète! Fais connaître ce qui t'a été
révélé(212) par ton
Seigneur. Si tu ne le fais pas, tu n'auras pas fait connaître Son
Message. Dieu te protégera contre les hommes; Dieu ne dirige pas
le peuple incrédule». (Sourate al-Mâ'idah, 5: 67).
On affirme que le Prophète avait déjà reçu
l'ordre de proclamer 'Alî son successeur et avait remis à
une occasion plus appropriée l'annonce de cette nomination pour
éviter qu'elle soit mal prise.(213)
A présent, ayant reçu ce Commandement, il décida
de l'annoncer sans aucun retard. Aussi fit-il halte sur le lieu même
où il reçut le rappel. Le terrain étant déblayé,
une chaire fut formée de selles de chevaux, et Bilâl, le Muezzin,
s écria à haute voix: «Hayya 'Alâ Khayr-il-'Amal»
(Ô gens, accourez à la meilleure des actions).
Et une fois les gens rassemblés autour de la chaire, le Prophète
se leva prenant à sa droite Ali, dont le turban noir à deux
bouts suspendus sur ses épaules avait été arrangé
par le Prophète lui-même. Le Prophète loua tout d'abord
Dieu, puis s'adressant à la foule, il dit: «Vous croyez qu'il
n'y a de dieu que Dieu, que Mohammad est Son Messager et Son Prophète,
que le Paradis et l'Enfer sont des vérités, que la mort et
la Résurrection sont certaines, n'est-ce pas?»
Ils répondirent tous «Oui, nous le croyons». Il les
informa alors qu'il serait rappelé bientôt par son Seigneur,
puis il prononça cette adjuration:
«Je vous laisse deux grands préceptes dont chacun dépasse
1'autre par sa grandeur: ce sont le Saint Coran et ma sainte progéniture
(dont les membres inéchangeables sont: 'Ali, Fdtimah, Hassan et
Hussayn). Prenez garde dans votre conduite envers eux après ma disparition.
Ils ne se sépareront pas 1'un de l'autre jusqu'à ce qu'ils
reviennent auprès de moi, au Ciel, à la Fontaine de Kawthar».
Et d'ajouter:
«Dieu est mon Gardien et je suis le gardien de tous les croyants».
'Alî Déclaré Successeur du Prophète
Ce disant, il prit la main de 'Alî dans sa main, et la levant
haut, il s'écria:
«Celui dont je suis le maître, 'Ali aussi est son maître.
Que Dieu soutienne ceux qui viennent en aide à 'Ali et qu'IL soit
l'ennemi de ceux qui deviennent les ennemis de 'Ali».(214)
Ayant répété cette proclamation trois fois, il
descendit de la plate-forme dressée et fit asseoir 'Alî dans
sa tente où les gens vinrent le féliciter. 'Omar Ibn al-Khattâb
fut le premier à congratuler 'Alî et à le reconnaître
comme le "Tuteur de tous les croyants".(215)
Après les hommes, toutes les femmes du Prophète ainsi
que les autres dames vinrent féliciter 'Alî. A la fin de cette
cérémonie d'installation, le célèbre verset
suivant du Coran fut révélé au Prophète:
«Aujourd'hui, j'ai perfectionné votre religion et j'ai
parachevé Ma Grâce sur vous; j'agrée l'Islam comme
étant votre Religion». (Sourate al-Mâ'idah, 5: 3).
Le prophète se prosterna en signe de gratitude.
La Signification d'Ahl-ul-Bayt Expliquée
L'expression "ma progéniture" mentionnée dans l'Adjuration
signifie les saintes personnes désignées par le verset coranique
suivant:
«(Ô Prophète!) Je ne vous demande aucun salaire
pour cela, si ce n'est votre affection envers mes proches» (Sourate
al-Chûrâ, 42: 23).
A la révélation de ce verset on avait demandé au
Prophète de nommer les personnes dont l'amour était commandé.
Il nomma: 'Alî, Fâtimah, al-Hassan, al-Hussayn. Les gens le
soupçonnèrent alors d'avoir nommé ses chers proches
afin qu'ils soient considérés avec la crainte et le respect
dus après sa mort.(216)
C'est à propos de la fidélité, de l'amour et l'obéissance
envers ces personnes-là que les gens seront interrogés le
Jour du Jugement, lorsqu'il sera demandé à chacun comment
il s'est conduit envers elles, comment il a défendu leur cause et
comment il a soutenu leurs intérêts.
Ce sont les personnages déclarés purifiés et exempts
de toute impureté. Lorsque le verset coranique: «Ô
vous, les Gens de la Maison! Dieu veut seulement éloigner de vous
la souillure et vous purifier totalement». (Sourate al-Ahzâb,
33: 33) fut révélé au Prophète, il se mit sous
un manteau avec 'Alî, Fâtimah, Hassan et Hussayn, et déclara
que sa Maison (Famille) consistait en ces personnes seulement.
Um Salma, sa femme, dans la maison de laquelle la révélation
était descendue, lui demanda d'être incluse dans le groupe
sous le manteau, mais elle essuya un refus poli. Depuis ce jour-là
ledit groupe reçut le surnom d'Açhdb al-Kisb.(217)
Ce sont ces personnes que le Prophète compara au Bateau de Noé,
dans lequel ceux qui avaient embarqué furent sauvés, alors
que ceux qui avaient cherché secours ailleurs que dans ce Bateau
furent noyés.(218)
Ces personnes faisaient partie intégrante de la Lumière
Céleste dont fut créé le Prophète.
Ce sont ces personnes pour les actions vertueuses desquelles Mohammad
fut félicité par Allah, et en louange desquelles la sourate
al-Dahr fut révélée. (219)Rien
d'étonnant donc à ce que le Prophète ait mis dans
la même balance ces personnalités dépouillées
de fautes et de pêchés et le Livre de Dieu - le Coran - et
qu'il ait déclaré les deux Poids aussi lourds l'un que l'autre.
'Alî était le seul homme qui pouvait prétendre à
une connaissance minutieuse du Coran.
Il proclama tout haut qu'il invitait tout un chacun à lui demander
quand, où et à quelle occasion chaque verset du Coran avait
été révélé au Prophète, et la
fameuse déclaration: «Je suis la Cité du Savoir, 'Alî
en est la Porte» ne peut que confirmer cette affirmation de 'Alî.
Il en était de même pour al-Hassan(220),
al- Hussayn et Fâtimah.
Ce sont ces personnes pieuses qui étaient souvent accompagnées
par les anges.
Bien que le Prophète eût informé solennellement
les gens que la désignation de 'Alî comme "Le Gardien de tous
les croyants", était faite sur Commandement de Dieu, les gens continuèrent
à le soupçonner d'avoir attribué à 'Alî
cette haute position sans avoir reçu un ordre de Dieu dans ce sens.
Un incident survenu quelque temps après que le Prophète
eut fait l'Adjuration mérite d'être mentionné: un homme
nommé Hârith B. No'mân Fihrî (ou Nadhr B. Hârith
selon un autre hadith) refusa de croire le Prophète et le soupçonna
d'avoir fait la proclamation par affection et amour pour 'Alî. Il
alla même jusqu'à invoquer sérieusement la descente
de la colère du Ciel sur lui-même, si ces soupçons
n'étaient pas fondés, prière qui fut rapidement exaucée,
lorsqu'une pierre tomba sur sa tête, le tuant sur-le-champ.
Conclusion en Faveur de 'Alî Tirée
de la Parole du Prophète
Le lecteur se rappelle sans doute les précédentes occasions
lors desquelles le Prophète déclara 'Alî son successeur,
tout d'abord le jour où il se proclama publiquement Messager de
Dieu en disant: «Ô fils de 'Abdul-Muttalib! Dieu n'a jamais
envoyé un Messager sans qu'IL ait désigné en même
temps son frère, son héritier et son successeur parmi ses
proches parents»; et ensuite lorsqu'il déclara que 'Alî
«est à lui ce que Harûn fut à Mûsâ».
Ces propos du Prophète n'étaient pas une simple opinion
personnelle qu'il exprimait, comme en témoignent ces versets coraniques:
«Il ne parle pas selon son désir; mais exprime les Commandements
qui lui sont révélés». (Sourate al-Najm,
53: 3-4).
Cela signifie que lesdits propos étaient conformes aux Commandements
de Dieu. Et cette dernière déclaration faite devant des milliers
de gens était conforme aux précédentes déclarations,
qui n'avaient jamais été retirées ni abrogées
pendant une période d'une vingtaine d'années.
Se fondant sur ce qui précède, une grande partie des Musulmans
considéra 'Alî comme étant sans aucun doute le successeur
choisi et désigné du Prophète depuis le début
de sa mission prophétique. A cette dernière occasion, il
eut la distinction d'être pour les Musulmans ce que le Prophète
était pour eux: à savoir que 'Alî devait être
traité en remplaçant (successeur) du Prophète après
sa mort. Chah Hassan Jaisi, un mystique sunnite a bien expliqué
la signification du terme "Mawlâ" dans sa stance qui peut se traduire
ainsi:
«Vous courez ça et là pour chercher le sens de "Mawlâ".
Eh bien! 'Alî est "Mawlâ" dans le même sens que le Prophète
est "Mawlâ».
QUELQUES IMPOSTEURS.
LA DERNIÈRE MALADIE DU PROPHÈTE, SA DERNIÈRE
PRIÈRE ET SON DERNIER SERMON DANS SON MASJID.
LA MORT DU PROPHÈTE ET SES FUNÉRAILLES.
La Distribution du Yémen
Bazhân, le Gouverneur du Yémen, étant décédé,
le Prophète répartit, en l'an onze (en tenant compte que
l'année commence au mois de Moharram) les nombreuses provinces Hamdân,
Marab, Najrân - qui étaient jusqu'alors unies sous l'autorité
de Bazhân, entre les différents gouverneurs de ce pays. Chahr
eut l'autorisation de détenir le gouvernement de Çan'â'
et du territoire environnant.
Aswad, l'Imposteur
Aswad, un notable riche et influent, rallia à sa cause les nobles
qui étaient insatisfaits de la répartition du Prophète
et qui avaient chassé ses fonctionnaires, lesquels fuirent et cherchèrent
refuge chez les tribus amies les plus proches. Puis il put soumettre la
province de Najrân. S'étant assuré ainsi un grand nombre
de partisans, Aswad se proclama prophète et marcha sur Çan'â',
où il défit l'armée de Chahr, tuant ce dernier et
prenant sa veuve comme épouse.
De vagues nouvelles d'Aswad parvinrent au Prophète, lequel envoya
des lettres à ses fonctionnaires pour qu'ils déposent le
prétendant. Toutefois Aswad était en train de hâter
lui-même sa fin en traitant avec mépris ses officiers à
la bravoure desquels il devait pourtant son succès. La veuve de
Chahr, devenue sa femme, guettait elle aussi l'occasion de venger son ex-mari.
Les fonctionnaires du Prophète engagèrent des négociations
avec les gens mécontents, et il en résulta que l'imposteur
Aswad fut tué la veille du décès du Prophète
à Médine.
Musaylamah, l'Imposteur
A peu près à la même époque, Musaylamah,
un chef de Banî Hanîfah, se proclama prophète à
Yamâmah, il trompait les gens et leur récitait des versets
en affirmant qu'ils lui avaient été révélés
par le Ciel. Cependant aucun de ces versets ne mérite d'être
cité ici. Mais cela ne l'empêchait pas de prétendre
même qu'il était capable de produire des miracles. L'un de
ses miracles consistait à transformer un uf en un flacon très
étroit. La rumeur de cette imposture parvint à Médine,
d'où le Prophète lui envoya une lettre lui rappelant son
serment d'allégeance et lui ordonnant d'adhérer sincèrement
à l'Islam. Musaylamah, dans sa réponse à cette lettre,
tendait à affirmer que lui aussi était Prophète comme
Mohammad et il lui demandait donc de partager la terre avec lui.
Le Prophète, après réception de cette réponse
insolente, lui écrivit: «J'ai reçu ta lettre avec ses
mensonges et inventions contre Dieu. En réalité la terre
appartient à Dieu. IL en fait hériter qui IL veut parmi Ses
serviteurs. Que la paix soit sur celui qui suit le Droit Chemin».
La rébellion de Musaylamah sera étouffée à
l'époque du calife Abû Bakr.
Tulayhah l'Imposteur
Un autre imposteur nommé Tulayhah un chef de Bani Asad, se proclama
lui aussi prophète, à Najd. C'était un guerrier d'une
certaine renommée. Après la mort du Prophète, il se
révolta ouvertement contre l'Islam. Il fut défait et soumis
à l'époque du calife 'Omar.
L'Ordre de l'Expédition vers la Syrie
Vers la mi-Çafar de l'an 12 (calculé en tenant compte
qu'il commence au mois de Moharram) un lundi, le Prophète ordonna
à ses partisans de faire de rapides préparatifs en vue d'une
expédition contre les habitants de Mota, sur le territoire romain,
pour venger les courageux soldats musulmans qui y étaient tombés
en martyrs, dans une récente escarmouche. Le lendemain (mardi),
il désigna un homme, nommé Osâmah, pour le commandement
de l'armée. Osâmah était le fils de Zayd, l'esclave
affranchi du Prophète, tué à Mota, et il n'avait que
dix-sept ou dix-huit ans. Le Prophète demanda à Osâmah
de se dépêcher afin qu'aucune information sur cette expédition
ne parvienne à l'ennemi et que la surprise fût totale. «Surprends-le,
lui dit-il et si le Seigneur t'accorde la victoire, reviens ici sans délai».
Le mercredi, une violente attaque de mal de tête et de fièvre
s'empara du Prophète, mais le lendemain matin (jeudi), il se trouva
suffisamment rétabli pour préparer un drapeau de ses propres
mains, et il le remit à Osâmah, comme drapeau de l'armée.
Le camp fut ensuite installé à Jorf, à cinq kilomètres
de Médine, sur la route de la Syrie. Le Prophète ordonna
à tous ses partisans à Médine, sans excepter ni même
Abû Bakr, ni 'Omar, de le joindre tout de suite. Seul 'Alî,
à qui il avait demandé de rester avec lui, en était
excepté.
Prédiction concernant 'Âyechah
La maladie du Prophète s'aggravait entre-temps. Malgré
cela, pendant quelques jours de sa maladie, il maintint son habitude de
se rendre dans les maisons de ses femmes à tour de rôle.
Un jour, alors qu'il franchissait la porte de 'Âyechah, il entendit
un gémissement: «Ma tête! Aïe, ma tête!».
Il entra et dit: «'Âyechah! C'est plutôt à moi
de crier: "Ma tête! Ma tête!", et non à toi».
Mais elle continua à crier: «Ma tête! Ma tête!».
Puis, dans un effort de tendresse, il lui dit: «Ne désirerais-tu
pas, Ô 'Âyechah, mourir pendant que je suis encore vivant,
afin que je puisse t'envelopper dans un drap, prier sur toi et te déposer
dans la tombe?» Là, 'Âyechah dit malicieusement: «En
fait, je peux te comprendre! Tu veux vivre avec une autre femme à
ma place, après tout ce que tu viens de dire». Le Prophète
sourit à la plaisanterie de 'Âyechah, avec la triste compagnie
d'une douleur aiguë dans sa tête, et partit pour l'appartement
de Maymûnah.(221)
Selon un autre récit; 'Âyechah dit: «Chaque fois
que le Prophète passait devant ma porte, il avait l'habitude de
me dire quelques mots. Maintenant, il passe depuis deux jours sans prononcer
un seul mot. Aussi ai je demandé à ma bonne de mettre mon
oreiller à la porte. J'y pose ma tête bandée, et lorsque
le Prophète passe par là, il entend mes gémissements
et entre pour me parler comme il le faisait précédemment».
Hélas! 'Âyechah n'avait pas pu comprendre la situation.
Elle aurait dû trembler en pensant à son sort ainsi prédit
indirectement par le Prophète. Elle savait qu'il n'était
pas d'assez bonne humeur pour prononcer de tels mots par plaisanterie,
et que la situation ne prêtait pas à une telle plaisanterie
sinistre avec sa femme bien-aimée qui était encore jeune
alors qu'il avait atteint, lui, l'âge avancé de soixante-trois
ans, pas du tout inconscient des prémonitions de sa fin, et souffrant
gravement de maux de tête et de fièvre. La prédiction
se réalisera quelques quarante ans plus tard, lorsque, à
l'époque de Mo'âwiyeh, 'Âyechah sera enterrée
vivante. Elle n'aura pour elle ni toilette mortuaire, ni drap pour l'envelopper,
ni cercueil, ni prière sur son âme.
Dans son "History of Saracens" (p. 375), Simon Ockley, citant une note
de Price, écrit: «Selon un récit, 'Âyechah fut
assassinée sous le gouvernement de Mu'âwiyeh», et de
donner ces détails concernant cette affaire:
«'Âyechah ayant résolument et avec affront refusé
de prêter allégeance à Yazîd, Mu'âwiyeh
la convoqua pour un entretien. Il avait fait préparer un puits ou
un trou très profond dans la partie de la pièce réservée
à sa réception, et il en fit couvrir l'orifice avec des branches
et des nattes de paille. Une chaise fut placée au-dessus de l'endroit
fatal. Lorsque 'Âyechah fut conduite à son siège, elle
s'enfonça dans une nuit éternelle. L'orifice du trou fut
immédiatement rebouché avec des pierres et du mortier».
Ainsi, 'Âyechah fut enterrée sans faste tout comme elle
s'était mariée sans faste.
La Dernière Maladie du Prophète
La fièvre du Prophète revint à la charge dans la
maison de Maymûnah, en s'aggravant et avec des accès occasionnels
d'évanouissement. Toutes ses femmes et tous ses parents se rassemblèrent
pour le voir.(222) On lui conseilla de
ne plus se déranger pour rendre visite à tour de rôle
à toutes ses femmes, comme il le désirait, et de rester tranquille
dans un même endroit pendant sa maladie. La maison de 'Âyechah
fut proposée et admise à ce propos, d'une façon unanime.
Le Prophète, la tête bandée et les vêtements
mis hâtivement autour de son corps, fut conduit à la demeure
de 'Âyechah, soutenu par al-Fadhl, le fils d'al-'Abbâs d'un
côté, par 'Alî son cousin et fils adoptif de l'autre.
Selon le récit fait par 'Âyechah, celle-ci affirme que le
Prophète était soutenu d'un côté par al-Fadhl,
de l'autre par une autre personne.(223)
Elle répugnait à citer le nom de 'Alî, en raison du
sentiment d'inimitié qu'elle éprouvait pour lui.
'Âyechah Espionne les Mouvements du Prophète
Une nuit, alors qu'il se trouvait dans la maison de 'Âyechah,
le Prophète se leva doucement de son lit et sortit dehors.(224)
'Âyechah pensa qu'il allait chez une autre femme et le suivit à
pas de loup jusqu'à ce qu'il arrivât au cimetière de
Baqî' où il pria pour le pardon de ceux qui y reposaient.
Avant qu'il ne retournât, elle se hâta vers sa maison, où
tout de suite après le Prophète arriva. Il devina ce qu'elle
avait fait et l'interrogea. 'Âyechah n'avait d'autre solution que
d'avouer. Il lui dit: «Tu m'as soupçonné d'être
allé chez une autre femme alors que je me suis rendu au cimetière
par obéissance au Commandement d'Allâh».
Selon un autre récit, le Prophète fut suivi par Borayah,
la bonne, envoyée par 'Âyechah pour surveiller le Prophète.
Selon une troisième version de ce fait, c'est Abû Râfi',
le serviteur du Prophète qui l'accompagna. Un quatrième récit
affirme que c'est Abû Muwayhebah qui alla avec lui.
Hâter l'Expédition vers la Syrie
Bien que la maladie du Prophète s'aggravât de jour en jour,
elle ne le confina toutefois pas totalement à la maison. Il maintint
l'habitude d'aller chaque jour au Masjid par la porte de son appartement
donnant sur la cour, pour diriger la prière. Une semaine après
avoir appelé ses hommes à préparer l'expédition
vers la Syrie, il s'aperçut qu'ils ne s'empressaient pas d'aller
au camp de rassemblement à Jorf.
Il était en colère d'entendre les gens dire: «Il
choisit un adolescent pour commander le chef des Muhâjirin».
Un jour, après la prière, il s'assit sur la chaire, la tête
toujours bandée avec une serviette, et s'adressa ainsi à
l'assistance: «Ô vous les hommes! Qu'est-ce que cela veut dire?
On dit que certains d'entre vous grognent contre le fait que j'aie nommé
Osâmah pour le commandement de l'expédition vers la Syrie.
Si vous me reprochez maintenant cette nomination, désormais vous
me blâmerez aussi pour la nomination de son père, Zayd. Je
voudrais que vous le traitiez bien, car il est l'un des meilleurs d'entre
vous. Maudit soit celui qui s'abstient de rejoindre l'armée».(225)
Il demanda ensuite que l'expédition fasse mouvement le plus tôt
possible, et quittant la chaire, il rentra chez lui.
Avertissement aux Muhâjirîn et aux
Ançâr
Un autre jour, toujours après la prière, il dit à
l'assemblée: «Le Seigneur a donné à Son serviteur
le choix de continuer dans cette vie, alors qu'elle est pour lui ténèbres.
Quant à moi, j'ai choisi l'autre vie. Tous les autres Prophètes
moururent avant moi. Vous ne devriez pas vous attendre à ce que
je vive éternellement».
Après un moment de silence, il poursuivit: «Vous les Ançâr!
Traitez bien ceux à qui vous avez donné refuge. Et vous les
Muhdjirîn! Les Ançàr me sont sûrement chers,
car c'est parmi eux que j'ai trouvé refuge. Honorez-les donc et
traitez-les bien».
Puis, il récita la Sourate al-'Açr: «Par le temps!
Oui, l'homme est en perdition, sauf ceux qui croient; ceux qui accomplissent
des uvres bonnes; ceux qui se recommandent mutuellement la Vérité,
ceux qui se recommandent mutuellement la patience», et le verset
24 de la Sourate Mohammad: «Que peut-on attendre de vous, si vous
déteniez l'autorité, sinon semer la corruption sur la terre
et rompre vos liens de parenté». Il mit ainsi en garde
ses Compagnons contre leurs desseins malicieux.(226)
De l'Or Destiné à l'Aumône
Un jour, le Prophète interrogea 'Âyechah sur l'or qu'il
lui avait confié pour qu'elle le gardât.(227)
Il s'agissait de sept dinars, le reliquat d'une somme qu'il avait reçue
pour la distribuer comme aumône. 'Âyechah ayant répondu
qu'elle l'avait chez elle, il lui demanda de le distribuer parmi les pauvres.
Puis il tomba dans un état de semi inconscience. Peu après,
lorsqu'il reprit connaissance, il demanda encore à 'Âyechah
d'offrir l'or en charité. Il réitéra sa demande une
troisième fois mais vainement. A la fin il lui reprit l'argent et
le confia à 'Alî qui le distribua tout de suite aux familles
pauvres.
Le Prophète Empêché de Transcrire
sa Volonté
Le Jeudi précédant sa mort, et alors que beaucoup de ses
principaux Compagnons étaient présents dans la chambre, le
Prophète, étendu sur son lit, demanda qu'on lui apportât
ce qu'il fallait pour écrire quelque chose:(228)
«Apportez-moi du papier et de l'encre afin que je puisse consigner
pour vous un document qui vous évitera de retomber dans l'erreur».
'Omar s'interposa immédiatement ainsi: «L'homme est en
délire. Le Livre de Dieu(229) nous
suffit».
Quelques-uns parmi l'assistance dirent qu'il fallait apporter le nécessaire
pour écrire; d'autres se rangèrent du côté de
'Omar. La discussion s'anima et des voix s'élevèrent très
haut pour contrarier le Prophète. Les dames derrière les
rideaux voulurent fournir le matériel de l'écriture mais
'Omar les rabroua: «Silence! dit-il. Vous êtes comme les femmes
de l'histoire de Joseph. Lorsque votre maître tombe malade, vous
fondez en larmes et dès qu'il va un peu mieux, vous vous mettez
à faire des taquineries».
Ayant entendu ces propos, le Prophète dit: «Ne les grondez
pas: elles valent sûrement beaucoup mieux que vous cependant».
Maintenant quelques personnes se mirent à demander au Prophète
ce qu'il désirait enregistrer.
Mais le Prophète récita sur un ton de colère le
verset 2 de la sourate al-Hujurât(230)
(«Ô vous les croyants! N'élevez pas la voix au-dessus
de celle du Prophète. Ne lui adressez pas la parole d voix haute,
comme vous le faites entre vous, de crainte que vos uvres ne soient vaines,
sans que vous vous en doutiez»). Et dit: «Allez-vous en!
Laissez-moi seul! Car ma condition présente est meilleure que celle
à laquelle vous m'appelez».
Après avoir marqué une pause, il poursuivit: «Mais
faites attention aux trois injonctions suivantes: un, chassez tout Infidèle
de la Péninsule; deux, recevez avec hospitalité les délégations
et offrez-leur le repas avec largesse, de la même façon que
je le faisais». Quant à la troisième injonction, on
dit qu'elle a été oubliée par le narrateur ou que
sa mention a été omise.(231)
Ibn 'Abbâs se lamenta sur l'irréparable perte subie par
les Musulmans ce Jeudi, par suite de l'empêchement du Prophète
d'écrire ce qu'il voulait pour la guidance de ses adeptes. Se rappelant
cet événement, il pleura jusqu'à ce que ses joues
et sa barbe fussent mouillées par ses lamies.
La maladie du Prophète s'aggravait chaque jour un peu plus et
il en était très conscient. L'expédition de Syrie
le préoccupait cependant sérieusement. Il continua à
dire à ceux qui l'entouraient: «Envoyez rapidement l'armée
d'Osâmah».
Abû Bakr Conduit la Prière
C'est un fait admis que jusqu'au soir du Jeudi précédant
son décès, le Prophète continua à aller au
Masjid pour diriger les prières à toutes les occasions. Mais
la nuit de ce Jeudi-là, on dit qu'il ne put présider à
la congrégation.
Il y a beaucoup de hadiths qui affirment que c'est Abû Bakr qui
conduisit la prière de nuit ce jour-là. On dit qu'à
dix-sept reprises, le Prophète recommençant à faire
la prière de la nuit du Jeudi précédant sa mort, et
ne pouvant pas présider à la congrégation au Masjid,
commanda à Abû Bakr de diriger la prière. Il est admis
également que le matin du jour de sa mort, le Prophète alla
au Masjid, s'assit à côté d'Abû Bakr qui présida
à l'assemblée et que lorsque les prières prirent fin,
le Prophète fit un sermon du haut de la chaire avec une voix si
puissante que sa portée dépassa de très loin les portes
extérieures du Masjid.
Voici une tradition concernant ce fait:
«A l'heure de la prière de nuit du Jeudi, le Prophète
donna l'ordre de demander à Abû Bakr de diriger les prières:(232)
'Âyechah dit alors: "Ô Prophète! Abû Bakr a le
cur fragile. Ordonne plutôt que 'Omar dirige les prières".
Le Prophète consentit à cette demande, mais 'Omar en recevant
l'ordre du prophète objecta qu'il ne pouvait pas remplacer Abû
Bakr tant qu'il était présent. Finalement ce fut Abû
Bakr qui dirigea les prières. Dans l'intervalle, le Prophète
se sentant suffisamment rétabli, vint au Masjid. Abû Bakr
ayant vu le Prophète arriver, s'apprêta à regagner
sa place dans l'assemblée, pour laisser le lieu libre pour le Prophète.
Mais ce dernier le retint par ses vêtements et lui ordonna de rester
là où il était et il prit place à côté
de lui, et se mit à réciter alors qu'Abû Bakr dirigeait
la prière».
Ibn Khaldûn dit qu'à dix-sept reprises le Prophète
dirigea de la même manière les prières d'Abû
Bakr en étant assis à côté de lui alors que
la congrégation était dirigée par ce dernier.
Selon une autre tradition, le Prophète avait ordonné à
'Abdullâh Ibn Zam'ah de demander aux membres de la congrégation
de lire eux-mêmes les récitations des prières:(233)
Alors que 'Abdullâh se dirigeait vers le Masjid, 'Omar fut le premier
à le rencontrer. Aussi lui demanda-t-il de diriger les prières.
'Omar se mit alors debout et de sa voix puissante il commença à
réciter la formule préparatoire à la prière,
"Allâhu Akbar". Le Prophète entendant la voix de 'Omar depuis
son appartement s'écria: «Non! Non! Ne laissez personne d'autre
qu'Abû Bakr diriger les prières». 'Omar se retira et
désapprouva la conduite de Zam'ah. Celui-ci reconnut alors que le
Prophète ne lui avait nommé aucune personne en particulier
pour conduire les prières.
Une troisième tradition affirme:(234)
Lorsque l'heure de la prière en assemblée fut arrivée,
le Prophète demanda de l'eau pour faire ses ablutions. Mais essayant
de se lever, ses forces le trahirent au point qu'il commanda qu'Abû
Bakr récite les prières dans la congrégation. Et ayant
donné cet ordre, il s'évanouit. Dès qu'il reprit connaissance,
il demanda si Abû Bakr avait bien reçu son ordre. 'Âyechah
répondit qu'Abû Bakr avait le cur tendre, qu'il pleurerait
et que les gens entendraient difficilement sa voix; bref, que 'Omar conviendrait
mieux, s'il recevait l'ordre de diriger les prières. Mais le Prophète
réitéra l'ordre qu'Abû Bakr récite les prières
à la congrégation. 'Âyechah recommanda encore 'Omar
pour cette tâche, mais le Prophète voulait que personne d'autre
qu'Abû Bakr ne fasse les récitations. Ensuite, sur l'insistance
de 'Âyechah, on exhorta le Prophète à autoriser 'Omar
à présider à la congrégation. Contrarié
et irrité, le Prophète s'exclama: «Vraiment vous êtes
pareils aux femmes stupides de l'histoire de Joseph! Faites exécuter
tout de suite l'ordre que j'ai donné». L'ordre fut donné
et Abû Bakr se mit à réciter le Takbîr. Dans
l'intervalle, le Prophète ayant récupéré ses
forces, était venu au Masjid, soutenu par 'Alî et 'Abbâs.
Lorsqu'Abû Bakr entendit le bruissement des vêtements du Prophète,
il s'apprêta à revenir en arrière pour se ranger parmi
la congrégation, mais le Prophète lui ordonna de rester à
sa place et il s'assit à côté de lui. Ainsi, dans la
prière, Abû Bakr fut dirigé par le Prophète
et la congrégation par Abû Bakr.
Selon une tradition, Hafçah avait donné l'ordre à
Bilâl de faire en sorte que son père ('Omar) dirigeât
les prières publiques. A la suite de quoi, Mohammad la réprimanda
et dit: «Elle est comme les femmes de l'histoire de Joseph».
Et d'ajouter: «Dis à Abû Bakr de diriger les prières,
car vraiment, si je n'en fais pas mon député, les gens ne
lui obéiront pas». (K. Wâqidî, p. 145, cité
par W. Muir, op. cit.,vol. IV, p. 266).
«On dit qu'Abû Bakr dirigea les prières pendant trois
jours avant le décès du Prophète. Selon une autre
tradition, il dirigea les prières à dix-sept occasions, ce
qui équivaudrait à trois jours et une partie du quatrième».
(K. Wâqidî, p. 145, cité par W. Muir, vol. IV, p. 264).
Il ressort des différentes traditions précitées
que le Prophète sortit jusqu'au dernier jour de sa vie au Masjid
et dirigea lui-même les prières. Il est raisonnable aussi
de penser, que le Prophète ayant déjà donné
l'ordre à Abû Bakr de partir avec l'armée de Osâmah
et invoqué la malédiction contre qui conque négligerait
d'exécuter l'ordre de rejoindre l'armée n'eût pas pu
en même temps lui donner l'ordre de présider aux Prières
Publiques à Médine - ce qui aurait supposé qu'Abû
Bakr se fût trouvé à Médine, contrairement à
son ordre précédent qu'il ne retira pas jusqu'à sa
mort.
On dit que le droit de présider à une prière publique
était toujours reconnu comme le signe manifeste du chef du pouvoir
séculier. Si Abû Bakr avait été vraiment désigné
pour présider aux Prières Publiques, les Ançâr
qu'on prétend s'être rassemblés à Saqîfah
pour choisir un Calife alors que le corps du Prophète n'avait encore
été ni lavé ni enseveli, n'auraient pas osé
entreprendre si hâtivement cette initiative en infraction avec un
si récent ordre du Prophète, négligeant à ce
point le fait que la prétendue désignation d'Abû Bakr
pour diriger les prières aurait signifié qu'il avait été
investi de l'Autorité Suprême.
Une grande partie des Musulmans infèrent donc d'une manière
probante que l'imamat d'Abû Bakr fut imaginé après
coup afin de justifier son accession au Pouvoir Suprême après
la mort du Prophète.
Un autre jour, le Prophète s'adressa au peuple, après
les prières, dans les termes suivants:(235)
«Frères! Si j'ai causé injustement à quiconque
d'entre vous un mal, je soumets mes épaules d sa vengeance. Si j'ai
calomnié la réputation de quiconque d'entre vous, qu'il vienne
relever mes fautes devant l'assemblée. Si je dois quoi que ce soit
à quiconque, qu'il s'avance pour me réclamer son dû,
le peu que je possède servira d m'acquitter. Je préfère
subir un affront dans ce monde plutôt que dans l'autre». Et
le Prophète d'ajouter: «Je n'ai rendu légal que ce
que Dieu avait rendu légal, et je n'ai interdit que ce que Dieu
avait prohibé».
Un homme sortit des rangs de l'assistance et réclama trois dirhams
qui lui furent payés tout de suite. Après quoi, le Prophète
rentra à la maison.
Dans la nuit du Samedi, la maladie du Prophète prit un tournant
sérieux, et la fièvre, dit-on, ne diminua pas jusqu'au Dimanche
soir. Dimanche, Osâmah sortit de son camp pour recevoir les bénédictions
du Prophète avant son départ pour la Syrie, mais au moment
de sa visite le Prophète était inconscient et évanoui.
Osâmah lui parla, mais le Prophète ne lui répondit
que par un mouvement de la main qu'Osâmah prit entre les siennes.
Puis baisant la main et le front du Prophète, Osâmah retourna
à son camp.
La Dernière Prière et le Dernier Sermon du Prophète
dans son Masjid
Tôt le lundi matin (le jour de Sa mort), le Prophète, toujours
la tête bandée, sortit au Masjid, soutenu par deux hommes.
Après les prières, il fit un court sermon, d'une voix qu'on
entendait au-delà des portes extérieures du Masjid, lequel
était inhabituellement rempli par les gens anxieux qui étaient
venus s'enquérir de son état après la crise de la
nuit précédente.(236)
Dans son sermon, le Prophète dit que les esprits malfaisants
étaient proches et que la plus noire partie d'une nuit noire et
tempétueuse s'approchait. A la fin du sermon, Abû Bakr dit:
«Ô Prophète! Par la Grâce de Dieu, tu es mieux
aujourd'hui!».
Osâmah était lui aussi présent, pour recevoir les
bénédictions du Prophète qui lui dit: «Dépêche-toi
avec ton armée; que la bénédiction de Dieu soit avec
toi». Osâmah retourna au camp et donna l'ordre du départ
le même jour. Abû Bakr revint chez lui à al-Souh.
La Mort du Prophète
Le Prophète regagna sa maison et, exténué, se jeta
sur son lit. Ses forces le lâchèrent rapidement. Il appela
toutes ses femmes près de lui et leur donna les instructions nécessaires
en leur ordonnant de rester tranquilles dans leurs maisons et de ne pas
se montrer dans un état de l'Epoque de l'Ignorance (Sourate al-Ahzâb,
33: 33).(237)
Fâtimah, sa fille bien-aimée pleurait. Il l'appela, la
fit asseoir à côté de lui et chuchota quelques mots
dans son oreille. Elle fondit en larmes. Le Prophète glissa encore
quelques mots dans son oreille et essuya ses larmes avec ses mains. Elle
parut alors réconfortée et sourit.(238)
Puis il appela al-Hassan et al-Hussayn, ses deux fils chéris
qu'il n'avait cessé de caresser dans son giron depuis des années,
voulant les embrasser pour la dernière fois. Al-Hassan posa son
visage sur celui du Prophète et al-Hussayn se jeta sur sa poitrine.
Chacun d'eux se mit à sangloter et à crier avec une telle
amertume que toute l'assistance vit leurs larmes perler dans leurs yeux.
Le Prophète les étreignit et les embrassa avec beaucoup d'affection
et ordonna à toutes les personnes présentes de les traiter,
ainsi que leur mère avec grand amour et respect, exactement comme
il les traitait lui-même (le Prophète avait l'habitude de
se lever et de faire un ou deux pas en direction de Fâtimah chaque
fois qu'il la voyait venir vers lui. Il l'accueillait toujours avec une
joie manifeste. Puis baisant sa main, il la faisait asseoir à sa
propre place).(239)
Ensuite, il appela 'Alî qui prit place près du lit. Le
Prophète lui ordonna de rendre la somme qu'il avait empruntée
à un certain Juif pour couvrir les frais de l'expédition
d'Osâmah, et lui enjoignit d'endurer avec patience et résignation
les troubles auxquels il serait confronté après sa mort.
Il lui demanda de rester patiemment sur son droit chemin menant à
l'autre monde, lorsqu'il constaterait que les gens se trouveraient sur
celui menant vers le monde d'ici-bas.
Le Prophète prit la tête de 'Alî sous son manteau
qui les couvrit tous deux, et ce jusqu'à ce que 'Alî ait sorti
sa tête pour annoncer la mort du Messager de Dieu.(240)
Ibn Sa'd et al-Hâkim ont noté que le Prophète avait
rendu le dernier soupir, sa tête dans le giron de 'Alî ("Madârij
al-Nubuwwah").
Les derniers mots prononcés par le Prophète, selon 'Alî
furent: «La compagnie bénie dans le Ciel. Les prières»,
après quoi il s'est étiré doucement, et puis tout
a été fini. Que la paix éternelle soit sur lui et
sur les membres de sa famille qui se sont sacrifiés pour la cause
de l'Islam et qui nous ont dirigés sur le droit chemin.
Fâtimah, se frappant le visage et se lamentant d'amertume rejoignit
les autres femmes qui gémissaient bruyamment.
C'était à peine midi passé, le Lundi 2 Rabî'
I de l'an onze(241) (calculé en
commençant par le mois de Moharram), que le Prophète rendit
l'âme, à l'âge de soixante-trois ans. Les autres dates
de la mort du Prophète, signalées par d'autres sources sont
le 28 Çafar(242) et le 12 Rabî'
I(243).
Le jour de son décès retenu unanimement est cependant
un lundi.
Selon une tradition, avant la mort du Prophète, quelqu'un avait
demandé la permission de lui rendre visite, alors qu'il se trouvait
dans un état d'inconscience. Fâtimah répondit au visiteur
que le moment ne convenait pas à une telle intrusion. Sans prêter
attention à la réponse, le visiteur avait demandé
encore la permission de se rendre auprès du Prophète, et
Fâtimah lui répondit de la même façon. Il réitéra
sa demande une troisième fois sur un ton si horrible que Fâtimah
en fut terrifiée.
Jibrîl (l'Ange Gabriel) qui était descendu en ce moment-là
pour visiter le Prophète dit à ce dernier: «Ô
Prophète! C'est l'ange de la Mort. Il te demande la permission d'entrer.
Jamais auparavant, il n'a demandé la permission à aucun homme,
et jamais par la suite il ne fera preuve d'une telle sollicitude envers
aucun autre».
Le Prophète demanda alors à Fâtimah de le laisser
entrer.
L'ange de la Mort entra et s'arrêtant devant le Prophète,
dit: «Ô Prophète du Seigneur! Dieu m'a envoyé
à toi et m'a donné l'ordre d'agir selon ton désir.
Ordonne-moi d'arracher ton âme, je le ferai; ou bien ordonne-moi
de la laisser, et je t'obéirai».
Alors, Jibrîl s'interposa: «Ô Ahmad! Le Seigneur te
désire (auprès de Lui)». «Vas-y donc, dit le
Prophète à l'ange de la Mort, et fais ton travail».
Jibrîl fit ses adieux au Prophète dans ces termes: «Que
la paix soit sur toi, Ô Prophète du Seigneur! Ma descente
sur terre se termine avec toi». Le Prophète en décida
ainsi et un gémissement de voix céleste s'éleva du
convoi funèbre invisible.
La nouvelle de la mort du Prophète se répandit vite dans
toute la ville de Médine et les gens affluèrent vers le Masjid
de toutes parts pour savoir la vérité. Abû Bakr se
trouvait dans sa maison, à al-Sonh dans la banlieue de Médine.
'Âyechah envoya Salim B. Abid pour le chercher tout de suite.
'Omar Joue une Scène Bizarre
Entre-temps une scène bizarre se jouait dans le Masjid. En effet,
à peine après la mort du Prophète, 'Omar entra dans
l'appartement du Prophète et enlevant le drap qui couvrait son corps,
regarda fixement les traits du Prophète, lequel semblait tombé
dans un sommeil paisible.
Remettant doucement la couverture sur le corps, il s'exclama: «Le
Prophète n'est pas mort, il est parti auprès de Son Seigneur,
comme l'avait fait avant lui Mûsâ, pour s'absenter pendant
quarante jours. Il retournera parmi nous encore». Brandissant son
épée, il s'écria: «Je couperai la tête
de quiconque oserait dire que le Prophète est mort».
Alors que 'Omar haranguait les gens de cette façon, Abû
Bakr apparut. Il écouta 'Omar pendant un moment, puis emprunta la
porte de l'appartement de 'Âyechah, où il enleva à
son tour le drap couvrant le corps du Prophète, se pencha sur lui
et l'embrassa sur le front. Puis en posant la tête sur ses mains,
il la leva légèrement et scruta les traits du visage minutieusement.
Puis, reposant la tête doucement sur l'oreiller, il s'exclama: «Oui,
doux tu étais dans la vie et doux tu es dans la mort. Hélas
mon maître! Tu es effectivement mort».
Recouvrant le corps, il s'avança et se dirigea tout de suite
vers l'endroit où 'Omar brandissait son épée et haranguait
les gens. «Calme-toi 'Omar! Assieds-toi!» s'écria-t-il.
Mais 'Omar ne l'écouta pas. Il se tourna alors vers l'assistance
et dit: «Avez-vous déjà oublié le verset coranique
qui avait été révélé au Prophète
après le jour d'Ohod: «Mohammad n'est qu'un Prophète;
des prophètes sont morts avant lui. Retourneriez-vous sur vos pas,
s'il mourait ou s'il était tué?» (Sourate Âle
'Imrân, 3: 144). Et ignorez-vous l'autre verset coranique révélé
au Prophète: «Tu vas sûrement mourir, (Ô Mohammad)
et eux aussi vont mourir». (Sourate al-Zomar, 39: 30)».
Et Abû Bakr de poursuivre: «Que celui qui adore Mohammad
sache que Mohammad est vraiment mort, mais que celui qui adore Dieu sache
que Dieu est immortel: IL est vivant et ne meurt pas».
La vérité étant à présent connue,
l'assistance se mit à pleurer à chaudes larmes. On eût
dit que les gens n'avaient jamais eu connaissance auparavant de ces versets
coraniques, puisqu'on dut les leur répéter. 'Omar lui-même,
en les entendant fut frappé d'horreur. Plus tard il dira qu'ayant
entendu Abû Bakr réciter lesdits versets, il se mit à
trembler et s'écroula, et qu'il sut après avec certitude
que le Prophète était vraiment mort.
Om Aymân avait envoyé un messager à son fils Osâmah
à Jorf pour l'informer de la condition critique du Prophète.
Osâmah avait déjà donné l'ordre à l'armée
de se mettre immédiatement en marche et son pied était sur
l'étrier lorsque le messager de sa mère arriva. Abasourdi
par la nouvelle, Osâmah dispersa l'armée et retourna à
Médine précédé par Boraydah B. al-Haçib,
son porte-drapeau qui se dirigea directement vers le Masjid où il
planta l'étendard à la porte de la maison dans laquelle le
Prophète était étendu mort.
Peu après ces péripéties, dans l'après-midi,
un ami vint précipitamment vers Abû Bakr et 'Omar au Masjid
pour les informer que plusieurs notables de Médine s'étaient
réunis dans Saqîfah Banî Sâ'idah et qu'ils étaient
en train d'élire comme dirigeant Sa'd B. 'Obâdah. «Si
vous voulez détenir l'Autorité Suprême, vous n'avez
pas un moment à perdre, et vous devez arriver là-bas avant
que l'affaire soit réglée et que l'opposition devienne dangereuse»,
leur dit-il. Ayant entendu cette nouvelle, Abû Bakr et 'Omar accoururent
à Saqîfah en compagnie d'Abû 'Obaydah et de plusieurs
autres personnes.
Le Lavage Rituel et l'Enterrement du Prophète
Entre-temps, 'Alî, ignorant ce qui se tramait à l'extérieur
était occupé, à l'intérieur de la maison, à
la préparation du lavage du corps du Prophète, en compagnie
de 'Abbâs et de ses deux fils, Fadhl et Qutham, ainsi que d'Osâmah
et Çâleh ou Charqân.
Ayant fermé la porte de l'appartement et arraché un rideau
d'un drap de tissu du Yémen, ils y mirent le corps pour le laver.
'Alî était la seule personne désignée par le
Prophète pour laver son corps (comme il l'avait d'ailleurs prédit
lorsqu'il avait donné le premier bain à 'Alî au moment
de sa naissance) puisqu'il avait dit que tout personne autre que 'Alî
qui regarderait sa nudité serait aveugle sur-le-champ.
Ainsi 'Alî lava le corps et les autres l'aidèrent. Après
le lavage du corps, ils l'amenèrent dehors et ils le revêtirent
des vêtements dans lesquels il était mort. Deux draps de beau
tissu blanc furent enroulés autour du vêtement et au-dessus
de tout cela fut posé un drap de tissu rayé du Yémen.
Puis vint le moment de la prière sur le corps. Tout d'abord les
proches parents, suivis par les Partisans et les Compagnons du Prophète,
entrèrent dans la maison par groupes de dix personnes à la
fois, et prièrent sur lui. Le corps resta ainsi jusqu'au moment
de l'enterrement.
Les gens tombèrent en désaccord quant au lieu d'enterrement
du Prophète. La question fut tranchée par 'Alî qui
affirma avoir entendu le Prophète dire que là où un
Prophète meurt il doit être enterré.
A Médine, il y avait deux fossoyeurs, Abû 'Obaydah al-Jarrâh
qui creusait les tombes des Mecquois et Abû Talhah Zayd B. Sâhel
qui creusait les tombes des Médinois. 'Abbâs envoya un homme
pour les chercher tous les deux. Abû 'Obaydah n'était pas
chez lui, étant donné qu'il se trouvait avec Abû Bakr
et 'Omar à Saqîfah, occupé aux questions du Califat
(la succession du Prophète); donc on ne pouvait pas faire appel
à ses services. Abû Talhah vint et creusa le tombeau du Prophète.
L'enterrement eut lieu le mardi dans la nuit, ou le mercredi, tôt
le matin. Le corps fut descendu dans le tombeau par les mêmes proches
parents qui l'avaient lavé et transporté dehors. 'Alî
fut la dernière personne à quitter l'intérieur du
tombeau. Le Lahad, ou la voûte, une fois refermé, le tombeau
fut rempli de terre arrosée d'un peu d'eau. Les gens quittèrent
alors la tombe et se dirigèrent vers la maison de Fâtimah
pour la consoler dans son deuil.
'Âyechah continua à vivre dans la chambre contiguë
à celle qui abritait le tombeau.
2ème PARTIE
LES SUCCESSEURS DU PROPHÈTE
ABÛ BAKR : LE PREMIER
CALIFE
« 'Alî était le cousin de Mohammad et le mari de
sa fille bien-aimée, Fâtimah. Le droit de succession sur la
base de la consanguinité revenait à 'Alî, dont les
vertus et les services rendus lui donnaient plus d'un titre à la
succession au Prophète. Dans la première explosion de son
zèle, lorsque l'Islam était encore une religion tournée
en dérision et persécutée, il avait été
déclaré, par Mohammad, frère et lieutenant. Depuis
toujours il était dévoué à Mohammad en paroles
et en actions. Il avait honoré sa cause par sa magnanimité
aussi bien qu'il l'avait défendue par son courage». (W. Irving)
«Sa naissance, son alliance et son caractère, qui le plaçaient
au-dessus du reste de ses compatriotes, devaient justifier suffisamment
sa revendication du trône vacant de l'Arabie. Le fils d'Abû
Tâlib était de facto le Chef de la famille de Hâchim,
et le prince héréditaire ou le gardien de la cité
et du temple de la Mecque. La lumière de la prophétie avait
été éteinte, mais le mari de Fâtimah pouvait
s'attendre à l'héritage et à la bénédiction
de la fille du Prophète, car les Arabes avaient parfois accepté
le règne d'une femme, et d'autre part ils avaient souvent vu les
deux petits-fils du Prophète, caressés par lui sur ses genoux,
ou assis sur sa chaire, et présentés comme étant l'espoir
de sa vie et les deux Maîtres de la Jeunesse du Paradis.
»Depuis la première heure de sa Mission jusqu'aux derniers
rites de ses funérailles, le Messager n'avait jamais été
délaissé par cet ami généreux qu'il aimait
à appeler son frère, son lieutenant et le fidèle Aaron
d'un second Moïse». (Gibbon abidged by W. Smith, p. 466)
Les mérites de 'Alî et les paroles prononcées par
le Prophète de Dieu en sa faveur suscitèrent la jalousie
des contemporains. L'ascendance familiale du jeune héros et, plus
encore, les déclarations du Prophète le désignant
comme étant son lieutenant, hissant sa position auprès de
lui au niveau de celle d'Aaron par rapport à Moïse, déplaisaient
à l'aristocratie aisée, désireuse de détenir
elle-même le sceptre. La prééminence des Hâchimites,
qui avait atteint son zénith avec l'avènement de Mohammad
(Que la Paix soit sur lui), était trop incontestable pour être
écrasée.
La mort du Prophète permit à la longue à; l'aristocratie
de s'exprimer, et de raviver par conséquent l'ancienne discorde
tribale. Quelques jours plus tard, 'Omar avoua que Quraych ne pourrait
jamais se réconcilier avec la fière prééminence
de la lignée hâchimite.(1)
Ainsi toute l'aristocratie cherchait à arracher à 'Alî
l'occasion de succéder au Prophète de Dieu, et à détruire
par là même la prééminence des Hâchimites.
A peine le Prophète avait-il fermé les yeux que les adversaires
des Hâchimites, sans même attendre son enterrement, se réunirent
à Saqîfah Banî Sâ'îdah pour discuter de
l'élection de quelqu'un qui assumerait l'autorité du Prophète,
et priver ainsi 'Alî de son droit à la succession.
L'Election à Saqîfah
Alors que l'irréprochable lieutenant du Prophète d'Allâh
était occupé aux préparatifs de l'enterrement du défunt,
les Muhâjirîn de la Mecque et les Ançâr de Médine
faisaient parade de leurs mérites respectifs à Saqîfah.
Les Muhâjirîn réclamaient pour eux la préférence
en raison de leur antériorité dans l'Islam, leur parenté
avec le Prophète et leur émigration avec lui au risque manifeste
de leur vie et de leurs biens. Les Ançâr firent valoir (par
la voix de leur porte-parole, Hobâb) qu'ils avaient autant de droit
que qui que ce fût, vu qu'ils avaient accueilli le Prophète
lorsqu'il avait fui ses ennemis mecquois, qu'ils l'avaient protégé
au moment de l'adversité et qu'ils l'avaient aidé en tenant
tête à ses puissants adversaires, ce qui lui avait permis
en fin de compte d'établir sa force et son autorité éminentes.
Ils alléguèrent(2) même
qu'ils craignaient qu'on se vengeât(3)
d'eux si l'autorité tombait entre les mains de ceux dont ils avaient
tué les pères et les frères en défendant le
Prophète. (Il est à noter ici que c'est dans ce propos que
réside le fond de la tragédie de Karbalâ' dont parlait
Hobâb, un porte parole prudent et à l'esprit alerte, des Ançâr.
Ses craintes s'avéreront justifiées lors du massacre vengeur
de la descendance de 'Alî ou du Prophète - dont un bébé
de six mois - à Karbalâ', et lors des crimes hideux perpétrés
contre les Ançars à Harra). Lorsque Hobâb exprima cette
opinion, 'Omar répliqua avec indignation: «Vous devriez mourir
si le Califat tombait entre les mains de telles gens que vous craignez».
Pour réfuter(4) les revendications
des Ançâr, 'Omar dit: «J'ai désiré moi-même
faire un discours que j'avais spécialement élaboré
dans mon esprit - ayant présumé qu'Abû Bakr manquerait
l'occasion(5) - mais Abû Bakr m'a
arrêté et j'ai pensé alors qu'il n'était pas
convenable de désobéir au Calife deux fois(6)
en une seule journée. Toutefois, à mon grand soulagement,
je l'ai trouvé à la hauteur de la tâche. Il argua que
les Quraych ne niaient pas les services rendus par les Ançâr
pour promouvoir la cause de l'Islam, mais malgré tous ces services
méritoires, ils ne devaient pas croire avoir un titre quelconque
pour aspirer à une entière autorité sur les Quraych.
Concernant les appréhensions dont avait parlé Hobâb,
ils ne devaient pas, dit-il, avoir de telles craintes, surtout en raison
de la possibilité qui leur était offerte de participer au
gouvernement, par le poste de Ministère. Les Ançâr
dirent alors qu'il acceptaient qu'il y eût deux Califes, représentant
les deux parties, pour exercer l'autorité conjointement,(7)
et ils nommèrent même Sa'd Ibn 'Obâdah, leur dirigeant,
pour être leur élu. Mais Abû Bakr et son parti ne pouvaient
d'aucune façon approuver une telle proposition, et persistèrent
à affirmer que le gouvernement devait rester entre les mains des
Quraych, et que les Ançâr devaient se contenter du Ministère.
Abû Bakr "Elu" à la Succession
du Prophète
Les Ançâr ayant refusé de céder, la tension
monta tellement qu'ils faillirent en venir aux coups(8)
lorsqu'Abû Bakr intervint et leur demanda s'ils n'avaient pas entendu
le Prophète dire que "personne d'autre qu'un Quraychite n'est apte
à exercer l'autorité sur les Quraych".
Bachîr B. Sa'd, l'un des Ançâr qui partageait les
vues des Muhâjirîn répondit sur le champ en faveur de
ceux-ci. Encouragé par cette intervention Abû Bakr déclara
avec détermination que jamais les Quraych n'accepteraient qu'un
non-Quraychite les gouvernât, et il s'avança afin qu'ils choisissent
l'un des deux comme Calife.
Là, les Ançâr commencèrent à dire
qu'ils préféreraient prêter allégeance à
'Alî,(9) le meilleur des Quraych.
A ce moment critique 'Omar, perdant patience, s'écria: «Tends
ta main, Ô Abû Bakr! Je te prêterai sûrement serment
d'allégeance». Abû Bakr répondit: «Tu es
plus ferme que moi», en le répétant. 'Omar, tenant
alors la main d'Abû Bakr, dit(10):
«Tu es plus convenable que moi, et tu as sûrement ma fermeté
sans parler de tes autres mérites personnels. Je jure allégeance
envers toi».
Ainsi, 'Omar déclara à haute voix qu'il reconnaissait
Abû Bakr comme Chef, et lui fit serment de fidélité.
Abû 'Obaydah et quelques autres Muhâjirîn qui les avaient
accompagnés à Saqîfah suivirent son exemple. Bachîr
et un autre Ançârî de son parti prêtèrent
serment d'allégeance à Abû Bakr et la confusion prit
ainsi fin. Hobâb(11) eut une altercation
avec Bachir pour sa conduite traîtresse en préférant
Abû Bakr à Sa'd B. 'Obâdah, mais avec l'intercession
de certains autres Ançâr, la tension fut apaisée.
Sa'd Ibn 'Obadâh, le chef des Ançâr, fut profondément
chagriné d'être évincé de la sorte. Aussi ne
prêta-t-il pas serment d'allégeance à Abû Bakr.
Il quitta par la suite Médine pour se retirer, écuré,
en Syrie où il sera assassiné abominablement,(12)
dit-on, à l'époque du califat de 'Omar, en l'an 15 H.
L'Installation d'Abû Bakr
Ayant obtenu la convention à Saqîfah, Abû Bakr s'assit
le léndemain sur la chaire au Masjid où les gens avait été
rassemblés pour lui prêter un serment d'allégeance
général et pour ratifier l'allégeance prêtée
à Saqîfah afin de prévenir tout revirement. A la vue
de l'assemblée 'Omar était convaincu qu'Abû Bakr assurerait
cette succession sur un pied solide. La deuxième chose était
de prendre garde à une sérieuse rupture qu'il craignait de
la part de 'Alî, si ce dernier obtenait le suffrage des siens de
la même manière(13) dont avait
procédé Abû Bakr à Saqîfah.
C'est pourquoi, avant qu'Abû Bakr ne prenne la parole, 'Omar s'était
montré assez prudent pour prendre les mesures nécessaires
pour mettre en échec toute éventuelle rupture en menaçant
de la peine capitale quiconque ferait ce qu'avait fait Abû Bakr la
veille à Saqîfah, c'est-à-dire obtenir un suffrage
sans le consentement de tous les Musulmans. Debout à côté
de la chaire, 'Omar(14) fut le premier
à s'adresser à l'assemblée.
«Bien que 'Omar eût été le premier à
proposer Abû Bakr à l'assemblée et à le reconnaître
comme Calife, il n'approuva pas par la suite ce choix dont la nécessité
avait été commandée par une conjoncture critique.
Cela
apparaît donc dans ce qu'il dit lui-même à ce propos:
"Je prie Dieu pour qu'IL prévienne les mauvaises conséquences
à craindre d'un tel choix. Aussi quiconque ferait une chose pareille
mériterait la peine de mort, et si jamais quelqu'un prêtait
serment de fidélité à un autre sans le consentement
du reste des Musulmans, tous deux... devraient être mis à
mort». (S. Ockley, "History of Saracens", p. 82, d'Abulfaragius)
Selon Sir W. Muir, 'Omar s'adressa à l'assemblée dans
les termes suivants: «Ô gens! Ce que je vous ai dit hier n'était
pas la vérité. En fait, je trouve qu'il n'est corroboré
ni par le Livre que le Seigneur a révélé ni par la
convention que nous avons faite avec Son Messager. En ce qui me concerne,
j'ai souhaité vraiment que le Messager du Seigneur restât
avec nous encore plus longtemps et qu'il nous ait dit à l'oreille
un mot qui puisse lui sembler bon et nous être un perpétuel
guide. Mais le Seigneur avait choisi pour Son Messager la portion qui est
avec Lui-même de préférence à celle qui est
avec nous. Et vraiment le mot inspiré qui a dirigé notre
Prophète est toujours avec nous. Prenez-le donc pour votre guidance,
et vous ne serez jamais égarés. Et maintenant, vraiment,
puisque le Seigneur a placé l'administration de vos affaires entre
les mains de celui qui est le meilleur d'entre nous, le Compagnon de Son
Prophète, le seul compagnon, le second des deux qui se trouvaient
seuls dans la grotte, levez-vous et prêtez-lui serment de fidélité».
(W. Muir, "Life of Mohammad").
Les gens prêtèrent ainsi un serment d'allégeance
général à Abû Bakr. Ceux qui avaient prêté
serment d'allégeance à Saqifah ratifièrent leur allégeance.
Le
Premier Discours public d'Abû Bakr du Haut de la Chaire
«Citant al-Hassan al-Baçrî, Ibn Sa'd note que lorsqu'on
prêta serment d'allégeance à Abû Bakr, il se
leva et dit: "Et maintenant, je suis chargé de cette autorité,
bien que j'aie une aversion pour elle, et par Allâh! j'aurais été
heureux si quiconque parmi vous avait pu convenir à cette tâche
à ma place; même si vous me chargiez d'agir envers vous comme
l'a fait le Messager de Dieu, je ne pourrais pas l'entreprendre, car le
Messager de Dieu était un serviteur que le Seigneur a honoré
de Son Inspiration et préservé par là-même de
toute erreur, et je suis vraiment un mortel et je ne suis pas meilleur
qu'aucun d'entre vous. Pour cela, surveillez-moi, et lorsque vous aurez
constaté que je suis ferme, obéissez-moi alors, et lorsque
vous aurez remarqué que je dévie du droit chemin, remettez-y
moi. Et je sais qu'un diable m'accapare. Donc, lorsque vous me trouverez
enragé, évitez-moi, car en ces moments-là je ne pourrais
pas écouter vos conseils ou vos bonnes salutations». ("History
of Califat", p. 72, traduc. ang. Major Jarret de "Târîkh al-Kholafâ'"
d'al-Suyûtî)
L'Absence d'Abû Bakr et de 'Omar aux Cérémonies
Funéraires du Prophète(15)
Depuis la mort du Prophète le lundi midi, jusqu'à la dernière
partie de la nuit du mardi au mercredi, Abû Bakr et 'Omar étaient
occupés(16) aux affaires de l'élection
et ne purent donc assister(17) aux cérémonies
de funérailles du Prophète qui avait été enterré
avant qu'ils ne se libèrent pour pouvoir rejoindre ces cérémonies.
En réalité, ils voulurent éviter de rencontrer 'Alî
jusqu'à ce qu'ils s'assurent complètement la mainmise sur
le Califat. Après avoir réussi dans leur dessein, bien au-delà
de leurs prévisions, ils se montrèrent, mais ils étaient
bien entendu, trop tard, les cérémonies étaient déjà
terminées.
Le Père Surpris par l'Election de son
Fils
Dans son "Mustadrak" (Appendice), al-Hâkim, citant Abû Horayrah,
écrit que lorsque le Messager de Dieu mourut, la Mecque fut ébranlée
par un tremblement de terre qui suscita l'interrogation et la réaction
suivante d'Abû Quhâfah (le père d'Abû Bakr): «Que
se passe-t-il?», demanda-t-il. «Le messager de Dieu est mort»,
lui répondit-on. «C'est un événement monumental.
Qui est chargé alors de l'autorité après lui?»
dit-il. «Ton fils», lui fit-on savoir. «Est-ce que les
Banû Abd Manâf et les Banû al-Moghîrah ont consenti
à ce choix?» s'étonna-t-il. «Oui», lui
assura-t-on. «Personne ne démolit ce qui a été
élevé, et personne n'exalte ce qui a été humilié».
("History of Califat", p. 188, traduc. angl. de M. Jarret de "Târîkh
al-Kholafâ'" d'al-Suyûtî)
L'Attitude
de 'Alî après l'Election d'Abû Bakr
Bien que le Califat fût effectivement détenu par Abû
Bakr, il n'en restait pas moins un bon nombre de gens insatisfaits de cette
élection. Ainsi, aucun Hâchimite n'avait été
présent à Saqîah ni lors de la prestation du serment
d'allégeance générale au Masjid.
Zobayr, Miqdâd, Salmân, Abû Thar al-Ghifârî,
'Ammâr Ibn Yâcir, Barra B. Azhab, Khâlid Ibn Sa'îd,
Abû Ayyûb al-Ançârî, Khazimah B. Thâbit
et bien d'autres, tout comme les Hâchimites, s'en tinrent à
l'écart,(18) car étant d'avis
que le droit à la succession du Prophète revenait exclusivement
à 'Alî, ils ne voulurent pas rendre hommage à Abû
Bakr.
'Alî était naturellement chagriné par le tournant
qu'avaient pris les événements, mais il ne bougea pas. S'il
avait eu recours aux armes pour s'opposer à ceux qui n'avaient jamais
osé faire face aux héros des Infidèles, lesquels avaient
été systématiquement vaincus par 'Alî, il les
aurait certainement vaincus, comme en témoigne l'ensemble de sa
vie de combattant mais une telle victoire aurait été obtenue
au détriment de la Religion, laquelle n'aurait pas pu, dans ce stade
précoce de sa vie, survivre à une guerre civile. C'est pourquoi
il s'enferma, en s'armant de patience, chez lui, pour sauvegarder l'intérêt
de l'Islam à l'établissement duquel il avait si longtemps
contribué au risque de sa vie, et il concentra son attention sur
la collection du Coran que d'aucuns pensent qu'il aurait écrit selon
l'ordre de ses révélations. Mohammad Ibn Sîrîn
dit: «Si on pouvait tomber sur ce Livre-là, il aurait été
très instructif». ("History of Califat", p. 188, tradu. ang.
par M. Jarret d'al-Suyûtî, op. cit.)
Le Nom et les
Titres Originels d'Abû Bakr
A l'époque de son élection, Abû Bakr avait environ
soixante ans. Il était le fils d'Abû Quhâfah un Quraychi
éparé dans ses origines au niveau du septième aïeul
de la lignée ou des ancêtres du Prophète. Abû
Bakr était le septième dans la descendance de Taym, le fils
de Morrah, le septième ancêtre du Prophète. Le Clan
auquel il appartenait se dénommait Banû Taym du nom de Taym.
Sa mère Salmâ était une fille de l'oncle de son père,
Saqr. Bien qu'Abû Bakr fût reconnu comme étant l'un
des premiers à se convertir à l'Islam, son père Abû
Quhâfah n'embrassa cette religion que deux décennies après
le début de la mission du Prophète. Le nom originel d'Abû
Bakr avait été 'Abdul-Ka'bah. Il s'appelait également
'Atîq.
«Sa mère n'avait aucun fils survivant, et lorsqu'elle avait
mis au monde Abû Bakr, elle l'amena au temple et s'exclama: "Ô
Déité! Si celui-ci est immunisé contre la mort, alors
donne-le moi". Par la suite il s'appellera 'Atîq, c'est-à-dire
"Libéré"». (Ibid., p. 27)
«Concernant son titre d'Aç-Çiddîq, on dit
qu'il avait été surnommé ainsi à l'Epoque de
l'Ignorance, parce qu'il s'était distingué par son amour
de la vérité". ("Ibn Mondah", p. 28)
Moç'ab B. al-Zabayr et d'autres ont dit que les gens s'accordaient
à lui donner le nom d'Abû Bakr Aç-Çiddîq
(c'est-à-dire "témoin de la vérité"), parce
qu'il s'était empressé de témoigner en faveur du Messager
de Dieu, et qu'il avait adhéré fermement à la vérité...
" (Ibid., p. 25)
A sa conversion à l'Islam, à l'âge de trente-huit
ans, Abû Bakr prit le nom de 'Abd-Allâh. Après le mariage
de sa fille vierge, 'Âyechah avec le Prophète, il s'appela
Abû Bakr (le père de la vierge), celle-ci étant la
seule des femmes du Prophète à s'être mariée
avec lui alors qu'elle était encore vierge tandis que les autres
étaient des veuves.
Les Habitudes
et la Profession d'Abû Bakr
Abû Bakr était un généalogiste versé
dans la recherche de l'ascendance des Arabes, et plus particulièrement
de celle des Quraych. «Ibn 'Asâkir, citant Al-Miqdâd,
note (...) qu'Abû Bakr était connu aussi bien comme un grand
insulteur que comme un grand généalogiste». ("History
of Califat", p. 54, op. cit.)
Abû Bakr avait pris goût au commerce des vêtements.
Le lendemain matin de la prestation de serment d'allégeance qui
lui avait été faite, il se leva et se dirigea vers le marché
avec quelques manteaux sur le bras. 'Omar lui demanda: «Où
vas-tu?» «Au marché», répondit-il. 'Omar
dit: «Est-ce que tu fais cela même après avoir été
chargé de gouverner les Musulmans?» «Et comment donc
ma famille sera-t-elle nourrie?» répliqua-t-il. 'Omar dit:
«Viens! Abû 'Obaydah va t'approvisionner». Et ils allèrent
chez Abû 'Obaydah (le Trésorier du Bayt-al-Mâ1 ou Trésor
Public). On lui y octroya deux mille dirhams, mais il dit: «Augmentez
la somme, car j'ai une famille et vous m'avez employé dans un autre
travail que le mien». On lui donna alors un supplément de
cinq cents dirhams. ("History of Califat", p. 79, op. cit.)
Mais cette somme étant encore insuffisante pour ses dépenses
personnelles et celles de sa famille, on lui accorda une allocation annuelle
de six mille dirhams (ou de huit mille selon d'autres sources) pour les
charges de la maison.(19)
'Alî Soumis à
l'Humiliation
«Abû Bakr envoya 'Omar à la maison de Fâtimah
où 'Alî et quelques-uns de ses amis s'étaient rassemblés,
avec l'ordre de les obliger - par la force s'il le fallait - à venir
lui prêter serment de fidélité. 'Omar allait mettre
le feu à la maison lorsque Fâtimah lui demanda ce que cela
signifiait. Il lui dit qu'il brûlerait certainement la maison s'ils
n'acceptaient pas de faire ce que tout le monde avait fait».(20)
("History of Saracens", p. 83 de S. Ockley)
Connaissant le tempérament de 'Omar, les hommes sortirent de
la maison. Il y avait là, 'Alî, 'Abbâs et Zubayr. S'adressant
aux adversaires, 'Alî dit:
«Ô vous les Muhâjirîn! Vous avez revendiqué
la succession du Prophète de Dieu en mettant en avant vos avantages
sur les Ançâr, soit votre antériorité dans l'islam
et votre lien de parenté avec le Messager de Dieu. Maintenant je
mets en évidence les mêmes avantages que j'ai sur vous. Ne
suis je pas le premier d avoir cru d la Mission du Prophète, et
avant qu'aucun d'entre vous n'ait embrassé sa Religion? Ne suis
je pas plus proche parent du Prophète que vous tous? Craignez Dieu
si vous êtes de vrais Croyants, et n'arrachez pas l'autorité
du Prophète de sa maison pour la faire vôtre».
Debout derrière la porte, Fâtimah s'adressa aux assaillants
ainsi: «Ô gens! Vous avez laissé dernière vous
et pour nous le corps du Prophète, et vous êtes partis pour
extorquer le Califat à votre profit en abolissant nos droits».
Puis elle éclata en sanglots et s'écria, plaintive: «Ô
père! Ô Prophète de Dieu! Les ennuis s'abattent sur
nous si vite après ta disparition, par la volonté du fils
de Khattâb et du fils d'Abû Quhâfah! Comment ont-ils
oublié si vite tes paroles de Ghadîr Khum et ton affirmation
que 'Alî était à toi ce que fut Aaron à Mûsâ!».
Entendant les gémissements de Fâtimah, la plupart des gens
du groupe de 'Omar ne purent retenir leurs larmes et rebroussèrent
chemin.(21) 'Alî fut cependant conduit
chez Abû Bakr, où on lui demanda de prêter serment d'allégeance
à ce dernier.
Il demanda: «Et si je ne lui rends pas hommage?» On lui
répondit: «Par Allâh nous te tuerons si tu ne fais pas
ce que les autres ont fait». Sur ce, 'Alî dit: «Comment!
Allez-vous tuer un homme qui est serviteur du Seigneur et le frère
du Prophète du Seigneur?». Entendant ces propos, 'Omar s'exclama:
«Nous n'admettons pas que tu sois un frère du Prophète
du Seigneur», et s'adressant à Abû Bakr qui avait gardé
le silence jusqu'alors, il lui demanda de se prononcer sur son sort (de
'Alî). Mais Abû Bakr dit que tant que Fâtimah serait
vivante, il ne contraindrait d'aucune manière son mari. 'Alî
put ainsi repartir et il se dirigea directement à la tombe du Prophète(22)
où il s'écria: «Ô mon frère! Tes gens
me traitent maintenant avec mépris et ont tendance à vouloir
me tuer».(23)
Fâtimah Réclame son
Héritage
Fâtimah - la seule enfant survivante du Prophète, et sa
fille très aimée - réclama son héritage de
la propriété qui pouvait lui être lotie dans les terres
de Médine et de Khaybar ainsi que de Fadak. Cette propriété
faisant partie des terres acquises sans 1'usage de la force, son père
(le Prophète) la lui avait donnée pour en vivre, et ce conformément
aux commandements de Dieu (Sourate Banî Isrâ'îl, verset
26).
Mais Abû Bakr refusa d'admettre sa revendication, disant: «Mais
le Prophète a dit: "Nous, le groupe des Prophètes, n'héritons
pas ni ne laissons d'héritage; ce que nous laissons est pour l'aumône"».
Entendant cette affirmation attribuée au Prophète et contraire
à la version du Coran, Fâtimah fut chagrinée et si
mécontente d'Abû Bakr qu'elle ne lui adressera plus la parole
le restant de sa vie. Et lorsqu'elle mourut, six mois après la disparition
de son père, Abû Bakr ne fut pas autorisé, conformément
à sa volonté, à assister à ses funérailles.
Il est significatif de noter qu'Abû Bakr était le seul narrateur
de l'affirmation attribuée ci-dessus au Prophète.(24)
«Abû Bakr était un homme de jugement et de sagesse
dont la circonspection et l'adresse fleuraient parfois la ruse. Son dessein
semble avoir été honnête et désintéressé,
visant le bien de la cause, et guère son propre intérêt».
(W. Irving)
«Abû No'aym, citant Abû Çâleh, écrit
dans son "Holyah" que lorsque les gens du Yémen étaient venus
écouter le Coran à l'époque d'Abû Bakr, ils
se mirent à pleurer, et Abû Bakr dit: "Ainsi nous étions,
mais par la suite nos curs se sont endurcis"». (M. Jarret, "History
of Califat", op. cit.)
Offre d'Ouvrir
les Hostilités, Rejetée par 'Alî
Abû Sufiyân B. Harb vint voir 'Alî et lui dit: «Comment
se fait-il que le plus insignifiant des Quraych et le plus bas d'entre
eux détienne l'autorité? Par Allâh si tu voulais j'inonderais
Abû Bakr de chevaux et d'hommes».(25)
'Alî lui répondit: «Ô Abû Sufiyân,
tu étais depuis longtemps hostile à l'Islam, mais cela ne
le froissa guère». (M. Jarret, "History of Califat", p. 66,
op. cit.)
Selon le Dr. Weil, Abû Sufiyân et quelques parents de 'Alî
avaient offert à ce dernier de recouvrer ses droits par l'épée,
mais 'Alî, soucieux avant tout de la sauvegarde de l'Islam, rejeta
fermement leurs offres. Quant à Abû Sufiyân étant
un homme puissant, il fut alléché par des perspectives prometteuses
pour ses fils, et son fils Yazîd étant promu plus tard Général
d'une Division des forces armées d'Abû Bakr, il se transforma
en un chaud partisan du Calife.
Abû Bakr Prétend Vouloir Renoncer
au Califat
Après la mort de Fâtimah, lorsqu'Abû Bakr vint voir
'Alî, celui-ci lui reprocha son manque de franchise et de bonne foi
en ayant conduit les affaires de l'élection sans l'en avoir mis
au courant. Abû Bakr, niant l'existence de toute intrigue, dit que
la situation avait exigé qu'il fit rapidement ce qu'il avait fait,
et que s'il avait tardé à le faire, le gouvernement lui aurait
été arraché par les Ançâr. Toutefois,
pour pacifier 'All, il exprima son désir de se décharger
du Califat en sa faveur.
La date et le lieu de la déclaration publique de ce Renoncement
furent fixés. Ils devraient avoir lieu au Masjid lors des prières
de midi. Au moment de l'exécution, Abû Bakr monta sur la chaire,
et demanda à l'assemblée la permission de se retirer et de
transférer sa charge à une personne plus méritante.
Et pour conclure, il dit: «Retirez de moi votre allégeance,
car je ne suis pas le meilleur tant que 'Alî est parmi vous».
Les gens n'étaient évidemment pas préparés
à accepter une telle proposition, faite si brusquement. 'Alî
n'était disposé à provoquer aucun trouble. Aussi se
retira-t-il chez lui. Il est cependant certain qu'il n'avait pas prêté
serment d'allégeance à Abû Bakr, au moins, comme certains
l'affirment, jusqu'à la mort de Fâtimah.
L'Admonestation Faite par
al-Hassan
Selon une tradition, al-Hassan, le fils de Alî, était allé
voir un jour Abû Bakr qui se trouvait alors assis sur la chaire du
Messager de Dieu, et il lui dit: «Descends de ce siège de
mon père». Abû Bakr lui répondit: «Tu dis
vraiment la vérité car c'est bien le siège de ton
père», et il le fit asseoir dans son giron et versa des larmes.
'Alî dit à ce propos à Abû Bakr: «Par Allâh,
il (al-Hassan) n'a pas fait cela sur mon ordre». Abû Bakr répondit:
«Ce que tu dis est vrai, par Allâh, je ne t'ai pas soupçonné».
(M. Jarret, "History of Caifat", p. 81, op. cit.)
Quelques Récits
du Califat d'Abû Bakr
N'étant ni 1'héritier légal du Prophète,
ni même considéré comme un membre de son clan (les
Hâchimites), Abû Bakr n'était pas reconnu universellement
comme le successeur légitime du Prophète. Par conséquent,
beaucoup de tribus de la Péninsule Arabe cessèrent de régler
la zakât payable au gouvernement. Les légats du Prophète,
les collecteurs de zakât furent expulsés; de toutes parts,
des nouvelles parvinrent, qui faisaient état de désaffection
à l'égard du Califat. Il faudrait ajouter à ce motif
d'inquiétude, l'attitude dangereuse des imposteurs Musaylamah et
Tulayhah qui menaçaient la sécurité même de
l'Islam au centre, au nord et à l'est de la Péninsule.
Faisant appel donc, à toutes les forces disponibles, Abû
Bakr, les divisa en onze colonnes indépendantes, commandées
chacune par un dirigeant distingué. Les commandements reçurent
l'ordre de réclamer les provinces auxquelles ils avaient été
assignés. On leur donna comme instructions de sommer, une fois arrivés
à leur destination respective, les apostats de se repentir et de
proclamer leur soumission au Califat. S'ils acceptaient ces conditions,
ils devraient être pardonnés et réadmis en Islam. Et
s'ils les refusaient, ils seraient attaqués, leurs combattants taillés
en pièces, et leurs femmes et enfants pris comme prisonniers. On
devrait faire les Athân (ou l'Appel à la prière) pour
tester la foi des gens de ces provinces. Si ces gens écoutaient
cet Appel et y répondaient, ils ne devraient pas être molestés;
sinon, ils seraient traités en apostats, et attaqués en tant
que tels. Avec ces instructions, Khâlid B. al-Walîd fut envoyé
vers Tulayhah, alors que 'Ikrimah et Charhabh furent désignés
pour punir Musaylamah, Khâlid B. Sa'îd affecté à
la frontière syrienne, Muhâjir au Yémen, 'Alâ'
à Bahrein, Hothayfah B. Mohsen et Arfajah à Mahra.
Tulayhah, l'Imposteur
Député par le Calife, Khalid marcha vers Tulayhah, l'imposteur.
Sa colonne, de loin la plus importante des onze était composée
d'un grand nombre de Compagnons du Prophète la fleur des Muhâjirîn.
Par la suite, les Banî Tay, persuadés par 'Alî, se joignirent
à Khâlid avec mille cavaliers. Ainsi renforcé, le contingent
de Khâlid continua sa marche en avant. La rencontre entre les deux
armées eut lieu à Bozakhah, où après une longue
bataille, Tulayhah prit la fuite avec sa femme et se dirigea vers la Syrie.
Khâlid resta près des Banî 'Âmir pendant un mois.
Les Banû Hawâzin rentrèrent, offrirent leur soumission
et payèrent la zakât.
Mâlik Ibn
Nowayrah et son Sort Cruel
Ayant subjugué les tribus habitant les hauteurs et le désert
du nord-ouest de Médine, Khâlid se dirigea vers le sud pour
s'attaquer aux Banî Yerbi'. Mêlik B. Nowayrah, leur chef, était
un homme d'allure noble, de grande valeur, un excellent cavalier, connu
pour sa générosité et ses vertus princières
ainsi que pour ses talents poétiques. Bref un homme dont toutes
les qualités faisaient l'admiration des Arabes. A tous ces atouts
s'ajoutait l'enviable chance - qui lui sera fatale - d'avoir pour épouse
la plus belle femme de toute l'Arabie célèbre pour sa grâce
royale, appelée, Om Tamim ou Om Motamim ou Layla.
Les hommes de Médine s'opposèrent d'abord au projet, alléguant
que Khâlid n'avait pas autorité pour attaquer les Banî
Yerbi'. Mais pour une raison quelconque, Khâlid y était résolu.
Ainsi il leur répondit hautainement: «Je suis le Commandant,
en l'absence des ordres, c'est à moi de décider. Je marcherai
sur Mâlik Ibn Nowayrah avec les hommes de la Mecque et avec tous
ceux qui choisiront de me suivre. Je n'y obligerai personne». Et
il se mit en marche.
Ayant appris que Khâlid s'approchait à la tête d'une
armée forte de quatre mille cinq cents hommes, Mâlik se résolut
à une soumission immédiate.(26)
Il était au courant de l'ordre d'Abû Bakr, selon lequel quiconque
répondait volontiers à l'Appel à la prière
ou n'opposait pas de résistance ne devrait pas être molesté.
Mais Khâlid traita la région directement en territoire ennemi
et envoya des groupes un peu partout pour tuer et faire prisonniers tous
ceux qui hésitaient à se soumettre.
Parmi bien d autres, Mâlik fut emmené, avec sa femme, comme
captifs. La beauté de cette dernière éblouit les yeux
du rude soldat et durcit son coeur contre son mari. «Refuses-tu de
payer la zakât?» demanda Khâlid sèchement à
Mâlik: «Ne puis je pas prier sans toutes ces exactions?»
lui répondit celui-ci. «La prière sans aumône
n'est pas valable» rétorqua Khâlid. «Est-ce l'ordre
de ton maiître?» dit Mâlik hautainement. «Oui,
mon maître et le tien» hurla Khâlid, furieux. Et d'ajouter:
«Par Allah, tu mérites la mort». «Est-ce là
aussi l'ordre de ton maître?» répliqua Mâlik avec
un sourire de mépris. «Encore! Coupez la tête de ce
rebelle», s'écria Khâlid dédaigneusement.
Ses officiers intervinrent. Abû Qatadah et 'Abdullâh B.
'Omar témoignèrent que Mâlik avait tout de suite répondu
à l'Appel à la prière et qu'il était un Musulman.
La femme, le visage dévoilé et les cheveux ébouriffés,
se jeta aux pieds de Khâlid, implorant pitié pour son mari
qui, remarquant le regard admiratif de Khâlid sur la beauté
charmeuse de sa femme s'écria: «Hélas! C'est là
le secret de mon malheur! Sa beauté est la cause de ma mort!»
«Non! C'est à cause de ton apostasie que Dieu te tue!»
cria Khêlid. «Mais je ne suis pas un apostat! Je professe la
vraie foi», protesta Mâlik.
Toutefois la rage feinte de Khâlid ne put être apaisée.
Aussi donna-t-il le signal de la mort. A peine la profession de foi se
dessina-t-elle sur les lèvres du malheureux, sa tête passa
par le cimeterre de Dharar B. Azwar, un homme aussi brutal que Khâlid.
Khâlid, non content d'une telle brutalité, ordonna que
les têtes des tués fussent jetées dans le feu brûlant
sous les marmites. La tête de Mâlik avait une masse de cheveux
avec des boucles flottantes, ce qui rendit le brûlant du crâne
très difficile.(27) Dans la même
nuit, alors que le sol était encore trempé de sang de Mâlik,
sa femme fut jetée dans l'étreinte lascive de Khâlid.(28)
Elle lui fut remariée un jour ou deux plus tard, sur place, et ce
malgré le délai fixé par le Prophète pour le
remariage d'une veuve.
Plainte auprès
du Calife contre Khâlid
Les gens de Médine qui s'étaient opposés une première
fois à la marche de Khâlid vers Banî Yerbi', et qui
lui avaient fait des remontrances par la suite lors de l'exécution
de Mâlik étaient choqués par le sort cruel qui lui
avait été réservé et éprouvaient du
mépris pour sa conduite après ce meurtre. Abû Qatada
jura qu'il ne servirait plus jamais sous sa bannière. Aussi quitta-t-il
le camp et partit tout de suite à Médine en compagnie de
Motammim, le frère de Mâlik, qui déposa une plainte
formelle auprès du Calife. 'Omar ayant entendu de Qatada et d'autres,
tout sur cette affaire, défendit la cause du chef assassiné.
Il demanda à Abû Bakr de faire lapider Khâlid jusqu'à
la mort pour adultère ou de le faire exécuter pour l'assassinat
d'un Musulman.(29) Mais Abû Bakr
n'ayant pas accepté ces propositions, 'Omar lui suggéra alors
que l'offenseur fût dégradé et enchaîné,
faisant valoir qu'une épée trempée dans la violence
et l'outrage doit être rengainée. Mais Abû Bakr fit
remarquer que Khâlid avait péché plus par erreur qu'intentionnellement.
Il observa également que Wahchî, qui avait tué Hamzah,
l'oncle du Prophète, fut pardonné par celui-ci. Néanmoins,
il somma Khâlid de justifier les charges qui pesaient sur lui.
Le Jugement d'Abû Bakr
Khâlid revint à Médine et, alors qu'il se rendait
chez le Calife dans son habit de champ de bataille, le turban enroulé
grossièrement autour de la tête et orné d'une flèche
représentant son grade de général, il rencontra 'Omar
qui le réprimanda, le traita de meurtrier, d'adultère, et
arrachant la flèche de son turban, la brisa sur ses genoux. Khâlid
ne sachant pas s'il allait être reçu par le Calife de la même
façon, garda son calme et poursuivit son chemin vers Abû Bakr.
Il glissa deux dinars au portier et lui demanda de l'introduire chez le
Calife lorsqu'il serait seul et de bonne humeur.(30)
Une fois chez le Calife, il lui fit son récit des événements,
qui fut accepté par Abû Bakr. Il le blâma seulement
pour avoir épousé la veuve de sa victime sur le champ de
bataille et dans des circonstances que répugnaient aux coutumes
et aux sentiments des Arabes. Lorsqu'il sortit de chez le Calife, il montra
à 'Omar par son attitude qu'il avait été disculpé.
'Omar garda le silence, mais sans croire à son innocence. Il n'oubliera
ni ne pardonnera son atrocité. Lorsqu'il accédera au pouvoir,
la révocation de Khâlid de son poste sera le premier ordre
qu'il donnera.
Fujâ'ah al-Salmî
Fujâ'ah al-Salznî, un chef des Banî Solaym (et selon
Ariza-i-Khawar et Tahthib-al-Matn, un Compagnon du Prophète qui
avait participé à la Bataille de Badr) se présenta
devant Abû Bakr et lui offrit ses services pour soumettre les tribus
avoisinantes déloyales. Il demanda pour ce faire qu'on lui fournisse
les armes et les équipements nécessaires à ses partisans.
Une fois équipé par le Calife, il abusa, dit-on, de la confiance
qui avait été mise en lui, en organisant des expéditions
de pillage contre quiconque présentait pour lui une chance de pouvoir
être pillé, sans chercher à savoir s'il s'agissait
de tribus loyales ou déloyales. Le Calife ayant appris ce qui se
passait, envoya Târiqah B. Hâjiz pour le ramener à la
raison. Fujâ'ah défia son adversaire d'engager des pourparlers,
et affirma qu'il avait lui-même reçu du Calife une mission
similaire à la sienne. Ils finirent par se mettre d'accord pour
comparaître devant le Calife pour s'expliquer.
Ainsi, mettant de côté ses armes, Fujâ'ah partit
pour Médine avec Târiqah. Mais à peine s'était-il
présenté devant le Calife, qu'il fut arrêté
pour être brûlé vif. Il fut conduit immédiatement
à Baqî' où on alluma un grand feu et on l'y jeta.(31)
Abû Bakr, dont on dit qu'il avait un cur tendre, et qu'il était
modéré dans ses jugements et généreux avec
un ennemi désarmé, regrettera par la suite cet acte de sauvagerie
qu'il avait commis. C'était là l'une des trois choses qui
le hantèrent le plus vers la fin de sa vie et dont il disait souvent:
«J'aurais voulu ne l'avoir pas fait».(32)
La
Rébellion à Hadhramawt, Conduite par Ach'ath B. Qays
Ziyâd B. Labîd, le Gouverneur de Hadhramawt, suscita la
haine des Banî Kinda par son âpreté dans le recouvrement
de la Zakât. Un jour il mit la main sur un chameau appartenant à
un certain Yazîd B. Mu'âwiyeh al-Qorê, et refusa de le
rendre
en échange d'un meilleur chameau que Yazîd avait offert. Ce
dernier fit alors appel à Hârith B. Sorâqah, un notable
puissant de la région. Celui-ci prit parti pour Yâzid et demanda
à Ziyâd de restituer le chameau en échange d'un autre.
Ziyâd persista toutefois dans son refus, ce qui exaspéra Hârith
et le poussa à le retirer lui-même du hangar où les
chameaux étaient gardés, et à déclarer sans
détours: «Tant que le Prophète vivait, nous lui avons
obéi. Maintenant qu'il est mort, nous ne sommes enclins à
obéir qu'à son successeur, issu de sa propre famille. Le
fils d'Abû Qohâfah n'a pas le droit de nous gouverner. Nous
n'avons rien à faire avec lui».
Il composa un poème dans lequel il louait la famille du Prophète
et critiquait Abû Bakr, et il l'envoya à Ziyâd. Ayant
remarqué le mépris qu'éprouvaient les gens à
son égard, Ziyâd fuit pour sauver sa vie et chercha refuge
chez les Banî Zobayd, une tribu voisine. Mais ceux-ci le reçurent
froidement et exprimèrent leur sympathie pour les vues de Hârith.
Ils dirent que les Muhâjirîn et les Ançâr avaient
privé l'héritier légal du Prophète de ses droits
parce qu'ils étaient jaloux de la supériorité des
Hâchimites, et qu'il était improbable que le Prophète
n'est pas désigné un successeur parmi sa propre famille.
Estimant qu'il n'était pas en sécurité avec de telles
gens, Ziyâd fuit à nouveau pour chercher refuge chez d'autres
tribus, mais partout il eut droit au même traitement. A la fin, il
prit le chemin de Médine où il fit un rapport détaillé
au Calife sur ce qui se passait. Abû Bakr, alarmé par ce rapport,
mit à sa disposition quatre mille combattants pour subjuguer les
tribus révoltées.
Ziyâd retourna ainsi à Hadhramawt et essaya pendant longtemps,
mais en vain, de récupérer les gens et le pays. Ach'ath Ibn
Qays, le Chef des Banî Kindah, lui opposa une résistance acharnée.
Il est à noter que ce même Ach'ath avait embrassé l'Islam
et prêté allégeance au Prophète en l'an 10 H.
et qu'en outre il était fiancé avec la soeur d'Abû
Bakr, Om Farwah. Ayant été mis au courant des difficultés
dans lesquelles se trouvait Ziyâd, Abû Bakr ordonna à
Mohâjir B. Abî Omayyah et à 'Ikrimah B. Abû Jahl
de partir tout de suite respectivement de Çan'â' et d'Aden
pour porter secours à Ziyâd.
Entouré par l'ennemi, Ziyâd envoya un appel urgent à
Mohâjir pour venir le délivrer. Entre-temps Mohâjir
et 'Ikrimah, partant respectivement de Çan'â' et d'Aden, firent
leurjonction à Marab, et étaient en train de traverser le
désert sablonneux de Sayhad qui les séparait de Hadhramawt.
Prévenu de la situation critique de Ziyâd, Mohâjir se
mit en route précipitamment à la tête d'un escadron
mobile; et ayant rejoint Ziyâd, il se trouva nez à nez avec
Ach' ath qui se réfugia dans le fort de Nojayr que Mohâjir
investit immédiatement. 'Ikrimah le rejoignit rapidement avec le
corps principal de l'armée.
Les deux forces constituèrent une armée suffisamment puissante
dans la région avoisinante. Piquée au vif par la crainte
d'être témoin de la ruine des proches, et préférant
la mort au déshonneur, la garnison se mit en route et combattit
chaque jour autour de la forteresse. Après une lutte désespérée
dans laquelle toutes les voies d'accès à la ville furent
jonchées de morts, la garnison fut refoulée. Entre-temps,
Abû Bakr ayant reçu les nouvelles de la résistance
obstinée des rebelles, donna l'ordre de leur infliger une punition
exemplaire et de ne pas faire de quartier.
La malheureuse garnison, se trouvant face à un ennemi dont le
nombre ne cessait de s'accroître, et alors qu'elle ne voyait aucune
perspective de secours pour elle, fut prise de désespoir. Le rusé
Ach'ath, ayant constaté la situation désespérée,
prit contact avec 'Ikrimah et proposa perfidement de lui livrer la forteresse
s'il acceptait d'épargner la vie de neuf personnes. Les soldats
du Calife entrèrent ainsi dans la ville assiégée,
tuèrent les combattants, et prirent les femmes comme captives. Ach'ath
présenta la liste des neuf personnes à épargner: «Ton
nom n'y figure pas!» dit Mohâjir à Ach'ath, qui avait
oublié, dans sa précipitation, d'inscrire son propre nom
sur la liste. «Dieu soit loué, Qui t'a fait condamner par
ta propre bouche», lui dit Mohâjir.
Après l'avoir enchaîné et alors qu'il (Mohâjir)
était sur le point de donner l'ordre de son exécution, 'Ikrimah
s'interposa et le persuada, à contrecur, de soumettre son cas à
Abû Bakr. Les pleurs des femmes captives voyant le massacre de leurs
fils et de leurs maris accablèrent le traître, qui passait
par là, de malédictions. (Un millier de femmes furent capturées
dans la forteresse. Elles criaient au visage de Ach'ath, à son passage:
«Il sent le feu» (c'est-à-dire, c'est un traître).
Abû Bakr Juge Ach'ath
«Une fois Ach'ath conduit à Médine, Abû Bakr
le traita de pauvre pusillanime qui n'avait ni la force de diriger, ni
même le courage de défendre son peuple et le menaça
de mort. Mais finalement, tenant compte des accords conclus avec 'Ikrimah,
et touché par ses serments que désormais il défendrait
courageusement sa Religion, Abû Bakr non seulement lui pardonna,
mais l'autorisa à se marier avec sa sur (Om Farwah). Ach'ath resta
pendant un certain temps désuvré à Médine.
On entendit un jour Abû Bakr dire que l'une des trois choses qu'il
regrettait d'avoir faites pendant son Califat, c'était d'avoir épargné
la vie de ce rebelle». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir,
p. 57)
«Om Farwah donna à Ach'ath une fille et trois fils. La
fille (Jo'dah) empoisonnera al-Hassan fils de 'Alî, qui mourra des
suites de cet empoisonnement. Deux de ses fils, Mohammad et Is-Hâq
figureront contre al-Hussayn Ibn 'Alî et ses compagnons à
Karbalâ'. Mohammad sera tué par la suite lors de la bataille
opposant l'armée de Moç'ab à celle d'al-Mukhtâr
qui voulait venger l'assassinat d'al-Hussayn».(33)
Expéditions vers des
Pays Etrangers
Les apostats ayant été soumis et récupérés,
et les révoltes écrasées, on put songer à la
conquête de pays étrangers et des expéditions furent
ainsi organisées contre la Syrie et l'Irak. Les Romains furent défaits
à la bataille de Yarmûk, au terme de laquelle une grande partie
de la Syrie fut mise sous domination musulmane, pendant les années
12-13 H. A la même période une grande progression fut réalisée
vers les frontières de la Perse.
La Nomination de Yazîd
Vers la fin de l'année 12 H. (printemps de 634 ap. J. -C.), Yazîd,
fils du tristement célèbre chef des Omayyades, Abû
Sufiyân, fut envoyé en Syrie, à la tête d'un
bataillon constitué après une grande levée à
la Mecque, dans laquelle furent enrôlés beaucoup d'Omayyades
et de célèbres notables de Quraych. Son frère Mu'âwiyeh,
le rejoignit peu après avec son père Abû Sufiyân
et sa sur Howayriyyah ainsi que d'autres membres de la famille.
Il ne serait pas déplacé de noter ici que la suprématie
sur les Hâchimites, tant désirée par les Omayyades
durant des générations et déjà presque réalisée
après la mort d'Abû Tâlib avait été enrayée
par le Prophète après la conquête de la Mecque. A présent,
Abû Bakr, retournant la situation, offrit aux Omayyades une chance
de regagner leurs positions en nommant Yazîd fils de Abû Sufiyân,
Général de Division de ses forces armées, ce qui donna
aux Omayyades une excellente occasion de rétablir leur pouvoir,
une occasion trop belle pour ne pas être avidement saisie par eux,
et un pouvoir trop longtemps désiré pour être relâché
une fois qu'ils l'auront détenu.
Ainsi, très vite, Yazîd s'assurera la haute position du
Gouverneur de Damas (14 H., soit l'été de 634 ap. J. -C.),
sous le Califat de 'Omar. Quelques quatre ans plus tard (18 H., automne
639 ap. J. -C.) lorsque Yazîd ainsi que le Commandant en chef de
Syrie, Abû 'Obaydah, périront par la peste, «'Omar nommera
Mu'âwiyeh, fils d'Abû Sufiyân et frère de Yazîd,
le Chef Commandant de la Syrie, et posera ainsi les fondations de la dynastie
Omayyade». (34)
Abû Bakr, ne voyant que ses propres intérêts immédiats
dans cette nomination, ne tint aucun compte de ses conséquences
déterminantes en défaveur des Hâchimites, les descendants
du Prophète, et Omar, en encourageant la cause des Omayyades, négligea
la rivalité traditionnelle et ignora délibérément
la haine profonde ressentie par les Omayyades envers les Hâchimites
après la bataille de Badr dans laquelle 'Otbah, Chaybah et Walîd,
les grands-pères de Yazîd et Mu'âwiyeh, ainsi que les
éminents dirigeants de Quraych tombèrent sous les coups de
sabres des Hâchimites. Le résultat de l'ascension des Omayyades
sera, très évidemment, comme l'avait prévu et souligné
Hobâb lors de l'élection de Saqîfah, la destruction
de ceux qui avaient tué les Quraychites. Mu'âwiyeh établira
très habilement son autorité, grâce à des manuvres
à long terme, sur toute l'Arabie.
Après sa mort, son fils Yazîd vengera ses proches tués,
et collectera les dettes de sang - qui seront restées impayées
pendant deux générations - chez les descendants du Prophète
à Karbalâ'.
La Connaissance du Coran par Abû Bakr
Abû 'Obaydah, citant Ibrâhîm al-Taymî relate
qu'Abû Bakr avait été questionné à propos
de la Parole du Très-Haut: «Des vignes et des légumes»
(Sourate 'Abasa, verset 28), et qu'il répondit: «Quel ciel
me couvrirait de ses ombres, et quelle terre me nourrirait, si je disais
ce que je ne sais pas du Livre de Dieu». (M. Jarret, "History of
Califat" d'al-Suyûti, op. cit.)
«Al-Bayhaqî et d'autres, citant Abû Bakr, relatent
qu'on l'avait interrogé un jour sur le sens d'al-Kalâlah (Sourate
al-Nisâ', verset 175), et qu'il répondit: Je vais vous donner
une opinion concernant ce mot. Si elle est juste, elle est de Dieu, mais
si elle est erronée, elle est de moi et de l'Esprit malin. Je pense
que ce mot signifie "manque de parent et de descendant". Lorsque 'Omar
fut devenu Calife, il dit: "Je me garde de rejeter ce qu'Abû Bakr
a dit. Al-Zamakh-charî donne à ce mot trois sens dans son
grand Commentaire: l. Quelqu'un qui n'a ni fils ni père vivant;
2. Quelqu'un qui n'a ni père vivant ni aucun descendant; 3. Quelqu'un
qui n'a aucun proche vivant de ligne parentale directe, ni à travers
ses proches enfants. (Voir, "History of Califat" de Major Jarret d'al-Suyûtî,
op. cit.)
Al-Lalakai (Abul-Qâcim Hibat-Ullâh B. Hassan B. Manthur
al-Radhî) relate dans sa "Sunnah", en citant Ibn 'Omar, qu'un homme
était venu voir un jour Abû Bakr et lui dit: «Ne penses-tu
pas que la fomication est prédestinée chez l'homme?»
«Si», répondit-il. L'homme dit alors: «Donc, si
Dieu l'a prédestinée chez moi, va-t-IL m'en punir cependant
?» «Oui, tu es fils d'une femme incirconcise, et par Allâh,
s'il y avait un homme à côté de moi, je lui commanderais
de te ramener à la raison». (Ibid.)
Mâlik et al-Dâr Qutnî, citant al-Qâcim B. Mohammad,
relatent que deux grand-mères, la mère d'une mère
et la mère d'un père, étaient allées voir Abû
Bakr pour réclamer leur héritage, et qu'Abû Bakr accorda
l'héritage à la mère du père. Sur ce, Abdul-Rahmân
B. Sahel, un Ançârî qui avait combattu à Badr
et qui était un associé des Banî Hârith, lui
dit: «Ô Calife du Prophète de Dieu! Ne l'accordes-tu
pas à celle dont on ne pourra hériter lorsqu'elle mourra?»
(Selon la Loi musulmane un petit-fils n'hérite pas de sa grand-mère
maternelle). Ainsi, il divisa l'héritage entre les deux grand-mères.
(Ibid.)
Quelques Récits Concernant Abû
Bakr
Al-Bazzâr (As-Sirar) relate la tradition suivante: Lorsque ce
verset: «N'élevez pas la voix au-dessus de celle du Prophète»
(Sourate al-Hujurât, 49: 2) fut révélé, Abû
Bakr dit: «Ô Messager de Dieu! Je ne m'adressai à toi
qu'avec une voix de décrépit». (Ce verset a été
révélé après qu'Abû Bakr et 'Omar avaient
élevé la voix si haut en parlant au Prophète à
propos de la nomination d'un gouverneur, que leur attitude nécessita
qu'elle fût dorénavant déclarée inadmissible
- Sale).
Al-Dâr Qutnî relate qu'Abû Bakr embrassa une fois
la Pierre Noire et dit: «Si je n'avais pas vu le Messager de Dieu
t'embrasser, je ne t'aurais pas embrassée». (Ibid.)
Ahmad, dans le Zohd, citant Abû Imrân al-Juni, rapporte
qu'Abû Bakr al-Çiddîq dit: «J'aurais voulu être
un cheveu dans le corps d'un serviteur, d'un vrai Croyant». (Ibid.)
Le Prophète dit à Abû Bakr: «Le scepticisme
(Chirk) s'émeut plus furtivement parmi vous que le grimpement d'une
fourmi». ("Izâlat al-Khifâ" (en urdu), vol. II, p. 214)
La Maladie d'Abû Bakr. La Nomination de son Successeur
Au mois de Jamâdî II de l'an 13 H. (634 ap. J. -C.), Abû
Bakr, ayant pris imprudemment un bain alors qu'il faisait très froid,
attrapa la fièvre. Après une maladie d'une quinzaine de jours,
lorsqu'il se sentit trop faible et épuisé, il perdit tout
espoir de se rétablir, et exprima sa volonté de nommer 'Omar
comme successeur pour lui éviter tout risque de perdre l'élection.
Pour ne pas brusquer les gens avec cette décision, il la divulgua
d'abord au cours d'une sorte de consultation avec 'Abdul-Rahmân qui,
en apprenant la nouvelle, fit l'éloge de 'Omar pour ajouter tout
de suite que celui-ci était trop dur. Puis il consulta 'Othmân
qui dit: «'Omar a un fond meilleur que ses apparences». Sur
ce, Abû Bakr dit: «Que Dieu te bénisse, Ô 'Othmân!
Si je n'avais pas choisi 'Omar, je ne t'aurais pas enjambé».
Mis au courant de cette décision (selon "Târîkh al-Khamîs"
et "Rawdhal al-Çafâ"), Talhah et beaucoup d'autres Compagnons
du Prophète abordèrent Abû Bakr et protestèrent
contre cette nomination. Talhah le blâma dans ces termes: «Comment
répondras-tu à ton Seigneur pour avoir laissé Son
peuple à la merci d'un maître aussi sévère que
'Omar». Abû Bakr fut excédé par ces propos et
s'écria: «Relevez-moi!» Et appelant 'Othmân, il
lui dicta sur-le-champ une ordonnance comme suit: «Moi, Abû
Bakr, fils d'Abû Quhâfah, à la veille de l'approche
de ma fin, fais la déclaration suivante de ma volonté aux
Musulmans. Je nomme comme successeur...». Avant de pouvoir terminer
la phrase, Abû Bakr s'évanouit.
'Othmân qui connaissait le nom qu'Abû Bakr prononcerait,
ajouta à la phrasé le nom de "'Omar B. al-Khattâb".
Lorsqu'Abû Bakr reprit conscience, il demanda à 'Othmân
le nom du successeur qu'il avait écrit dans l'ordonnance, et dit:
«Allâh-u-Akbar! Que Dieu te bénisse pour ta prévenance.
Si j'étais mort dans mon évanouissement, les gens auraient
été laissés dans le noir sans le rajout que tu as
fait». Puis il continua à dicter: «Ecoutez-le et obéissez-lui:
car il gouvernera avec justice, sinon, Dieu qui connaît tous les
secrets, le traitera de la même façon. Je veux dire que tour
ira bien, mais que je ne connais pas les secrets cachés dans les
curs. Adieu».
L'ordonnance ayant été scellée avec son cachet,
le Calife demanda qu'elle fût lue aux gens dans la mosquée.
'Omar lui-même fut présent lors de la lecture. Il faisait
taire les bruits et réduisait les gens au silence afin qu'ils puissent
entendre l'ordonnance.
Ibn Qotaybay écrit dans son livre, "Imâmat":(35)
«Quand l'ordonnance eut été prise par Chahîd,
un serviteur d'Abû Bakr, pour être lue aux gens, quelqu'un
demanda à 'Omar qui accompagnait le porteur: "De quoi s'agit-il?"
'Omar répondit qu'il n'en savait rien, mais qu'elle (l'ordonnance)
le concernait plus que tout autre. L'homme lui dit: "Si tu ne le sais pas,
je sais qu'auparavant tu as fait Abû Bakr Calife, et maintenant,
à son tour, il te fait Calife à sa place"».
«On dit à Abû Bakr pendant sa maladie: "Que diras-tu
à ton Seigneur, maintenant que tu as désigné 'Omar
pour gouverner ?" Il répondit: "Je Lui dirai que j'ai nommé
le meilleur d'entre eux pour gouverner sur eux". ("Ibn Sa'd"; "History
of Caifat", p. 122, trad. par M. Jarret de "Târîkh al-Kholafâ'"
d'al-Suyûtî)
Abû Bakr al-Çiddîq dit un jour: "Il n'y a pas à
la surface de la terre un homme qui ait, plus de valeur que 'Omar"».
(Ibid.)
Le Lit de Mort d'Abû Bakr
Pendant sa maladie Abû Bakr exprima avec amertume son regret pour
trois de ses actes: «J'aurais aimé ne les avoir pas faits».(36)
Ce sont:
l. La rafle dans la maison de Fâtimah malgré les conspirations
dont il dit avoir été l'objet;
2. Le fait d'avoir fait brûler vivant Fujâ'ah al-Salmî.
Il dit à ce propos que cet homme aurait dû être soit
relâché soit passé par le sabre, mais non pas brûlé;
3. Le fait d'avoir épargné le rebelle Ach'ath à
qui il maria par la suite sa sur Om Farwah. Cet homme, dit-il, avançait
toujours dans la bassesse.
«Al-Nasâ'î, citant Aslam, écrit que 'Omar entendit
Abû Bakr lâcher ces mots: "C'est cela qui m'avait amené
à ce à quoi je suis arrivé"». ("Al-Suyûtî",
tradu. de M. Jarret, p. 104)
Quelque temps avant sa mort, Abû Bakr avait demandé: «Quel
jour le Prophète est-il mort?», et on lui avait répondu
qu'il était mort un lundi.
La Mort d'Abû Bakr
Abû Bakr mourut à l'âge de 63 ans, le mardi 22 Jamâdî
II, de 1 an 13 H., soit le 22 août 634 ap. J. -C., après avoir
gouverné pendant deux ans, trois mois et dix jours.(37)
Sa femme Asmâ' Bint 'Omays, aidée de son fils 'Abdul-Rahmân,
lui fit son dernier bain. 'Omar lut les prières en récitant
le Tabkîr quatre fois. Une tombe fut creusée pour lui à
côté de celle du Prophète, et la niche de sa tombe
touchait celle du Messager de Dieu. II fut enterré en ayant la tête
posée au niveau de l'épaule du Prophète.
Abû Bakr et les Rapports de sa Famille
avec Celle du Prophète
Abû Bakr avait quatre femmes, dont une était morte de son
vivant. Les descendants de chacune de ses femmes figurent dans le tableau
suivant:
Les femmes mariées avec Abû Bakr avant sa conversion
à l'Islam
l. Qutaylah, fille de 'Abdul-'Uzza:
- Asmâ' (morte 76 H.), femme de Zobayr B. al- 'Awwâm (mort
36 H.)
- 'Abdullâh (mort 64 H.)
- 'Abdul-Rahmân (mort 53 H.), son nom d'origine était 'Abd
al-'Uzza. Il embrassa l'Islam après le Traité de Hudaybiyyah.
2. Om Roman, fille de Hârith (morte 7 H.)
- 'Ayechah (morte 58 H.)
Les femmes mariées avec lui après sa conversion
à l'Islam
3. Habîbah, fille de Kharja Ançar
- Om Kulthûm, femme de Talhah (mort 36 H.), cousin d'Abû
Bakr et fils de 'Obaydullâh
- Muhammad (mort 36 H.)
4. Asmâ', fille de 'Omays
- Mohammad (né 10 H., mort 38 H.)
Après la mort d'Abû Bakr, 'Alî épousa Asmâ',
donc Mohammad fut élevé par 'Alî.
L'histoire montre qu'Abû Bakr lui-même ainsi que toute sa
famille (sauf Asmâ' et son fils Mohammad) étaient hostiles
à la famille du Prophète, en totale désobéissance
avec ce que le Coran avait ordonné et avec ce que le Prophète
avait dit concernant le respect et l'amour dus à sa famille. Ci-après
la liste de ceux d'entre la famille de Abû Bakr, dont l'hostilité
envers celle du Prophète fut particulièrement évidente:
l. Lors de son accession au Califat, Abû Bakr envoya 'Omar à
la maison de Fâtimah pour obliger 'Alî à venir lui prêter
serment d'allégeance par force. 'Omar menaça de brûler
la maison avec Fâtimah à l'intérieur, et emmena 'Alî
sous escorte chez Abû Bakr, où il fut si humilié et
insulté qu'il pleura amèrement sur la tombe du Prophète
pour se plaindre du mauvais traitement qu'il avait reçu. Par la
suite Fâtimah fut tellement attristée par l'attitude d'Abû
Bakr qu'aussi longtemps qu'elle survécut à son père,
elle ne lui adressa plus jamais la parole, et que de son lit de mort, elle
interdit qu'il assistât à ses funérailles.
2. La fille d'Abû Bakr, 'Âyechah, se révoltera contre
'Alî, le Calife en titre, et elle le combattra, à la tête
de trente mille soldats, dans la bataille d'al-Jamal. Mais elle fut défaite
après avoir subi de lourdes pertes.
3. Le fils d'Abû Bakr, 'Abdul-Rahmân, combattra pour la
cause de sa sur dans la même bataille.
4. Le gendre d'Abû Bakr, Zobayr B. al-'Awwâm, le mari de
Asmâ', la fille la plus âgée d'Abû Bakr, fut le
commandant des armées de 'Âyechah. En pleine mêlée,
il se retira et prit le chemin de la Mecque, mais il fut tué à
une courte distance du champ de bataille.
5. Le petit-fils d'Abû Bakr, 'Abdullâh, le fils de Zobayr
et d'Asmâ', fut le commandant de l'infanterie de 'Âyechah.
Il était le fils adoptif de 'Âyechah. Après la bataille,
il fut retiré d'un amas de tués jonchant le champ de bataille.
6. Le cousin d'Abû Bakr et mari de sa fille Om Kalthûm,
Talhah, était le commandant des troupes de 'Âyechah. Au plus
chaud de la bataille, Marwân (le Secrétaire et le génie
malfaisant du Calife 'Othmân), officier dans la même armée,
voyant Talhah engagé avec trop de zèle, dit à son
serviteur: «Il y a seulement quelques jours que Talhah incitait avec
tant de zèle à l'assassinat de 'Othmân, et le voilà
maintenant qui se montre si zélé de demander de venger son
sang. Quelle hypocrisie pour gagner de la grandeur dans ce monde!»
Ce disant, il tira une flèche qui perça la jambe de Talhah
et effraya son cheval qui s'enfuit sauvagement et fit tomber Talhah par
terre. Celui-ci fut tout de suite emmené à Bassorah où
il mourut peu de temps après.
7. Le cousin d'Abû Bakr, 'Abdul-Rahmân, frère de
Talhan tomba lui aussi en combattant dans cette bataille.
8. Mohammad, fils de Talhah, tomba lui également dans cette bataille.
9. Jo'dah Bint Ach'ath, fille de la sur d'Abû Bakr, Om Farwah,
empoisonna al-Hassan, fils de 'Alî (Ibn Abî Tâlib). Elle
avait été subornée, pour commettre cette bassesse,
par Yazîd, fils de Mu'âwiyeh, ou par celui-ci lui-même.
10. Is-hâq, le fils de la soeur d'Abd Bakr, Om Farwah, et de Ach'ath,
ainsi que son frère, figurèrent dans l'armée de Yazîd
combattant contre al-Hussayn, fils de 'Alî, lors de la tragédie
de Karbalâ'.
Plus tard, le premier sera tué en combattant al-Mukhtâr
dans la bataille qu'il engagera pour venger l'assassinat d'al-Hussayn,
le second, qui avait arraché du cadavre d'al-Hussayn quelques vêtements,
fut déchiqueté jusqu'à la mort par des morsures de
chiens.
11. Moç'ab, fils de Zubayr, le fils adoptif d'Abû Bakr,
combattit contre al-Mukhtâr, qui fut tué alors qu'il se battait
pour venger le meurtre d'al-Hussayn.
'OMAR, LE DEUXIÈME CALIFE
L'Accession de 'Omar au Califat
'Omar assuma le Califat conformément au leg d'Abû Bakr,
le mardi 22 Jamâdî II, de l'an 13 H., soit 634 ap. J. -C. Le
lendemain matin du jour de la mort d'Abû Bakr, 'Omar monta sur la
chaire et s'adressa aux gens. Ses premiers mots furent les suivants: «Ô
Dieu! Je suis dur de tempérament rends-moi donc doux; et je suis
faible, donc renforce-moi; et je suis avare, rends-moi donc généreux».
("History of Califat", p. 144, traduction anglaise de M. Jarret d'al-Suyûtî,
op. cit.)
Le premier acte du nouveau Calife fut la promulgation d'un décret
démettant Khâlid de son poste de Commandant de l'armée
en Syrie. Il le laissa toutefois continuer son service sous le commandement
d'Abû 'Obaydah. La deuxième chose qu'il fit fut d'exécuter
l'ordre qu'Abû Bakr avait donné de procéder à
une nouvelle levée pour renforcer la campagne d'al-Mothannâ
en Irak. Un étendard fut planté dans la cour de la Grande
Mosquée et une proclamation urgente fut faite, appelant les combattants
à se rassembler autour de lui. S'ensuivit la prestation du serment
d'allégeance qui ne put être accomplie qu'en trois jours.
Les Ancêtres
et les Antécédents de 'Omar
'Omar était un Quraychite dont l'ancêtre commun avec le
grand Prophète remontait à huit générations.
Il était de la huitième génération de 'Adî,
fils de Ka'b, le huitième aïeul du Prophète. Le clan
auquel appartenait 'Omar avait tiré son nom de celui de 'Adî.
Les Banfl 'Adî vivaient à l'origine à Çafâ
dans la banlieue de la Mecque, mais à cause de l'attitude hostile
de certains clans de Quraych, ils s'étaient déplacés
pour s'établir dans la vallée de Thajnân, à
environ quarante kilomètres au nord-ouest de la Mecque, sous la
protection de Bani Sahm.
Le père de 'Omar, al-Khattâb, était à l'origine
bûcheron de métier. Sa mère, Hantamah, était
la fille de Hichâm et la soeur d'Abû Jahl.(38)
Khattâb et 'Amr étaient les fils de Nofayl dont la veuve,
Jaydah, la mère de Khattâb, s'était remariée
avec 'Amr à qui elle donna un fils, Zayd, l'oncle de 'Omar. Pendant
son Califat, lorsqu'il lui arrivait de passer par la vallée de Dzajnan,
'Omar se rappelait avec étonnement l'énorme différence
entre sa position actuelle et les circonstances de son adolescence où,
revêtu d'une chemise de laine rude, il gardait les moutons de son
père dans cette vallée et ramassait les feuilles sèches
et le bois à brûler qu'il portait sur sa tête le soir
pour son père, de crainte d'être battu ou réprimandé
pour négligence. Tandis qu'à présent, comme il le
disait, il n'y avait pas d'intermédiaire entre lui et Dieu.(39)
An-Nawawî dit que 'Omar naquit treize ans après l'année
de l'Eléphant. Il embrassa l'Islam à l'âge de trente-trois
ans, et accéda au Califat à l'âge de cinquante-deux.
Avant sa conversion à l'Islam, il était farouchement hostile
au Prophète, autant que son oncle maternel Abû Jahl - le Pharaon
des Quraych- qui fut tué dans la bataille de Badr.
Mohammad B. Sa'd, le Secrétaire de Wâqidî, citant
Zohrî, affirme que l'épithète al-Fârûq,
ajoutée au nom de 'Omar, lui fut décernée par les
Ahl-al-Kitâb (les Juifs et les Chrétiens), et fut adoptée
plus tard par les Musulmans, qui n'avaient rien entendu du Prophète
à ce propos.(40)
'Omar fut le premier Calife à porter le titre d'Amîr al-Mo'minînes
(le Commandeur des Croyants). Abû Bakr avait l'habitude de se donner
pour titre officiel "Le Calife du Messager de Dieu", mais lorsque 'Omar
accéda au Califat, il écrivait dans ses lettres officielles:
«Du Calife du Calife du Messager de Dieu...». C'est plus tard
qu'il adopta le titre d'Amîr al-Mo'minînes pour remplacer le
premier, trop long et trop encombrant. Ce nouveau titre sera utilisé
par tous les Califes qui lui succéderont. ("History of Califat",
p. 143, traduc. de M. Jarret de "Târîkh al-Khafifâ'"
d'al-Suyûtî)
L'Admonestation Faite par al-Hussayn
Alors que 'Omar prêchait du haut de la chaire un jour, al-Hussayn,
fils de 'Alî, vint à son niveau et lui dit: «Descends
de la chaire de mon père». 'Omar répondit: «C'est
la chaire de ton père, non du mien. Mais qui t'a conseillé
de me dire cela?» 'Alî se leva alors et dis: «Par Allah!
Personne ne lui a conseillé de le faire».
L'Introduction des Tarâwîh
En l'an 14 H. 'Omar introduit le Service Spécial de récitation
du Coran au mois de Ramadhân, et il réunit pour la première
fois les gens pour une prière qu'il appela "Al-Tarâwih". (Ibid.,
p. 135)
De nombreuses conquêtes de territoires étrangers et de
victoires constituent le trait marquant du règne de 'Omar.
Quelques Récits Relatifs au Califat de
'Omar
En l'an 14 H. Damas fut prise, une partie par la force et une partie
par une convention. Yazîd, fils du chef des Omayyades, Abû
Sufiyân, fut nommé Gouverneur de Damas. Il étendit
par la suite son autorité jusqu'au désert de Tadmor, et il
envoya son frère Mu'âwiyeh vers l'Ouest où, après
avoir rencontré quelque résistance, à Saydâ
et Beyrouth, il poussa sa conquête jusqu'à Arqâ au Nord.
En l'an 15 H., tout le pays de Jordanie fut conquis.
En l'an 16 H. 'Omar se rendit à Jérusalem et y conclut
un traité. Takift fut pris. Khâlid défit les Romains
près de Kinnisrine ou Chalcia. Ces conquêtes lui valurent
le retour de la faveur du Calife, lequel le nomma Gouverneur de Kinnisrine.
Par la suite Alep, puis Antioche - la troisième métropole
du monde - tombèrent. La Syrie, depuis l'extrême nord jusqu'à
la frontière de l'Egypte, fut mise sous l'autorité de l'Islam,
et l'Empereur romain Héraclius abandonna pour toujours la Syrie.
Seul Caesaria resta sous la domination romaine.
Al-Ahwâz et Madâ'in furent conquis la même année.
Dans la bataille de Jalola, l'Empereur persan, Pazdjir, ayant été
défait, fuit à Ray, la Capitale du nord de la Perse, en direction
de la Mer Caspienne. Les ruines de Ray existent toujours, jusqu'à
un certain point, à environ dix kilomètres au sud-est de
Téhéran. La cité royale fut envahie et démolie
par No'aym qui posa la fondation d'une nouvelle ville en 22 H.
Ziyâd
Parmi les prisonniers de guerre faits à Jalola, figurait un jeune
homme appelé Ziyâd qui se distinguait par sa vivacité
et son adresse. Il fut envoyé à Médine, en même
temps que le cinquième du butin, au Calife. On avait des doutes
sur sa naissance. Son père était, disait-on, l'Omayyade Abû
Sufiyân qui, en état d'ivresse, aurait couché avec
la mère du jeune homme, une esclave appartenant à une autre
personne de Tâ'if. Ziyâd aurait donc été le fruit
de cet épisode galant. Plus tard il présenta des signes de
ses grands talents administratifs.
Abû Mûsâ al-Ach'arî, le Gouverneur de Basrah,
lui transféra les sceaux de sa fonction. Plus tard il sera reconnu
par Mu'âwiyeh (fils d'Abû Sufiyân) comme étant
son frère, au mépris du public, scandalisé par cette
reconnaissance illégale (selon la loi islamique). Il jouera par
la suite un rôle important dans l'Histoire de l'Islam.
L'Ère Musulmane
Au mois de Rabî' I de la même année, l'Ère
de l'Hégire, avec l'année commençant par le mois de
Moharram, fut adoptée sur le conseil de 'Alî Ibn Abî
Tâlib.(41)
La Révocation de Khâlid
En l'an 17 H., Basrah et Kufah furent fondées. Khâlid fit
une fois encore l'objet de la disgrâce de 'Omar. Il s'était
enrichi considérablement avec les butins de guerre en Mésopotamie.
Beaucoup de ses vieux amis d'Irak s'étaient attroupés autour
de lui dans l'espoir de quelque geste de bonté de sa part. Il avait
donné mille pièces d'or à Ach'ath, le chef de Banî
Kindah, et fait montre de beaucoup de largesse envers de nombreux autres
amis.
Les extravagances de Khâlid suscitèrent donc la colère
de 'Omar beaucoup plus que le fait d'avoir appris qu'il s'était
baigné dans le vin à Amida, au point qu'il en exhalait l'odeur
lorsqu'il marchait.(42) Khâlid fut
inculpé par le Calife pour ces deux charges, mais lorsqu'il se présenta
à Médine pour être jugé, seule l'extravagance
fut retenue contre lui. Pour sa défense, il dit qu'il avait en tout
et pour tout amassé soixante mille pièces qu'il avait obtenues
comme butin de guerre, principalement pendant le Califat d'Abû Bakr.
Il proposa que si la fortune amassée excédait cette somme,
l'excédent en soit confisqué par l'Etat. Ainsi, on procéda
à l'évaluation de ses biens, dont la valeur fut estimée
à quatre-vingt mille pièces.
'Omar confisqua donc la différence entre la somme déclarée
et l'estimation finale, et démit Khâlid de ses fonctions.
Ce dernier se retira à Himç où il mourut en l'an 8
du Califat de 'Omar. Ainsi, l'homme à qui Abû Bakr avait dû
tous les succès de son Califat et dont les victoires et conquêtes
avaient élevé la position de 'Omar à celle d'un empereur,
finit-il ses jours dans le dénuement et l'indifférence générale.
La Famine
En l'an 17-18 H. une famine ravagea le Hejâz. Cette année
fut appelée l'année des "Cendres", parce que la terre fut
couverte d'une couche de sol tellement desséché et sablonneux
qu'il obscurcit la lumière par une brume épaisse et lourde.
L'air était sec et poussiéreux et il n'y avait aucune trace
de verdure sur le sol.
La Peste
En l'an 18 H. un fléau s'abattit sur la Syrie et fit des ravages
dans les principaux quartiers des Arabes à Himç et à
Damas: vingt-cinq mille personnes périrent par la peste. Abû
'Obaydah, qui avait la charge principale du Commandement en Syrie, fut
victime de la peste. Yazîd, le Gouverneur de Damas ne put échapper,
lui non plus au fléau qui se propagea jusqu'à Basrah en Irak.
La Nomination de Mu'âwiyeh, comme Gouverneur
de Syrie
Abd 'Obaydah et Yazîd étant morts tous deux par la peste,
'Omar nomma Mu'âwiyeh B. Abî Sufiyân, Gouvemeur de Syrie,
poste qui lui permit d'avoir le contrôle civil et militaire de cette
province et de poser la fondation de la dynastie Omayyade.(43)
Mu'âwiyeh était un homme d'ambition illimitée, et
il sut mettre cette nouvelle position au service de son ambition. Il consolida
avec un grand zèle l'administration de la Syrie, et renforça
avec une clairvoyance intelligente son contrôle sur cette province
afin de faire face à tous les imprévus du futur. Son esprit
factieux, hérité de ses parents (son père, Abû
Sufiyân, fut l'ennemi le plus farouche des Hâchimites, tout
comme son grand-père Harb et son arrière-grand-père
Omayyah; sa mère Hind, qui éventra le cadavre de l'oncle
du Prophète, pour lui arracher le foie et le sucer) l'amena à
songer déjà à piétiner les droits divins de
'Alî, le lieutenant attitré et le cousin du Prophète,
ainsi que le mari de sa fille favorite Fâtimah et le père
de sa progéniture (du Saint Prophète).
'Alî n'était ni ambitieux ni envieux. Une seule chose lui
tenait à cur: l'intérêt de l'Islam. Il conseilla très
volontiers le Calife et lui proposait généreusement des solutions
sages aux difficultés et problèmes qu'il rencontrait, solutions
et conseils pour lesquels le Calife ne manquait pas de le complimenter
par des propos tels que:(44) «Sans
'Alî, 'Omar serait mort», «Que Dieu prolonge ta vie»,
«Que Dieu te renforce », «Que Dieu préserve 'Omar
d'une situation complexe dans laquelle Abul-Hassan ('Alî, le père
d'al-Hassan) ne serait pas présent pour la résoudre».
Bien qu'il fût toujours honoré et complimenté publiquement
pour son entendement et son esprit judicieux, on ne lui donna jamais la
possibilité d'accéder au pouvoir. Au contraire on fit tout
pour l'en écarter. Mu'âwiyeh atteindra, comme le montrent
quelques événements historiques, les buts de sa politique
prévoyante:
- En l'an 19 H. Caesaria (Césarée ou Kaysérie)
fut vaincue, amenant tout le territoire syrien sous contrôle musulman.
- La même année fut marquée également par
l'éruption volcanique d'une colline nommée Laylâ, au
voisinage de Médine. Une expédition navale fut organisée
contre l'Abyssinie et se solda par un désastre, tous les vaisseaux
ayant fait naufrage.
- En l'an 20 H., Fustat fut prise à l'empereur romain, Héraclius,
qui mourut la même année.
- En l'an 21 H. eut lieu la bataille de Nahâwand, à la
suite de laquelle les Perses ne furent plus capables de résister
aux Musulmans.
- En l'an 22 H., Azerbaijan, Ray et Hamadân furent également
enlevés par force.
- En l'an 23 H. eut lieu la conquête de Kermân, Sujestân,
Mekrân et Isfahân. Vers la fin de cette année, 'Omar
fut poignardé de plusieurs coups.
La Connaissance du Coran par 'Omar
Pendant qu'il prononçait un sermon à Jérusalem
en l'an 16 H., 'Omar cita quelques passages du Coran tels que: «Celui
que Dieu dirige est bien dirigé, mais tu ne trouveras pas de maître
pour guider celui qu'IL égare» (Sourate al-Kahf, 18: 17),
ainsi que des passages de la Sourate al-Nisâ' (4: 90 et 142) et la
Sourate Banî Isrâ'îl (17: 99). Un prêtre chrétien
qui était assis devant lui se leva alors et s'écria: «Non,
Dieu n'égare personne» à plusieurs reprises. Mais au
lieu d'expliquer au prêtre la signification correcte du texte cité
'Omar ordonna à ceux qui se trouvaient à côté
de lui de lui couper la tête s'il l'interrompait une nouvelle fois.
Le prêtre ayant compris l'ordre qui avait été donné,
garda le silence.(45)
Il convient de rappeler ici ce que 'Omar dit (d'après al-Bayhaqî
et d'autres): «Je m'abstiens de rejeter quelque chose qu'Abû
Bakr a affirmé» à propos de la réponse qu'Abû
Bakr avait donnée à la question de savoir ce que signifie
le mot coranique "al-Kalalah" (Sourate al-Nisâ', 4: 12 et 176): «Je
vais donner un avis concernant ce mot. S'il est juste, il sera celui de
Dieu, mais s'il est erroné, il sera de moi et de l'Esprit malfaisant.
Je crois qu'il signifie: absence de parent ou de progéniture».(46)
'Omar avait l'habitude de se promener dans les rues et les marchés
de Médine, fouet à la main, et de faire des rondes pendant
la nuit à travers la ville. Une nuit, alors qu'il faisait sa ronde
habituelle, il passa près d'une maison à l'intérieur
de laquelle quelqu'un chantait. La porte étant fermée, 'Omar
sauta le mur arrière de la maison et surprit un homme et une femme
en train de prendre leur plaisir avec une bouteille de vin. S'adressant
à l'homme sur un ton de colère, il le fustigea: «Ô
ennemi de Dieu! Tu crois que ton péché passe inaperçu!»
L'homme ayant reconnu en l'intrus le Calife, s'écria: «Que
le Prince des Croyants se donne la peine de m'écouter un instant.
Si je suis coupable d'un péché, tu en es triplement coupable
par tes actes contraires aux prescriptions du Noble Livre qui:
1- T'ordonne de ne pas être curieux (Sourate al-Hujurât,
49: 12);
2- Te commande de n'entrer dans une maison que par la porte, et t'interdit
notamment de l'introduire par l'arrière de la maison comme tu viens
de le faire (Sourate al-Baqarah, 2: 185);
3- T'enjoint de ne pas entrer dans une maison sans l'autorisation de
ses occupants, et de les saluer une fois entré après avoir
obtenu leur autorisation (Sourate al-Nûr, 24: 27)».
'Omar, se sentant honteux d'ignorer ces vérités coraniques,
leur demanda pardon pour cette intrusion, en contrepartie, dit-il, du pardon
qu'il leur accorda pour leur péché. L'homme promit avec repentir
de ne plus recommencer, et le Calife, ayant obtenu leur pardon, partit.(47)
Un jour, alors qu'il marchait dans la ville, 'Omar vit un beau jeune
homme robuste des Ançâr. Désirant entrer en contact
avec lui, il lui demanda un peu d'eau à boire. Le jeune homme lui
offrit un verre plein de sirop à base de miel. 'Omar manifesta son
indignation devant ce luxe en invoquant ce verset coranique: «Vous
avez déjà dissipé les excellentes choses dont vous
jouissiez durant votre vie sur la terre». Le jeune homme enchaîna
tout de suite: «Et le Jour où ceux qui auront été
incrédules seront exposés au Feu, on leur dira: "Vous avez
déjà dissipé les excellentes choses dont vous jouissiez
durant votre vie sur la terre".» (Sourate al-Ahqâf, 46:
20). Ainsi, rajoutant la première partie du verset cité par
le Calife, il fit remarquer que ledit verset concerne les Infidèles
et non les Croyants. 'Omar, but alors la boisson et s'exclama: «Les
gens connaissent mieux que moi les Commandements du Coran».(48)
Un autre jour, du haut de la chaire, 'Omar ordonna que les gens s'abstiennent
de porter le montant de la dot d'une femme au-delà de quatre cents
dirhams, sous peine de voir la somme excédante confisquée
par l'Etat. Une femme se leva alors sur-le-champ et protesta contre cet
ordre, disant: «Ô fils de Khattâb! Est-ce qu'il faut
suivre la Parole de Dieu ou la tienne?» 'Omar répondit: «Non,
ce n'est pas ma parole, mais Celle de Dieu». Là, la femme
récita ce verset coranique: «Si vous voulez échanger
une épouse contre une autre, et si vous avez donné un qintâr(49)
à l'une des deux n'en reprenez rien. Le reprendre serait une infamie
et ton péché évident» (Sourate al-Nisâ',
4: 20). 'Omar, là encore, reconnaissant que non seulement les hommes,
mais les femmes aussi connaissent les injonctions du Coran mieux que lui,
retira son ordre.(50)
Le Sens du Jugement de 'Omar
'Abdul-Razzâq rapporte qu'une femme alla voir 'Omar un jour et
lui dit: «Mon mari se lève la nuit pour prier, et jeûne
toute la journée». 'Omar lui répondit: «Mais
tu as beaucoup fait l'éloge de ton mari». Ka'b B. Siwâr
s'étonna à cette réponse: «Mais elle est venue
se plaindre de son attitude!» 'Omar dit: «Comment?» Il
répondit: «Elle veut dire qu'elle n'a pas sa part de la compagnie
de son mari». 'Omar lui dit: «Si tu le crois, juge donc entre
eux». Ka'b fit: «Ô Prince des Croyants! Le Seigneur lui
a permis d'avoir quatre femmes, de consacrer à chacune un jour sur
quatre et une nuit sur quatre». ("History of Califat", p. 147, traduc.
ang. de Major Jarret de "Târîkh al-Kholâfâ'" d'al-Suyîtî)
Jâbir Ibn 'Abdullâh se plaignit une fois devant 'Omar du
traitement que lui réservaient ses femmes. 'Omar lui dit: «J'ai
vraiment le même problème, au point que lorsque je demande
quoi que ce soit, ma femme me dit: «Tu cours seulement après
les filles d'une certaine tribu, et tu les guettes"». (Ibid.)
Les Erreurs Judiciaires de 'Omar
Après la mort de 'Otbah, le Gouverneur de Basrah, 'Omar nomma
Moghîrah B. Cho'bah (l'un de ceux qui avaient apporté beaucoup
d'assistance à 'Omar et Abû Bakr lors de l'élection
de la Saqîfah) à sa place en l'an 15 H. C'était un
homme d'aspect repoussant, borgne, roux et aux manières rudes. Dans
sa jeunesse, il avait commis un meurtre à Tâ'if. Son harem
se composait de quatre-vingts femmes et malgré cela ses passions
vagabondes n'étaient pas satisfaites.
Om Jamîl, femme de Hajjâj B. 'Atîq et fille d'Afqam,
de Banî Amîr, avait l'habitude de rendre visite à Moghîrah,
en privé. C'était une femme de murs relâchées,
et on savait qu'elle avait des relations sexuelles avec quelques autres
notables de Basrah. Etant donné que Moghîrah n'était
pas aimé des gens à cause de ses mauvaises murs et de ses
habitudes vicieuses, il faisait l'objet du mépris et de la haine
de la petite noblesse qui surveillait sa conduite. Abû Bekrah, un
notable important de Basrah, qui vivait en face de la maison de Moghîrah,
était assis un jour chez lui avec quelques amis. Soudain le vent
souffla et ouvrit la fenêtre. Lorsqu'il se leva pour la refermer,
son il tomba sur une scène révoltante qui se déroulait
dans la chambre d'en face entre Moghîrah et Om Jamil. Il appela alors
ses amis Nâfi', Ziyâd et Chibel, qui devinrent eux aussi les
témoins de l'adultère et identifièrent Om Jamil lorsqu'elle
se releva. Tout de suite après, Moghîrah sortit pour diriger
la prière publique comme d'habitude. Les témoins le traitèrent
publiquement d'adultère et rapportèrent immédiatement
le scandale au Calife 'Omar, à Médine. 'Omar convoqua Moghîrah
pour répondre à des accusations dont il faisait l'objet.
Devant 'Omar il nia les faits et dit que c'était sa femme que les
accusateurs avaient prise pour Om Jamîl. Les témoins, Abû
Bekrah, Nâfi' et Chibel firent leur déposition de telle sorte
qu'ils ne laissèrent aucun doute sur la culpabilité de l'accusé.
Mais il fallait encore un quatrième témoin à charge
pour que la preuve fût admise.
Il s'agissait de Ziyâd, auquel, dès qu'il se présenta
(selon Ibn Khallakan), 'Omar dit: «Voilà l'homme qui peut
sauver un Moghîrah». Et lorsque ce quatrième témoin
fit sa déposition, des failles y apparurent.(51)
Le Calife ordonna alors, et sans se soucier d'une erreur judiciaire, que
les témoins qui avaient été à l'origine de
l'accusation fussent fouettés conformément à la loi
et que 1'accusé fût relâché. «Frappe fort
et réconforte mon coeur!», cria le coupable cynique à
l'adresse du ministre de la loi, hésitant. «Silence!»,
lui dit 'Omar. «Il s'en est fallu de peu que tu n'aies été
déclaré coupable, et lapidé ensuite jusqu'à
la mort comme adultère». «Le coupable se tut mais sans
être confus». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir,
p. 265)
Par la suite, 'Omar dira à Moghîrah: «Chaque fois
que je te vois, je crains que des pierres ne tombent sur moi du Ciel».(52)
En l'an 21 H. (642 J. -C.), Moghîrah fut nommé à nouveau
par 'Omar, Gouverneur de Kûfa.
'Omar Surveille les Citoyens
Une nuit, alors qu'il effectuait son tour habituel dans la ville, 'Omar
entendit une femme arabe chanter:
«Cette nuit, alors que les étoiles errent
dans leur vaste voyage, je m'ennuie.
»Et je reste éveillée, car je n'ai personne
avec qui je puisse me réjouir;
»Et par Allah, s'il n'y avait pas de Dieu
dont on doive craindre les décrets!
»Mais je crains un Surveillant qui veille bien sur mon âme,
et dont l' "enregistreur" ne néglige rien.
»La crainte du Seigneur et la honte me retiennent.
»Et mon mari, mérite trop d'honneur
pour que sa place soit prise».
Une chanson plaintive. 'Omar en écouta attentivement les paroles.
A la fin, il s'exclama: «Mais qu'as-tu?» Elle répondit:
«Tu as envoyé mon mari en service militaire depuis des mois
et je languis de lui». Il lui dit: «Est-ce que tu veux commettre
un péché?» Elle répondit: «A Dieu ne plaise».
'Omar lui dit alors: «Retiens-toi, car je vais vraiment lui envoyer
un messager». Revenant à la maison, il demanda à sa
fille Hafçah après combien de temps une femme commence à
languir de la compagnie d'un homme. Elle laissa entendre que cela arrivait
après quatre mois d'absence. Le Calife donna alors l'ordre que les
troupes ne restent pas en service plus de quatre mois.(53)
Les Innovations de 'Omar
'Omar fut le premier à adopter l'usage du fouet ("History of
Califat", traduc. ang. de M. Jarret de "Târîkh al-Kholafâ'"
d'al-Suyûtî)
Il fut le premier à rassembler les gens pour prier sur le mort
avec quatre Takbîrs seulement. (Ibid.)
'Omar fut le premier à interdire le "Mot'ah", le mariage à
durée limitée. (Ibid.)
'Omar fut le premier à instituer al-Tarâwîh du mois
de Ramadhân. (Ibid.)
'Omar fut le premier à se donner le titre de "Commandeur des
Croyants". (Ibid.)
Le Récit de la Mort de 'Omar
Al-Zohtf affirme que 'Omar ne supportait pas qu'un captif ayant atteint
l'âge de la puberté entre à Médine, mais qu'al-Moghîrah
B. Cho'ayb, le Gouverneur de Kûfa lui avait écrit une fois
pour lui dire qu'il avait avec lui un jeune homme travailleur habile, et
lui demander la permission de l'envoyer à Médine, en lui
précisant qu'il s'agissait d'un maître en plusieurs arts profitables
pour les gens: il était forgeron, graveur et charpentier.(54)
'Omar l'autorisa alors à l'envoyer à Médine et
al-Moghîrah lui imposa une taxe de cent dirhams par mois. Mais le
jeune homme, une fois à Médine, se plaignit de la sévérité
de la taxe. 'Omar lui dit que celle-ci n'était pas excessive. Le
jeune homme, mécontent, partit en murmurant son indication. 'Omar
attendit quelques jours et le convoqua en lui disant: «J'ai été
informé que tu avais dit que si tu le voulais, tu serais capable
de fabriquer un moulin qui moudrait grâce au vent?»
L'ex-captif regarda 'Omar d'un air maussade et dit: «Je ferai
vraiment un moulin dont les hommes parleront». Lorsqu'il se fut retiré
'Omar dit à ceux qui l'entouraient: «Un esclave! Et le voilà
qui me menace».
Peu après, Abû Lu'lu' s'arma d'un poignard à double
lame dont il fixa la poignée à la ceinture, et se cacha dans
le coin de l'une des embrasures de la Mosquée avant l'aube. Il resta
aux aguets jusqu'au passage de 'Omar qui réveillait les gens pour
la prière; Quand 'Omar fut à son niveau il lui porta trois
coups (selon Ibn Sa'd). Parmi les blessures reçues, l'entaille faite
au centre de l'abdomen, au-dessous du nombril, lui fut fatale.
«Le Calife blessé fut transporté dans sa famille,
et le soleil étant sur le point de se lever, 'Abdul-Rahmân
B. 'Awf dirigea la prière à la place de 'Omar, en se contentant
de lire les deux plus courtes sourates. On apporta à 'Omar du vin
de datte dont on lui fit boire. Il ressortit à travers la blessure,
et on ne pouvait pas le distinguer du sang. Puis, on lui fit avaler du
lait, qui ressortit lui aussi à travers sa blessure. On lui dit,
pour le rassurer: "Vous n'avez rien de bien grave"». ("History of
Califat", p. 138, traduc. ang. de M. Jarret, op. cit.)
La Désignation des Electeurs et du Mode
d'Election du Successeur
'Omar fit venir 'Abdul-Rahmân, lequel s'appliqua à étancher
ses blessures. Puis il convoqua 'Alî, 'Othmân, Zubayr et Sa'd
B. Abî Waqqâç et leur dit qu'il avait choisi six parmi
les Compagnons du Prophète pour élire l'un d'entre eux comme
son successeur. C'étaient, 'Abdul-Rahmân B. 'Awf, 'Othmân
B. 'Affân, 'Alî B. Abî Tâlib, Sa'd B. Abî
Waqqâç, Zobayr B. 'Awwâm et Talha B. 'Obaydullâh.(55)
Ce dernier étant absent de Médine sur le moment, 'Omar demanda
aux autres de l'attendre trois jours, et de procéder à l'élection
entre eux, s'il ne se présentait pas dans ce délai.(56)
Entre-temps, dit-il,(57) Sohayl dirigera
les prières publiques. Lorsque les personnes convoquées repartirent,
il appela(58) Miqdâd B. Aswad Kind,
un Compagnon vétéran du Prophète, et lui demanda de
réunir les électeurs dans un endroit après sa mort.
En même temps, il ordonna à Abû Talha Ançâr,
un guerrier d'un certain renom, de prendre position à la porte dudit
endroit avec cinquante hommes afin d'empêcher quiconque, excepté
son fils 'Abdullâh Ibn 'Omar, de s'approcher des électeurs,
et il donna des instructions précises pour que l'élection
ne durât pas plus de trois jours.
Puis, s'adressant à son fils, le Calife dit: «Sois vigilant,
'Abdullâh! Tu dois avoir une voix dans l'élection. Au cas
où ils seraient en désaccord, sois avec la majorité,
ou si les voix étaient à égalité, tu devrais
choisir le groupe qui comprendrait 'Abdul-Rahmân; et si la minorité
résistait, elle devrait être décapitée sur-le-champ».(59)
Remarque: Tous ces faits laissent penser qu'il s'agissait d'un
étonnant plan du Calife mourant, 'Omar, pour liquider 'Alî!
En effet, Sa'd et 'Abdul-Rahmân étaient des cousins, et le
dernier étant marié à la soeur de 'Othmân, était
devenu son allié. Ces trois étaient donc des alliés
sûrs qui se soutenaient mutuellement. 'Abdullâh Ibn 'Omar,
se rangeant selon la volonté de son père du côté
de 'Abdul-Rahmân, était destiné à former la
majorité prévue par 'Omar. De la minorité 'Alî
étant le seul prétendant éprouvant une amère
déconvenue, on pouvait logiquement s'attendre à ce qu'il
résistât et fût par conséquent décapité
sur-le-champ.
'Alî fit part, à son oncle al-'Abbâs, de sa certitude
d'être écarté du vote dans le conclave.(60)
Al-'Abbâs lui conseilla de ne pas participer à la fausse élection,
mais 'Alî ne l'écouta pas, voulant éviter d'être
blâmé de s'être abstenu et de négliger de revendiquer
son droit au bon moment.
La foule s'était rassemblée aux portes de la maison du
Calife blessé, et il était maintenant permis de venir le
voir. Selon un récit, Ibn 'Abbâs eut une longue conversation
avec 'Omar, pendant laquelle il essaya de convaincre 'Omar des droits de
la famille du Prophète au Califat, mais le Calife ne voulait voir
dans cette revendication qu'une question de jalousie.(61)
Cela montre que l'inclusion du nom de 'Alî dans le conclave n'était
pas par bienveillance envers lui, mais seulement dans l'intention de créer
une occasion d'en finir avec lui une fois pour toutes.
'Omar était connu comme un avocat acharné de la vengeance
et comme étant de tempérament féroce et impatient.
Il était toujours prêt à dégainer son épée
pour mettre à mort un prisonnier.(62)
Les gens se mirent à faire l'éloge du Calife blessé,
en lui disant: «Tu étais ceci et cela», mais il répondait:
«Cependant par Allah, j'aurais aimé pouvoir m'échapper
du Jugement avec ceci pour richesse: je ne dois rien et on ne me doit rien,
et que la compagnie du Messager de Dieu soit une sécurité
pour moi». Puis Ibn 'Abbâs le loua, mais 'Omar dit:«Si
je possédais la totalité de la terre en or, je le donnerais
sûrement pour ne pas subir la terreur du Jour de la Résurrection».
Parfois 'Omar s'exclamait: «J'aurais voulu que ma mère
ne m'ait pas mis au monde», ou «J'aurais préféré
être un brin d'herbe».(63)
'Omar avait été poignardé le mercredi 26 Thilhaj
de l'an 23 et fut enterré le dimanche ler Moharram de 1'an 24 H.
Il avait environ soixante-trois ans au moment de sa mort. Sohayl pria sur
la civière avec quatre Takbîrs. 'Omar fut enterré à
côté de son ami Abû Bakr, près du tombeau du
Prophète. II régna pendant dix ans, six mois et quatre ou
huit jours. Il rapporta cinq cent trente-neuf hadiths du Prophète.
L'Apparition de 'Omar dans les Rêves après
sa Mort
Ibn Sa'd rapporte, de Salîm Ibn 'Abdullâh Ibn 'Omar, qu'il
dit avoir entendu un homme des Ançâr raconter qu'il avait
prié Dieu pour qu'il revoie 'Omar en rêve, et qu'il l'avait
vu effectivement, dix ans après: Il transpirait du front. Il lui
avait demandé: «Ô Prince des Croyants, que faisais-tu?»
'Omar lui aurait répondu: «C'est tout juste maintenant que
je me suis libéré du jugement, et sans Miséricorde
de Dieu, j'aurais péri». ("Al-Suyûtî", traduc.
ang., op. cit., de M. Jarret, p. 152)
Selon Zayd B. Aslam, 'Abdullâh B. 'Amr al-'Âç avait
vu 'Omar dans un rêve et il lui avait dit: «Tu es parti si
tôt!» 'Omar lui aurait répondu: «Depuis combien
de temps vous ai je quitté?» Il dit: «Depuis douze ans».
'Omar de répondre: «C'est seulement maintenant que je me suis
libéré du jugement». (Ibid., p. 162)
'OTHMAN, LE TROISIEME CALIFE
Le Conclave en l'An 24 H.
A propos de la mort du Calife 'Omar, nous avons déjà relaté
comment, de son lit de mort, il avait nommé six électeurs
parmi les Compagnons du Prophète afin qu'ils choisissent l'un d'entre
eux comme successeur, et comment il avait posé une condition au
déroulement de cette élection; celle-ci devait avoir lieu
coûte que coûte en trois jours et ne pas dépasser ce
délai. Après la mort de 'Omar, lorsque l'enterrement fut
terminé, Miqdâd réunit les électeurs, en l'occurrence
'Abdul-Rahmân, 'Othmân, Sa'd, Zobayr et 'Alî, conformément
à la volonté de 'Omar. Talha n'était pas encore arrivé.
Le conclave eut lieu dans la maison de Miswâr, un cousin de 'Abdul-Rahmân.
La porte de la maison était gardée par cinquante soldats
sous le commandement d'Abû Talhah, afin d'empêcher quiconque,
mis à part 'Abdullâh, le fils de 'Omar, d'y entrer. Celui-ci
devait participer au vote, si nécessaire. Moghîrah B. Cho'bah
et 'Amr B. al-'Âç, se tinrent cependant près de la
porte afin de laisser croire qu'ils avaient, eux aussi, un rôle à
jouer dans cette affaire.
Bien que, à présent, n'importe qui, et si insignifiant
fut-il dans ses antécédents, ait pu croire avoir droit au
Califat, vu l'exemple de la façon dont avaient pu accéder
au pouvoir les deux premiers Califes, parmi les six candidats - électeurs,
'Alî avait de loin le plus de titres pour revendiquer cette dignité,
puisqu'il était: de noble naissance, le plus proche parent du Prophète
et la personne la plus en contact avec lui depuis son enfance, et en raison
de sa très profonde connaissance du Coran, de ses raisonnements
judicieux, et enfin et surtout - mais ce n'est pas tout - parce que le
Prophète l'avait proclamé comme étant son lieutenant
et celui qui occupait auprès de lui la même position qu'occupait
Aaron auprès de Moïse. Cependant, 'Omar avait improvisé
cinq autres candidats officiels pour rivaliser avec lui et ils gaspillèrent
deux jours dans des disputes inutiles, chacun mettant en évidence
son propre droit.
Finalement 'Abdul-Rahmân proposa de retirer(64)
sa revendication du Califat si les autres s'engageaient à élire
un Calife de son choix. 'Othmân fut évidemment le premier
à accepter sa proposition. Les autres le suivirent, sauf 'Alî
qui resta silencieux. Lorsque 'Abdul-Rahmân demanda à 'Alî
de donner son consentement, il lui dit: «Il faut tout d'abord me
promettre que ton choix ne sera pas dicté par des considérations
de parenté ni d'amitié, et que tu ne tiendras compte que
du droit seul».
'Abdul-Rahmân répondit: «Je te demande de t'engager
à accepter le choix que je ferai et à t'opposer à
tous ceux qui s'y opposeraient». Et 'Abdul-Rahmân d'ajouter:
«Pour ma part, je m'engage à ne pas être mû par
un intérêt personnel ni par des considérations d'amitié
et de parenté». 'Alî accepta alors comme les autres,
la proposition, et l'élection du Calife dépendit désormais
de 'Abdul-Rahmân seul.(65)
'Abdul-Rahmân eut une longue consultation avec chacun des électeurs
séparément. Zobayr était en faveur de 'Alî.
On nesait pas avec certitude comment ni pour qui Sa'd vota. 'Othmân
vota pour lui-même, et 'Alî fit de même. L'élection
se restreignit désormais entre ces deux derniers, et on était
à la troisième et dernière nuit de délibération.
L'Election en l'An 24 H.
Au lever du jour, la Mosquée grouillait inhabituellement de monde.
La foule comprenait aussi bien des gouverneurs et des chefs des différentes
provinces que de simples citoyens de Médine venus assister à
la Prière du matin et attendre par la même occasion le résultat
de l'élection de leur nouvel Emir. 'Abdul-Rahmân monta sur
la chaire pour renseigner les gens sur l'élection. 'Ammâr
B. Yâcir, un Compagnon vétéran du Prophète et
le dernier Gouverneur de Kûfa, se leva et dit: «Si vous désirez
vraiment éviter la division des Musulmans, saluez alors 'Alî
comme Calife». Miqdâd fit de même. Mais une autre voix
se leva tout de suite, criant: «Non! Si vous ne voulez pas qu'il
y ait division entre les Quraych, saluez 'Othmân». C'était
'Abdullâh B. Abî Sarh, soutenu par Ibn Rabî'ah. Alors,
le vénérable 'Ammâr se tourna vers Ibn Abî Sarh(66)
et lui dit dédaigneusement: «Ô apostat! As-tu jamais
auparavant conseillé les Musulmans pour que tu oses intervenir aujourd'hui?»
Puis s'adressant à la foule, 'Ammâr, poursuivit:(67)
«Ô gens! Le Messager de Dieu était l'homme honoré
qui nous a élevés au faîte de l'honneur par la Religion
Divine, pourquoi laisserions nous sortir cet honneur de sa Maison».
Un homme de Banî Makhzûm (la tribu à laquelle appartenait
Khâlid Ibn al-Walîd) s'écria alors avec colère:
«Tu dépasses les limites, Ô fils de Somayyah! Qui es-tu
pour te permettre de te mêler des affaires des Quraych en choisissant
leur propre Emir?».(68)
La tension montait, allait grandissant, lorsque Sa'd intervint et s'écria
au visage de 'Abdul-Rahmân: «Fais ton travail avant
que n'éclatent des troubles. Choisis celui que tu veux choisir».
«Oui, ma décision est prise», répondit 'Abdul-Rahmân
qui, ensuite, s'adressant à la foule, dit: «Silence!»
Il appela 'Alî pour s'avancer au premier rang et lui dit: «Si
je t'élis Calife, tu dois t'engager par la convention du Seigneur
à agir selon le Livre de Dieu, l'exemple du Prophète et les
précédents de ses successeurs». «J'espère
le faire. J'agirai selon ma meilleure connaissance et mon meilleur jugement».
Puis s'adressant à 'Othmân, 'Abdul-Rahmân lui posa la
même question. Il répondit promptement: «Oui, je le
ferai».
Là, soit parce qu'il était insatisfait de la réponse
de 'Alî, soit parce qu'il avait préalablement pris une décision
contre sa candidature, 'Abdul-Rahmân prit tout de suite la main de
'Othmân, leva le visage vers le Ciel et pria à haute voix:
«Ô Seigneur! Entends-moi et sois mon témoin. Ce que
(la charge) j'avais autour de mon cou, je le place autour du cou de 'Othmân».
Ce faisant, il salua sur-le-champ 'Othmân en tant que nouveau Calife.
Les gens suivirent son exemple.
«Ce n'est pas la première fois que je suis privé
de mes droits légitimes, mais quant à toi, tu n'as pas agi
sans regarder tes intérêts personnels ni impartialement»,
dit 'Alî à 'Abdul-Rahmân, lequel ne perdit pas une minute
pour lancer à 'Alî sèchement cet avertissement: «Prends
garde à toi, sinon tu te dénonces toi-même»,
faisant allusion à l'ordre donné par 'Omar de décapiter
ceux qui résisteraient à sa décision. «Patience!
C'est à Dieu qu'il faut demander secours contre ce que vous racontez».
(Sourate Yûsuf, 12: 18).
Un Désastre Durable
Sir W. Muir écrit dans son "Annals of the Early Caliphate": «Le
choix fait par 'Abdul-Rahmân posa les germes du désastre de
l'Islam en général, et du Califat en particulier. Il conduisit
à des dissensions qui plongèrent le monde musulman dans un
bain de sang durant de longues années, menacèrent l'existence
même de la Foi, et continuent jusqu'à nos jours à faire
vivre les croyants dans un schisme désespérant et amer».
L'Inauguration du Califat de 'Othmân et
son Premier Discours
C'est le 3, le 4 ou le 5(69) Moharram
24 H. (Novembre 644 ap. J. -C.) que le Califat de 'Othmân fut inauguré.
Le vendredi suivant cette inauguration, il monta sur la chaire pour prononcer
son discours inaugural devant le public. Mais il trouvait difficilement
ses mots. Aussi s'écria-t-il: «Ô gens! Le premier essai
est une tâche difficile, mais, après aujourd'hui, il y a encore
d'autres jours, et si je suis toujours vivant, le discours vous sera livré
après l'habitude, car nous n'avons jamais été prêcheurs
et c'est Dieu qui nous apprendra». ("Ibn Sa'd") ("History of Califat",
p. 169, trad. ang. de M. Jarret de "Târîkh al-Kholifâ"
d'al-Suyûtî)
La Première Cour de Justice de 'Othmân
A peine entré en fonctions, 'Othmân se vit confronté
à une affaire complexe dans laquelle il avait à prendre une
décision contre le fils de 'Omar, son prédécesseur
au Califat. L'affaire en question était la suivante:
'Obaydullâh, le fils de 'Omar, avait appris de 'Abdul-Rahmân,
fils d'Abû Bakr, que la veille de l'assassinat de 'Omar il avait
vu Abû Lu'lu', l'assassin de 'Omar, discuter en privé avec
le Prince persan, Hormûzan et un esclave chrétien, nommé
Jofina, et que surpris par sa présence, ils s'étaient séparés
précipitamment, laissant tomber dans leur hâte un poignard
à double lame avec le manche au milieu.
La description du poignard correspondait à celui avec lequel
fut blessé 'Omar. Ayant entendu ce récit, 'Obaydullâh
avait estimé qu'il y avait donc eu une conspiration. Rendu furieux
par cette idée, il avait dégainé son épée
et couru pour venger son père. Une fois tombé sur Hormûzan,
il l'avait tué. Puis se dirigeant vers le lieu où se trouvait
l'esclave, Jofina, il l'avait tué également. Et enfin il
avait tué la fille d'Abû Lu'lu' également. Il avait
fini par être arrêté par Sa'd Ibn Abî Waqqâç
et mis en prison, en attendant la fin du conclave qui était alors
en délibération.
Le lendemain, après l'inauguration du Califat de 'Othmân,
Sa'd avait amené 'Obaydullâh à 'Othmân pour le
punir conformément à la Loi pour l'assassinat d'un Croyant,
car Hormuzân professait la foi musulmane, recevait une allocation
de deux mille dirhams de la Trésorerie, et était sous la
protection de 'Abbâs, l'oncle du Prophète. Ainsi, 'Othmân
fut devant un dilemme: l'obligation de respecter la lettre de la Loi et
sa répugnance à sanctionner le meurtre du père ('Omar)
par l'exécution du fils ('Obaydullâh). Il n'y avait pas la
moindre preuve, ni même aucune présomption contre le Prince
persan. Convoquant un conseil, 'Othmân demanda aux membres leurs
avis sur l'affaire.
'Alî et plusieurs autres déclarèrent que la Loi
devait être appliquée et le coupable exécuté.
D'autres dirent qu'ils étaient choqués à l'idée
de voir condamner à mort aujourd'hui le fils du Commandeur des Croyants
qui avait été assassiné lui-même peu de temps
auparavant. A la fin, et au grand soulagement de 'Othmân, 'Amr Ibn
al-'Âç recourut à un stratagème et suggéra
qu'étant donné que l'acte de 'Obaydullâh avait eu lieu
pendant l'interrègne situé entre le Califat de 'Omar et celui
de 'Othmân, il n'entrait dans la compétence d'aucun d'entre
eux. 'Othmân se mit ainsi avec bonheur à l'abri des ergoteurs
et ordonna de relâcher 'Obaydullâh.
Il voulait dédommager le meurtre par une somme d'argent tirée
du Trésor public, mais 'Alî protesta. 'Othmân paya alors
la somme de sa propre poche.(70) 'Obaydullâh
s'enfuit et resta impuni, et le meurtre de Hormuzân, l'ex-somptueux
Prince persan ne fut pas vengé. Un sentiment de malaise s'empara
de certains et les gens dirent que le Calife déviait déjà
la Loi. Ziyâd Ibn Lobid, un poète de Médine satirisa
à la fois le meurtrier et le Calife qui l'avait acquitté,
par un vers mordant. Mais on le réduisit au silence et l'affaire
fut classée.
Au troisième jour de son Califat (Moharram 24 de l'Hégire),
'Othmân évinça al-Moghîrah Ibn Cho'bah du gouvernement
de Kûfa et nomma à sa place Sa'd Ibn Abî Waqqâç
("Rawdhat al-Ahbâb").
L'Année de l'Hémorragie
En cette année (24 H.) les gens assistèrent à l'apparition
d'une maladie dont les victimes souffraient de saignements de nez. De là
cette appellation de "l'année de l'hémorragie" (Ibid).
'Othmân lui-même fut atteint par cette maladie qui l'empêcha
même d'aller au Pèlerinage du Hajj et qui l'obligea à
envoyer une autre personne à sa place. (Al-Suyûtî, trad.
ang. de M. Jarret, op. cit., p. 159)
Il est à noter ici que selon un hadith cité par Ibn Hajar
dans son "Tahrîr al-Tinân", p. 141, le Prophète avait
prédit: «L'un des oppresseurs, issu des Omayyades, sera atteint
d'une maladie qui le fera saigner du nez».(71)
La Nomination de Walîd comme Gouverneur
de Kûfa
En l'an 25 H. 'Othmân nomma son frère utérin, Walîd
B. 'Oqbah B. Mo'ayt, Gouverneur de Kûfa, en destituant son prédécesseur
Sa'd B. Abî Waqqâç. Walîd était un alcoolique,
un débauché notoire et un homme célèbre pour
ses scandales.(72) Son père 'Oqbah
avait été fait prisonnier lors de la bataille de Badr, et
alors qu'on allait l'exécuter, il dit avec désespoir: «Qui
prendra en charge mes enfants?», ce à quoi le Prophète
répondit: «Le feu de l'Enfer». Walîd était
l'un de ces enfants. Le Calife se fit la mauvaise réputation de
favoritisme envers ses proches parents sans mérites.
L'Extension des Limites de la Ka'bah
En l'an 26 H., lors du pèlerinage de la Mecque, 'Othmân,
désireux de procéder à l'extension de l'enclos de
la Ka'bah, ordonna l'acquisition des maisons contiguës aux murs de
bornage existants de l'édifice. Quelques propriétaires refusèrent
de céder leurs maisons, et 'Othmân donna l'ordre de les acquérir
de force. Lesdits propriétaires se rendirent alors à Médine
pour protester auprès du Calife contre cette acquisition forcée.
Ils furent arrêtés et emprisonnés, mais relâchés
par la suite sur la recommandation de 'Abdullâh B. Khâlid B.
Osayd ("Ibn Athîr").
La Nomination de 'Abdullâh B. Abî
Sarh, Gouverneur d'Egypte
La même année, 'Othmân démit 'Amr B. Al-'Âç,
le conquérant de l'Egypte, de ses fonctions de Gouverneur d'Egypte
pour nommer à sa place son propre frère de lait, 'Abdullâh
B. Abî Sarh.(73) Il s'agit de ce
même 'Abdullâh à qui avait fait allusion le verset 93
de la Sourate al-An'âm. 'Amr retourna à Médine pour
y séjourner, tout comme l'avait fait l'ex-Gouverneur de Kûfa,
Sa'd B. Abî Waqqâç. Ces deux hommes s'appliquèrent
à critiquer l'action publique et privée du Calife. Et (selon
"Habîb al-Sayyâr") l'opposition au Calife atteignit un tel
degré que 'Amr, qui était marié à une sur de
'Othmân, se sépara d'elle. Désormais toutes les bouches
étaient pleines d'accusations contre 'Othmân, à qui
on reprochait son népotisme poussé à l'extrême.
Des Cadeaux Faramineux
En cette année, et l'année suivante (c'est-à-dire
26-27), les conquêtes musulmanes s'étendirent en Afrique de
l'Egypte à l'est au Maroc à l'ouest, en passant par presque
toute la côte, soit Tripoli, Tunis, l'Algérie et le Maroc.
Les conquérants obtinrent d'immenses butins de guerre dont le cinquième
fut envoyé au Calife pour être déposé dans le
Trésor public et destiné aux pauvres. 'Othmân offrit
la totalité de ces biens, y compris la part qui revenait à
la famille du Prophète,(74) à
son secrétaire Marwân. Le montant de ce cadeau était
de cinq cent mille dinars.(75)
Or, il est à noter à propos de Marwân, que son père
Hakam B. al-'Âç avait été banni à vie
de Médine par le Prophète et que pour cette raison il n'avait
pas été rappelé par les prédécesseurs
de 'Othmân, en l'occurrence Abû Bakr et 'Omar. Mais Hakam et
Marwân étaient des proches parents de 'Othmân, le premier
étant son oncle et le second son cousin. Pour cette raison il les
fit revenir et se rétablir tous les deux à Médine.(76)
Il maria sa fille à Marwân(77)
et le nomma son propre Secrétaire. Outre le cadeau du butin de guerre
mentionné plus haut, il lui céda Fadak(78)
(la propriété réclamée par Fâtimah) qui
resta en sa possession et en la possession de ses descendants jusqu'à
l'époque où 'Omar Ibn 'Abdul-'Azîz (au deuxième
siècle de l'Hégire) la remit à ses propriétaires
légitimes, les descendants de Fâtimah.
'Othmân prodigua des cadeaux somptueux à ses proches et
parasites. Par exemple, une fois il offrit cent mille dinars à al-Hakam.
Il accorda à son cousin Hârith B. al-Hakam, qui était
marié à sa fille, le droit de prélever la taxe sur
les ventes (un dixième du montant de la vente) effectuées
à Médine.(79) Or, ce revenu
avait été destiné aux pauvres par le Prophète.
Trois cent mille dinars furent alloués à 'Abdullâh
B. Khâlid B. Osayd, un parasite, fils du cousin du père de
'Othmân. De même, 'Othmân donna cent mille dinars à
son frère de lait 'Abdullâh B. Abî Sarh, l'apostat,
qu'il avait nommé Gouverneur d'Egypte.
La Nomination de 'Abdullâh B. 'Âmir
comme Gouverneur de Basrah
En l'an 28 H., le Calife destina Abû Mûsâ al-Ach'arî
de sa fonction à la tête du gouvernement de Basrah, et nomma
à sa place son propre cousin,(80)
'Abdullâh B. 'Âmir, un jeune homme de vingt-cinq ans.
La même année, 'Othmân se maria avec une dame chrétienne,
Naela. II construisit un palais pour elle à Médine. C'est
cette année-là que Chypre et Rhodes furent pris.
Révolte en Perse
En l'an 29 de l'Hégire, une révolte éclata en Perse.
Astakhar, Isfahân et Chirâz durent être reconquis.
Une Décision Brutale et Injuste
Durant la même année, une femme qui venait de donner naissance
à un enfant après seulement six mois de mariage fut présentée
devant le Calife pour être jugée sur des présomptions
d'adultère.(81) 'Othmân ordonna
qu'elle fût lapidée jusqu'à la mort. Elle fut emmenée
pour subir la sentence.
Entre-temps 'Alî fut informé de l'affaire. Il s'entretint
tout de suite avec 'Othmân pour lui expliquer que selon la Loi du
Seigneur, la durée minimale d'une grossesse est de six mois, et
que par conséquent aucune femme qui accouche après ce délai
ne doit être suspectée d'adultère, à moins qu'il
ait des preuves contre elle.
'Othmân eut honte de son jugement dur et injuste, et il dépêcha
des hommes pour empêcher son exécution. Mais une fois les
messagers arrivés sur le lieu de l'exécution, ils constatèrent
que celle-ci avait déjà eut lieu.
Retour aux Coutumes Païennes
En l'an 29 H. toujours, alors que 'Othmân accomplissait le pèlerinage
de la Mecque, il y introduisit de nombreuses innovations, dont celle qui
consistait à poursuivre la pratique des païens en dressant
une tente spacieuse dans la plaine de Minâ, sous laquelle il distribua
des provisions diverses aux pèlerins, et ce, bien que le Prophète
eût soigneusement aboli cette coutume, en tant que vestige du paganisme.(82)
Des Actions Contraires aux Enseignements et
aux Pratiques du Prophète
Le Prophète et ses deux premiers successeurs, Abû Bakr
et 'Omar - et même 'Othmân lui-même, à Minâ
et à 'Arafât réduisaient à deux Rak'ah toutes
les prières de quatre Rak'ah.(83)
Mais cette fois-ci (Pèlerinage de 29 H.), 'Othmân n'écourta
pas ses prières. Ce comportement contraire aux enseignements et
aux pratiques de la Foi suscita l'indignation des Musulmans en général
et des éminents Compagnons du Prophète en particulier et
fut très préjudiciable au Calife.
La Compilation du Coran en 30 H.
«Des différends éclatèrent à propos
de la récitation du texte sacré du Coran dans de vastes provinces
de l'Empire musulman: Basrah suivit la lecture d'Abû Mûsâ
al-Ach'arî, alors que Kûfa adopta celle d'Abû Mas'ûd,
son chancelier et le texte de Himç était différent
de celui de Damas. Hothayfah exhorta 'Othmân à restaurer l'unité
de la Parole Divine. Le Calife demanda qu'on rassemblât des échantillons
des manuscrits en usage dans les différentes régions de l'empire,
puis il désigna un Conseil pour collecter ces copies et les comparer
avec les originaux sacrés gardés par Hafçah. Sous
le contrôle de ce Conseil, les variations furent réconciliées
pour en sortir un exemplaire faisant autorité. Des copies de cet
exemplaire furent déposées à la Mecque, Médine,
Kûfa et Damas. Et à partir de ces copies on multiplia des
exemplaires conformes qui furent envoyés à travers l'empire.
Tous les précédents manuscrits furent retirés pour
être brûlés. Le texte standard devint le seul texte
en usage. A Kûfa, Ibn Mas'ûd, qui vantait sa récitation
parfaite, faisant autorité et aussi pure que si elle sortait des
lèvres du Prophète, fut très mécontent de cette
action. L'accusation de sacrilège porté contre 'Othmân
et dû au fait d'avoir brûlé les précédentes
copies du Texte Sacré commença à circuler parmi les
citoyens factieux. Bientôt les accusations contre le Calife se répandirent
à l'étranger et furent reprises avec zèle par les
ennemis de 'Othmân». ("Annals of the Early Caliphate" de W.
Muir, p. 307)
La Déposition de Walîd et la Nomination
de Sa'îd
Walîd, le Gouverneur de Kûfa, conduisit un jour la prière
du matin en assemblée en faisant quatre Rak'ah au lieu des deux
Rak'ah réglementaires prescrites. Et pour cause! Il était
en état d'ébriété.(84)
L'assemblée, qui comprenait un bon nombre de personnes pieuses,
telles qu'Ibn Mas'ûd, était encore courroucée et sous
le choc de cette violation flagrante de la prescription divine, lorsque
Walîd, terminant la quatrième Rak'ah, s'écria à
l'adresse des priants: «Quel beau matin! J'aimerais bien prolonger
encore la prière, si vous êtes d'accord». Or, déjà
des plaintes répétées étaient parvenues au
Calife contre Walîd, à cause de sa débauche, mais souvent
rejetées.
'Othmân était désormais accusé de ne pas
écouter les griefs des plaignants et de favoriser un tel scélérat.
Les gens réussirent par hasard à ôter la Chevalière
de la main du Gouverneur alors qu'il était encore insensible sous
l'effet de l'alcool, pour la remettre, à Médine au Calife
comme, preuve du péché commis. Et malgré cela, le
Calife se montrait hésitant et ne se décidait pas à
infliger la peine requise contre le Gouverneur, son cousin utérin,
ce qui lui valut l'accusation d'ignorer la Loi. Toutefois, à la
fin 'Othmân accepta de se rendre à l'évidence et de
démettre le Gouverneur de ses fonctions. Le Calife nomma à
sa place, Sa'îd B. al-'Âç, un cousin.
Les Menaces de 'Othmân à l'Adresse
du Peuple. 'Ammâr, maltraité
Ce qu'on reprochait le plus à 'Othmân, c'était les
cadeaux faramineux qu'il avait offerts, au détriment du Trésor
Public, à ses proches et à ses parasites, qui avaient été
haïs et abhorrés par le Prophète.
Prenons-en quelques exemples. 'Othmân offrit cent mille dinars
à al-Hakam, quatre cent mille à 'Abdullâh B. Abî
Sarh, cinq cent mille à Marwân.(85)
On commença à murmurer un peu partout contre cette attitude,
et la grogne allait chaque jour grandissant, et les critiques devenaient
de plus en plus virulentes. Sa conduite aussi bien privée que publique
était scrutée. «A la fin, 'Othmân dit à
ses détracteurs lors d'une réunion publique que l'argent
qui se trouvait dans la Trésorerie était sacré et
appartenait à Dieu, et qu'il allait (étant le successeur
du Prophète) en disposer à sa guise malgré eux. Il
proféra des menaces, lança des anathèmes contre tous
ceux qui censuraient et critiquaient ce qu'il disait».(86)
Là, 'Ammâr B. Yâcir, l'un des premiers Musulmans,
dont le Prophète lui-même avait dit qu'il était rempli
de Foi de la pointe de la tête à la plante des pieds, exprima
audacieusement sa désapprobation et se mit à reprocher à
'Othmân sa propension invétérée à ignorer
l'intérêt public, et à l'accuser de faire renaître
les coutumes païennes, abolies par le Prophète, au mépris
total de la tradition sacrée instaurée par le Fondateur de
l'Islam. 'Othmân n'hésita pas à ordonner que fût
fouetté ce Compagnon courageux, et l'un des Omayyades, parent du
Calife, se jeta sur le vénérable 'Ammâr, à qui
'Othmân lui-même donna un coup de pied, le jetant par terre.(87)
Puis il fut battu jusqu'à l'évanouissement.
Les Banû Makhzûm, les descendants de l'oncle de 'Ammâr,
ayant appris ce qui s'était passé, ramenèrent ce dernier
et jurèrent que s'il mourait des suites des coups reçus,
ils se vengeraient sur 'Othmân lui-même.
L'écho de cet outrage à la personne du Compagnon favori
du Prophète fut propagé à travers le territoire de
l'Empire musulman et contribua largement à soulever un mécontentement
général.
Changement dans le Caractère National
des Arabes
La conquête de la Perse, de la Syrie et de l'Egypte produisit
un grand effet sur le caractère et les habitudes des très
simples Arabes. Le Luxe permanent et la douce sensualité des magnifiques
cités royales des pays conquis sapèrent la rude simplicité
des habitants des déserts arabes. Les splendides palais, les foules
d'esclaves, les multitudes de chevaux, de chameaux, le menu et gros bétail,
une abondance de vêtements coûteux, la chère somptueuse,
des parties de divertissements et de sports futiles devinrent désormais
à la mode à travers l'Empire.
Par exemple, 'Othmân avait construit pour lui-même un palais,
un bâtiment imposant, avec des colonnes en marbre, de grands portails
et des jardins à Médine. Il avait construit six autres palais
dont un pour Nâela, sa femme, et un pour chacune de ses filles. Il
avait d'innombrables esclaves, des milliers de chevaux, de chameaux et
de têtes de bétail. Ses propriétés à
Wâdî al-Qorâ, à Honayn, étaient évaluées
à plus de cent mille dinars. On dit qu'il avait amassé d'immenses
trésors. A sa mort, cent cinquante mille dinars et un million de
dirhams en pièces se trouvaient dans son trésor.
Zobayr avait construit des palais à Kûfa, à Fostat,
à Alexandrie et dans la plupart des grandes villes de l'empire.
Celui de Basrah existera jusqu'au quatrième siècle. Ses propriétés
foncières en Irak lui rapportaient mille pièces d'or par
jour. Il avait acquis pas moins de mille chevaux et de nombreux esclaves.
Talha avait acquis des palais à Kûfa, à Médine,
etc... Sa rente journalière en Irak et à Nahiya Sarah se
montait à plus de deux mille dinars. 'Abdul-Rahmân avait mille
chameaux, dix mille moutons et cent chevaux. Il laissa derrière
lui une fortune évaluée à trois ou quatre mille dinars.
Zayd, quant à lui, laissa comme héritage une grande quantité
de lingots d'or et d'argent, et une propriété foncière
évaluée à dix mille dinars. Mu'âwiyeh, en Syrie,
dépassa tous les autres par la pompe et l'éclat de ses richesses.(88)
Le Bannissement d'Abû Thar al-Ghifârî
Abû Thar al-Ghifâri, un vénérable Compagnon
du Prophète, et un ascète dans son train de vie, qui vivait
en Syrie, fulminait contre l'émergence des riches et de l'extravagance,
deux maux qui étaient à l'opposé de la simplicité
du Prophète et qui, faisant irruption comme un torrent, ne cessaient
de corrompre les gens. Cet ascète fut irrité par la pompe
et la vanité qui sévissaient tant autour de lui, et il prêchait
la repentante aux habitants et rappelait aux dilapidateurs ce qui les attendait:
«Annonce un Châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent
l'or et l'argent (...) le Jour où ces métaux seront portés
d'incandescence dans le Feu de la Géhenne et qu'ils serviront à
marquer leurs fronts, leurs flancs et leur dos». (Sourate al-Tawbah,
9: 34-35). Il s'élevait contre l'invasion de la débauche,
de la consommation de l'alcool, et des pratiques interdites de certains
divertissements, musique et jeux de hasard. La foule s'attroupait pour
l'écouter.
Mécontent des troubles que provoquaient ces diatribes dans les
esprits, Mu'âwiyeh écrivit au Calife pour dénoncer
Abû Thar.(89) 'Othmân donna
l'ordre de le bannir tout de suite à Médine.(90)
Mu'âwiyeh, en accord avec le Calife, ordonna qu'on amenât Abû
Thar à Médine sur un chameau grincheux dessellé et
conduit par un chamelier rude et brutal. Ainsi, Abû Thar qui était
un vieillard aux cheveux et aux poils blancs de la tête aux pieds,
grand, maigre et décharné, arriva à Médine
les jambes meurtries et sanguinolentes, et souffrant de douleurs dans toute
son ossature. Il fut reçu par le Calife chaleureusement.
Mais Abû Thar dit furieusement à ce dernier:(91)
«J'ai entendu le Prophète dire: "Lorsque la postérité
d'Abul-'Âç sera au nombre de trente, elle fera siennes les
richesses du Seigneur et traitera le peuple de Dieu comme s'il était
ses propres serviteurs et esclaves. Elle déviera du droit chemin.
Puis le peuple sera libéré d'elle par le Seigneur"».
'Othmân fut très irrité par ce qu'il avait dit et le
proscrit par la suite à Rabadha, un endroit sauvage dans le désert
de Najd, où il mourra deux ans après dans la pénurie
et l'abandon.
Abû Thar avait été l'une des quatre personnes(92)
dont l'amour avait été ordonné aux gens par le Prophète
qui avait déclaré à leur propos qu'elles étaient
aimées de Dieu. Il avait été traité en ami
par le Prophète. Lorsqu'il sentit que sa fin approchait, l'ermite
demanda à sa fille de tuer un chevreau et de le préparer
pour un groupe de voyageurs qui, dit-il, passeraient bientôt par
là pour l'enterrer. Puis une fois que sa fille lui eut fait tourner
la face vers la Ka'bah, il expira tranquillement. Bientôt le groupe
attendu arriva. Il comprenait entre autres Mâlik al-Achtar de Kûfa,
(et selon certains, Ibn Mas'ûd) qui l'enterra dans le lieu où
il était mort, en se lamentant sur lui.(93)
Le récit touchant du rude traitement qui avait été
réservé au prêcheur de la droiture sortait de toutes
les bouches comme une plainte contre le Calife.(94)
Quelques jours après la mort d'Ibn Mas'ûd, qui avait été
lui aussi maltraité par 'Othmân qui lui avait coupé
son allocation à cause de son refus de céder son manuscrit
du Coran pour qu'il soit brûlé, rendit encore plus pathétique
le récit du drame d'Abû Thar.(95)
La Perte de la Chevalière de 'Othmân
La septième année de son Califat, un incident de mauvais
augure survint à 'Othmân. Celui-ci perdit sa chevalière
en la laissant tomber accidentellement dans le puits d'Aris dans la banlieue
de Médine. C'était une bague en argent sur laquelle il y
avait l'inscription: "Mohammad, le Messager de Dieu". Elle appartenait
originellement au Prophète, qui l'avait fait faire en l'an 6 H.
pour signer les lettres qu'il envoyait aux cours étrangères.
Après sa mort, la bague avait été portée et
utilisée par Abû Bakr et 'Omar comme symbole de Commandement.
'Othmân aussi l'utilisa de la même façon, et sa perte
fut considérée comme ayant une signification sinistre. Tous
les efforts déployés pour retrouver la précieuse relique
furent vains. Ce mauvais présage pesait lourd sur l'esprit de 'Othmâne,
bien que la bague eût été remplacée par une
autre, du même modèle.
La Fin de l'Empereur Perse et de son Empire
En l'an 31 H., Yezdjird, l'Empereur perse, qui fuyait d'une forteresse
à une autre pour échapper à la poursuite des Musulmans,
fut tué à Merv par un propriétaire de moulin chez
qu'il avait cherché refuge. Le Gouvernement perse prit fin avec
son dernier monarque, et tous les territoires lui appartenant tombèrent
finalement sous le contrôle de l'Islam
Emeute à Basrah
En l'an 32 H. une émeute éclata à Basrah, mais
elle fut rapidement et momentanément étouffée par
Ibn 'Âmir, le Gouverneur de cette ville.
Révolte à Kûfa
Vers l'an 33 H., une révolte eut lieu à Kûfa. Elle
avait pour cause principale la tyrannie du Gouvernement, Sa'îd B.
al-'Âç, un cousin de 'Othmân. Il avait suscité
en général la haine des principaux citoyens, mais depuis
qu'il avait offensé tout particulièrement Mâlik al-Achtar
qui était un chef notoire et le favori des Kûfites, ceux-ci
se réunissaient chaque jour chez Mâlik al-Achtar pour critiquer
l'action publique et privée du Gouverneur, saisissant toutes les
occasions pour afficher leur mépris non seulement de l'administration
de Sa'îd, mais aussi du Calife.
Un jour, Sa'îd envoya un officier pour disperser l'une de ces
réunions, mais les participants se précipitèrent sur
lui et le frappèrent jusqu'à ce qu'il perdit conscience.
Sa'îd se plaignit auprès du Calife des machinations des chefs
actifs. 'Othmân ordonna que vingt d'entre eux fussent expulsés
en Syrie afin d'y être étroitement surveillés par Mu'âwiyeh.
Ainsi, Mâlik al-Achtar, Thabit B. Qays, 'Âmir B. Qays, Kumayl
B. Ziyâd, Jondab B. Ka'b, Zayd B. Sohan, 'Orwah B. al-Jo'd, So'so'ah
B. Sohan, 'Omay B. Sabi, 'Amr B. al-Homaq et dix autres furent-ils bannis
en Syrie.
Mu'âwiyeh les logea dans l'Eglise de Saint Mary et, compte tenu
de leurs rangs et positions, s'efforça de les réconcilier
par la douceur, mais ils ne cessèrent jamais d'injurier la famille
Omayyade en général et le Calife en particulier. Un jour,
au cours d'une vive discussion sur ce sujet avec Mu'âwiyeh, ils l'attaquèrent
et le saisirent par la barbe.(96) Mu'âwiyeh
se contenta de crier: «Attention! Vous n'êtes pas à
Kûfa! Si jamais les Syriens apprenaient vos insultes, par le Ciel,
je ne serais pas capable de les empêcher de vous mettre en pièces».
Mais Mu'âwiyeh ayant désespéré de les pacifier,
écrivit à 'Othmân tout à leur sujet.
Le Calife lui donna pur instructions de transférer ses hôtes
incommodes à 'Abdul-Rahmân fils de Khâlid B. al-Walîd,
qui était le Gouverneur de Himç et dont on prévoyait,
d'après ses manières rudes, de les traiter comme ils le mériteraient.
Lorsqu'ils arrivèrent à Himç, 'Abdul-Rahmân
ne leur accorda aucune audience pendant un mois. Finalement il les reçut
très sèchement, et il les insultait chaque fois qu'ils paraissaient
devant lui, les faisant poursuivre par son cheval et ne leur adressant
la parole que lorsqu'il descendait du cheval. De cette façon, il
put les soumettre rapidement et à la longue, il leur permit de retoumer
à Kûfa. Mais Mâlik continua à résider
à Himç jusqu'à ce qu'il ait appris que Sa'îd
était absent de Kûfa et qu'il se trouvait à Médine.
Le
Retour de Mâlik à Kûfa; Abû Mûsâ Al-Ach'arî,
Nommé Gouverneur
Mâlik al-Achtar réapparut à Kûfa en l'an 34
H., pendant l'absence de Sa'îd, le Gouverneur, et il reprit sa place
à la tête des opposants Kûfites au régime. Lorsque
Sa'îd revint à Kûfa, il constata que sa route était
barrée par les habitants de la ville, qui s'étaient rassemblés
en grand nombre sur les remparts pour l'intercepter au passage. Alarmé
par leur attitude hostile, il rebroussa chemin pour regagner Médine.
Le Calife pour faire de nécessité vertu, accéda au
désir des Kûfites de remplacer Sa'îd par Abû Mûsâ
al-Ach'arî.
Les
Gens Prennent Conscience de la Faiblesse de 'Othmân
Bien que 'Othmân eût déjà perdu l'estime du
peuple comme en témoignent les illustrations ci-après, l'erreur
qu'il commit en cédant par faiblesse aux rebelles fut encore plus
fatale à son gouvernement. Alors que les gens autour de lui le regardaient
avec mépris, ceux qui se trouvaient dans les provinces lointaines
de l'empire et qui souffraient de la sévérité et de
la tyrannie des gouverneurs despotiques, constatant la faiblesse de 'Othmân,
s'enhardirent jusqu'à élever la voix pour appeler à
un soulèvement. Des lettres séditieuses s'échangeaient
désormais librement, et des messages partaient même de Médine
vers les différentes provinces, professant que l'épée
serait vite plus nécessaire, ici même, à l'intérieur,
que dans les territoires étrangers.(97)
Des Illustrations des Agissements Outrageants
de 'Othman
Sa'îd B. al-'Âç, le Gouverneur de Kûfa, étant
en colère contre Hichâm B. 'Otbah, un neveu de Sa'd B. Abî
Waqqâç, brûla la maison de Hichâm à Kûfa
et la réduisit en cendres. Sa'd B. Abî Waqqâç,
un des premiers Compagnons du Prophète, l'ex-Gouverneur de Kûfa
et actuellement un citoyen notable de Médine, vint voir 'Othmân
et lui demanda de punir en représailles Sa'îd et d'indemniser
la victime. Il attendit quelque temps, mais constatant que le Calife ne
faisait rien pour satisfaire à sa demande, Sa'd, soutenu par 'Âyechah,
brûla la maison de Sa'îd à Médine, et le Calife
ne put entreprendre aucune mesure contre lui.(98)
«'Abdul-Rahmân B. 'Awf, qui n'avait pas oublié sa
part de responsabilité dans l'élection de 'Othmân,
était lui-même mécontent des agissements de ce dernier,
et on lui attribue la première dénonciation de l'irrespect
de la Loi affiché par le Calife. Un beau chameau faisant partie
de la Zakât d'une tribu bédouine fut offert comme une rareté
par le Calife à l'un de ses proches parents. 'Abdul-Rahmân,
scandalisé par le détournement des biens religieux destinés
aux pauvres, mit la main sur l'animal, l'égorgea et en distribua
la viande entre les gens. La révérence personnelle attachée
jadis au successeur du Prophète de Dieu laissa la place désormais
au manque d'égards et à l'irrespect».
«Même dans les rues, 'Othmân était accueilli
par des cris lui réclamant de déposer Ibn 'Âmir et
'Abdullâh Ibn Abî Sarh, l'impie, et de s'écarter de
Marwân, son principal conseiller et confident».
«'Amr (B. al-'Âç), qui était devenu un mécontent
notoire depuis sa déposition, est présenté comme parlant
à 'Othmân, et bien en face, outrageusement et 'Othmân
est présenté comme lui rendant la monnaie de sa pièce
en le traitant de pou dans ses vêtements».
La Liste des Charges contre 'Othmân
Il ne serait pas déplacé de citer ici, du long chapitre
des charges contre 'Othmân, une liste des reproches plus marquants
du grand public.(99)
1- D'avoir fait revivre certaines coutumes que le Prophète avait
pris soin d'abolir.
2- D'avoir violé les enseignements et les pratiques du Prophète
en accomplissant les prières de Mina à 'Arafât.
3- D'avoir agi en violation des précédents d'Abû
Bakr et de 'Omar en s'asseyant sur la marche supérieure de la chaire
place que seul le Prophète avait l'habitude d'occuper.
4- Le fait d'avoir réhabilité et fait revenir al-Hakam
et Marwân qui avaient été bannis par le Prophète.
("Abul-Fidâ'")
5- D'avoir commis le sacrilège de brûler les manuscrits
sacrés du Coran.
6- D'avoir offert à ses proches des cadeaux faramineux, soutirés
des biens religieux destinés aux pauvres.
7- D'avoir démis de leurs fonctions de vénérables
Compagnons du Prophète pour mettre à leur place ses propres
proches impies.
8- D'avoir maltraité 'Ammâr B. Yâcir, un vénérable
Compagnon du Prophète.
9- D'avoir maltraité et banni le pieux Abû Thar, le Compagnon
favori du Prophète, dans un endroit désert où il mourut
dans le besoin, son allocation ayant été supprimée.
10- D'avoir maltraité 'Abdullâh B. Mas'ûd et d'avoir
coupé son allocation.
11- D'avoir banni de Kûfa, Mâlik al-Achtar et Ka'b.
12- D'avoir banni 'Obaydah B. Samit pour avoir déchiré
l'outre à vin apportée à Mu'âwiyeh. ("Târîkh
al-Khamîs"; "Al-Imâmah wal Siyâsah")
13- D'avoir accordé à ses proches l'utilisation exclusive
de l'eau de pluie rassemblée dans des réservoirs pour l'usage
commun. (Ibid.)
14- D'avoir réservé les terres pastorales pour l'usage
exclusif de ses propres bêtes. (Ibid.)
15- D'avoir restreint l'exclusivité des Mers à ses propres
vaisseaux de commerce. (Ibid.)
16- D'avoir dénigré 'Abdul-Rahmân B. 'Awf comme
un hypocrite. Les gens disaient que si celui-ci était un hypocrite,
son choix de 'Othmân comme Calife avait donc été illégal,
ou bien s'il était dénigré par malveillance par 'Othmân,
dans ce cas-là, ce demier ne méritait pas le Califat. (Ibid.)
Des Voix Menaçantes d'Avertissement
Lorsque Mâlik al-Achtar avait été banni avec les
autres notables de Kûfa, Ka'b B. 'Abdah, un homme célèbre
pour sa piété, écrivit de Kûfa à 'Othmân
une lettre de protestation contre le bannissement et le mit en garde contre
les dangers imminents que représentait la tyrannie de Sa'îd.
En recevant le message 'Othmân se mit en colère et demanda
qu'on emprisonnât ou frappât impitoyablement le messager, mais
sur intervention de 'Alî, il lui permit finalement de retoumer sans
être puni. Cependant 'Othmân écrivit à Sa'îd
pour faire fouetter Ka'b et le punir. Sur ce point Talha et al-Zubayr firent
des remontrances à 'Othmân et l'avertirent que sa mauvaise
administration aboutirait à une explosion pareille à un volcan
de feu qui l'engloutirait. Rendu sensible à cet avertissement, il
écrivit de nouveau à Sa'îd pour lui demander de faire
revenir Ka'b de l'exil.(100)
Entre-temps, des messages affluèrent de toutes les provinces
vers Médine pour demander aux notables de la ville les moyens de
se débarrasser de l'oppression et de la cruauté auxquelles
les gouverneurs despotiques les avaient soumis. Mû par ces appels
au secours, 'Alî se rendit chez 'Othmân et dit:
«Les gens se plaignent de tes gouverneurs et sont venus réclamer
une réforme, et ils te tiennent pour responsable des agissements
de tes gouverneurs. Ils te reprochent de ne pas écouter leurs griefs
réitérés. Prends donc garde à la trahison,
sinon elle tempêtera comme les vagues furieuses de la mer. Crains
Dieu et rends-leur justice, afin qu'ils retournent satisfaits».
'Othmân répondit: «J'ai fait de mon mieux. Concernant
les gouverneurs, ne concèdes-tu pas que mes gouverneurs ne sont
autres que Moghîrah B. Cho'bah qui avait été nommé
par 'Omar comme gouverneur de Basrah et déposé par la suite
pour avoir été accusé d'adultère, avant d'être
nommé à nouveau par le même 'Omar gouverneur de Kûfa?
Et Mu'âwiyeh aussi a été choisi par 'Omar! Je n'ai
fait que le nommer Commandant principal de la Syrie».
«Oui, répondit 'Alî, mais 'Omar avait le contrôle
total de ses fonctionnaires. Ils obéissaient à ses ordres,
et lorsqu'ils commettaient une faute, il les punissait, alors que tu les
traites avec mollesse et que tu ne les sanctionnes pas en raison de tes
liens de parenté avec eux. N'admets-tu pas que les serviteurs de
'Omar ne le craignaient pas autant que le craignait Mu'âwiyeh?»
'Othmân acquiesça.
'Alî continua: «Mais maintenant, il fait ce qui lui plaît
en ton nom, et toi tu sais tout cela, sans lui demander des comptes».
Ayant fait cette mise en garde au Calife, 'Alî repartit.(101)
Selon les termes de Sir W. Muir: «Etant donné que le message
qu'avait apporté 'Alî provenait du peuple, 'Othmân se
dirigea immédiatement vers la chaire où il appela la foule
rassemblée là, à la prière à la mosquée.
S'adressant aux gens, il leur reprocha de donner libre cours à leurs
langues et de suivre des dirigeants méchants dont l'objectif était
de noircir sa réputation, d'exagérer ses fautes et de taire
ses vertus: "Vous me blâmez, s'écria-t-il, pour des choses
que vous supportiez gentiment de 'Omar. Il vous piétinait, il vous
battait avec son fouet et il abusait de vous. Et malgré cela vous
acceptiez tout de lui avec patience: aussi bien ce que vous aimiez que
ce que vous détestiez. J'ai été gentil avec vous,
je vous ai tourné le dos, j'ai retenu ma langue de vous injurier
et ma main de vous frapper. Et vous voilà qui vous soulevez contre
moi". Puis après s'être appesanti sur la prospérité
intérieure et extérieure de son règne, il conclut
ainsi: "Abstenez-vous donc, je vous adjure, d'abuser de moi et de mes gouverneurs
pour éviter d'allumer les flammes de la sédition et de la
révolte à travers l'empire". Cet appel, dit-on, fut gâché
par son cousin Marwân qui s'écria alors: "Si vous vous opposez
au Calife, nous ferons appel à l'épée". "Silence!",
cria 'Othmân à son visage. Marwân se tut et 'Othmân
descendit de la chaire. La harangue n'eut pas un long effet. Le mécontentement
s'étendit et les rassemblements contre le Calife se multiplièrent».
("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir)
Conférence des Gouverneurs à Médine
en 34 H. (655 ap. J. -C.)
Il était de coutume que les gouverneurs des différentes
provinces se rendent à la Cour Califale à Médine à
leur retour du Pèlerinage de la Mecque. La saison du Pèlerinage
de la onzième année du Califat de 'Othmân s'étant
approchée 'Othmân promulgua un édit demandant aux citoyens
qui avaient une raison ou une autre de se plaindre de leurs gouverneurs
de se présenter à cette occasion afin qu'ils puissent s'exprimer
en présence des gouverneurs mis en cause et que justice leur fût
rendue. Après le Pèlerinage, les gouverneurs furent présents
à la Cour du Calife, mais les plaignants n'osèrent pas demander
justice en présence de leurs gouverneurs respectifs contre lesquels
ils avaient des griefs. Le Calife discuta cependant de la situation avec
les gouverneurs et leur demanda leur avis sur le meilleur moyen d'endiguer
le mécontentement croissant. L'un de ces gouverneurs (Sa'îd)
suggéra que l'on passât par l'épée les meneurs;
un autre ('Abdullâh) proposa que ces derniers soient réduits
au silence grâce à des cadeaux généreux; un
troisième (Ibn 'Âmir) conseilla que l'on envoie quelques-uns
des chefs des émeutiers dans des forces expéditionnaires
afin de les détourner ainsi de leurs activités actuelles.
La conférence fit long feu et n'aboutit à aucun accord. Rien
ne fut fait pour mettre fin aux crises menaçantes, et le Calife
donna aux gouverneurs l'autorisation de repartir en leur disant seulement
qu'ils devaient user de tous les moyens pour contrôler la situation.
Les Prédictions de Ka'b al-Ahbar
Pendant son séjour à Médine, Mu'âwiyeh rencontra
Ka'b al-Ahbar, un Juif converti et un célèbre diseur de bonne
aventure.(102) Il lui demanda de prédire
l'issue du mécontentement actuel. Ka'b lui dit: «La fin de
'Othmân est proche. C'est le mulet gris qui gagnera dans la longue
course après beaucoup d'effusion de sang», c'est-à-dire
Mu'âwiyeh lui-même, lequel depuis ce moment-là fixa
résolument un il sur le Califat.(103)
Les Délégations demandent la Réforme
et 'Othmân fait Preuve d'Inconstance
A leur retour à leurs sièges, les gouverneurs se montrèrent
encore plus arrogants et plus cruels. Les opprimés quant à
eux, se réunissant en secret, décidèrent d'envoyer
leurs représentants une fois de plus à 'Othmân pour
le prévenir, et se donnèrent un nouveau rendez-vous ici même
au cas où leurs efforts en vue de faire entendre raison à
'Othmân n'aboutiraient pas - pour se diriger vers Médine et
demander à 'Othmân, sous la menace de leurs forces combinées,
d'abdiquer le Califat. Les délégations arrivèrent
à Médine au mois de Rabî' I, 35 H. et présentèrent
une longue liste de griefs, demandant la réparation des préjudices
subis et, à défaut, l'abdication du Calife. Ils furent toutefois
calmés par l'intercession de 'Alî et la promesse de réparations
et des dons généreux de la Trésorerie.
Lorsqu'ils furent partis, Marwân, le mauvais génie de 'Othmân,
reprocha à ce dernier d'avoir fait preuve de faiblesse par son arrangement
et lui conseilla d'annoncer du haut de sa chaire que les délégations
étant guidées par de faux motifs, ne pouvaient espérer
obtenir grand chose et les délégué ne purent faire
mieux que retourner chez eux désappointés. Othmân suivant
aveuglément les conseils de son secrétaire, prononça
le lendemain un sermon du haut de la chaire, rejetant les revendications
des délégations.
'Amr Ibn 'Âç qui était présent dans l'assemblée
protesta contre le discours en disant que les délégations
n'étaient pas retournées de leur propre initiative, mais
qu'on les avait fait partir avec le plus grand soin possible pour éviter
une crise. Des murmures s'élevèrent contre le discours indélicat
du Calife et 'Othmân lui demanda de présenter des excuses
pour sa mauvaise conduite. Mécontent, 'Othmân échangea
insolemment des mots durs avec 'Amr.
Mais, sur-le-champ, des voix s'élevèrent de tous les coins
de la mosquée pour demander à 'Othmân de faire acte
de contrition pour sa faute. Le Calife alarmé par l'attitude irrespectueuse
de l'assemblée (laquelle, au lieu de s'adresser à lui par
son titre "Amîr al-Mu'minîne" comme d'habitude, l'appela par
son nom seul: 'Othmân), manifesta la repentante exigée; et
descendant de la chaire, déconfit, il regagna sa maison.
En apprenant le contenu du discours de 'Othmân, 'Alî l'admonesta
pour la futilité de sa conduite et lui conseilla de corriger la
mauvaise image qu'il avait donnée de lui-même aux gens en
exprimant son sincère regret pour ce qui s'était passé.
'Othmân s'exécuta, et pour prouver sa sincérité,
il invita les gens qui désiraient parler librement avec lui à
venir dans son palais.
Lorsque quelques hommes influents allèrent voir Othmân
dans son palais, Marwân, là encore, fit des reproches au Calife,
insinuant que le fils d'Abû Tâlib ('Alî) l'avait intelligemment
induit en erreur et qu'en lui faisant avouer ses fautes, il atteignait
son objectif de prouver les accusations portées contre le Calife.
Il persuada facilement l'inconstant Calife de lui donner la permission
de mettre les visiteurs à la porte, et Marwân parla à
ces derniers sur un ton tellement brutal qu'il les rendit rapidement furieux.
Ils allèrent tous voir directement 'Alî pour lui raconter
ce qui s'était passé. S'étant assuré des faits,
'Alî fut très indigné et déclara qu'il n'aurait
plus rien à voir avec les affaires de 'Othmân.
Nâ'ilah (Naelah), la femme de 'Othmân, qui avait entendu
la parole de Marwân et ressenti la profonde colère des visiteurs,
prévint son mari contre la tempête qu'il était en train
de provoquer contre lui-même, et obtint de lui une fois encore de
manifester de l'amitié envers 'Alî qui seul, dit-elle, pourrait
vraiment être l'intermédiaire auprès de ses opposants.
Plusieurs petites délégations attendirent de la même
façon la réforme promise par 'Othmân, mais celui-ci,
sous l'influence renouvelée de Marwân, ne tint pas ses promesses.
Selon Major Price: «Le sénile Calife était souvent
conseillé par 'Alî, mais l'influence maligne de son secrétaire
Marwân intervenait perpétuellement pour l'empêcher de
tirer avantage des bons conseils qu'il avait reçus. En fait, Marwân
avait un grand ascendant sur 'Othmân et était l'esprit insinuateur
et actif de son gouvernement et le mauvais génie de 'Othmân.
II peut être justement considéré comme la principale
cause de la ruine de 'Othmân».(104)
Des Délégations Menaçantes
d'Egypte, de Kûfa et de Basrah
Les délégations dont il était question plus haut
retournèrent à leurs bases, mais les délégués
égyptiens(105) furent arrêtés
dès leur arrivée par le Gouverneur qui en tua les dirigeants
et emprisonna les autres. Enragés par cette injustice, six à
sept cents Egyptiens, dont des notables tels que 'Abdul-Rahmân B.
Adis, 'Amr B. Homaq, Kinânah B. Bochar, Sodan B. Ahmar sortirent
de Fostat et se mirent en marche sous le commandement d'al-Ghâfiqî
B. Harb. Muhammad, le fils d'Abû Bakr, était lui aussi avec
eux. De même, quelque deux à trois cents hommes, incluant
beaucoup de personnalités influentes, tels que Ziyâd B. Sohan,
Ziyâd Ibn Naçr, Yazîd B. Qays, partirent de Kûfa
sous le commandement de Mâlik al-Achtar. Basrah aussi envoya un contingent
dirigé par Hurquç B. Zubayr et comptant autant d'hommes que
ceux de Kûfa.
Sous prétexte du Pèlerinage de la Mecque, ils entreprirent
leur voyage deux mois avant le Pèlerinage annuel et campèrent
comme une armée dans des camps séparés, à une
lieue de Médine, au mois de Chawwâl, 35 H. Les Egyptiens dressèrent
leurs tentes à Thi-Marwa, les Kûfites à Al-A'was et
les hommes de Basrah àThi-Khachab, endroits qui se trouvaient dans
le proche voisinage de la ville.
Désespérés d'obtenir de 'Othmân toutes mesures
de réparation et de réforme, ils prirent la résolution
d'obliger le Calife, qui avait l'habitude de trahir ses promesses, à
abdiquer et d'élire un autre à sa place. Ils envoyèrent
un message au Calife lui demandant de choisir entre déposer leurs
gouverneurs respectifs et de démissionner lui-même. Alarmé
par cette attitude menaçante de la foule, 'Othmân envoya Moghîrah
B. Cho'bah et 'Amr B. al-'Âç pour les persuader que toute
suite à donner à leurs plaintes serait décidée
conformément au Coran et à la Sunnah. Mais les contestataires
repoussèrent les deux messagers en les traitant avec des mots vulgaires
et grossiers. Consterné par ce résultat, et poussé
par sa femme Naelah, 'Othmân fit appel une fois encore à 'Alî
et le pria d'aller pacifier la foule rebelle.
'Alî consentit, à condition que 'Othmân fasse l'expiation
de ses erreurs du haut de la chaire. Harassé et épouvanté,
le Calife monta sur sa chaire et admit d'une voix brisée par les
sanglots et les larmes, ses erreurs et implora le pardon de Dieu tout en
exprimant sa repentance et son regret. Toute l'assistance fut émue
et attendrie.
Le repentir public de 'Othmân et l'intervention de 'Alî,
qui était révéré en raison de sa position de
plus proche parent du Prophète et de ses qualités personnelles,
produisirent l'effet escompté sur les insurgés.
La Nomination de Mohammad Ibn Abî Bakr
pour Remplacer Ibn Abî Sarh en Egypte
Les Egyptiens insistèrent toutefois et dirent qu'ils n'accepteraient
rien de moins que la déposition de 'Abdullâh Ibn Abî
Sarh, le Gouverneur d'Egypte, et son remplacement par un homme de leur
choix. 'Othmân céda et ils demandèrent que 'Alî
fût le garant de l'exécution de l'engagement de 'Othmân.
«Ils désignèrent à l'unanimité, Mohammad,
le frère de 'Âyechah, qui avait été en fait
utilisé comme boutefeu pour allumer cette insurrection par sa sur
intrigante, dans le but de porter Talhah au Califat». ("Successors
of Mohammad" de W. Irving)
Un document fut rédigé, signé et scellé
par le Calife, attesté par 'Alî, Talhah, Zubayr et 'Abdullâh
Ibn 'Omar, et remis aux mains des Egyptiens.
L'Interception de la Lettre Perfide
Cette action du Calife satisfit manifestement les insurgés qui
levèrent leur campement et prirent le chemin du retour. Mohammad
B. Abî Bakr se dirigea avec les Egyptiens vers l'Egypte pour y prendre
ses nouvelles fonctions.
Au troisième jour de leur voyage de retour, Mohammad et sa suite
virent un esclave noir monté sur un dromadaire rapide passer à
la hâte à une courte distance d'eux. Il fut arrêté
et emmené devant Mohammad. Interrogé sur sa destination et
sa mission, il dit qu'il était l'esclave de 'Othmân et qu'il
avait une commission importante à faire au gouverneur d'Egypte.
On lui dit alors qu'il était maintenant devant le Gouverneur à
qui il devrait faire la commission. Il répondit que son message
était destiné à 'Abdullâh Ibn Abî Sarh.
Il nia être en possession d'aucune lettre, mais en procédant
à une fouille de sa personne et de ses bagages, on découvrit
la lettre en déchirant son outre d'eau. La lettre fut ouverte tout
de suite devant tous ceux qui étaient rassemblés là.
Elle contenait des instructions du Calife à 'Abdullâh B. Abî
Sarh, ordonnant à ce dernier de faire disparaître secrètement
Mohammad B. Abî Bakr avec plusieurs dirigeants de son parti aussitôt
qu'ils arriveraient en Egypte, de détruire l'ordre de nomination
de Mohammad, et d'emprisonner tous ceux qui avaient envoyé des plaintes
à Médine.
Il est plus facile d'imaginer que de décrire ce que Mohammad
B. Abî Bakr et les Egyptiens qui se trouvaient avec lui ressentirent
à l'ouverture de ladite lettre. Leur indignation n'avait pas de
limites et aucun mauvais langage ne semblait suffire à qualifier
l'attitude perfide du Calife. Aussi décidèrent-ils de se
venger eux-mêmes de l'auteur de cette perfidie. Ils firent ainsi
demi-tour vers Médine et dépêchèrent des messagers
rapides aux délégations de Basrah et de Kûfa qui étaient
elles aussi sur leur chemin de retour, afin de les informer du complot
du Calife et de leur demander de revenir immédiatement à
Médine pour les aider à déposer 'Othmân. Ils
hâtèrent eux-mêmes le pas en direction de Médine
sans cesser de maudire le Calife, tout au long de leur trajet, pour son
lâche plan attenter à leur vie, et de se féliciter
de leur chance d'échapper au danger imminent qui les attendait.
Des Sentiments de Colère contre 'Othmân
Les nouvelles du retour des Egyptiens à Médine et de l'interception
de la lettre du Calife suscitèrent des sentiments de colère
chez toute la population qui ne se retenait plus de dire du mal du Calife.
A l'exception des proches parents de 'Othmân tout le corps des Mohâjirines
et tous les citoyens de Médine criaient d'une seule voix leur indignation
à l'égard du Calife et leur sympathie envers les malheureux
Egyptiens.
On entendit même 'Âyechah, la Mère des Croyants,
dire: «Tuez le Na'thal.(106) Que
Dieu le tue».
Les Egyptiens trouvèrent dans cette incitation au meurtre du
Calife, exprimée par la Mère des Croyants une justification
de leur furie meurtrière contre 'Othmân. Bref, le Calife était
universellement condamné et détesté. Entre-temps,
les hommes de Basrah et de Kûfa, alarmés par les mauvaises
nouvelles, retournèrent à Médine pour soutenir les
Egyptiens qui reçurent aussi l'assistance d'une faction de mécontents
de Médine. Ainsi, dix mille contestataires se réunirent contre
le Calife pour le forcer à abdiquer.
Les
Dénégations de 'Othmân à propos de la Lettre
Perfide
'Alî revint chez le Calife pour lui expliquer les circonstances
dans lesquelles les insurgés étaient revenus à Médine.
'Othmân nia avoir connaissance de la lettre et accepta de recevoir
une délégation des dirigeants des rebelles. Les délégués
présentèrent la lettre mais 'Othmân jura solennellement
qu'il n'en savait rien. Les délégués demandèrent
au Calife qui en était alors l'auteur, et le Calife répéta
qu'il n'en savait rien.
«Mais, dirent-ils, elle était pourtant portée par
ton propre esclave, monté sur ton propre chameau, sur ton propre
ordre, avec ton propre sceau, et malgré tout cela tu continues à
affirmer n'en avoir pas connaissance!»
'Othmân répéta encore que malgré tout, il
n'en savait rien. «Cela doit donc être une manigance de Marwân,
dirent-ils alors», et ils le prièrent de le convoquer pour
lui demander des explications à ce sujet. Mais 'Othmân ne
voulut pas appeler son Secrétaire, qui était à la
fois son cousin et son gendre. Courroucés par les dénégations
de 'Othmân et son refus d'appeler Marwân qui se trouvait cependant
en ce moment dans la même maison, ils insistèrent que même
si la lettre était l'uvre de Marwân, et que 'Othmân
dise la vérité ou non, dans les deux cas, il était
soit un fripon soit un imbécile indigne du Sceptre qu'il détenait,
et devait par conséquent abdiquer.
'Othmân répondit qu'il n'ôterait pas les vêtements
dont le Seigneur l'avait revêtu, et leur offrit de donner satisfaction
à tout ce qu'ils lui demanderaient de raisonnable, et leur exprima
sa repentance de ce qui était arrivé. Les délégués
répondirent qu'ils ne pouvaient avoir aucune confiance en lui étant
donné qu'il leur avait promis souvent réparation, mais sans
jamais tenir ses promesses. Le ton de l'altercation monta. 'Alî se
leva alors et partit chez lui. Tout de suite après son départ,
les délégués quittèrent les lieux pour rejoindre
leurs troupes. 'Alî quitta Médine, dégoûté
des affaires de 'Othmân.
La
Part de 'Âyechah dans l'Incitation au mauvais Traitement Réservé
à 'Othmân
Âyechah participa avec zèle à l'excitation du mécontentement
et incita les insurgés à considérer 'Othmân
comme apostat.(107) Elle l'accusa d'avoir
détourné l'argent public au bénéfice de ses
proches parents et d'avoir disposé du Trésor public comme
s'il était le sien. Elle le maudit comme étant privé
des Bénédictions de Dieu pour avoir laissé les gens
à la merci de ses proches parents païens auxquels il avait
confié le commandement des populations pour régner sur elles
comme maîtres absolus. Elle dit que si elle n'avait pas été
Musulmane, elle aurait voulu le voir égorgé comme un chameau.
En entendant ces propos, 'Othmân, voulant lui rendre la monnaie de
sa pièce, récita le verset 10 de la Sourate al-Tahrîm
(qui fait allusion à la trahison de 'Âyechah et Hafçah):
«Dieu a proposé en exemple aux incrédules la femme
de Noé et la femme de Loth. Elles vivaient toutes deux sous l'autorité
de deux hommes justes d'entre Nos serviteurs; elles les trahirent mais
cela ne leur servit en rien contre Dieu. On leur dit: "Entrez toutes deux
dans le Feu avec ceux qui y pénètrent"». Elle ameuta
les mécontents contre 'Othmân en disant que les chemises qui
enveloppaient le corps du Prophète n'avaient pas encore changé
de couleur que déjà ses articles de foi avaient été
faussés et traités comme lettres mortes par 'Othmân.
Etant donné que la saison du Hajj approchait, et que 'Âyechah
voulait partir en Pèlerinage, elle paracheva sa participation dans
le meurtre du Calife en ameutant les insurgés et en leur disant
continuellement: «Tuez ce vieux magicien! Que Dieu le tue!»
Lorsqu'elle prit la route vers la Mecque, Marwân lui dit qu'elle
se dégageait des conspirateurs après leur avoir commandé
de supprimer le Calife. Elle rétorqua qu'elle aurait aimé
le voir pendu par le cou, enfermé dans un sac et traîné
jusqu'à la Mer Rouge.
Simon Ockley écrit dans "History of the Saracens": «'Âyechah,
la veuve de Mohammad, était l'ennemi mortel de 'Othmân. Toutefois,
il aurait certainement mieux valu à une personne qui prétendait
être la femme d'un prophète inspiré de passer les jours
de son veuvage dans la dévotion et les bonnes actions plutôt
que dans la méchanceté et en infraction avec l'état.
Mais elle était si engagée aux côtés de Talhah
et du fils d'al-Zubayr, qu'elle voulait faire accéder au Califat,
qu'aucune considération de vertu ou de décence ne pouvait
la retenir de faire tout ce qui était en son pouvoir pour comploter
en vue de la mort de 'Othmân».
L'Attitude Violente contre
'Othmân
Le palais de 'Othmân fut encerclé par les insurgés,
mais pendant plusieurs semaines le Calife put sortir pour conduire les
prières habituelles dans la Mosquée. Les insurgés
eux aussi assistaient avec les autres fidèles aux prières.
Mais un jour, ils jetèrent de la poussière sur le visage
de 'Othmân. Le vendredi suivant, une fois la prière terminée,
'Othmân monta sur la chaire, appela tout d'abord les priants à
un meilleur sens civique, et se tournant ensuite vers les insurgés,
il dit à leur adresse(108): «Le
Prophète a maudit les gens qui se rebellent contre le Calife (le
Successeur) et le lieutenant du Prophète, et le peuple de Médine
condamne cette attitude illégale».
Il leur conseilla de se repentir de leurs mauvaises actions et de les
expier en faisant le bien. Ce sermon souleva tout de suite un tumulte et
les gens jetèrent des pierres en direction du Calife, dont l'une
atteignit 'Othmân et le fit tomber de sa chaire par terre, il perdit
connaissance, mais sans être grièvement atteint, puisqu'il
put résider pendant quelques jours encore aux prières.
A une autre occasion, alors que le Calife s'adressait à l'assemblée
des priants à la Mosquée sur le même ton en s'appuyant
sur le bâton du Prophète (une relique sacrée passée
du Prophète à ses successeurs), un Arabe prit le bâton
et le brisa sur la tête de 'Othmân.
Le Blocus du Palais de 'Othmân
L'attitude violente de la bande d'émeutiers obligea 'Othmân
à s'enfermer dans son palais, et un blocus s'ensuivit. L'entrée
du palais, où une garde d'hommes armés avait été
postée par 'Othmân, restait toutefois en sûreté.
Etant donné que la saison du Hajj (Pèlerinage) était
toute proche, les amis de 'Othmân lui conseillèrent de partir
en Pèlerinage à la Mecque afin que la piété
de cet acte, l'inviolabilité sacrée de l'habit de pèlerin,
et l'immunité des mois de trêve fussent une source de protection
pour lui, mais il rejeta le conseil, et montant sur le toit de son palais,
il appela 'Abdullâh, le fils de 'Abbâs, qui faisait partie
de la garde de la porte, et lui ordonna de conduire les rites de Pèlerinage
à la Mecque. Ce dernier s'exécuta et se dirigea vers la Mecque.
Dès que 'Othmân fut convaincu que les rebelles étaient
prêts à aller jusqu'au bout comme ils l'avaient déjà
montré, il envoya des messages d'appel au secours à Mu'âwiyeh
en Syrie, 'Abdullâh B. 'Âmir à Basrah et 'Abdullâh
B. Abî Sarh en Egypte, et il expédia une lettre à Ibn
'Abbâs pour qu'il en fasse la lecture aux pèlerins et qu'il
se dépêche à son secours.
La Collusion de Talhah
avec les Insurgés
Talhah pressait les Insurgés de renforcer le blocus du palais
afin que les privations dues au siège se fassent sentir plus durement
aux assiégés.(109) 'Othmân,
qui écoutait parfois de l'intérieur du palais ce qui se disait
parmi les assiégeants à l'extérieur, entendit cette
demande de Talhah. Il fut étonné de voir Talhah vraiment
de collusion avec les insurgés, et il le maudit pour ses buts ambitieux.
Les insurgés renforcèrent donc vigoureusement le blocus
et toutes les approches du palais furent interdites, ne laissant ouverts
aucune sortie et aucun accès. L'approvisionnement du palais en eau
fut coupé et la pénurie pesait de plus en plus lourd sur
les assiégés. Lorsque 'Othmân constata qu'il était
réduit à ce point aux abois, il fit appel à 'Alî
et lui demanda de venir à son secours.
Selon certains historiens, 'Alî réprimanda les insurgés
pour avoir coupé l'approvisionnement en eau, et envoya ses fils,
al-Hassan et al-Hussayn avec quelques outres pleines d'eau au palais de
'Othmân. Les insurgés, respectueux de la mémoire du
Prophète qui avait caressé ces deux enfants (devenus maintenant
de jeunes hommes) dans son giron de longues années, les laissèrent
entrer sans les toucher, et l'eau parvint ainsi à 'Othmân
et à tous ceux qui étaient enfermés avec lui.
Craignant, au vu de la férocité avec laquelle son palais
était mis sous pression, que sa fin ne fût très proche,
'Othmân, du toit en terrasse de son palais, fit les salutations usuelles
préparatoires à une ouverture de dialogue avec les insurgés
en contrebas, mais personne ne répondit à la salutation.
Il demanda alors si Talhah se trouvait parmi eux. Ayant reçu une
réponse affirmative de Talhah lui-même, le Calife lui reprocha
de n'avoir pas répondu à sa salutation, ce à quoi,
Talhah rétorqua qu'il avait répondu, mais que sa voix n'était
pas parvenue jusqu'à ses oreilles. Puis 'Othmân demanda si
al-Zubayr et Sa'd Ibn Abî Waqqâç étaient aussi
parmi eux. Tous deux firent entendre leur voix.
Le Calife s'adressa alors à eux dans les termes suivants que
nous résume Sir W. Muir: «Mes compatriotes. J'ai prié
Dieu qu'IL remette le Califat à qui le mériterait».
Ensuite il parla de sa vie passée et dit comment le Seigneur avait
fait de lui le successeur de Son Prophète, et le Commandeur des
Croyants. Et d'ajouter: «Maintenant vous vous êtes soulevés
pour assassiner l'élu du Seigneur. Attention, vous les hommes! (en
s'adressant aux assiégeants). Oter la vie à quelqu'un n'est
légal que sous trois conditions: qu'il soit apostat, meurtrier ou
adultère. Prendre ma vie sans ces conditions, c'est poser l'épée
sur vos propres nuques. La sédition et l'effusion de sang ne vous
quitteront jamais». Les insurgés l'avaient écouté
jusqu'au bout, et à la fin ils crièrent qu'il y avait une
quatrième raison qui justifiait l'exécution de quelqu'un,
à savoir l'étouffement de la vérité par l'iniquité,
et du droit par la violence, et que, en raison de son impiété
et de sa tyrannie, il devait abdiquer ou mourir. Sur le moment 'Othmân
resta silencieux. Puis, se levant calmement, il ordonna aux gens de retourner
chez eux, et il repartit vers sa môme demeure avec un faible espoir
de soulagement.
»Selon certaines traditions, 'Othmân décida 'Alî
à lui obtenir une trêve de trois jours sous prétexte
de vouloir faire parvenir aux gouverneurs des ordres de réforme
de l'administration, alors qu'il consacra traîtreusement ce délai
à renforcer ses positions défensives et, le délai
expiré, il présenta comme excuse à l'absence de réformes
le trop bref délai. ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir,
pp. 335 - 336)
L'Assassinat de 'Othmân
Le siège avait duré quarante jours. Après le premier
soulèvement, 'Othmân avait continué à présider
aux prières pendant plus de trois semaines, et par la suite, il
s'était enfermé dans son palais en raison de l'attitude violente
des insurgés et du renforcement de l'encerclement. Les nouvelles
parvenues aux insurgés, et faisant état de la demande de
secours envoyée par le Calife aux provinces, doublées de
l'incident ci-dessus relaté, poussèrent les rebelles à
précipiter les choses afin de terminer leurs opérations.
Selon Major Price: «Pendant le siège, l'un des Compagnons
du Prophète s'avança et demanda que 'Othmân apparaisse
sur la terrasse, car il avait quelque chose à son avantage qu'il
voulait lui communiquer».
Le Calife consentit et la conférence fut ouverte. Alors, l'un
des assiégés sortit subitement son arc et tira à partir
de l'un des remparts du palais, tuant le conseiller officieux sur-le-champ.
Les assiégeants se mirent à vociférer et exigèrent
que le meurtrier leur fût livré, mais 'Othmân refusa
fermement, déclarant que ceux dont le seul crime était le
loyalisme et la dévotion ne devaient jamais subir une punition.
Mais l'issue de l'épreuve de force fut considérablement hâtée
par cet acte de trahison gratuit. Les assaillants mirent donc le feu aux
entrées du palais et firent irruption avec férocité
à travers les portes en passant par les toits à terrasse.
D'un autre côté, Marwân et Sa'îd Ibn al-'Âç,
à la tête de cinq cents soldats, s'étaient préparés
à faire l'accueil qui convenait aux rebelles. Le vieux Calife s'efforça
de dissuader ses partisans de toute résistance inutile. Entre-temps,
les insurgés avaient frayé leur chemin à l'intérieur
du palais, et une courte et sanglante épreuve de force s'engagea
dans les cours.
Marwân, qui était debout et bien en évidence à
la tête de ses hommes, reçut un coup de cimeterre qui lui
fit perdre conscience, alors que Sa'îd fut obligé, peu après,
par une blessure de quitter cette scène de sang et d'outrage. Le
combat faisait néanmoins rage avec la même férocité
jusqu'à ce que Mohammad, le fils d'Abû Bakr, pénétrant
dans l'appartement où 'Othmân était assis, les yeux
fixés intentionnellement sur les pages sacrées du Coran.
Il saisit son souverain par la barbe, mais 'Othmân ayant évoqué
la mémoire de son père, il se retira sans lui faire plus
de mal.
Kinânah, le fils de Bochr, entra par la suite dans la chambre
et s'apprêtait à le frapper, mais plusieurs autres y firent
irruption avec des épées nues et firent couler le premier
sang du monarque sans défense. Nâ'ilah, la femme de 'Othmân,
se jeta sur son mari et s'efforça de parer les coups de cimeterre,
mais dans ces efforts de tendresse elle perdit les doigts de la main et
le malheureux Calife expira bientôt sous les coups incessants.
Trois jours s'écoulèrent avant que les meurtriers n'autorisent
l'inhumation de son corps. C'est grâce à l'intercession de
'Alî que cette autorisation fut obtenue finalement. Et ayant placé
son corps sur l'une des portes du palais qu'ils arrachèrent et utilisèrent
en guise de civière, ils enfouirent ses restes mutilés dans
un recoin, entre la fosse commune de Médine et celle des Juifs,
trois hommes des Ançâr ayant insisté pour que son corps
ne soit pas laissé parmi ceux des vrais croyants. Toutefois, plus
tard, Mu'âwiyeh transférera le tombeau dans le cimetière
musulman.
'Othmân fut assassiné à l'âge de quatre-vingt-deux
ans, le 18 Thilhajh, 35 H., après avoir régné pendant
onze ans, onze mois et quatorze jours.
Salmân al-Fârecî
A la fin du règne de Othmân, au cours de l'année
35 H., Salmân al-Fârecî, qui était reconnu comme
un membre de la famille du Prophète, mourut à l'âge
de deux cent cinquante ou (selon certaines sources) de trois cent cinquante
ans.
'ALÎ IBN ABÎ TÂLIB,
LE QUATRIEME CALIFE
Réflexions
Concernant l'Election d'un Calife à la Place de 'Othmân
Après la mort de 'Othmân, la terreur régna dans
la ville et les régicides en devinrent les maîtres en l'absence
de tout gouvernement. Les citoyens, constatant l'état tumultueux
de la populace en révolte, et craignant une guerre civile, réclamèrent
l'élection immédiate d'un Calife. L'attitude menaçante
de ceux qui étaient venus de différentes parties de l'Empire,
c'est-à-dire d'Egypte, de Syrie, de Mésopotamie et de Perse
à cette occasion, avait de quoi alarmer beaucoup de gens, car ils
avaient décidé de ne pas se disperser avant de savoir qui
serait leur Souverain.
Il y avait deux candidats, Talha et Zubayr (tous deux, frères
de lait de 'Âyechah), qui aspiraient au Califat en s'appuyant sur
le soutien puissant de 'Âyechah, mais malheureusement pour eux, elle
n'était pas présente à Médine à ce moment-là,
puisqu'elle se trouvait à la Mecque, comme nous l'avons déjà
noté. Talhah - qui avait pris une part active dans l'incitation
des assiégeants de la maison de 'Othmân à précipiter
le cours des choses - et son associé, Zubayr, étaient appuyés
dans leur candidature par quelques gens de Basrah et de Kûfa, mais
la majorité du peuple de Médine, qui prétendait jouir
du droit exclusif d'élire un Calife, s'était choisi un troisième
homme plus digne de ce poste. C'était un homme admiré aussi
bien par ses amis que par ses ennemis, pour son courage, son éloquence,
sa magnanimité, sa piété, sa noblesse et sa proche
parenté avec le Prophète.
Il s'agissait évidemment de 'Alî, le cousin germain du
Prophète, et le père de la postérité du Prophète,
par sa fille bien-aimée, Fâtimah. Il était considéré
comme le prétendant naturel au Califat, et les gens, désireux
à présent d'être gouvernés par l'héritier
du Prophète, voulaient voir 'Alî élevé à
sa légitime dignité. Talhah et Zubayr, alerté par
l'atmosphère générale favorable à 'Alî,
se tinrent tranquilles, et pensèrent qu'il était plus prudent
de dissimuler leurs sentiments au point d'accepter de prêter serment
d'allégeance à 'Alî lorsqu'il fut élu, avec
la ferme intention d'abjurer dès qu'une occasion favorable se présenterait
à eux.
L'Election de 'Alî
Donc plusieurs notables de la ville de Médine se rendirent chez
'Alî et lui demandèrent d'accepter de gouverner. En réponse,
il leur affirma qu'il n'avait pas d'attirance pour le pouvoir temporel,
et qu'il prêterait volontiers d'allégeance à quiconque
ils éliraient. Mais les Médinois insistèrent sur le
fait qu'il n'y avait aucune autre personne aussi qualifiée que lui
pour ce poste. Cependant 'Alî resta, malgré toute leur insistance,
ferme dans son refus, et dit qu'il aimerait mieux servir un autre comme
conseiller que de se charger du gouvernement lui-même.
Les insurgés, soucieux de remettre la ville dans son état
normal après l'avoir réduite eux-mêmes au présent
état de désordre, étaient les plus ennuyés
par la difficulté du choix d'un Calife. Aussi insistèrent-ils
pour que, avant leur départ, les citoyens de Médine qui prétendaient
jouir du droit exclusif de choisir le futur Calife, procèdent à
son élection en un jour, car elles étaient les seules personnes
qualifiées pour régler la controverse, en précisant
que si ce choix n'était pas fait dans le délai imparti, ils
(les insurgés) passeraient par les armes les notables de la ville.
Alarmés par cet ultimatum, les gens revinrent chez 'Alî
le soir même et lui expliquèrent la situation, le suppliant
de reconsidérer sa position et les menaces qui pesaient sur la Religion.
Cédant finalement à leur argumentation pathétique,
'Alî accepta leur requête, bien qu'avec réticence, en
leur disant: «Si vous m'excusez et élisez un autre que vous
jugeriez plus digne que moi d'être élu, je me soumettrai à
votre choix et je prêterai allégeance à votre élu.
Si non, et si je dois me conformer à votre désir et accepter
votre offre, je vous dis franchement dès le début que je
conduirai l'administration d'une façon totalement indépendante
et que je traiterai tout selon le Livre Sacré du Seigneur et mon
jugement».
En fait «'Alî craignait les intrigues de 'Âyechah,
Talhah, Zubayr et de toute la famille Omayyade (dont le chef était
Mu'âwiyeh, le lieutenant de 'Othmân en Syrie) dont il savait
qu'ils saisiraient toutes les occasions pour s'opposer à son gouvernement».
("History of the Saracens" de S. Ockely, p. 289)
L'Inauguration du Califat
de 'Alî
Le lendemain matin (le quatrième jour après l'assassinat
de 'Othmân), les gens se rassemblèrent en grand nombre dans
la grande Mosquée où 'Alî apparût habillé
d'une simple robe de coton et coiffé d'un rude turban autour de
la tête, et portant dans sa main droite un arc et dans sa main gauche
des pantoufles qu'il avait ôtées par respect pour le lieu.
Talhah et Zubayr n'étant pas présents, il demanda qu'on
les fasse venir. Lorsqu'ils arrivèrent, ils lui tendirent leurs
mains en signe d'approbation de son élection au Califat. Mais 'Alî
se garda de répondre à leur geste et leur dit que s'ils étaient
sincères dans leur cur, ils devaient lui faire serment d'allégeance
en bonne et due forme, leur assurant qu'en même temps, si l'un d'entre
eux acceptait le Califat, il était, quant à lui, tout à
fait disposé à lui prêter serment d'allégeance
en toute sincérité et qu'il serait plus heureux de le servir
en tant que conseiller que de gouverner lui-même. Tous les deux déclinèrent
cette offre, et pour exprimer leur satisfaction de son accession au Califat,
ils avancèrent leurs mains pour lui rendre hommage.
Le bras de Talhah avait été estropié à la
suite d'une blessure survenue lors de la bataille d'Ohod. Aussi ne pouvait-il
le tendre qu'avec difficulté. Et étant le premier à
commencer la cérémonie d'hommage, l'assistance considéra
son attitude comme une mauvaise augure et un assistant fit cette remarque:
«Il est probable que ce sera une piètre affaire que celle
qui commence par une main estropiée». La suite des événements
donnera raison au présage.
L'assistance prêta ensuite serment d'allégeance à
'Alî, et son exemple fut suivi par tout le peuple. Aucun des Omayyades
ni des proches partisans de 'Othmân ne se présenta. 'Alî,
pour sa part, ne pressa personne de venir lui prêter serment d'allégeance.
Il y avait aussi certains notables de Médine qui restèrent
à l'écart, ne voulant pas rendre hommage à 'Alî.
Il s'agissait (selon al-Mas'ûdî) de Sa'd Ibn Abî Waqqâç,
Maslamah Ibn Khâlid, Al-Moghîrah Ibn Cho'bah, Qidâmah
B. Matzun, Wahbân Ibn Sayfi Abdullâh B. Salmân, Hasan
Ibn Thâbit, Ka'b Ibn Mâlik, Abû Sa'îd Khudrî,
Mohammad Ibn Maslamah, et 'Abdullâh Ibn 'Omar(110),
Fidhalah Ibn 'Abîd, Ka'b Ibn Ajza.
Habib al-Sayyâr ajoute à cette liste: Zayd Ibn Thâbit,
Osma Ibn Zayd, Abû Mûsâ al-Ach'ari, Zayd B. Râfi',
Salma Ibn Salma, Sohayb Ibn Sinân, No'mân Ibn Bachîr
et al-Tabari y ajoute: Râfi' Ibn Khadij. Ces gens furent surnommés
les Mo'tazilah.
Les insurgés, ayant rendu hommage à 'Alî, retournèrent
chez eux.
Les Cris
de Vengeance pour l'Assassinat de 'Othmân
Après l'inauguration du Califat de 'Alî, Talhah et Zubayr,
accompagnés de plusieurs autres, vinrent voir 'Alî et lui
demandèrent que le meurtre de 'Othmân soit absolument vengé,
offrant leurs services pour atteindre ce but. 'Alî savait parfaitement
que le crime avait été perpétré devant leurs
yeux et que leur cri de vengeance n'était destiné qu'à
provoquer des troubles en excitant la foule des ennemis.
Il leur expliqua donc que l'événement avait ses fondements
dans de vieilles dissensions, qu'il y avait plusieurs parties dont les
opinions divergeaient sur ce point, que ce n'était pas encore le
moment de susciter une guerre civile, que le mécontentement était
à l'instigation du diable qui, une fois maître du terrain,
ne le lâcherait pas facilement, et que toutes les mesures qu'ils
suggéraient de prendre n'étaient autres que la propre proposition
du diable en vue d'encourager l'agitation et les troubles. Il les informa
toutefois qu'il avait déjà convoqué Marwân,
le secrétaire de 'Othmân, et Nâ'ilah la femme de ce
demier (qui étaient tous deux tout le temps dans la même maison
avec le Calife assassiné) afin de les interroger sur les vrais coupables
qui avaient perpétré le meurtre. Marwân était
réticent, alors que Nâ'ilah dit que les meurtriers étaient
au nombre de deux, mais elle ne put ni nommer ni identifier aucun d'eux.
'Alî ajouta à l'adresse des partisans de la vengeance que
plusieurs personnes étaient suspectées d'être impliquées
dans le crime, mais qu'il n'y avait pas de preuves formelles contre elles.
Dans ces conditions, jura-t-il, à moins que toutes les parties
s'unissent, si Dieu le voulait, il était difficile de faire des
pas concluants. Il demanda aux visiteurs quelle méthode d'action
ils proposaient pour atteindre le but. Ils répondirent qu'ils n'en
connaissaient aucune. Puis, il dit: «Si vous parvenez à désigner
un jour les assassins de 'Othmân, je ne manquerai pas de faire valoir
la majesté de la Loi Divine en leur faisant payer ce qu'ils doivent».
Ils restèrent silencieux. Ainsi, leur proposition insidieuse
ayant été déjouée, ils repartirent. En même
temps, averti par le départ soudain des familles Omayyades, 'Alî
commença à s'assurer la bonne volonté des Quraych
et des Ançâr en leur montrant sa haute appréciation
de leurs mérites, car il voulait avoir autant d'alliés que
possible pour faire face aux difficultés qu'il craignait de la part
des Omayyades.
Les Réformes
Envisagées par Ali
L'affaire suivante, qui fit l'objet de l'attention particulière
du nouveau Calife, était la révocation des impies qui gouvernaient
les différentes provinces avec une telle tyrannie que les gens avaient
été acculés au désespoir, ce qui avait coûté
la vie à 'Othmân. Beaucoup d'abus avaient été
commis durant le règne de ce dernier, ce qui commandait une action
immédiate, d'autant plus nécessaire que la plupart des gouvernements
de provinces se trouvaient toujours entre les mains de personnes au passé
douteux et à la foi suspecte.
Déterminé à opérer une réforme radicale,
'Alî décida de déposer Mu'âwiyeh et les autres
gouverneurs qui avaient été nommés par son prédécesseur.
'Abdullâh Ibn 'Abbâs, qui venait de rentrer de son Pèlerinage
à la Mecque, s'opposa fermement à cette mesure, et notamment
à celle de la déposition de Mu'âwiyeh, et conseilla
à 'Alî d'ajourner l'exécution de cette réforme
pendant un certain temps, au moins jusqu'à ce qu'il se trouvât
solidement établi sans son autorité.
Il argua: «Si tu déposes Mu'âwiyeh, les Syriens,
solidement attachés à lui pour sa munificence, se révolteront
contre toi tous ensemble, ne te reconnaîtront pas comme Calife, et
pis, t'accuseront du meurtre de 'Othmân. Il serait donc plus sage
de le laisser continuer dans ses fonctions jusqu'à ce qu'il se soumette
à ton autorité, et une fois cela fait, il te sera facile
de le faire sortir par les oreilles de chez lui quand tu le voudras».
«En outre, rappela-t-il à 'Alî, Talhah et Zubayr ne
sont pas des hommes sur qui on peut compter, et j'ai de bonnes raisons
de les soupçonner de porter les armes contre toi très bientôt
et de se joindre peut-être à Mu'âwiyeh».
«Mais, protesta 'Alî, la Loi Divine n'autorise pas les tromperies
astucieuses. Je dois suivre strictement les principes authentiques de la
Religion, et c'est pourquoi je ne dois pas permettre à une impie
de rester à ce poste. Mu'âwiyeh n'aura rien d'autre que l'épée
de ma part. Je ne peux le garder même pas un seul jour». «Bon!
continua-t-il. Je te nomme, Ô Ibn 'Abbâs». «Cela
est pratiquement impossible», s'écria ce dernier. «Mu'âwiyeh
ne me laisserait pas en vie, à cause de ma parenté avec toi».
Quand les réformes avancèrent, Talhah et Zubayr vinrent
voir 'Alî et posèrent leurs candidatures pour être nommés
respectivement gouverneurs de Kûfa et de Basrah. Mais 'Alî
refusa poliment en faisant observer que dans les circonstances présentes,
et critiques, il avait besoin de bons conseillers comme eux à ses
côtés.
Ayant choisi ses hommes pour le gouvernement des différentes
provinces, 'Alî les envoya à leurs destinations respectives
au mois de Moharram 36 H. pour remplacer les gouverneurs destitués.
Ainsi, il envoya: l- 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs au Yémen;
2- Qays Ibn Sa'd Ibn 'Obâdah en Egypte; 3- Quthâm Ibn 'Abbâs
à la Mecque; 4- Samâhah Ibn 'Abbâs à Tihâmah;
5- 'Awn Ibn 'Abbâs à Yamânah; 6- 'Othmân Ibn Honayf
à Basrah; 7- Ammara Ibn Chahab à Kûfa; 8- Sa'îd
Ibn 'Abbâs à Bahrein; 9- Sahl Ibn Honayf en Syrie.
'Obaydullâh arriva au Yémen et s'aperçut que Ya'lâ,
son prédécesseur, avait transféré vers la Mecque
tout le trésor,(111) évalué
à environ soixante mille dinars, qu'il céda à 'Âyechah
avec six cents chameaux dont l'un était une rareté, un animal
de grande taille et de bonne race, évalué à deux cents
pièces d'or. Il s'appelait al-'Askar et fut spécialement
offert pour l'usage personnel de 'Âyechah. 'Obaydullâh prit
toutefois ses fonctions de gouverneur du Yémen.
Qays Ibn Sa'd, lorsqu'il s'approchait de l'Egypte, fut accueilli par
la résistance du parti de 'Othmân, dans la garnison frontalière,
mais il réussit à gagner le siège de son gouvernement
en feignant devant les opposants d'être attaché à la
cause de 'Othmân. Son prédécesseur, 'Abdullâh
Ibn Abî Sarh, ayant acquis la certitude de sa proche révocation,
avait déjà pris le chemin de la Syrie afin de se réfugier
chez Mu'âwiyeh comme l'avaient fait la plupart des Omayyades depuis
l'accession de 'Alî au Califat.
'Othmân Ibn Honayf, qui était allé à Basrah,
y entra sans opposition, mais Ibn 'Âmir, son prédécesseur,
était déjà parti avec tout le trésor pour rejoindre
Talhah et Zubayr. 'Othmân occupa son poste, mais il constata que
la désaffection pour 'Alî sévissait chez un grand nombre
de gens.
'Ammârah, rencontra sur sa route vers Kûfa, à un
relais appelé Zabala, Tulayhah et Qa'qa' qui lui conseillèrent
de retourner à Médine étant donné, lui affirmèrent-ils,
que les Kûftes étaient résolus à ne pas se séparer
d'Abû Mûsâ al-Ach'arî qui avait été
nommé selon leur propre choix par le dernier Calife. Ils l'avertirent
que s'il tentait d'entrer à Kûfa, il aurait à faire
face à une forte hostilité. 'Ammârah rebroussa chemin
vers Médine et fît un rapport sur ce qui s'était passé
au Calife.
Lorsque Sahl, le nouveau gouverneur de Syrie, arriva à Tabûk,
il rencontra un groupe de cavaliers qui lui dirent que le peuple syrien
réclamait vengeance pour 'Othmân et qu'il n'était pas
prêt à accueillir un homme nommé par 'Alî qû
il n'avait pas reconnu comme Calife. N'étant pas préparé
à assurer son avance, Sahl retourna à Médine et relata
les faits à 'Alî.
Le
Plan des Omayyades en Vue de Soulever les Gens contre 'Alî
Entre-temps, les Omayyades, ne négligeant rien qui puisse servir
à perturber 'Alî et son gouvernement, apportèrent,
sur les instances d'Om Habîbah, une veuve du Prophète et la
soeur de Mu'âwiyeh, la chemise tachée de sang que 'Othmân
portait lors de son assassinat, ainsi que les doigts estropiés de
Nâ'ilah, sa femme, à Mu'âwiyeh en Syrie où il
les utilisa comme un instrument pour susciter l'esprit de vengeance chez
les gens.(112) 'Amr Ibn al-'Âç,
le conseiller spirituel de Mu'âwiyeh, dit à ce dernier: «Montre
à l'ânesse son ânon, elle remuera ses entrailles»,
et Mu'âwiyeh, s'exécuta en suspendant ladite chemise, sur
laquelle on avait attaché les doigts estropiés de Nâ'ilah,
sur la chaire de la Mosquée de Damas. Parfois ces reliques étaient
transportées au campement de l'armée. Ces objets, exposés
quotidiennement aux regards, exaspéraient les Syriens qui pleuraient
tellement que leurs joues et leurs barbes étaient mouillées
par leurs larmes et qu'ils jurèrent de tirer vengeance des assassins
de 'Othmân.
Le Défi
de Mu'âwiyeh à l'Autorité de 'Alî
Lorsque Sahl retourna à Médine, 'Alî demanda à
Talhah et Zubayr de rendre compte de l'étendue de la division des
partis, division contre laquelle il les avait mis en garde. Ils répondirent
que s'ils étaient autorisés de sortir de Médine, ils
accepteraient d'être comptables de la perpétuation des troubles.
'Alî leur dit que la sédition est comme le feu, plus il brûle,
plus il s'intensifie et brille, et que toutefois, il le supporterait aussi
longtemps que possible, mais que s'il devenait insupportable il essaierait
de l'éteindre. Il se résolut tout d'abord à écrire
une lettre à Mu'âwiyeh et à Abû Mûsâ
pour leur demander de présenter leur allégeance.
Abû Mûsâ lui répondit que lui et les Kûifites,
à quelques exceptions près, étaient entièrement
à sa disposition, mais de la part de Mu'âwiyeh aucune réponse
n'était parvenue bien que plusieurs semaines se fussent écoulées.
En fait, Mu'âwiyeh avait retenu le messager de 'Alî pour être
témoin de l'état d'esprit de ses armées qui réclamaient
à grands cris et impatiemment "vengeons le sang dé 'Othmân"
et qui, étant soumises au gouverneur de Syrie, n'attendaient qu'un
mot de lui pour marcher contre tous ceux qu'elles croyaient être
responsables de l'assassinat du précédent Calife.
Après plusieurs semaines, Mu'âwiyeh autorisa le messager
à retourner à Médine, en compagnie de son propre messager,
porteur d'une lettre, sur l'enveloppe de laquelle il y avait la mention:
«De Mu'âwiyeh, dès son arrivée à Médine,
le messager de ce dernier accrocha la lettre en haut d'un bâton de
sorte que tout le monde puisse la lire dans les rues. Etant ainsi prévenus
de la désaffection de Mu'âwiyeh pour 'Alî, les gens
s'assemblèrent en foule, soucieux de connaître le contenu
du message. C'était juste trois mois après l'assassinat de
'Othmân que le message fut présenté à 'Alî,
lequel en lut l'adresse et, enlevant le cachet, il découvrit que
l'intérieur était tout blanc, ce qu'il considéra à
juste titre comme un signe d'extrême confiance. Etonné par
l'effronterie dédaigneuse de Mu'âwiyeh, il demanda au messager
d'en expliquer l'énigme. Le messager, ayant obtenu l'assurance qu'il
aurait la vie sauve, répondit: "Sache donc que j'ai laissé
derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre
de 'Othmân sous sa chemise tachée de sang, exposée
à côté de la chaire de la grande Mosquée de
Damas, tenant tous à se venger de toi pour l'assassinat du Calife».(113)
«De moi! s'étonna 'Alî. Je fais de Dieu le témoin
de mon innocence dans cette affaire. Ô mon Dieu! J'implore Ta protection
contre cette fausse accusation». Puis, 'Alî déclara
que seule l'épée pourrait arbitrer entre Mu'âwiyeh
et lui-même, et se tournant vers Ziyâd Ibn Handhalah, qui était
assis à côté de lui, il ordonna qu'une expédition
contre la Syrie soit proclamée, ordre que Ziyâd communiqua
rapidement aux gens.
Le Départ de Talhah
et de Zubayr
Talhah et Zubayr, dont le désir de quitter Médine avait
été deux fois contrecarré, et qui voyaient à
présent comment les événements tournaient, devinrent
soucieux d'avoir leur liberté d'action et de mouvement, liberté
dont ils ne pouvaient jouir tant qu'ils restaient à Médine.
Encore une fois ils vinrent voir 'Alî et lui demandèrent de
les laisser partir pour la Mecque sous prétexte d'accomplir le Pèlerinage
Mineur. 'Alî, qui avait compris leur véritable motivation,
leur rappela leur déclaration faite librement lors de leur prestation
de serment d'allégeance le jour de l'inauguration de son Califat,
et les laissa partir en leur disant qu'il s'attendait à des choses
étranges de leur part, et que pour cette raison il insistait pour
qu'ils mettent sous serment leur sincérité.
'Alî commença la préparation de l'expédition
vers la Syrie, en faisant appel à l'assistance de toutes les provinces
tout en recrutant à Médine même. Mais avant d'engager
le combat contre Mu'âwiyeh, il eut à faire face à une
autre rébellion sérieuse, décrite en détail
ci-après.
Le Plan de Rébellion
de 'Âyechah
'Âyechah rencontra, sur son chemin de retour de la Mecque, Ibn
Om Kalab, à Sarif. Celui-ci l'informa du meurtre de 'Othmân
et de l'accession de 'Alî au Califat. En apprenant ces nouvelles,
elle se mit à crier : «Ramenez-moi à la Mecque, et
de répéter, Par Dieu! 'Othmân était innocent,
je vengerai son sang!». Elle fut ramenée sur-le-champ à
la Mecque avec sa complice Hafçah,(114)
et elle commença à y propager la sédition.
Dans ses "Annals of the Early Caliphate" (pp. 351-352), Sir W. Muir
fait la relation suivante de ce que fit 'Âyechah concernant cet incident:
«Pendant le début de la période troublée de
'Othmân, 'Âyechah, dit-on, contribua à l'exaspération
du mécontentement du peuple à son égard. Il est dit
qu'elle était la complice des conspirateurs, parmi lesquels figurait
son frère, Mohammad fils d'Abû Bakr, comme un des principaux
chefs. Quand elle apprit la nouvelle de son assassinat, sur son chemin
du retour de la Mecque, elle déclara qu'elle vengerait la mort de
'Othmân. "Quoi! s'écria son informateur, étonné
par son zèle. Maintenant tu dis cela, alors que pas plus tard qu'hier
tu incitais à le supprimer en tant qu'apostat?" "Oui! lui répondit-elle.
Car, bien qu'il se soit repenti de ce dont les rebelles l'accusaient, ils
l'ont tué". En réponse, son informateur récita des
vers tendant à dire: "Tu étais la première à
fomenter le mécontentement. Tu nous commandais de tuer le prince
pour son apostasie, et maintenant", etc...»
En tout état de cause, on doit admettre que 'Âyechah était
une femme jalouse, violente et intrigante, caractère qui explique
pour beaucoup ce qui paraîtrait bizarre autrement. En réalité,
'Âyechah espérait que soit Talhah soit Zubayr succéderait
à Othmân, mais à présent ayant appris, contrairement
à son espérance, l'élection de 'Alî qu'elle
détestait, elle était extrêmement perturbée
dans son esprit et se résolut à adopter une attitude d'hostilité
ouverte. Se déclarant vengeresse du sang de 'Othmân, elle
persuada le grand et puissant clan des Omayyades, auquel appartenait 'Othmân,
de se joindre à sa cause.
Les Omayyades qui résidaient encore à la Mecque et ceux
qui s'étaient enfuis de Médine lors de l'accession de 'Alî
au Califat se rassemblèrent avec empressement sous son drapeau.
Les gouverneurs déposés de plusieurs provinces, entraînant
avec eux facilement un grand nombre de mécontents, firent, eux aussi,
les uns après les autres, cause commune avec elle. Ya'lâ,
l'ex-gouverneur du Yémen lui fournit un moyen précieux de
mener puissamment une guerre, en mettant à sa disposition le trésor
qu'il avait emporté avec lui du Yémen.
Talhah et Zubayr Rejoignent 'Âyechah dans sa Rébellion
C'était environ quatre mois après le meurtre de 'Othmân
que Talhah et Zubayr arrivèrent à la Mecque et trouvèrent
que les choses avaient bien progressé. Ils avaient des liens de
parenté avec 'Âyechah dont la sur cadette était une
épouse de Talhah (qui était également un cousin de
son père Abû Bakr) et la sur aînée une épouse
de Zubayr dont le fils, 'Abdullâh, avait été adopté
par 'Âyechah. Malgré leur serment d'allégeance à
'Alî - serment dont ils disaient maintenant qu'il avait été
pris sous la contrainte et qu'il était donc nul d'après eux
ils exprimèrent leur désir d'épouser la cause de 'Âyechah,
cause qui, en cas de succès, servirait sûrement leurs intérêts.
Par conséquent, ils la rejoignirent et commencèrent à
travailler contre 'Alî, déclarant aux factions de la Mecque
que les affaires de 'Alî se trouvaient dans des conditions bien troubles.
«'Âyechah, Talhah et Zubayr, qui avaient été
toujours des ennemis de 'Othmân et qui s'étaient affirmés,
en fait, comme les organisateurs de sa mort et de sa destruction, lorsqu'ils
virent 'Alî, qu'ils détestaient autant sinon plus que 'Othmân,
investi de la fonction de Calife, se servirent des amis réels et
sincères de 'Othmân comme d'un instrument de leurs complots
contre le nouveau Calife. Ainsi c'est pour des motifs très divers
qu'ils se rassemblèrent tous sous le slogan de la vengeance du sang
de 'Othmân». ("History of the Saracens" de Simon Ockley, p.
294).
L'étendard de la rébellion fut hissé et le discours
de ces personnages distingués était écouté
avec un vif intérêt par les revanchards et factieux Arabes
dont les pères et frères avaient été tués
par 'Alî lorsqu'il défendait le Prophète et sa cause
dans les différentes batailles qui avaient opposé l'Islam
naissant aux Quraych païens à l'époque du Prophète.
Beaucoup d'Arabes mécontents s'assemblèrent sous l'étendard
de la révolte. Le trésor détourné par Ibn 'Âmir,
le gouverneur déposé de Basrah, fut utilisé par Talhah
et Zubayr pour équiper leurs forces armées.
Le Conseil de Guerre
Les préparatifs de la guerre ayant été achevés,
les dirigeants de la rébellion tinrent un conseil pour discuter
du lieu où les opérations pourraient être menées
avec succès. 'Âyechah proposa de marcher sur Médine
et d'attaquer 'Alî dans sa capitale pour frapper à la racine,
mais on lui objecta que le peuple de Médine était unanimement
acquis à 'Alî et qu'il était trop puissant pour être
défait. Quelqu'un suggéra de se diriger vers la Syrie et
de mener une attaque conjointe avec les insurgés de cette province,
mais Walîd Ibn 'Oqbah s'opposa fermement à cette suggestion,
déclarant que Mu'âwiyeh n'approuverait pas la présence
de ses supérieurs dans sa capitale, et encore moins le contrôle
de ses armées par eux dans ces moments critiques, et que de plus
il considérerait cela comme une ingérence dans son dessein
d'accéder à l'indépendance, dessein qui l'avait en
fait conduit à ne pas envoyer le secours demandé de lui en
sa qualité de principal vassal de 'Othmân dont les jours qui
lui restait à vivre étaient alors pourtant comptés.
A la fin, Talhah leur ayant affirmé qu'il avait un parti fort
en sa faveur à Basrah, et qu'il était sûr de la reddition
de cette ville, on se résolut à faire mouvement vers celle-ci.
Par conséquent une proclamation par battement de tambour fut faite
à travers les rues de la Mecque, annonçant que 'Âyechah,
"la Mère des Croyants", accompagnée des dirigeants distingués,
Talhah et Zubayr, se dirigeait personnellement vers Basrah, que tous ceux
qui désiraient venger l'atroce mort du "Prince des Croyants", c'est-à-dire
'Othmân, et servir la cause de la foi, devaient se oindre à
elle, même s'ils étaient sans équipement, car celui-ci
leur serait fourni dès qu'ils se présenteraient.
'Âyechah Incite Om Salma
'Âyechah demanda à Om Salma - une autre "Mère des
Croyants" - qui se trouvait à la Mecque pour le Pèlerinage,
de l'accompagner dans son aventure, mais elle repoussa avec indignation
cette demande, et demanda à 'Âyechah comment elle pouvait
justifier sa violation des Commandements du Prophète en s'opposant
à 'Alî qui était lui aussi Calife dûment et unanimement
élu par le peuple de Médine et reconnu par les peuples de
plusieurs provinces.
Et récitant cette parole du Prophète: «'Alî
est mon lieutenant aussi bien de mon vivant qu'après ma mort. Quiconque
lui désobéit, me désobéit du même coup»,
elle demanda à 'Âyechah si elle avait oui ou non entendu le
Prophète prononcer cette parole. Elle répondit par l'affirmative.
Puis Om Salma lui rappela la Prédiction du Prophète, qu'il
avait exprimée à l'adresse de ses femmes: «Peu après
ma mort, les chiens de Hawab aboieront contre l'une de mes épouses
qui sera parmi la bande rebelle. Oh! j'ai su qui elle était! Gare
à toi, Ô Homayra! Je crains que ce ne soit toi».
En entendant ces démonstrations de la vérité, 'Âyechah
fut alarmée. Continuant son avertissement, Om Salma dit: «Ne
te laisse pas égarer par Talhah et Zubayr. Ils vont t'empêtrer
dans l'erreur, mais ils ne seront pas capables de te sortir du courroux
ni de la disgrâce qui te frapperont».
'Âyechah retourna à son logis presque encline à
renoncer à son plan, mais les adjurations de son fils adoptif, 'Abdullâh
fils de Zubayr, persuadèrent sa nature vindicative de se venger
de l'homme qui s'était associé un jour au Prophète
en la suspectant de la fausse accusation dont elle avait fait l'objet
«'Âyechah, faisant fi des contraintes de son sexe, se prépara
à partir en campagne et à ameuter le peuple de Basrah comme
elle venait de le faire avec celui de la Mecque. Hafçah, la fille
de 'Omar, une autre "Mère des Croyants", fut empêchée
par son frère (qui venait de s'enfuir de Médine et de se
mettre à l'écart de toutes les parties) d'accompagner sa
soeur de veuvage». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p.
353).
La Marche de 'Âyechah
sur Basrah
A la fin, 'Âyechah monta dans une litière sur le chameau
al-'Askar, et quitta la Mecque à la tête de mille volontaires
dont six cents montaient des chameaux quatre cents des chevaux. Elle était
accompagnée de Talhah à sa droite et Zubayr à sa gauche.
Sur son chemin, beaucoup de gens se joignirent à elle, gonflant
le nombre de ses combattants à trois mille hommes.
Moghîrah Ibn Cho'bah, l'ex-Gouvemeur de Basrah et de Kûfa,
qui avait présidé à ces deux gouvernements à
l'époque du Calife 'Omar, et Sa'îd, l'un des vétérans
de la Mecque, et un Mohâjir de la première Emigration, qui
accompagnaient eux aussi la chevauchée, ayant des soupçons
sur les vraies motivations de Talhah et Zubayr, demandèrent à
ceux-ci qui serait Calife en cas de victoire.
«Celui d'entre nous deux qui sera choisi par le peuple»
fut leur réponse tout faite. «Et pourquoi pas un fils de 'Othmân?»
demanda Sa'îd. «Parce que les plus âgés étant
des chefs distingués et des Muhâjidn, ne doivent pas être
commandés», répondirent-ils. «Mais je crois,
dit Sa'îd, que si l'objet de votre campagne est de venger la mort
de 'Othmân son successeur de droit doit être son propre fils.
Or deux de ses fils, Obân et Walîd, sont déjà
dans votre camp. Votre nomination signifierait que, sous le prétexte
de vouloir venger le Calife assassiné, vous avez combattu dans votre
propre intérêt». «En tout cas, répliquèrent-ils,
il appartiendra aux hommes de Médine de choisir quiconque ils voudront».
Moghîrah et Sa'îd, se méfiant des dirigeants de la
rébellion, décidèrent de se retirer, et en conséquence
ils tournèrent leurs talons vers la Mecque avec leurs partisans
qui formaient une partie de l'armée rebelle. Se tournant vers les
troupes, alors qu'ils passaient près d'elles, ils s'écrièrent:
«Tuez les assassins de 'Othmân, détruisez-les tous sans
exception». Moghîrah cria à l'adresse de Marwân
et d'autres: «Où allez-vous traquer les meurtriers? Ils sont
devant vos yeux sur les bosses de leurs chameaux (en pointant son doigt
vers Talhah, Zubayr et 'Âyechah). Tuez-les et retournez chez vous.
Ils sont l'objet même de votre vengeance. Ils ont trempé autant
que tout autre dans cette sale affaire».
L'armée continua toutefois sa marche, tout en reprenant à
son compte, et à cor et à cri ce qu'elle venait d'entendre.
On argua à son intention que la question de la succession était
prématurée, et 'Âyechah déclara que le choix
d'un successeur était le droit exclusif des Médinois et qu'il
devait rester le leur comme auparavant. Et pour éviter toute inquiétude
supplémentaire, elle ordonna à 'Abdullâh, le fils de
Zubayr, de conduire les prières quotidiennes.
'Âyechah dans la Vallée
de Hawab
Sur leur route vers Basrah, les rebelles apprirent que 'Alî, le
Calife, était sorti de Médine pour les poursuivre. Pour arriver
à Basrah sans interruption et sans obstacle 'Âyechah ordonna
qu'on changeât de route. Quittant la route principale, ses armées
s'engagèrent sur des sentiers en direction de Basrah. Pour dissiper
l'ennui des longues nuits de l'automne, le guide passait son temps à
chanter et occasionnellement à crier le nom de chaque vallée,
désert ou village par lesquels on passait. Arrivé une nuit
à un lieu déterminé, il cria: «La vallée
de Hawab ».
Frappée de stupeur par ce nom, un frisson traversa tout le corps
de 'Âyechah lorsque sur-le-champ les chiens du village entourèrent
son chameau et se mirent à aboyer vers elle plus bruyamment. «Quel
est cet endroit?» hurla-t-elle. Le guide répéta sur
le même ton habituel: «La Vallée de Hawab». La
prédiction du Prophète, récemment remise à
sa mémoire par Om Salma, comme on vient de le noter un peu plus
haut, s'empara maintenant de son esprit, et elle s'exclama en tremblant:
«Innâ Lillâhi wa Innâ Ilayhî râje'ûn»
(Nous appartenons à Dieu et nous devons retoumer à Lui).
Faisant agenouiller son chameau, elle descendit de sa litière
et gémit en lâchant un profond soupir: «Hélas!
Hélas! Je suis en fait la misérable femme de Hawab. Le Prophète
m'en avait déjà prévenue». Elle déclara
qu'elle ne ferait pas un pas de plus avec cette expédition de malheur.
Talhah et Zubayr la pressèrent en vain de poursuivre son voyage,
en lui racontant que le guide s'était trompé de nom et que
cet endroit ne s'appelait pas Hawab. Ils subornèrent même
cinquante témoins pour qu'ils le jurent, mais elle ne les crut pas
et refusa d'avancer.
On dit que ce fut le premier faux témoignage public survenu depuis
l'avènement de l'Islam. Ainsi cette nuit-là, et toute la
journée suivante, les rebelles restèrent à Hawab.
Talhah et Zubayr étaient déconcertés et ne savaient
pas quoi faire.
Finalement, recourant à un stratagème intelligent, ils
purent mettre l'armée sur pied en criant soudainement: «Vite!
Vite! 'Alî s'approche rapidement pour nous surprendre». Ce
disant, ils commencèrent à détaler. 'Âyechah,
frappée de terreur, tourna tout de suite les talons, trouva son
chameau et entra promptement dans sa litière. La marche fut ainsi
reprise.
Le Campement de 'Âyechah
à Khoraybah
Dans sa hâte d'arriver à Basrah l'armée rebelle
avança rapidement et, arrivant près de la ville, elle campa
à Khoraybah. 'Âyechah fit venir un notable de Basrah, Ahnaf
Ibn Qays, et lui demanda de rejoindre son étendard. Après
quelques discussions sur le sujet, il refusa de prendre les armes contre
le Calife. Mais décidé toutefois à rester neutre il
quitta Basrah avec six mille partisans et campa à Wâdi-1-Saba,
dans les faubourgs de Basrah.
'Âyechah envoya un message à 'Othmân Ibn Honayf,
le gouvemeur de Basrah, l'invitant à venir la voir. Ibn Honayf enfila
immédiatement son armure et, suivi d'un grand nombre de citoyens,
se dirigea vers le campement de 'Âyechah. Mais à sa grande
surprise, il trouva l'armée des insurgés déployés
sur le terrain de manuvre, suivie par un grand nombre de ses concitoyens
factieux qui avaient en même temps rejoint 'Âyechah pour se
ranger de son côté. Des pourparlers s'engagèrent:
«Talhah et Zubayr s'adressaient alternativement aux foules, et
ils furent suivis par 'Âyechah qui haranguait les gens du haut de
son chameau. Sa voix, qu'elle avait élevé pour se faire entendre
par tout le monde, devint stridente et aiguë, au lieu d'être
intelligible, ce qui suscita l'hilarité de la foule. Une querelle
éclata à propos de la justice de son appel, les différentes
parties se mirent à échanger des injures, à se traiter
de menteuses et à se lancer l'une contre l'autre de la poussière
au visage. L'un des hommes de Basrah se tourna alors vers 'Âyechah
et lui lança: "Honte à toi, Ô Mère des Croyants!"
Et d'ajouter: "L'assassinat du Calife était un crime cruel, mais
moins abominable que ton oubli de ta condition et de ton sexe. Pourquoi
as-tu abandonné le calme de ta maison et ton voile protecteur pour
monter comme un homme imberbe sur ce maudit chameau et fomenter querelles
et dissensions parmi les fidèles?" Un autre homme de la foule s'écria,
moqueur, aux visage de Talhah et Zubayr: "Vous avez amené votre
mère avec vous. Pourquoi n'avez-vous pas amené vos femmes
aussi?". Des insultes fusèrent de partout, des épées
furent tirées, et des escarmouches éclatèrent, et
les antagonistes se battirent jusqu'à ce que l'heure de la prière
les eût séparés». ("Successors of Mohammad" de
W. Irving, p. 172).
Les entrées de la cité étaient désormais
hermétiquement fermées aux insurgés. Quelques jours
passèrent, pendant lesquels des escarmouches eurent lieu, causant
des pertes sérieuses aux partisans du gouverneur et permettant aux
insurgés de s'implanter un peu dans la ville. Finalement une trêve
fut conclue, aux termes de laquelle un messager serait envoyé à
Médine pour vérifier si Talhah et Zubayr avaient prêté
serment d'allégeance à 'Alî, le jour de l'inauguration
de son Califat, volontairement ou sous la contrainte.
Dans le premier cas, ils devraient être traités en rebelles,
et dans le second, leurs partisans à Basrah auraient raison de soutenir
leur cause. Les insurgés, qui désiraient avoir une sérieuse
occasion de vaincre le gouverneur et de prendre possession de la ville,
acceptèrent cet arrangement pour gagner du temps. Un messager fut
ainsi envoyé à Médine. Lorsqu'il délivra sa
commission, tout le monde garda le silence. A la fin, Osâmah se leva
et dit qu'ils avaient été contraints. Mais cette affirmation
lui aurait coûté la vie sans l'intervention de son ami Sohayl,
un homme d'influence et d'autorité, qui le prit sous sa protection
et l'amena chez lui.
'Âyechah S'Empare de Basrah
Dans l'intervalle, les dirigeants des insurgés s'efforcèrent
d'attirer Ibn Honayf, le Gouverneur de Basrah, dans leur campement en lui
envoyant des messages amicaux, mais il soupçonna une tricherie derrière
ces messages et s'enferma chez lui en se faisant suppléer par 'Ammâr
dans son poste. Talhah et Zubayr, prenant avec eux une élite de
leurs partisans, une nuit de tempête, se mêlèrent à
l'assemblée des priants dans la mosquée, surprirent le gouverneur,
et après avoir tué quarante hommes de sa garde, ils le firent
prisonnier. Le jour suivant, Hâkim Ibn Jabalah essaya de libérer
le prisonnier, mais il perdit la vie et celle de soixante-dix partisans
dans cette tentative.
Une bataille sérieuse fit rage dans la ville, aboutissant à
une déconfiture totale et à des pertes considérables
parmi les partisans de 'Alî. 'Âyechah entra en grand apparat
dans la ville, et le gouvernement de Basrah, ainsi que le Trésor,
passèrent aux mains des insurgés. Peu après la capture
de 'Othmân Ibn Honayf, on demanda à 'Âyechah comment
elle voulait qu'on disposât de lui. Elle le condamna à mort,
mais sur les instances d'une femme de sa suite elle consentit à
épargner sa vie. Il fut toutefois condamné à subir
des maux encore pires jusqu'à ce qu'il pût échapper
à ses ravisseurs. Les poils de sa barbe, ses moustaches et ses sourcils
furent arrachés un à un, et il fut honteusement exposé
au pilori.
'Alî
Apprend la Nouvelle de la Révolte de 'Âyechah
Le lecteur se demandera sans doute avec anxiété ce que
faisait 'Alî, le Calife, pendant tout ce temps-là. Nous allons
donc laisser de côté les insurgés, maintenant maîtres
de Basrah, pour suivre les traces de 'Alî.
Les nouvelles des troubles survenus à la Mecque étaient
parvenues à Médine. Mais 'Alî avait dit que tant qu'une
action de grande envergure des insurgés n'aurait pas menacé
l'unité de l'Islam, il ne prendrait pas de mesures énergiques
contre eux.
Après quelques temps, Om Salma, qui avait repoussé fermement
les propositions de 'Âyechah à la Mecque, comme on l'a vu
plus haut, s'étant rendue à Médine rapidement après
le départ des insurgés pour Basrah, avait informé
'Alî de la révolte de 'Âyechah, Talhah et Zubayr.(115)
Un autre message, en provenance d'Om al-Fadhl la veuve d'al-'Abbâs,
qui se trouvait à la Mecque, était parvenu également
à 'Alî, faisant état des mouvements des rebelles contre
le Calife et de leur marche sur Basrah.
En apprenant cette nouvelle, 'Alî avait fait rassembler les gens
dans la grande Mosquée et les avait appelés aux armes pour
poursuivre les rebelles. Le discours éloquent et les appels chaleureux
du Calife avaient été accueillis avec froideur et apathie
par l'assemblée.(116)
Personne ne paraissait prêt à répondre à
l'appel,
notamment parce que certains dans l'auditoire avaient pris en considération
le fait que la personne contre laquelle on les pressait de prendre les
armes n'était autre que la Mère des Croyants, 'Âyechah,
et redoutaient une guerre civile; d'autres encore se demandaient si 'Alî
n'avait pas été impliqué indirectement dans la mort
de 'Othmân.
Pendant trois jours consécutifs, 'Alî fit de son mieux
pour que les gens bougent et réagissent. Finalement, le troisième
jour, Ziyâd Ibn Handhalah se leva et s'avança vers 'Alî
en disant: «Laisse-les rester à l'arrière, moi, j'avancerai».
Suivant son exemple, deux Ançâr, Abul-Hathim et Khazima Ibn
Thâbit s'avancèrent en prononçant ces propos: «Le
Prince des Croyants est innocent du meurtre de 'Othmân, nous devons
le rejoindre». Sur-le-champ Abû Qatâda, un autre Ançârî,
un homme distingué, se leva et, tirant son épée, s'exclama:
«Le Messager de Dieu, que la paix soit sur lui, m'avait ceint avec
cette épée. Je l'ai gardée rengainée depuis
longtemps, mais à présent il est grand temps de la dégainer
contre ces méchants hommes qui trompent toujours le peuple».
("History of the Saracens" de Simon Ockley, p. 300).
Même Om Salma dit avec zèle:(117)
«Ô Commandeur des Croyants! Si la loi le permettait, je t'aurais
accompagné dans ton expédition, mais je sais que tu ne me
le permets pas. Aussi je t'offre les services de mon fils 'Omar B. Abî
Salma, qui m'est plus cher que ma propre vie. Laisse-le partir avec toi
pour partager vos chances». 'Alî accepta l'offre et 'Omar Ibn
Abî Salma l'accompagna dans l'expédition. C'était un
homme de valeur, de piété et de beaucoup d'autres qualités,
et il sera nommé plus tard, gouverneur de Bahrein.
La Marche de 'Alî contre
'Âyechah
Finalement, une armée de neuf cents hommes put être levée
difficilement. L'attitude froide des Médinois dans cette conjoncture
critique découragea tellement 'Alî qu'il décida de
ne pas revenir parmi eux et de choisir un autre endroit pour le siège
de son gouvernement. Il sortit cependant à la tête de cette
petite force de neuf cents hommes(118)
dans l'intention de surprendre les rebelles sur leur chemin vers Basrah.
Arrivé à Rabdhah (aux abords de Najd), il constata que
les insurgés étaient déjà partis et qu'ils
se trouvaient bien loin devant. Bien que rejoint dans sa marche par les
Banî Tay et quelques autres tribus loyales, il n'était pas
suffisamment équipé pour avancer davantage. Aussi ordonna-t-il
qu'on fasse halte à Thî-Q'ar (Thî-Qâr), en attendant
l'arrivée de renforts de Kûfa, ville à laquelle il
avait envoyé Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn
Ja'far pour demander à son gouvemeur Abû Mûsâ
al-Ach'arî d'inciter les gens à rejoindre leur Calife afin
d'aller avec lui auprès des rebelles et d'essayer de réunir
les gens divisés.
La Conduite
d'Abû Mûsâ al-Ach'arî envers le Calife
Abû Mûsâ al-Ach'arî n'était pas bien
disposé envers le Calife, qui avait auparavant envoyé 'Ammâr
Ibn Chahab pour le remplacer, comme nous l'avons déjà vu.
En outre, c'était un homme qui manquait d'enthousiasme dans l'accomplissement
de ses tâches. 'Âyechah lui avait déjà écrit
des lettres pour dissuader ses concitoyens de prêter serment d'allégeance
à 'Alî et pour les persuader de se lever pour venger le meurtre
de 'Othmân. Prenant acte du succès de 'Âyechah à
Basrah, il avait déjà commencé à nuancer son
allégeance à 'Alî et à défendre la cause
de 'Âyechah devant les gens.
Lorsque les messagers du Calife arrivèrent à Kûfa
et qu'ils délivrèrent leur message, un silence complet régna
sur l'assemblée dans la mosquée. Finalement les gens demandèrent
à Abû Mûsâ ce qu'il leur conseillait à
propos de la demande du Calife de le rejoindre. Il répondit gravement
que sortir ou rester à la maison étaient deux choses différentes.
Le premier était un acte pour le monde d'ici-bas, le second pour
celui de la vie future. A eux donc de choisir.
Choqués par ces propos tendancieux, les envoyés du Calife
lui en firent le reproche. Ce à quoi il répondit que le serment
d'allégeance envers 'Othmân l'engageait encore - tout comme
il engageait encore leur maître (c'est-à-dire 'Alî)
- ainsi que son peuple, lequel était déterminé à
liquider les assassins du défunt Calife où qu'ils se trouvent,
et que, aussi longtemps que les meurtriers resteraient tranquilles, il
ne participerait à aucune expédition.(119)
Il demanda à Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn
Ja'far de retourner chez 'Alî pour lui répéter ce qu'il
venait de leur dire.
Dans l'intervalle, 'Othmân Ibn Honayf, l'ex-Gouverneur de Basrah,
se rendit à Thî-Qa'r. Il était dans un drôle
d'état.(120) Le Calife le reconnut
et lui dit en souriant qu'il l'avait laissé un vieil homme et qu'il
revenait auprès de lui tel un jeune imberbe. En fait, 'Othmân
avait eu une barbe remarquablement belle, dont la perte, doublée
de la perte de ses cheveux et sourcils lui donnait une apparence étrange.
Il raconta à 'Alî ses mésaventures avec les dirigeants
des insurgés, et le Calife sympathisa avec lui pour les souffrances
qu'il avait subies, et le réconforta en l'assurant que ses peines
seraient comptées comme mérites. Puis il dit que les hommes
qui avaient été les premiers à le reconnaître
comme Calife, étaient aussi les premiers à abjurer leur serment
d'allégeance et les premiers à se rebeller contre lui. Il
s'étonna de leur soumission volontaire à Abû Bakr,
'Omar et 'Othmân, et de leur opposition à lui-même.
Aussitôt que Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn
Ja'far retournèrent à Médine et rapportèrent
ce qu'Abû Mûsâ avait dit, le Calife dépêcha(121)
Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar à Kûfa où
ils délivrèrent le message du Calife demandant l'assistance
des Kûfites. Mais au lieu d'encourager ces derniers à répondre
à l'appel du Calife, Abû Mûsâ leur dit:
«Frères! Les Compagnons du Prophète sont plus savants
que les Non-Compagnons à propos de Dieu et de Son Prophète.
Le désaccord est parmi les Compagnons qui savent mieux à
qui il faut faire confiance. Vous ne devez donc pas vous mêler de
leurs affaires, car le Prophète a dit une fois: "Il y aura des troubles
pendant lesquels il vaudra mieux (pour le Musulman) être couché
que réveillé, réveillé qu'assis, assis que
debout, debout qu'en marche, en marche que sur une monture". Rengainez
donc vos épées, cassez vos arcs et déposez vos lances.
Gardez tranquillement vos maisons et accueillez-y avec hospitalité
les blessés jusqu'à ce que les troubles cessent. Laissez
les Compagnons du Prophète se mettre tous d'accord entre eux. Vous
n'avez besoin de faire la guerre contre aucun d'entre eux. Que ceux qui
sont venus vous voir de Médine, retournent d'où ils sont
venus».
Abû
Mûsâ al-Ach'arî démis de ses Fonctions de Gouverneur
de Kûfa
Lorsque Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar retournèrent
à Médine et rapportèrent au Calife ce qu'avait fait
Abû Mûsâ al-Ach'arî, il envoya son fils, al-Hassan,
accompagné de 'Ammâr Ibn Yâcir qui avait été
pendant un temps Gouverneur de Kûfa durant le règne du Calife
'Omar, et qui avait été très maltraité par
la suite par le Calife 'Othmân pour ses remarques franches. Mâlik
al-Achtar (un homme d'initiative et de détermination, qui exerçait
une grande influence sur les Kûfites) et qui avait été
irrité par les équivoques d'Abû Mûsâ lors
de sa précédentes mission, suivit al-Hassan dans son voyage,
en compagnie de Qardhah Ibn Ka'b al-Ançârî qui venait
d'être nommé Gouverneur de Kûfa en remplacement d'Abû
Mûsâ al-Ach'arî.
Abû Mûsâ les reçut tout à fait respectueusement,
mais lorsqu'on demanda aux Kûfites, rassemblés dans la mosquée,
leur participation à l'expédition contre les insurgés,
conformément au message du Calife, il s'y opposa aussi vigoureusement
qu'il l'avait fait auparavant, invoquant le même hadith, cité
dans le précédent paragraphe, à savoir: «Il
y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux être couché
que réveillé, etc.».
'Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable Compagnon favori
du Prophète, âgé alors d'environ quatre-vingt dix ans,
un soldat austère et vétéran, et à présent
général de Cavalerie dans l'armée de 'Alî, ayant
entendu le discours malicieux d'Abû Mûsâ, lui répliqua
vivement qu'il avait fait un mauvais usage de la parole du Prophète,
laquelle visait à réprimander des hommes de l'espèce
d'Abû Mûsâ lui-même, qu'il valait mieux qu'ils
restent couchés que réveillés, assis que debout, etc...
Cependant, Abû Mûsâ persistait à décourager
les gens de répondre aux propositions des envoyés de 'Alî.
Un tumulte s'éleva lorsque Zayd Ibn Sihân intervint pour lire
une lettre de 'Âyechah lui commandant soit de rester neutre soit
de la rejoindre.(122)
Après avoir fait la lecture de cette lettre, il en sortit une
autre adressée au grand public de Kûfa, leur demandant de
faire de même. Après la lecture de ces deux lettres, il fit
remarquer: «Le Coran et le Prophète commandent qu'elle ('Âyechah)
reste tranquille chez elle, et que nous combattions jusqu'à ce qu'il
n'y ait plus de sédition. Elle nous ordonne donc de jouer son rôle
alors qu'elle a pris le nôtre pour elle». D'aucuns parmi l'assistance
reprochèrent à Zayd sa remarque contre la Mère des
Croyants.
Abû Mûsâ reprit son discours pour poursuivre son opposition
au Calife, ce qui conduisit certains parmi les auditeurs à lui reprocher
son infidélité et sa déloyauté et à
l'obliger à quitter la chaire qui fut ensuite occupée par
al-Hssan Ibn 'Alî. Abû Mûsâ dut quitter non seulement
la chaire, mais aussi le mosquée tout de suite, quelques soldats
de la garnison stationnée au palais du Gouverneur étant venus
se plaindre d'avoir été battus sévèrement avec
des bâtons.(123)
Il est à noter que le débat se déroulait à
la mosquée, Mâlik al-Achtar avait pris avec lui un groupe
de ses partisans et s'était emparé par surprise du palais
du Gouverneur, et les hommes de la garnison avaient été bruyamment
battus et envoyés à la mosquée pour interrompre le
débat. Cette prompte action eut l'effet escompté. En outre
elle rendit l'impassibilité froide de la conduite d'Abû Mûsâ
tellement ridicule et méprisable que les sentiments du peuple se
retournèrent immédiatement contre lui. Lorsqu'il sortit de
la mosquée, il se rendit hâtivement à son palais où
Mâlik lui ordonna de vider les lieux immédiatement. La foule
assemblée à l'entrée était prête à
piller ses biens, mais Mâlik intervint et impartit à Abû
Mûsâ un délai de vingt-quatre heures pour qu'il emportât
ses effets.
Al-Hassan
Ibn 'Alî Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites
Du haut de sa chaire, al-Hassan adressa avec éloquence à
l'assemblée un discours dans lequel: «il confirma l'innocence
de son père en ce qui concerne l'assassinat de 'Othmân. Il
dit que son père, soit avait tort, soit subissait une injustice.
S'il avait tort, Dieu 1'en punirait et s'il subissait une injustice, IL
lui viendrait en aide. L'affaire était donc entre les Mains du Très-Haut.
Talhah et Zubayr qui avaient été les premiers à inaugurer
son Califat, avaient été aussi les premiers à se retourner
contre lui. Qu'avait-il donc fait, en tant que Calife, pour mériter
cette opposition? Quelle injustice avait-il commise? Quelle avidité
ou quel égoïsme avait-il manifestés». ("Successors
of Mohammad" de W. Irving, p. 177).
L'éloquence d'al-Hassan eut un pouvoir réel sur l'assistance.
Les chefs des tribus se dirent les uns aux autres qu'ils avaient tendu
leurs mains en guise d'allégeance à 'Alî, et que ce
dernier leur avait fait honneur en leur demandant d'être les arbitres
dans une si importante affaire. Ils regrettèrent de n'avoir pas
tenu compte des précédents messagers du Calife, ce qui avait
conduit ce dernier à députer son fils pour demander leur
assistance. Ils conclurent finalement qu'ils devaient obéir à
leur Calife et répondre à une demande si raisonnable.
Al-Hassan leur dit qu'il allait retourner auprès de son père
et que ceux qui se croyaient prêts à l'accompagner devaient
le faire, alors que les autres pouvaient le suivre par voie de terre ou
par bateaux. Ainsi neuf mille Kûfites(124)
rejoignirent 'Alî par terre et par bateaux. En leur souhaitant la
bienvenue, 'Alî leur dit: «Je vous ai fait venir ici pour être
témoins entre nous et nos frères de Basrah. S'ils acceptent
de se soumettre pacifiquement, c'est tout ce que nous désirons,
mais
s'ils persistent dans leur révolte, nous les amènerons à
la réconciliation gentiment, à moins qu'ils ne se mettent
à nous offenser. Pour notre part, nous ne négligerons rien
qui puisse, d'une façon ou d'une autre, contribuer à un arrangement
que nous devons préférer à la désolation de
la guerre». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 305).
L'armée du Calife, ayant reçu des renforts de diverses
régions, devint forte d'environ vingt mille hommes qui s'avancèrent
vers Basrah. Pendant qu'il était stationné avec son année
à Thî-Qâr, 'Alî avait écrit des lettres
à 'Âyechah, Talhah et Zubayr pour les mettre en garde contre
les démarches déraisonnables qu'ils avaient entreprises,
et pour leur dire qu'aucun d'entre eux ne pouvait prétendre être
le vengeur du sang de 'Othmân, ce dernier étant un Omayyade,
alors qu'aucun d'eux n'appartenait aux Banî 'Omayyah.(125)
'Âyechah avait répondu que les choses étaient arrivées
à un point où les avertissements n'avaient plus aucune utilité,
alors que Talhah et Zubayr ne donnèrent pas de réponse écrite,
se contentant de faire parvenir à 'Alî un mot pour l'informer
qu'ils n'étaient pas disposés à obéir à
ses ordres et qu'il avait toute la liberté de faire ce qu'il voulait.
L'Arrivée de 'Alî
à Basrah
L'armée de 'Âyechah comptait trente mille hommes dont la
plupart étaient de nouvelles recrues, alors que celle de 'Alî
se composait principalement de vétérans, d'hommes ayant déjà
servi dans les forces armées, et de Compagnons du Prophète.
Lorsque 'Alî apparut avec ses forces armées déployées
en un imposant ordre de bataille devant Basrah, 'Âyechah et ses confédérés
furent frappés de terreur. Une fois proche de Basrah, 'Alî
envoya Qa'qâ' Ibn 'Amr, un Compagnon du Prophète, aux dirigeants
des rebelles en vue de négocier avec eux un plan de paix,(126)
si possible.
'Âyechah répondit que 'Alî devait négocier
personnellement avec eux. Lorsque 'Alî arriva, des messages circulèrent
dans les rangs des forces hostiles en vue de compromettre la négociation.(127)
On voyait 'Alî, Talhah et Zubayr tenir de longues conversations,
faisant le va-et-vient ensemble à la vue des deux armées,
et les négociations paraissaient tellement dans la bonne voie que
tout le monde pensa qu'on allait aboutir sûrement à un arrangement
pacifique; car par son impressionnante éloquence, 'Alî toucha
les curs de Talhah et de Zubayr en les mettant en garde contre le jugement
du Ciel et en les défiant à une ordalie où l'on invoquerait
la malédiction divine contre ceux qui avaient encouragé et
suggéré le meurtre de 'Othmân et incité les
malfaiteurs à le commettre.
Au cours de l'un de leurs entretiens, 'Alî demanda à Zubayr:
«As-tu oublié le jour où le Messager de Dieu t'avait
demandé si tu n'aimais pas son cher "fils" 'Alî et où
tu lui as répondu: "Si". Ne te rappelles-tu pas cette prédiction
du Prophète: "Cependant, il arrivera un jour où tu te soulèveras
contre lui et où tu apporteras des misères à lui et
à tous les Musulmans"».
Zubayr répondit qu'il s'en souvenait parfaitement, qu'il se sentait
désolé, que s'il s'en était souvenu auparavant, il
n'aurait jamais porté les armes contre lui. Zubayr semblait donc
déterminé à ne pas se battre contre 'Alî. Il
retourna à son camp et informa 'Âyechah de ce qui s'était
passé entre lui et 'Alî.
«On dit qu'à la suite de cette allusion à la prédiction
du Prophète, Zubayr renonça à combattre contre 'Alî,
mais malgré ladite prédiction prophétique, 'Âyechah
était si pleine de haine contre 'Alî qu'elle ne pouvait accepter
aucun arrangement, à n'importe quelle condition. D'autres disent
que c'est le fils de Zubayr, 'Abdullâh (adopté par 'Âyechah)
qui l'avait fait changer d'avis en lui demandant si c'était la peur
des troupes de 'Alî qui l'avait conduit à cette volte-face.
A ceci Zubayr répondit "Non mais le serment prêté à
'Alî". 'Abdullâh lui suggéra alors d'expier son serment
en libérant un esclave, ce qui l'amena à se préparer
sans plus d'hésitation à combattre contre 'Alî».
("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 307).
Les deux armées étaient face à face sur le même
champ de bataille. Durant la nuit chaque partie chargea l'autre, les deux
parties s'accusant mutuellement d'avoir ouvert les hostilités. Le
lecteur pourra lui-même déduire quelle est la partie à
blâmer pour cette attaque nocturne, quelle partie essayait d'arriver
à un arrangement pacifique pour éviter l'effusion de sang
et laquelle mettait en échec ces tentatives de paix. Les circonstances
relatées ci-dessus sont assez claires pour éclairer et indiquer
la vérité.
La Bataille d'Al-Jamal
(du Chameau)
Le lendemain matin, tôt, le vendredi 16 Jamâdî II
de l'an 36 H. (Nov., 656 ap. J. -C.), 'Âyechah entra dans le champ
de bataille, assise dans une litière sur son grand chameau, al-'Askar.
Elle fit l'inspection de ses troupes, qu'elle animait par sa présence
et par sa voix. Dans l'histoire, cette bataille fut appelée "La
Bataille du Chameau", en raison de la présence de la bête
étrange sur laquelle était montée 'Âyechah,
et ce, bien qu'elle fût livrée à Khoraybah, près
de Basrah.
L'armée de 'Alî faisait face à l'ennemi en ordre
de bataille, mais le Calife avait ordonné à ses combattants
de ne charger que si l'ennemi les attaquait le premier. En outre, il leur
donna l'ordre strict de ne jamais achever un blessé, de ne jamais
poursuivre un fuyard, de ne pas s'emparer de butin et de ne jamais violer
une maison. Et alors qu'une pluie de flèches lancées par
l'ennemi tombait sur les troupes de 'Alî, celui-ci ordonna à
ses soldats de ne pas rpondre au tir et d'attendre.
«Jusqu'au dernier moment 'Alî fit preuve d'une répugnance
implacable à l'effusion du sang de Musulmans, et juste avant la
bataille il s'efforçait encore d'obtenir l'allégeance de
l'adversaire par un appel solennel au Coran. Une personne, nommée
Muslim, s'avança alors immédiatement, levant un exemplaire
du Coran dans sa main droite. Muslim se mit à fustiger l'ennemi
pour l'amener à renoncer à ses desseins injustifiés.
Mais la main qui portait le Livre Sacré fut coupée par un
soldat de l'armée ennemie. Il porta alors le Coran dans sa main
gauche, mais celle-ci fut à son tour coupée par un autre
cimeterre. L'homme ne fut pas pour autant découragé, et il
serra le Coran contre sa poitrine avec ses bras mutilés, continuant
ses exhortations jusqu'à ce qu'il fût achevé par les
sabres de l'ennemi. Son corps fut par la suite récupéré
par ses amis et des prières furent faites sur lui par 'Alî
lui-même. Le Calife ramassa ensuite une poignée de sable,
la lança en direction des insurgés, invoquant contre eux
la vengeance de Dieu. En même temps, l'impétuosité
des hommes de 'Alî ne pouvait être retenue plus longtemps.
Tirant leurs sabres et pointant leurs lances, ils se lancèrent vaillamment
dans le combat qui fut livré de tous côtés avec une
férocité et une animosité extraordinaires».
("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit.,
p. 308).
Le Sort de Talhah
Alors que la bataille faisait rage et que la victoire commençait
à pencher du côté de 'Alî, Marwân Ibn al-Hakm
(le Secrétaire Particulier du précédent Calife, 'Othmân),
l'un des officiers de l'armée de 'Âyechah, remarqua que Talhah
incitait ses troupes à se battre vaillamment.(128)
«Voyez ce traître! dit-il à son serviteur. Tout récemment
encore, il était l'un des assassins du vieux Calife. Et le voilà
qui prétend être le vengeur de son sang. Quelle plaisanterie!»
Ce disant, il tira dans un accès de haine et de furie une flèche
qui perça sa jambe droite et la traversa pour toucher son cheval
qui se cabra et jeta le cavalier par terre.
En ce moment d'angoisse, Talhah s'écria: «Ô mon Dieu!
Venge 'Othmân sur moi selon Ta Volonté», avant d'appeler
au secours. Constatant que ses chaussures ruisselaient de sang, il demanda
à l'un de ses hommes de le ramasser, de le faire monter sur son
cheval, derrière lui, et de le convoyer à Basrah. Et sentant
sa fin proche, il appela l'un des hommes de 'Alî qui se trouvait
là par hasard: «Donne-moi ta main, dit le mourant repentant,
afin que j'y pose la mienne en guise de renouvellement de mon serment d'allégeance
à 'Alî». Talhah rendit son dernier soupir en prononçant
ces mots de repentir.
Lorsque 'Alî entendit le récit de sa mort, son cur généreux
fut touché, et il dit: «Allâh ne voulait pas l'appeler
au Ciel avant d'effacer sa première violation de serment par ce
dernier serment de fidélité». Le fils de Talhah, Mohammad,
fut lui aussi tué dans cette bataille.
Le Sort de Zubayr
Les remords et la componction avaient envahi le cur de Zubayr après
avoir écouté le rappel par 'Alî de la prédiction
du Prophète. Il ne fait pas de doute qu'il avait participé
à la bataille sur l'instance de 'Âyechah et de son fils et
à contre-coeur. Par la suite, il avait vu 'Ammâr Ibn Yâcir,(129)
le vénérable et vieux Compagnon du Prophète, connu
pour sa probité et son intégrité, être un Général
dans l'armée de 'Alî. Il s'était rappelé alors
avoir entendu de la bouche du Prophète que 'Ammâr serait toujours
du côté des partisans de la justice et du bon droit et qu'il
tomberait sous les sabres de mauvais rebelles. Tout avait semblé
donc être de mauvais augure pour participer à cette bataille.
Aussi se retira-t-il du champ de bataille et prit-il le chemin de la Mecque
tout seul.
Lorsqu'il arriva à la vallée traversée par le ruisseau
de Saba, où Ahnaf Ibn Qays avait campé avec une horde d'Arabes
dans l'attente de l'issue du combat, il fut reconnu de loin par Ahnaf.
«Personne ne peut-il m'apporter des nouvelles de Zubayr?» dit-il
à l'adresse de ses hommes. L'un de ceux-ci, 'Amr Ibn Jarmuz, comprit
l'insinuation et se mit en route. Zubayr voyant cet homme s'approcher,
le soupçonna de mauvaises intentions à son égard.
Aussi lui ordonna-t-il de rester à distance. Mais après avoir
échangé quelques paroles, ils devinrent amis et tous deux
descendirent de leurs chevaux pour faire la Prière, étant
donné qu'il en était l'heure. Lorsque Zubayr se prosterna
en accomplissant sa Prière, 'Amr saisit l'occasion et coupa sa tête
avec son cimeterre.
Il apporta sa tête à 'Alî qui pleura à la
vue de cette tête. Car il s'agissait de la tête de quelqu'un
qui avait été son ami. Se tournant vers l'homme qui lui avait
apporté ce cadeau macabre, il s'écria, indigné: «Va-t-en
maudit. Apporte tes nouvelles à Ibn Safiyah en enfer». Cette
malédiction inattendue enragea le misérable qui s'attendait
plutôt à une récompense, et il proféra une bordée
d'injures à l'adresse de 'Alî. Puis, dans un accès
de désespoir, il dégaina son sabre et l'enfonça dans
son propre cur.
La Défaite de 'Âyechah
Tel fut donc le sort des deux grands dirigeants des rebelles. Quant
à 'Âyechah, l'implacable âme de la révolte, la
femme de guerre, elle continua à hurler inlassablement de sa voix
stridente: «Tuez les assassins de 'Othmân», incitant
ses hommes à se battre. Mais les troupes, privées de leurs
dirigeants, s'étaient senties déjà démoralisées
et avaient commencé à retourner à la ville.
Toutefois, voyant que 'Âyechah était en danger, ses partisans
arrêtèrent leur fuite et revinrent à son secours. Se
rassemblant autour de son chameau, ils essayèrent l'un après
l'autre d'en saisir la bride et de prendre l'etendard, mais ils furent
abattus à tour de rôle. Ainsi soixante-dix hommes périrent
par la bride de cet animal maudit. La litière de 'Âyechah,
en tôle d'acier et construite comme une cage, était hérissée
de dards et de flèches, et sur la bosse de l'énorme bête,
elle ressemblait à un hérisson effrayant et en colère.
«Convaincu que la bataille ne pourrait être interrompue
aussi longtemps que le chameau continuerait à s'amuser de la sorte
avec les défenseurs de 'Âyechah, 'Alî exprima aux hommes
qui l'entouraient son désir de les voir s'efforcer de terrasser
l'animal. Après plusieurs assauts désespérants, Mâlik
al-Achtar réussit enfin à forcer un passage et à casser
l'une des pattes du chameau. Mais malgré cela, l'animal resta debout
et impassible, et persévéra dans son attitude. Une autre
patte fut brisée, mais sans résultat. Mâlik al-Achtar,
étonné et terrifié par le comportement du chameau
ne savait pas s'il devait continuer ou non. 'Alî s'approcha et lui
demanda de frapper sans hésitation même si l'animal paraissait
bénéficier du soutien d'un agent surnaturel. Stimulé,
Mâlik frappa la troisième patte et l'animal fut immédiatement
terrassé.
»La litière de 'Âyechah étant maintenant à
terre, 'Alî ordonna à Mohammad, fils d'Abû Bakr, de
se charger de sa soeur et de la protéger des flèches qui
continuaient à tomber de partout. Mohammad s'exécuta, s'approcha
de la litière, et y introduisant sa main qui toucha par hasard celle
de 'Âyechah, il entendit cette dernière l'accabler d'insultes
et crier, interrogative, quel vaurien osait toucher sa main que personne
d'autre que le Prophète n'avait l'autorisation de toucher. Mohammad
répondit que bien que cette main fût celle de la personne
la plus proche d'elle par le sang, elle était aussi celle de son
pire ennemi. Reconnaissant alors la voix bien connue de son frère,
'Âyechah se défit rapidement de ses appréhensions».
("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit.,
p. 310).
La Magnanimité
de 'Alî envers l'ennemi
«'Âyechah pouvait s'attendre logiquement à un traitement
sévère de la part de 'Alî, étant donné
qu'elle était son ennemie vindicative et acharnée, mais 'Alî
était trop magnanime pour se venger d'un adversaire vaincu».
("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 179).
Une fois que toutes les confusions liées à la bataille
se furent estompées, 'Alî vint voir 'Âyechah et lui
demanda comment elle allait. Ayant constaté qu'elle allait bien
et qu'elle avait été sauvée sans subir aucun mal,
il lui dit sur un ton de reproche: «Le Prophète aurait-il
accepté que tu agisses ainsi?» Elle répondit: «Tu
es victorieux. Sois donc bon envers ton adversaire vaincu». 'Alî
ne lui fit plus de reproches et ordonna à son frère Mohammad
d'emmener sa sur à la maison de 'Abdullâh Ibn Khalaf, un Khozâ'ite,
notable citoyen de Basrah, tué alors qu'il combattait pour 'Âyechah.
Celle-ci demanda à son frère de chercher les traces de 'Abdullâh,
fils de Zubayr, qu'on trouvera par la suite, blessé, parmi les morts
et les blessés qui jonchaient le champ de bataille.
Selon le désir de 'Âyechah il fut amené devant 'Alî
pour obtenir son pardon. Le très généreux vainqueur
promulgua alors avec magnanimité une amnistie générale
pour tous les rebelles et leurs alliés, y compris 'Abdullâh
Ibn Zubayr. Malgré toutes ces mesures de clémence, Marwân
et les Omayyades s'enfuirent chez Mu'âwiyeh en Syrie, ou à
la Mecque.
Le Carnage dans la Bataille
Les pertes dans cette bataille furent très lourdes. Certains
historiens(130) avancent le chiffre de
seize mille sept cent quatre-vingt-seize tués parmi les hommes de
'Âyechah et de mille soixante-dix parmi ceux de 'Alî. D'autres(131)
parlent de dix mille tués parmi les partisans de 'Âyechah
et cinq mille parmi ceux de 'Alî. En tout état de cause, les
cadavres jonchaient le champ de bataille. Une fosse fut creusée
dans laquelle furent enterrés sur ordre du Calife aussi bien les
partisans que les adversaires tués dans les combats.
La Retraite de 'Âyechah
Lorsque le calme fut revenu, 'Alî envoya 'Abdullâh Ibn 'Abbâs
pour demander à 'Âyechah de partir pour Médine,(132)
mais elle déclina l'offre, insistant sur le fait qu'elle ne voulait
pas aller dans un endroit où il y avait des Hâchimites. Quelques
propos de reproches furent échangés entre l'émissaire
de 'Alî et 'Âyechah, et le premier revint auprès du
Calife pour lui signifier son refus. Mâlik al-Achtar fut envoyé
alors avec la même mission, mais il échoua lui aussi dans
sa tentative de la persuader d'accepter l'offre du Calife. Puis 'Alî
lui-même alla la voir et lui dit qu'elle avait le devoir de rester
tranquille à sa maison où elle devait aller maintenant afin
de retrouver le gîte dans lequel le Prophète l'avait laissée,
et d'oublier le passé. «Que Dieu te pardonne, ajouta-t-il,
pour ce que tu as fait, et qu'IL te couvre de Sa Clémence».
Mais 'Âyechah ne prêta pas attention à la parole de
'Alî.
Ce dernier lui envoya enfin, son fils al-Hassan(133)
pour l'avertir que si elle persistait dans son refus de regagner son foyer
à Médine, elle serait traitée de la façon qu'elle
connaissait bien. Lorsqu'al-Hassan arriva, elle était en train de
se coiffer, mais ayant entendu le message, elle fut si embarrassée
qu'elle laissa ses cheveux à moitié coiffés, se leva
tout de suite et donna l'ordre de se préparer immédiatement
en vue de voyager. Après le départ d'al-Hassan les dames
de la maison lui demandèrent ce que ce garçon avait de particulier
qui l'avait mise si mal à l'aise alors qu'elle n'avait pas hésité
auparavant à repousser la proposition de Ibn 'Abbâs, Mâlik
al-Achtar et même de 'Alî lui-même. 'Âyechah raconta
alors comment le Prophète avait donné à 'Alî
le pouvoir de prononcer lui-même le divorce des femmes du Prophète
aussi bien de son vivant qu'après sa mort.
«Al-Hassan, dit-elle, était porteur de ce message d'avertissement
de 'Alî» qui lui faisait valoir son autorité, ce qui
l'avait mise si mal à l'aise. 'Alî fit alors les arrangements
convenables pour le voyage de 'Âyechah et ordonna à ses deux
fils, al-Hassan et al-Hussayn, de l'escorter pendant une étape,
et il l'accompagna lui-même jusqu'à une certaine distance.
»Sur ordre de 'Alî, 'Âyechah fut escortée par
une suite de femmes (quarante ou soixante-dix), déguisées
en hommes, dont l'approche familière fit l'objet de plaintes constantes.
Mais une fois arrivée à Médine, 'Âyechah découvrit
la délicatesse de la ruse et devint aussi généreuse,
dans sa reconnaissance, qu'elle l'avait été auparavant dans
ses reproches». ("Mohammadan History" de Price, cité par S.
Ockley, op. cit., p. 310).
Les Butins de Guerre
Comme il a été mentionné plus haut, 'Alî
avait interdit à ses armées tout pillage.
«Ainsi, les ordres de 'Alî concernant l'interdiction du
pillage avaient été respectés avec un tel scrupule
que tout ce qu'on avait trouvé sur le champ de bataille ou dans
le camp de l'ennemi fut rassemblé dans la grande mosquée,
de sorte que chacun pouvait réclamer la restitution de son bien.
Aux mécontents qui se plaignaient de n'avoir pas la permission de
puiser dans le butin, 'Alî répondit que les droits de la guerre
avaient duré aussi longtemps que les rangs étaient en ordre
de bataille, les uns face aux autres, et que tout de suite après
leur soumission, les insurgés avaient recouvré leurs droits
et privilèges de frères Musulmans. Une fois entré
dans la ville, il divisa le contenu du trésor parmi les troupes
qui avaient combattu pour lui, tout en leur promettant une récompense
encore plus grande lorsque Dieu aurait fait délivrer la Syrie».
("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p. 366).
Le Transfert du Siège
du Gouvernement
Le séjour de 'Alî à Basrah ne dura pas longtemps.
Après avoir nommé 'Abdullâh Ibn 'Abbâs Gouverneur
de cette ville, le Calife repartit pour Kûfa au mois de Rajab de
l'an 36 H. Craignant les mauvais desseins de Mu'âwiyeh à son
égard, le Calife considéra Kûfa comme un lieu bien
situé pour faire face à toute attaque contre la région
de l'Irak ou de la Mésopotamie. Peut-être aussi en reconnaissance
de l'assistance qu'il avait reçue de la part des Irakiens, il estima
bon de transférer de Médine à Kûfa le siège
de son gouvernement. Il fit ainsi de cette ville le centre de l'Islam et
la capitale de l'Empire, et c'était d'autant plus à bon escient
que Kûfa était géographiquement au centre de ses provinces.
La Zone de Domination de 'Alî
La conspiration de 'Âyechah, Talhah et Zubayr ayant fait long
feu sur le champ de bataille de Khoraybah, 'Alî jouit d'une victoire
qui lui assurait désormais une domination totale sur un territoire
s'étendant du Khorâsân à l'est à l'Egypte
à l'ouest, à l'exception des provinces situées au
nord-ouest de l'Arabie, lesquelles étaient sous l'influence du gouverneur
de Syrie, Mu'âwiyeh.
Les Activités
Préliminaires de Mu'âwiyeh
Nous avons déjà noté que pendant son séjour
à Médine, à l'occasion de sa visite au Calife 'Othmân,
Mu'âwiyeh avait demandé un jour à Ka'b al-Ahbar de
prédire comment les troubles actuels contre 'Othmân se termineraient.
Ka'b avait prédit que 'Othmân serait assassiné et qu'après
une longue course la Mule Grise (c'est-à-dire Mu'âwiyeh) réussirait
à s'emparer du pouvoir. Confiant dans cette prédiction, Mu'âwiyeh
cherchait les occasions susceptibles de le mener à l'autorité
suprême et n'omettait jamais de faire le nécessaire pour réaliser
cet objectif qu'il ne perdra jamais de vue dans toutes les actions qu'il
entreprendra.
Et c'est par rapport à cet objectif qu'il faut comprendre pourquoi
Mu'âwiyeh ne s'était pas empressé d'envoyer le secours(134)
demandé par 'Othmân lorsque celui-ci avait été
assiégé, pourquoi, une fois 'Othmân assassiné,
il s'était attaché à inciter les Syriens à
venger son sang en exhibant du haut de sa chaire la chemise ensanglantée
du Calife assassinée, pourquoi il avait retenu pendant longtemps
le messager de 'Alî et évité de donner une réponse
définitive à sa demande de lui faire son allégeance,
espérant ainsi que l'esprit de révolte ne tarderait pas à
se répandre parmi les Syriens, pourquoi il avait rassemblé
autour de lui tous les notables en disgrâce, tels que 'Obaydullâh
(le fils du Calife 'Omar, le meurtrier qui avait fui, de peur d'être
traduit en justice devant 'Alî),(135)
'Abdullâh Ibn Abî Sarh (l'ex Gouverneur d'Egypte, qui avait
été révoqué lorsque 'Alî avait accédé
au Califat), Marwân (le Secrétaire et le mauvais génie
du Calife 'Othmân), ainsi que presque tous les proches partisans
de ce Calife, et les Omayyades qui avaient fui chez lui après la
défaite de 'Âyechah à Basrah, pourquoi il s'était
assuré l'alliance de 'Amr Ibn al-'Âç, le conquérant
de l'Egypte et l'ex-Gouverneur de ce pays, maintenant résidant en
Palestine en tant que propriétaire, mais aussi en tant que contestataire
(ayant obtenu l'assurance de Mu'âwiyeh de reprendre son poste de
gouverneur de ce pays en contrepartie de sa coopération en vue de
la déposition de 'Alî, il prêta serment d'allégeance
à Mu'âwiyeh, le reconnaissant comme le Calife légal
en présence de toute l'armée, laquelle lui emboîta
le pas, et fut suivie par le grand public de la Syrie, qui se joignit à
cette cérémonie d'acclamation),(136)
pourquoi il avait cherché l'allégeance(137)
de nombreux Compagnons distingués du Prophète, tels que Sa'd
Ibn Abî Waqqâç, 'Abdullâh Ibn 'Omar, Osâmah
Ibn Zayd, Mohammad Ibn Maslamah qui s'étaient fait remarquer par
leur non-prestation de serment d'allégeance à 'Alî
lors de l'inauguration de son Califat, mais qui avaient rejeté également
la sollicitation de Mu'âwiyeh et lui avaient écrit des lettres
de reproches, choisissant ainsi, de rester à l'écart des
deux parties (à cette époque, Abû Horayrah, Abû
al-Dardâ', Abû Osâmah al-Bâhilî et No'mân
Ibn Bachîr al-Ançârî étaient les seuls
Compagnons du Prophète en service auprès de la Cour de Mu'âwiyeh),
pourquoi, étant pendant plus de vingt ans le Gouverneur de cette
riche province de Syrie et ayant adopté une politique clairvoyante
depuis le tout début, comme nous l'avons déjà noté,
il avait amassé un immense trésor et préparé
une puissante armée qui lui était totalement inféodée.
Maintenant, les préjugés tendant à impliquer 'Alî
dans l'assassinat de 'Othmân, qu'il avait inculqués perfidement
aux Syriens en général et à l'armée en particulier,
militaient en sa faveur. La chemise tachée du sang de 'Othmân
pendait encore sur la chaire dans la grande mosquée de Damas, et
les gens, enflammés par la vue de cet objet macabre, sanglotaient
à chaudes larmes et criaient vengeance contre les meurtriers et
leurs protecteurs. Tel était le terrible adversaire à qui
'Alî avait affaire après en avoir fini avec 'Âyechah,
Talhah et Zubayr.
La Marche de 'Alî
vers la Frontière Syrienne
Ayant été mis au courant de toutes ces agitations en Syrie,
'Alî essaya une fois de plus (en Cha'bân 36 H., soit Janvier
657 ap. J. -C.) de recourir aux moyens pacifiques pour régler la
situation, en envoyant à Mu'âwiyeh un chef des Banî
Bajila , nommé Jarîr, Gouverneur de Hamadân, qui se
trouvait à ce moment-là à Kûfa à la suite
de la convocation qu'il avait reçue pour prêter serment d'allégeance
au nouveau Calife. Il était connu pour ses relations amicales avec
Mu'âwiyeh. Son retour à Kûfa se fit attendre avec angoisse.
Finalement, il y revint, après trois mois d'absence, porteur d'un
message oral de Mu'âwiyeh, selon lequel ce dernier ne pourrait faire
son allégeance que si les meurtriers de 'Othmân étaient
punis.
Mâlik al-Achtar accusa le messager d'avoir perdu son temps à
prendre du plaisir en compagnie de Mu'âwiyeh, lequel le retint intentionnellement
aussi longtemps que possible afin d'achever l'élaboration de ses
plans d'hostilité. Prétendant être offensé par
cette imputation, Jarîr quitta Kûfa et réjoignit Mu'âwiyeh.
Constatant qu'il n'y avait aucun espoir à ramener Mu'âwiyeh
à la raison, 'Alî se résolut à marcher sur la
Syrie sans plus attendre. Au mois de Thilqa'dah, 36 H. (soit en Avril 657
ap. J. -C.) il envoya un détachement comme garde avancée
pour le rencontrer à Riqqah, alors qu'il se dirigeait, avec son
armée vers Madâ'in. De là, il dépêcha
un contingent, et marcha à travers le désert mésopotamien.
La
Source Miraculeuse dans le Désert Mésopotamien
Sur sa route, il dut faire halte à un endroit, où il n'y
avait pas d'eau disponible, et le manque s'en fit profondément ressentir
par l'armée. Un ermite chrétien qui vivait dans une grotte
près du campement de l'armée fut appelé, et on lui
demanda de trouver un puits. Il assura à 'Alî qu'il n'y avait
pas de puits à proximité, mais un simple réservoir
ne contenant pas plus de trois seaux d'eau de pluie.
'Alî lui dit alors: «Je sais pourtant que certains des Prophètes
de Banî Isrâ'îl des époques reculées ont
fixé leur demeure à cet endroit, et creusé un puits
pour leur réserve d'eau». L'ermite répondit que lui
aussi en avait entendu parler, mais que le puits avait été
rebouché depuis bien longtemps, qu'il n'en restait aucune trace,
et que selon une vieille tradition, personne si ce n'était un prophète
ou quelqu'un d'envoyé par un prophète, ne le découvrirait
ni ne l'ouvrirait.
«Puis, dit la tradition arabe, il présenta un rouleau de
parchemin sur lequel Simeon Ibn Çafâ (Simon Cephos), l'un
des plus grands apôtres de Jésus-Christ, avait écrit
la prédiction de la venue de Mohammad, le dernier des Prophètes,
et la découverte et la réouverture de ce puits par son héritier
et successeur légal.(138) 'Alî
écouta attentivement cette prédiction, puis se tournant vers
ses accompagnateurs et pointant son doigt sur un endroit précis,
leur dit: "Creusez ici". Ils s'exécutèrent et après
quelque temps de creusement ils heurtèrent une énorme pierre
qu'ils déplacèrent avec beaucoup de difficultés pour
découvrir le puits miraculeux qui fournit à l'armée
une provision bien opportune, ainsi que la preuve de la légitimité
du Califat de 'Alî. Le vénérable ermite fut complètement
convaincu, se jeta aux pieds de 'Alî et embrassa ses genoux, et il
ne le quitta plus jamais à l'avenir». ("Successors of Mohammad"
de W. Irving, p. 180).
Après avoir remercié Dieu et pris suffisamment d'eau pour
l'année, 'Alî se remit en route. Traversant le désert
mésopotamien, il arriva à Riqqah, aux bords de l'Euphrate.
Un pont de bateaux fut installé et l'armée traversa le fleuve,
puis s'avança vers l'ouest où elle rencontra l'avant-poste
syrien à Sour-al-Rûm. Après quelques escarmouches entre
les avant-gardes des deux armées, l'ennemi prit la fuite et l'armée
de 'Alî poursuivit son avance pour arriver à un point où
elle était en vue du principal corps des forces de Mu'âwiyeh,
déjà stationnées à Çiffîn. (Mois
de Thilhaj, 36 H., soit Mai 657 ap. J. -C.).
Le Campement de 'Alî
à Çiffîn
Dans les lignes suivantes, le Major Price nous relate les circonstances
du début de la guerre opposant Mu'âwiyeh au Calife 'Alî:
«Etant donné que Çiffîn commandait, jusqu'à
une longue distance, le seul accès à l'eau de l'Euphrate,
Mu'âwiyeh avait placé Abul-Awr, l'un de ses Généraux,
à la tête de dix mille combattants, à cet endroit,
afin de fermer cet accès aux troupes de 'Alî. Pas très
longtemps après l'occupation par l'armée rebelle de cette
position avantageuse, 'Alî arriva au même endroit et fit camper
son année à proximité. Ses hommes découvrirent
rapidement que la source prévue de leur approvisionnement en eau
leur était interdite d'accès.
»'Alî envoya alors une délégation à
Mu'âwiyeh pour lui demander de renoncer à un avantage inadmissible
entre gens liés par des liens de parenté, même lorsqu'ils
se trouvaient en état d'hostilités, lui assurant que s'il
avait eu lui-même cet accès sous son contrôle, il l'aurait
mis à la disposition des deux armées sur un pied d'égalité.
Mu'âwiyeh fit connaître immédiatement le contenu du
message à ses courtisans dont la plupart dirent qu'étant
donné que les meurtriers de 'Othmân avait coupé tous
les approvisionnements en eau du palais de 'Othmân, ce ne serait
que justice, s'ils subissaient maintenant le même traitement.
»'Amr Ibn al-'Âç était toutefois d'un avis
différent, déclarant que 'Alî, de toute façon
ne laisserait pas mourir de soif son armée alors qu'il avait derrière
lui les légions de guerriers de l'Irak et devant lui l'eau de l'Euphrate,
et ajoutant, pour conclure, qu'en fin de compte, on n'était pas
là pour se battre pour une outre d'eau, mais pour le Califat. Cependant
le premier avis l'emporta et la délégation fut renvoyée
avec le message suivant: "Mu'âwiyeh était résolu à
ne pas renoncer à ce qu'il considérait comme étant
la garantie de la future victoire".
»Cet interdiction d'accès à l'eau vexa beaucoup
'Alî et le laissa perplexe quant à la mesure à entreprendre,
et ce jusqu'à ce que la privation d'eau devint insupportable et
que Mâlik al-Achtar et Ach'ath, fils de Qays le prièrent de
les autoriser à ouvrir la voie d'accès à l'eau par
la force. Cette autorisation ayant été donnée et une
proclamation dans ce sens ayant été faite dans le camp, dix
mille hommes se rassemblèrent en moins d'une heure derrière
l'étendard de Mâlik al-Achtar, et dix mille autres autour
de la tente d'al-Ach'ath.
»Disposant leurs troupes respectives dans un ordre convenable,
les deux commandants conduisirent leurs deux armées en direction
du lit de l'Euphrate et, après avoir averti vainement Abul-Awr de
la nécessité de dégager la rive du fleuve, Mâlik,
à la tête de la cavalerie, et Ach'ath à la tête
de l'infanterie, se refermèrent sur l'ennemi. Pendant l'action qui
suivit, Mâlik était presque exténué par la soif
et l'effort, lorsqu'un soldat qui se trouvait à côté
de lui, le pria d'accepter de lui une gorgée d'eau. Mais le généreux
guerrier refusa de s'abreuver avant d'avoir soulagé les souffrances
de ses hommes. En même temps, étant attaqué par l'ennemi,
il tua sept de ses plus courageux soldats. Mais la soif épuisante
de Mâlik et de ses troupes devint à la longue insupportable.
Aussi ordonna-t-il à tous ceux qui portaient des outres à
eau de le suivre à travers les rangs de l'ennemi et de ne le quitter
qu'une fois qu'ils auraient rempli leurs récipients. Perçant
la ligne de l'adversaire, Mâlik se dirigea directement vers le fleuve,
où ceux qui le suivaient s'approvisionnèrent en eau.
»Dans le fit de l'Euphrate une bataille fit rage, et Abul-Awr,
constatant que ses troupes fuyaient devant l'attaque irrésistible
de leurs assaillants, et ayant perdu sa position, dépêcha
un messager à Mu'âwiyeh, lequel envoya immédiatement
à son secours 'Amr Ibn al-'Âç avec trois mille cavaliers.
L'arrivée de ce général semble cependant avoir rendu
la victoire de Mâlik plus proche. En effet, dès que ce dernier
eut appris l'approche de 'Amr, il se couvrit de son bouclier et poussa
son cheval vers lui avec une impétuosité irrésistible.
'Amr ne put esquiver la fureur de son adversaire qu'en se retirant vers
les rangs des Syriens. Mais beaucoup de ceux-ci furent soumis à
l'épée et un grand nombre d'entre eux furent jetés
dans le fleuve, alors que le reste fuyait pour chercher refuge dans le
camp de Mu'âwiyeh.
»Les troupes de 'Alî ayant réussi à déloger
l'ennemi, s'installèrent tranquillement dans cette ville d'eau et
dans ses environs. Avalant amèrement les reproches de 'Amr, Mu'âwiyeh
se trouvait à présent réduit à solliciter l'indulgence
de son adversaire à qui il avait tout récemment refusé
la sienne propre. Mais 'Alî, avec sa générosité
de coeur et la magnanimité inhérentes à son caractère,
garantit volontiers à ses troupes l'accès à l'Euphrate.
A partir de ce moment-là les combattants des deux armées
purent aller et venir au fleuve avec une confiance et une liberté
égales». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 312)
Des Combats
sans suite pendant un Mois
'Alî divisa ses forces, dont le nombre s'élevait à
quatre-vingt six mille hommes, en sept colonnes, dont chacune était
commandée par un Compagnon du Prophète ou par un chef de
grand renom. Les Commandants étaient: 'Ammâr Ibn Yâcir,
'Abdullâh Ibn 'Abbâs, Qays Ibn Sa'd Ibn 'Obâdah, 'Abdullâh
Ibn Ja'far, Mâlik al-Achtar, Ach'ath Ibn Qays al-Kindi et Sa'îd
Ibn Qays Hamadânî.
Similairement, Mu'âwiyeh répartit ses combattants dont
le nombre (cent vingt mille) dépassait de loin celui des partisans
de 'Alî, en sept colonnes (ou huit) sous le commandement des généraux
suivants: 'Amr Ibn al-'Âç, 'Abdullâh Ibn 'Amr Ibn al-'Âç,
'Obaydullâh Ibn 'Omar, Abul-Awr, Thul Kala' Homayri, 'Abdul-Rahmân
Ibn Khâlid Ibn al-Walîd et Habîb Ibn Maslamah.
Chacune des colonnes des deux armées avançait à
tour de rôle vers le champ de bataille, s'engageait dans des combats
en tirailleurs ou singuliers, au cours desquels un seul héros de
chaque camp se battait jusqu'à ce que la chaleur devienne insupportable.
Ainsi, les combats se prolongèrent pendant tout le mois de Thilhaj,
et cela était dû surtout au désir de 'Alî d'éviter
un grand nombre de pertes parmi les Musulmans dans une bataille générale
et décisive.
L'année suivante (37 H.) ayant débuté au mois de
Moharram pendant lequel le combat était interdit, les deux armées
campèrent l'une en vue de l'autre sans se livrer pratiquement à
aucun mouvement ou activité belliqueux. Pendant ce mois de trêve,
'Alî désira sérieusement se réconcilier avec
Mu'âwiyeh pour prévenir une crise imminente, et il réussit
à réengager des négociations. Tout le mois s'écoula
pour 'Alî en envoyant ou en recevant des délégations,
mais sans que cela n'aboutisse à rien. 'Alî fit savoir clairement
qu'en sa qualité de Calife il était prêt à appliquer
la Loi Divine contre les assassins de 'Othmân, si Mu'âwiyeh
pouvait seulement les désigner.
Mais Mu'âwiyeh, qui entretenait des intentions ambitieuses pour
le Califat sous le couvert de la prétendue volonté de venger
le sang de 'Othmân, prétexte qui était de loin son
point le plus fort et qui lui avait permis de constituer une si grande
armée, ne voulait entendre parler d'aucun accord avant que tous
les assassins de 'Othmân ne fussent exterminés.
Des Combats Féroces
à Çiffîn
Les hostilités furent reprises au début du mois suivant
(Çafar 37 H.). Pendant une semaine les combats firent rage, avec
une férocité toujours plus grande, depuis le matin et jusqu'à
ce que le coucher du soleil séparât les belligérants.
Chaque jour la bataille devenait plus sévère et plus affligeante.
La deuxième semaine, 'Alî décida d'engager un combat
décisif. Les récits rapportés par Price décrivent
très minutieusement les différents combats singuliers qui
eurent lieu pendant cette campagne qui traîna en longueur.
«Dans beaucoup de ces combats singuliers, 'Alî était
personnellement engagé, mais sa force et son habileté extraordinaires
étaient si connues et si redoutées par l'adversaire qu'il
était souvent obligé de se masquer pour qu'un combattant
de l'ennemi veuille bien l'attaquer. A une occasion, alors qu'il était
monté sur le cheval de l'un de ses généraux et revêtu
de son armure, il fut attaqué par un guerrier de l'armée
de Mu'âwiyeh, dont il sépara la partie supérieure de
la partie inférieure du corps, d'un coup terrible de cimeterre.
On dit aussi que l'acuité et la dureté de la lame étaient
telles, et que le coup fut si rapide et si précis, que l'homme ainsi
coupé en deux continua à rester fixé sur la selle,
au point que l'on crut un moment que 'Alî avait manqué son
coup, et ce jusqu'à ce que le cheval bougea pour laisser tomber
par terre les deux moitiés du corps». ("Histry of the Saracens"
de S. Ockley, p. 314)
'Ammâr Tombe dans
la Bataille
Les pertes en vies humaines, principalement dans les rangs de l'armée
de Mu'âwiyeh, étaient très lourdes dans ces combats.
Dans l'armée de 'Alî on enregistra notamment la perte de certains
Compagnons distingués du Prophète, perte regrettée
aussi bien par les partisans que par l'ennemi.
'Ammâr Ibn Yâcir était grièvement blessé
lorsque Hâchim Ibn 'Otbah, le héros de Qâdiciyyah, tomba
à côté de lui en combattant. En voyant Hâchim
tomber, il s'écria en direction de ses compagnons: «Ô
Hâchim, en ce moment-même, je vois le Ciel ouvert et les vierges
aux yeux noirs, vêtues de robes de mariées, t'étreignant
de leurs baisers affectueux». En chantant ainsi, il se rafraîchit
avec sa gorgée favorite de lait coupé d'eau, et le vieux
guerrier se battit à nouveau avec l'ardeur d'un jeune homme, attaquant
les rangs de l'ennemi avant de tomber et de rencontrer le sort tant envié.
Pendant longtemps, on put entendre sur les lèvres de tout un
chacun, aussi bien dans la ville que dans le camp, ce que le Prophète
avait dit un jour à 'Ammâr: «Tu seras tué un
jour par la partie rebelle et déviée, Ô 'Ammâr!».
En d'autres termes, on interpréta la prédiction du Prophète
comme voulant dire que 'Ammâr serait tué alors qu'il combattait
du côté de la bonne cause.
Ainsi sa mort était la condamnation nette de la partie contre
laquelle il avait combattu, et sema la discorde dans les rangs de l'armée
de Mu'âwiyeh. Lorsque 'Amr Ibn al-'Âç apprit la mort
de 'Ammâr, il tenta d'innocenter son camp en disant: «Et qui
d'autre a tué 'Ammâr, si ce n'est 'Alî, le rebelle,
en l'amenant ici?». Cette répartie intelligente courut à
travers les rangs de l'armée syrienne et effaça tout de suite
le mauvais présage dû à la mort de 'Ammâr. ("Annals
of the Early Caiphate" de W. Muir, p. 382).
Selon d'autres versions, les dernières paroles de 'Ammâr
furent les suivantes: «L'homme assoiffé désirait ardemment
de l'eau, et tout près de lui une source jaillit, il descend dans
la source et boit. C'est le jour joyeux de la rencontre avec les amis,
avec Muhammad et ses Compagnons». (Al-Wâqidî, cité
par W. Muir, dans son "Annals of ....", p. 382).
«Par Allâh! Je ne connais pas d'action qui fasse plus plaisir
à Dieu que de guerroyer contre les vagabonds hors-la-loi. Je voudrais
combattre même si j'étais sûr d'être emporté
par une lance, car mourir en martyr et l'assurance d'aller au Paradis de
cette façon ne peuvent être acquis que dans les rangs de 'Alî.
Quel que soit le courage avec lequel les ennemis peuvent se battre, la
justice restera de notre côté. Ils ne veulent pas vraiment
venger la mort de 'Othmân, mais c'est l'ambition qui les conduit
à la rébellion. Suivez-moi, Ô Compagnons du Prophète!
Les portes des Cieux sont ouvertes et les houris attendent de nous accueillir.
Triomphons ici, ou rencontrons Muhammad et ses amis au Paradis!»
Prononçant ces mots, il brandit son arme et plongea avec une violence
désespérée dans le combat jusqu'à ce qu'il
fût finalement cerné par les Syriens et tombât sacrifié
par son propre courage. Sa mort incita les troupes de 'Alî à
le venger alors que même les Syriens regrettèrent sa perte
en raison de la haute estime dans laquelle le Prophète l'avait tenu».
(Weil, "Geschicte der Chalifen", cité dans "History of the Saracens"
de S. Ockley, p. 314).
Voyant 'Ammâr tomber, Mu'âwiyeh s'écria à
l'adresse de 'Amr Ibn al-'Âç qui était assis à
côté de lui: «Vois-tu quelles précieuses vies
sont perdues à cause de nos dissensions?» «Oui, je vois,
répondit 'Amr. J'aurais voulu que Dieu ne me laissât pas vivre
jusqu'à ce que j'assiste à une pareille catastrophe».
'Ammâr Ibn Yâcir, le patriarche de la chevalerie musulmane,
était âgé de quatre-vingt treize ans. Il avait combattu
sous les ordres du Prophète à Badr et dans beaucoup d'autres
batailles. II était dans cette dernière bataille le Commandant
de la Cavalerie de l'armée de 'Alî. Il avait été
révéré de son vivant et il fut pleuré après
sa mort par tout le monde. Ayant été blessé mortellement
par la lance de Jowayr Oskoni, il fut ramené à sa tente où
se trouvait 'Alî qui le prit dans son giron, versa des larmes de
deuil et pria sur lui.
Le Piètre
État de 'Amr Ibn al-'Âç
'Amr Ibn al-'Âç ne semble pas en tout cas avoir montré
beaucoup plus de valeur personnelle que Mu'âwiyeh à cette
occasion. Price nous dit que peu après, 'Alî ayant changé
à nouveau son armure pour se déguiser et rentrer en lice,
'Amr Ibn al-'Âç, ignorant son identité, fit quelques
pas en avant, et 'Alî feignant d'appréhender un peu, l'encouragea
à avancer encore plus. Tous les deux étaient montés
à cheval, et comme 'Amr s'approchait un peu plus de son adversaire
il récita quelques vers de vantardise voulant dire qu'il entendait
faire des ravages dans l'armée ennemie et la réduire à
la déconfiture même si elle comptait dans ses rangs un millier
d'hommes comme 'Alî.
'Alî répondit avec des mots qui laissèrent apparaître
d'une façon inattendue son identité. 'Amr s'éloigna
sans perdre une seconde, fouettant et éperonnant son cheval pour
le faire courir le plus rapidement possible, tandis que 'Alî se mettait
à sa poursuite avec la plus grande ardeur. Il fit un bon plongeon
direct qui permit à la pointe de sa lance de passer à travers
les bordures de la cotte de mailles de 'Amr et de le jeter par terre, la
tête précédant le corps.
Malheureusement (ou plutôt heureusement) 'Amr, ne portant pas
de sous-vêtements, et ses pieds étant en l'air, les parties
intimes de son corps furent exposées à la vue de tout le
monde. Le voyant dans cet état, 'Alî renonça à
lui faire plus de mal et lui permit de s'enfuir avec la remarque méprisante
qu'il ne devait plus oublier les circonstances auxquelles il devait la
vie sauve.
Ci-après nous reproduisons un récit plein d'humour qui
a été tiré de la conversation s'étant ensuivie
entre 'Amr et Mu'âwiyeh lors de leur prochain entretien:
Mu'âwiyeh: «Je te fais crédit pour ton ingéniosité,
Ô 'Amr, et je crois que tu es le premier guerrier qui ait échappé
à l'épée par un si scandaleux dévoilement.
Tu dois être reconnaissant envers ces organes (que tu as exposés)
jusqu'au jour de ta mort».
'Amr Ibn al-'Âç: «Cesse de te moquer de moi,
Ô Mu'âwiyeh! Si tu avais été à ma place,
ton orgueil aurait été complètement rabaissé
et tes femmes et enfants auraient été respectivement veuves
et orphelins.
Mu'âwiyeh: «De grâce, 'Amr! Comment respirais-tu
avec tes jambes suspendues en l'air? Si tu avais su comment tu allais être
déshonoré, tu aurais sûrement porté un caleçon».
'Amr Ibn al-'Âç: «Je me suis seulement retiré
devant la force supérieure de mon ennemi».
Mu'âwiyeh: «Je ne considère pas comme déshonorant
le fait de te soumettre à 'Alî, mais je maintiens qu'il était
scandaleux de faire de tes jambes un mât de drapeau et de t'exposer
si honteusement devant 'Alî et devant tout le monde».
'Amr Ibn al-'Âç: «Je n'exclurais pas que 'Alî
m'ait épargné parce qu'il se serait rappelé que je
suis le fils de son oncle».
Mu'âwiyeh: «Non! 'Amr!(139)
C'est trop arrogant de ta part. Le Prophète avait déclaré
que 'Alî était de la même ascendance que lui, et nous
savons tous que son père était un chef de l'illustre race
de Hâchim, tandis que le tien était un simple boucher de la
tribu de Quraych».
'Amr Ibn al-'Âç: «Grand Dieu! Tes remarques
sont pires que les épées et les flèches de l'ennemi.
Si je ne m'étais pas impliqué dans ta querelle, ni je n'avais
troqué mon bien-être éternel contre le profit de ce
bas-monde, je n'aurais pas été obligé de supporter
de tels propos, ni d'endurer un tel fardeau de peine et d'angoisse».
Une Bataille Férocement
Livrée
«Un jour, alors que la campagne semblait proche, 'Alî se
prépara à la bataille avec une solennité inhabituelle.
Vêtu de la cotte de mailles et du turban du Prophète, et montant
sur le cheval du Prophète, Riyâh, il sortit le vieux et vénérable
étendard de Mohammad. L'apparition de cette relique sacrée,
maintenant déchirée en lambeaux, fit sangloter les illustres
Compagnons qui avaient si souvent combattu et conquis à son ombre,
et incita les troupes enthousiastes à s'empresser dans une formidable
démonstration de force sous la bannière sacrée. Mu'âwiyeh
avait rassemblé douze mille parmi les meilleurs guerriers de Syrie,
lorsque 'Alî, épée à la main, à la tête
de ses vétérans impétueux, les attaqua avec le cri
d' "Allâh-û-Akbar" et les mit immédiatement dans la
confusion générale. Les Syriens purent finalement se remettre
de leur désordre.
»La tribu de Awk du côté de Mu'âwiyeh et celle
de Hamandites du côté de 'Alî firent chacun de son côté
le vu solennel de ne jamais quitter le champ de bataille tant qu'un seul
de la partie adverse y demeurait pour le disputer. Il en résulta
un carnage terrible parmi les plus braves des deux armées. Des têtes
roulaient sur le sol, et des flots de sang coulaient dans toutes les directions.
Mais l'issue de la bataille fut fatale pour les Syriens qui subirent une
défaite totale et se retirèrent dans la plus grande confusion».
("Mohammadan History" de M. Price, cité de S. Ockley dans son "History
of Saracens", p. 315)
Des
Combats Décisifs à Çiffîn ; Le Combat
Vateureux de Mâlik al-Achtar
La Bataille de Çiffin fut enfin livrée désespérément
les 11, 12 et 13 Çafar, 37 H. La guerre continua à faire
rage pendant la riuit éclairée par la pleine lune du 13 Çafar,
beaucoup plus que pendant la journée. Pareille à la nuit
du champ de bataille de Qadiciyyah, cette nuit-là fut appelé
une seconde Laylat al-Harir (la nuit des sons métalliques). Mâlik
al-Achtar montait un cheval pie, et maniant un sabre large à double
tranchant, il criait sans cesse: «Allâho Akbar». A chaque
coup de son terrible cimeterre, un guerrier tombait, fendu. L'histoire
nous dit qu'il répéta ce cri redoutable au moins quatre cents
fois durant la nuit. Le héros de la bataille, résolu à
obtenir la victoire, lançait ses attaques avec une vigueur soutenue
et beaucoup de pugnacité.
Le jour se leva et parut très désavantageux pour les Syriens
qui étaient repoussés vers leur campement par la charge de
leurs courageux assaillants. Mu'âwiyeh, qui observait le champ de
bataille avec angoisse, devint de plus en plus nerveux lorsque les rangs
de ses gardes du corps furent taillés en pièces. Alors qu'il
songeait avec désespoir à prendre la fuite, et qu'il avait
même demandé qu'on préparât son cheval, 'Amr
Ibn al-'Âç, qui se trouvait près de lui, lui dit: «Courage,
Mu'âwiyeh! Ne te démoralise pas! J'ai imaginé le moyen
de prévenir la crise. Appelle l'ennemi à la Parole de Dieu
en levant haut le Livre Sacré. S'il accepte, cela te mènera
à la victoire, et s'il refuse de subir l'épreuve, la discorde
sévira dans ses rangs».
Une Supercherie
pour Détourner la Crise
Mu'âwiyeh s'accrocha ardemment à ces paroles, et peu après
cinq cents copies du Coran furent levées haut, accrochées
à la pointe des lances. «Regardez!» s'écrièrent
les porteurs du Coran à l'intention de l'armée adverse. «Laissons
au Livre de Dieu le soin de décider de nos différends».(140)
Ce stratagème produisit un effet magique sur Ach'ath Ibn Qays(141)
et ses partisans ainsi que sur certains Kûfites. On eût dit
qu'ils attendaient avec angoisse cet artifice. Ils bondirent en avant tout
de suite, et d'une seule voix retentissante ils crièrent: «Oui,
le Livre de Dieu! Laissons-le décider de nos différends»,
tout en déposant leurs armes. Entendant le tumulte, 'Ali fit quelques
pas en avant et les admonesta: «C'est une supercherie, leur dit-il.
Craignant la défaite, ces hommes malveillants ont trouvé
cette astuce de sauvetage». «Quoi!» s'écrièrent
les hommes dupés par la ruse de Mu'âwiyeh. «Est-ce que
tu refuses de te soumettre à la décision du Coran auquel
ils t'appellent?» «Mais c'est pour les amener au Coran que
je les ai combattus si longuement. Ce sont des rebelles. Allez donc combattre
votre ennemi. Je connais Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn al-'Âç,
Ibn Abî Sarh, Habib et Dhohâk mieux que vous. Ils n'ont pas
d'égard pour la religion ni pour le Coran».(142)
«Quoi qu'il en soit, persistèrent-ils, nous sommes à
présent appelés au Coran et nous ne devons pas décliner
cet appel».
Ainsi ils ne voulaient entendre aucun argument. Et finalement, avec
une attitude de révolte, ils menacèrent le Calife que s'il
refusait l'appel, ils l'abandonneraient tous ou même ils le livreraient
à son ennemi, ou lui réserveraient le même traitement
qu'avait subi 'Othmân.
'Alî constata qu'il était inutile d'essayer encore de convaincre
ces soldats séduits définitivement par l'astuce de Mu'awiyeh,
et leur dit alors: «Arrêtez d'user de ce langage véhément
et traître et obéissez-moi en reprenant le combat. Mais si
vous êtes déterminés à me désobéir,
faites comme vous voulez». Ils refusèrent de lui obéir
et le pressèrent de faire sortir Mâlik al-Achtar du champ
de bataille (ces hommes devinrent très sectaires et ils seront désignés
dans l'histoire par le terme de "Khârijite" - sécessionnistes).
Mâlik al-Achtar, sommé de revenir, refusa tout d'abord
en disant: «Je ne peux pas quitter le champ de bataille. La victoire
est à la portée de la main». Devant cette réponse,
le tumulte des Khârijites se fit plus fort, et ils insistèrent
auprès de 'Alî pour qu'il le fasse ramener immédiatement.
'Alî envoya un autre message à Mâlik al-Achtar pour
lui dire: «A quoi sert la victoire lorsque la trahison sévit
à l'intérieur de mon propre camp. Reviens tout de suite avant
que je sois tué ou livré à mes ennemis».
Mâlik al-Achtar cessa le combat à contre-coeur et accourut
auprès du Calife.
«Une vive dispute éclata entre lui et les soldats en colère:
"Vous combattiez, leur dit-il, jusqu'à hier encore pour Dieu et
les plus élus d'entre vous y ont laissé leur vie. Cela signifie-t-il
que vous reconnaissez maintenant que vous êtes dans l'erreur et que
vos martyrs sont allés en enfer ?". "Non! Ce n'est pas ainsi, répliquèrent-ils.
Hier nous combattions pour le Seigneur, et aujourd'hui c'est pour le Seigneur
aussi que nous arrêtons le combat". A cette réponse, Mâlik
al-Achtar les traita de traîtres, de lèches, d'hypocrites
et de mécréants. Ils ripostèrent en l'injuriant et
frappèrent son cheval avec leurs fouets. 'Alî s'interposa.
Le tumulte s'apaisa». ("Annals of ..." de W. Muir, p. 382)
Des Propositions d'Arbitrage
Ach'ath(143) Ibn Qays al-Kindî,
sortant des rangs des Khârijites, s'approcha de 'Alî et lui
demanda la permission d'aller voir Mu'âwiyeh pour savoir quelle était
la signification précise de son action de lever haut le Coran. La
permission lui fut donnée et il se rendit chez Mu'âwiyeh,
et à son retour il dit que Mu'âwiyeh et son parti désiraient
que les différends soient soumis à l'arbitrage de deux juges
qui émettraient leurs verdicts conformément au vrai sens
du Coran, que chaque partie devrait nommer un juge, et que le verdict des
juges serait définitif.
«Ach'ath, le fils de Qays, l'un de ceux qui jouissaient d'un énorme
crédit et d'influence parmi les soldats irakiens, mais qui fut soupçonné(144)
d'avoir été suborné par Mu'âwiyeh, demanda à
'Alî comment il considérait cet expédient. 'Alî
lui répondit froidement que "Celui qui n'est pas libre ne peut donner
son avis. Il vous appartient donc de régler cette affaire de la
manière que vous estimerez convenable vous-mêmes». ("History
of the Saracens" de S. Ockley, p. 317).
En tout cas l'armée étant résolue à accepter
la proposition désigna comme arbitre, Abû Mûsâ
al-Ach'ari le dernier Gouverneur de Kûfa, déposé par
'Alî pour sa déloyauté, comme cela a été
souligné précédemment. «Cet homme - dit 'Alî,
surpris par cette désignation - nous a déjà quittés,
et il ne combat pas actuellement avec nous. Il est préférable
de choisir à sa place le fils de l'oncle du Prophète, c'est-à-dire
'Abdullâh Ibn 'Abbâs». «Et pourquoi ne pas te nommer
toi-même au lieu de ton cousin?» dirent ironiquement ses détracteurs.
Ils affirmèrent qu'ils ne voulaient désigner que quelqu'un
qui puisse être également impartial vis-à-vis de lui
et de Mu'âwiyeh.
'Alî proposa alors Mâlik al-Achtar, mais ils le forcèrent
obstinément à ne choisir qu'Abû Mûsâ comme
son représentant.
«C'était le choix le plus amer pour 'Alî, mais il
n'avait pas d'alternative. Abû Mûsâ s'était mis
à l'écart de la bataille, mais il devait se trouver dans
les parages. Lorsq'on lui parla de l'arbitrage, il s'exclama: "Dieu soit
loué pour avoir mis fin au combat!". "Mais tu es nommé l'arbitre
qui nous représente", lui dit-on. "Hélas! Hélas!"
s'écria-t-il avant de se rendre avec beaucoup d'excitation au camp
de Alî. Ahnaf Ibn Qays demanda à être nommé juge
conjointement avec Abû Mûsâ dont il dit qu'il n'était
pas homme à pouvoir juger tout seul ni n'ayant suffisamment de tact
ni d'esprit pour être à la hauteur de cette tâche. "Il
n'y a pas de nud qu'Abû Mûsâ puisse nouer sans que je
ne puisse le dénouer, ni de nud qu'il puisse dénouer sans
que j'en trouve un encore plus dur à défaire". C'était
tout à fait vrai, mais l'armée était d'une humeur
insolente et perverse, et né voulait entendre parler de personne
d'autre qu'Abû Mûsâ. L'arbitre syrien était 'Amr
Ibn al-'Âç, devant les moyens profonds et astucieux duquel
Abû Mûsâ ne pesait guère" ("Annals of ..." de
W. Muir, p. 385).
L'Acte d'Arbitrage
Les deux arbitres (Abû Mûsâ et 'Amr Ibn al-'Âç)
s'étant présentés dans le camp de 'Alî, un accord
de trêve fut rédigé.(145)
Dicté par 'Alî, il commençait ainsi: «Au nom
de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce qui a été
agréé entre le Commandeur des Croyants, 'Alî, et ...
». 'Amr Ibn al-'Âç objecta à cette formule et
dit: «'Alî est votre Commandeur, pas le nôtre. Il faut
écrire tout simplement: "entre 'Alî et Mu'âwiyeh"».
A ce moment, 'Alî, se rappelant la prophétie prononcée
par le Messager de Dieu à Hudaybiyyah, dit aux gens qui l'entouraient:
«Lorsqu'une objection similaire avait été soulevée
par Quraych afin de supprimer la formule "Le Messager de Dieu" rattachée
au nom du Prophète dans le traité, le Prophète avait
cédé et effacé de ses propres mains les mots contestés
en me voyant hésiter à le faire, avait prédit alors
qu'un jour viendrait où je devrais céder moi aussi et faire
une semblable concession».
Entendant ces propos, 'Amr Ibn al-'Âç s'écria: «Est-ce
que tu nous compares aux Arabes païens bien que nous soyons de bons
Croyants!». «Et quand a-t-on vu qu'un fils de mauvaise naissance
ne fût pas l'ami des méchants et l'ennemi des gens intègres?».
Sur ce, 'Amr jura qu'il ne voudrait plus jamais se trouver en compagnie
de 'Alî, et 'Alî dit qu'il souhaitait que Dieu le préservât
d'un tel compagnon. Cependant 'Alî n'avait d'autre choix que de céder,
et l'accord de trêve fut écrit avec les noms simples de 'Alî
et de Mu'âwiyeh - et signé.
Par cet accord les parties contractantes s'engageaient à ratifier
et à confirmer la décision des juges, décision qui
devrait intervenir quelques six ou huit mois plus tard, quelque part à
mi-distance entre Kûfa et Damas. Les juges jurent qu'ils jugeraient
avec intégrité, conformément au Livre Sacré
et sans aucune partialité. Cet Acte d'arbitrage eut lieu le Mercredi
13 Çafar 37 H, soit le 31 Juillet 657 du calendrier chrétien.
Le Massacre de Çiffîn
Quatre-vingt dix batailles avaient été livrées
à Çiffîn.(146) Les
pertes avaient été très lourdes. La plupart des historiens
avancent le chiffre de soixante-dix mille soldats tués dans les
deux camps depuis le début jusqu'à la fin des hostilités.
Dans ce nombre il y avait quarante-cinq mille Syriens et vingt-cinq Irakiens.
'Ammâr Ibn Yâcir, Hâchim Ibn 'Otbah, Khazimah Ibn Thâbit,
'Abdullâh Ibn Bodayl et Abul-Hathîm Ibn Tayhân étaient
ceux des chefs notables des partisans de 'Alî qui avaient reçu
le martyre, tandis que les hommes distingués, du côté
de Mu'âwiyeh, qui avaient trouvé la mort dans ces batailles,
étaient: Thul-Kala', Homayrî, 'Obaydullâh Ibn 'Omar,
Hochâb Ibn Thil-Zalim et Habîb Ibn Sa'd al-Tay.
Le Retour des Armées
La trêve étant entrée en vigueur, Mu'âwiyeh
échappa de peu à la défaite et marqua pour le moment
un point, tout en conservant de bons espoirs pour le futur. Les armées
ayant enterré leurs morts, quittèrent le funeste champ de
bataille. Mu'âwiyeh se retira à Damas, et 'Alî se rendit
à Kûfa.
La Décision des Juges
L'heure de l'arbitrage étant arrivée, les juges se rendirent
à Dumat al-Jondel, ou Azroh, chacun avec une suite de quatre cents
cavaliers, comme convenu. Beaucoup de chefs notables de la Mecque, de Médine,
d'Irak et de Syrie s'y rendirent également pour assister aux délibérations
qui devaient décider l'avenir de l'Islam. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs,
qui accompagnait Abû Mûsâ pour présider aux prières
quotidiennes, lui conseilla, lors de leurs discussions sur les questions
de l'arbitrage, de se méfier des ruses de son collègue astucieux
et de garder bien particulièrement présent dans son esprit
le fait que 'Alî n'avait pas un défaut qui puisse le rendre
incapable de gouverner, et que Mu'âwiyeh n'avait pas une vertu susceptible
de le qualifier pour diriger le gouvernement islamique.
Lorsque Abû Mûsâ arriva à Dumat, 'Amr Ibn al-'Âç
était déjà prévenu des faiblesses du caractère
d'Abû Mûsâ. Aussi le traita-t-il avec le plus grand respect
et beaucoup de politesse afin de le mettre complètement sous son
influence. Ayant gagné sa confiance, il lui fit admettre que 'Othmân
avait été ignoblement assassiné. Puis, il lui demanda
pourquoi le vengeur de son sang, qui était de plus l'un de ses proches
parents et un administrateur compétent, en l'occurrence Mu'âwiyeh,
ne devrait pas lui succéder. A ceci Abû Mûsâ répliqua
que la succession ne devait pas être déterminée sur
une telle base, sinon la préférence irait aux fils de 'Othmân
en tant que légitimes prétendants, mais qu'ils devaient avant
toute chose fonder leur choix sur le moyen d'éviter l'éclatement
d'une nouvelle révolte ou guerre.
'Amr Ibn al-'Âç lui demanda alors ce qu'il proposait de
faire. «Ecartons à la fois 'Alî et Mu'âwiyeh et
laissons les Croyants élire une tierce personne», suggéra
Abû Mûsâ. «Je suis d'accord, dit 'Amr Ibn al-'Âç.
Allons annoncer notre décision». Un tribunal fut érigé,
d'où les deux arbitres devraient déclarer publiquement leur
décision. Abû Mûsâ demanda à 'Amr Ibn al-'Âç
de monter le premier à la tribune, mais 'Amr, alléguant qu'il
désirait par courtoisie laisser monter l'homme de 'Alî le
premier, et venant à bout de tous ses scrupules, insista auprès
d'Abû Mûsâ pour qu'il montât le premier.
Abû Mûsâ monta donc sur la tribune et s'adressa aux
gens dans les termes suivants: «Frères! 'Amr Ibn al-'Âç
et moi-même avons ensemble examiné la question profondément,
et conclu que le meilleur moyen possible de restaurer la paix et d'effacer
la discorde du peuple est de déposer à la fois 'Alî
et Mu'âwiyeh afin de laisser au peuple le soin de choisir à
leur place un homme meilleur. C'est pourquoi, je destitue à la fois
'Alî et Mû'âwiyeh du Califat auquel ils prétendent,
de la même façon que je retire cette bague de mon doigt».
Abû Mûsâ descendit de la tribune, une fois qu'il eut
terminé sa déclaration.
A son tour, 'Amr Ibn al-'Âç monta sur la tribune pour rendre
public ce qu'il avait à déclarer. «Vous avez entendu,
dit-il, comment il a déposé son Chef 'Alî. Pour ma
part je le dépose également et j'investis mon Chef Mu'âwiyeh
du Califat, et je l'y confirme, de la même façon que je mets
cette bague à mon doigt. Je fais ceci avec justice, car Mu'âwiyeh
est le vengeur de 'Othmân et son successeur légal».
Après quoi, il descendit de la tribune. Cet arbitrage eut lieu au
mois de Ramadhân, 37 H., soit Février 658 ap. J. -C.
Stupéfaction
devant la Décision
L'assistance fut stupéfaite par l'issue inattendue de l'arbitrage.
Ni les Kûfites ne songeaient que 'Amr Ibn al-'Âç pouvait
duper si honteusement Abû Mûsâ, ni les Syriens ne rêvaient
que Mu'âwiyeh pouvait réaliser un tel triomphe. Abû
Mûsâ, déconcerté, abasourdi, et assailli de toutes
parts dit: «Que puis je faire? J'ai été dupé
par 'Amr qui était d'accord avec moi, mais qui a fait un écart
par la suite».
Autant les Syriens applaudissaient à la décision, autant
les Kûfites étaient enragés. Au sommet de l'indignation,
Churay, le commandant de l'escorte de Kûfa, se jeta sur 'Amr Ibn
al-'Âç, et il était en train de le malmener durement
lorsque les gens s'interposèrent pour les séparer et les
laisser seulement s'injurier. Faisant l'objet de la raillerie des Syriens
et des reproches des Kûfites, Abû Mûsâ se sentait
très honteux d'avoir été dupé par son collègue.
Craignant de devoir payer pour ce qui venait de se passer, il eut vite
fait de s'enfuir à la Mecque où il vécut désormais
dans l'obscurité et où on n'entendra plus parler de lui,
bien qu'il mourût en 42 H., ou en 52 H. selon d'autres sources.
Beaucoup de ce qui avait été dit avec colère par
les notables qui étaient stupéfaits par l'étrange
dénouement de l'arbitrage, a été conservé par
l'histoire. En voici quelques exemples:
Le fils de 'Omar: «Voyez ce qui est arrivé d l'Islam.
Sa plus grande affaire a été confiée à deux
hommes dont l'un ne distingue pas le bon droit de l'erreur, et l'autre
est un nigaud».
Le fils d'Abû Bakr: «Il aurait été
préférable pour Abû Mûsâ qu'il fût
mort avant cette affaire».
Abû Mûsâ lui-même est représenté
comme parlant de 'Amr par le recours au langage coranique: «Il
est semblable au chien: il grogne quand tu l'attaques, il grogne quand
tu le laisses tranquille». (Sourate al-A'râf, 7: 176) et
'Amr lui répliqua: «Et toi, tu es "comme l'âne chargé
de livres et qui n'en est pas plus avancé" (Sourate al-Jum'ah,
62, 5)».
Churayh, le commandant de l'escorte de Kûfa s'élança
sur 'Amr et ils se rouèrent de coups de fouet jusqu'à ce
qu'ils fussent séparés par les gens. Churayh s'écria
qu'il aurait souhaité faire usage de l'épée (au lieu
du fouet). ("Annals of ..." de W. Muir, p. 394)
'Amr Ibn al-'Âç retourna à Damas, alors que Mu'âwiyeh
était salué, au milieu des acclamations de joie, comme Calife
par les Syriens. Désormais, les intérêts de Mu'âwiyeh
commencèrent à prospérer et la prédiction de
Ka'b al-Ahbar semblait être en voie de se réaliser dans un
futur proche, tandis que le pouvoir de 'Alî se mit à décliner.
Les Khârijites
La trêve ayant été conclue le 13 Çafar 37
H. à Çiffîn, 'Alî prit le chemin du retour avec
son armée. Un corps de douze mille hommes sortit des rangs et marcha
pendant une petite distance dans la même direction que celle suivie
par le gros de l'armée, c'est-à-dire vers Kûfa. Ces
soldats mécontents avaient d'abord grogné à voix basse
le compromis conclu et s'étaient mis ensuite à se reprocher
les uns aux autres d'avoir abandonné la cause de la Foi pour un
compromis impie. C'étaient les Khârijites (un Khârijite
est quelqu'un qui se rebelle contre les principes établis d'une
religion), qui avaient refusé de combattre après la supercherie
faite par l'ennemi et qui avaient pressé le Calife d'accepter l'arbitrage,
et l'arbitre en particulier.
A l'approche de Kûfa, ces sécessionnistes campèrent
dans un village appelé Harora, à proximité de Kûfa.
Leurs notions religieuses tournèrent à un zèle fanatique
qui professait que tous les croyants étaient d'un niveau égal
et que personne ne devait exercer une autorité sur les autres. Ils
fondèrent leur credo sur cette formule: "La hukma illâ lillâh",
c'est-à-dire, il n'y a pas de jugement si ce n'est celui de Dieu
seul, et par conséquent ils voulaient qu'il n'y ait ni Calife ni
serment d'allégeance prêté à aucun être
humain. Ils reprochaient à 'Alî d'avoir péché
en acceptant de se référer à un jugement humain, alors
que le jugement appartient à Dieu seul, et ils lui demandaient de
se repentir de son "apostasie". Ils disaient que 'Alî n'aurait pas
dû faire quartier à l'ennemi, lequel aurait dû être
poursuivi et soumis à l'épée.
Se rendant à leur camp, le Calife les admonesta fermement en
leur reprochant d'avoir fait une mauvaise interprétation de la formule:
"La hukma illâ Lillâh". Il leur expliqua qu'en acceptant l'arbitrage
il n'avait fait que suivre les stipulations figurant dans le Coran, et
qu'il n'avait pas commis un péché dont il aurait à
se repentir. Il souligna que le péché se trouvait de leur
côté puisqu'ils avaient refusé obstinément de
continuer à combattre l'ennemi, que c'était par leur révolte
qu'ils l'avaient forcé à rappeler Mâlik al-Achtar qui
était en train de repousser l'ennemi vers son camp, et sur le point
d'obtenir une victoire totale, et que c'étaient eux qui l'avaient
contraint à accepter l'arbitrage et l'arbitre en particulier. Il
ajouta qu'il concevait que les arbitres étaient engagés selon
les termes de l'accord de trêve à émettre un jugement
juste et conforme au Coran, et que s'il était établi que
le jugement était écarté de la droiture, il le rejetterait
tout de suite et marcherait à nouveau contre l'ennemi.
Il leur dit en conclusion qu'il était erroné de lui demander
d'interrompre la trêve qu'ils l'avaient eux-mêmes conduit à
conclure. A tous ces raisonnements ils répondirent tout simplement:
«Nous admettons notre péché mais nous nous sommes repentis
de notre apostasie, et toi aussi, tu. dois te repentir de la tienne».
'Alî répliqua qu'étant un vrai croyant, il ne voulait
pas se démentir en admettant être ce qu'il n'était
pas c'est-à-dire un apostat.
La Révolte des Khârijites
Ces sécessionnistes n'étaient pas satisfaits et ils prirent
la décision de se rebeller, mais attendant l'issue de la décision
des juges, ils s'abstinrent pour le moment d'entreprendre toute action.
Tout de suite après le jugement rendu public par les arbitres, ils
décidèrent de dresser le drapeau de la révolte et
ils obtinrent de 'Abdullâh Ibn Wahab, l'un de leurs chefs, d'accepter
(contrairement aux principes de leur doctrine) le commandement, à
titre provisoire, pour faire face à la situation critique.
Fixant leur quartier général à Nahrawân,
à quelques kilomètres de Bagdad, au cours du mois qui suivit
l'arbitrage, ils commencèrent à prendre la route du rendez-vous
soit individuellement, soit par petits groupes, afin d'éviter d'attirer
l'attention sur leur départ. Quelque cinq cents mécontents
de Basrah aussi rejoignirent les insurgés à Nahrawân.
En même temps, 'Alî, ayant appris la nouvelle du faux arbitrage
à Dumat, s'était contenté de prendre note du mouvement
de ces zélateurs fanatiques, son esprit était occupé
avant tout par la question de Mu'âwiyeh et la levée de troupes
contre la Syrie en vue de reprendre les hostilités. Les nouvelles
de l'insurrection des Khârijites lui étant entre-temps parvenues,
il leur écrivit qu'il était en train de se préparer
à marcher contre Mu'âwiyeh et qu'il était encore temps
pour eux de se joindre à son drapeau. Les sécessionnistes
lui firent parvenir une réponse insultante, lui disant qu'ils l'avaient
rejeté en tant qu'apostat hérétique, à moins
qu'il ne reconnaisse son apostasie et s'en repente, auquel cas ils verraient
s'il était possible d'arriver à un arrangement avec lui.
La Bataille de Nahrawân
Alors qu'il commençait sa marche sur la Syrie, 'Alî apprit
que les Khârijites avaient attaqué Madâ'in, mais qu'ils
avaient été repoussés vers leur camp, qu'ils étaient
en train de commettre d'horribles outrages dans les régions entourant
leur camp, condamnant comme impies tous ceux qui refusaient de partager
leurs sentiments, qu'ils avaient mis à mort un voyageur qui n'avait
pas accepté leur doctrine, et éventré sa femme qui
portait un enfant. Les soldats de 'Alî, qui avaient laissé
derrière eux leurs familles sans protection, et qui craignaient
le danger de ces fanatiques barbares, exprimèrent leur désir
de mettre ces hors-la-loi hors d'état de nuire avant de se rendre
en Syrie. Un messager fut envoyé sur place pour enquêter sur
ce qui se passait, mais il fut lui aussi mis à mort par les Khârijites.
Vu l'attitude dangereuse des insurgés, 'Alî estima qu'il
était nécessaire de prendre les mesures qui s'imposaient
pour les contenir. Aussi changea-t-il de route et prit-il la direction
de l'est. Traversant le Tigre, et s'approchant de Nahrawân, il envoya
un messager aux insurgés pour leur demander de lui livrer les meurtriers.
Ils répondirent que personne en particulier n'était responsable
et qu'ils avaient tous le même mérite d'avoir répandu
le sang des apostats. Cependant, 'Alî, toujours soucieux d'éviter
l'effusion de sang, essaya encore de ramener ces fanatiques égarés
par des moyens pacifiques. C'est pourquoi, il planta un drapeau à
l'extérieur de son camp, et une proclamation fut faite, signifiant
que les rebelles qui se rassembleraient autour de ce drapeau, ou ceux qui
se retireraient vers leurs maisons, auraient la vie sauve. La proclamation
eut l'effet escompté.
Les rebelles commencèrent à se disperser en désertant
leur camp, au point que 'Abdullâh Ibn Wahab resta avec seulement
mille huit cents partisans qui étaient résolus à combattre
le Calife coûte que coûte. 'Alî dit que ces hommes-là
étaient les vrais Khârijites qui voulaient se lancer contre
l'Islam. Et rapidement, conduits par leur dirigeant, 'Abdullâh Ibn
Wahab, ils attaquèrent désespérément l'armée
de 'Alî et eurent le sort qu'ils méritaient. Ils furent tous
tués, à l'exception de neuf d'entre eux qui échappèrent
à la mort, pour devenir des brandons de discorde et rallumer le
prochain feu.
Du côté de 'Alî, il y eut seulement sept tués.
Les zélateurs qui avaient échappé propageront secrètement
leur doctrine et leur cause à Basrah et à Kûfa, et
réapparaîtront pendant les années suivantes en bandes
d'insurgés fanatiques, mais ils seront rapidement mis en fuite ou
taillés en pièces.
L'Expédition Syrienne
Avortée
Les Khârijites ayant été vaincus à Nahrawân,
'Alî revint sur ses pas en direction du Tigre qu'il traversa à
nouveau, en sens inverse, avec son armée pour reprendre le chemin
de la Syrie. Mais les chefs de ses partisans le pressèrent de donner
à l'armée un peu de repos pour qu'elle se préparât
au long voyage qu'elle avait à entreprendre et pour que les soldats
se réarment afin qu'ils fussent mieux à même de faire
face à un ennemi bien équipé. 'Alî accepta la
proposition.
L'armée fit donc marche arrière en direction de Kûfa
et campa à Nokhaylah, dans le voisinage de cette ville. Une proclamation
fut faite autorisant quiconque avait quelque chose à régler
en ville à quitter le camp pendant un jour, à condition d'y
retourner le lendemain. En peu de temps le camp fut presque vidé
de ses soldats qui allèrent, les uns après les autres, en
ville. Le lendemain, personne n'étant revenu, 'Alî s'impatienta,
et il se rendit lui-même à la ville pour haranguer les gens
et les inciter à partir avec lui pour rejoindre l'expédition
syrienne. Mais aucune réponse ne lui fut donnée et personne
ne s'avança vers lui. Le Calife fut déçu et le projet
de l'expédition fut finalement abandonné et il ne sera jamais
repris.
Les Affaires d'Egypte (38
H.)
Mohammad,(147) le fils de Hothayfah,
un Compagnon distingué du Prophète, était orphelin.
Son père avait été tué à Yamamah. Il
avait été adopté par 'Othmân et élevé
par ses soins. Lorsqu'il eut grandi, il demanda à 'Othmân,
devenu alors Calife, de lui confier un commandement, mais le Calife ne
voulut pas accéder à sa demande avant qu'il ne prouvât
lui-même, sur le champ de bataille, sa capacité à assumer
les responsabilités d'une charge de cette importance.
Insatisfait par cette réponse, Mohammad s'était enfui
en Egypte pour trouver refuge chez le Gouverneur de cette province, Ibn
Abî Sarh. Etant un homme connu pour sa piété, Mohamad
avait eu une influence grandissante sur le grand public et sur la cour.
Ibn Abî Sarh lui avait confié la responsabilité de
sa charge lors de son voyage à Médine pour porter secours
au Calife assiégé par les insurgés.
Sur sa route vers Médine, Ibn Abî Sarh avait appris la
nouvelle de l'assassinat de 'Othmân, et de l'accession de 'Alî
au Califat. Etant un tyran et un homme sans principes, son sentiment de
culpabilité l'avait conduit à fuir le tribunal de 'Alî.
Aussi était-il parti précipitamment pour la Syrie, où
il avait trouvé refuge chez Mu'âwiyeh, et il n'était
donc pas retourné en Egypte. Ainsi, Mohammad Ibn Hothayfah avait-il
tenu le gouvernement d'Egypte jusqu'à l'approche de Qays Ibn Sa'd,
le nouveau Gouverneur, désigné par 'Alî.
Tout au long de la période de son gouvernement de l'Egypte, Mohammad
souligna avec réprobation les défauts du caractère
de 'Othmân. Avant l'arrivée de Qays au siège du gouvernement,
Mohammad avait été amicalement invité par 'Amr Ibn
al-'Âç à 'Arîch, une ville frontalière,
où il avait été capturé par son hôte
et emmené prisonnier chez Mu'âwiyeh qui avait chargé
'Amr de tendre ce piège.
Qays assuma le commandement de l'Egypte comme représentant de
'Alî pendant l'absence de Mohammad. Il était un homme de distinction,
le fils de Sa'd Ibn 'Obâdah, qui avait été le rival
d'Abû Bakr à l'élection de Saqîfah. C'était
un administrateur compétent et il s'acquitta de sa charge avec beaucoup
de sagesse. Il obtint avec sagacité la prestation de serment d'allégeance
des Egyptiens pour 'Alî et parvint à tenir solidement les
rênes du gouvernement.
Toutefois une fraction forte de partisans de 'Othmân, à
Kharamba, s'était écartée pour revendiquer à
haute voix la vengeance du sang de 'Othmân.(148)
Qays les laissa sagement seuls pour le moment, renonçant même
à leur demander le paiement de la Zakât. Mu'âwiyeh,
craignant l'influence et l'exemple d'un Gouverneur si sage et si ferme
à sa frontière, et estimant que sa présence en Egypte
représentait un désavantage pour ses desseins dans ce pays,
déploya d'abord tous les efforts possibles pour le détacher
de son allégeance envers 'Alî, en lui promettant de le confirmer
dans ses fonctions de gouverneur d'Egypte et d'attribuer de bons postes
à ses proches au Hidjâz.
Mais étant un partisan loyal de 'Alî, Qays repoussa toutes
ces offres. Ayant échoué dans ses tentatives de l'attirer
vers lui, Mu'âwiyeh eut recours à une ruse déloyale
pour le déloger de son poste. Il laissa entendre que Qays était
son ami et qu'il agissait de concert avec lui. Il fit en sorte que cette
rumeur parvienne aux oreilles de 'Alî afin que celui-ci doutât
de la fidélité de Qays. Pour réaliser son dessein,
il maquilla une lettre pour qu'elle paraisse avoir été envoyée
par Qays à Mu'âwiyeh. Dans cette lettre le premier informait
le second qu'il était d'accord pour ne pas prendre de mesures contre
les partisans de 'Othmân à Kharamba. Mu'âwiyeh réussit
à faire parvenir cette lettre entre les mains de 'Alî, et
elle produisit l'effet escompté.
La fidélité de Qays fut mise en doute et 'Alî voulut
le mettre à l'épreuve. Il lui donna l'ordre de prendre immédiatement
des mesures fermes contre les contestataires de Kharamba. Qays, ignorant
les machinations sournoises de Mu'âwiyeh protesta innocemment contre
cet ordre. Sa protestation fut prise pour une épreuve de sa duplicité.
Aussi fut-il déposé et Mohammad, fils d'Abû Bakr fut
dépêché pour le remplacer.
L'Empiétement
de Mu'âwiyeh sur l'Egypte
Dès que Mohammad Ibn Abû Bakr établit son autorité
(38 H.), il se mit à pourchasser les partisans de 'Othmân.
Ces mesures suscitèrent immédiatement des conflits et des
dissensions qui mirent le désordre à travers le pays. Désirant
restaurer la paix, le Calife décida de changer de Gouverneur. Il
releva Mâlik al-Achtar de son commandement à Nisbine et l'envoya
d'urgence en Egypte pour y prendre la tête du gouvernement.
Mu'âwiyeh, qui était derrière tous les troubles
en Egypte, se tenait bien informé même des moindres incidents
qui s'y produisaient. Lorsqu'il apprit la nomination de Mâlik, il
craignit la frustration de ses espoirs par la venue de cet homme capable
qui avait été déjà la terreur des Syriens en
général et de Mu'âwiyeh lui-même en particulier.
Il était donc vital pour Mu'âwiyeh de se débarrasser
de Mâlik au plus vite. Pour ce faire, il incita un notable qui vivait
aux confins de l'Arabie et de l'Egypte et chez qui Mâlik devrait
faire étape au cours de son voyage vers le siège de son gouvernement,
à l'empoisonner, en lui promettant de le dispenser de payer la Zakât
sur les revenus qu'il collectait dans sa région. Tenté par
la vilaine promesse, cette homme empoisonna effectivement son hôte
peu soupçonneux avec un poison si mortellement efficace, qu'il avait
introduit dans un verre de miel, que Mâlik mourut avant même
de quitter la maison.
Dès que Mu'âwiyeh apprit la nouvelle de sa mort, il dit:
«Dieu a vraiment des armées de miel»,(149)
et il envoya immédiatement 'Amr Ibn al-'Âç à
la tête de six mille cavaliers pour s'emparer de l'Egypte pendant
qu'elle était plongée dans le désordre. 'Amr s'empressa
avec joie de revenir dans ce pays qu'il avait lui-même conquis et
qu'il avait gouverné paisiblement pendant des années. Arrivé
à Alexandrie, il fut rejoint par Ibn Charigh, le dirigeant du parti
othmanite, et avec cette force combinée il s'apprêta à
engager la bataille contre Mohammad Ibn Abî Bakr qui conservait encore
le nom et l'autorité gouvernementale de 'Alî. Ayant été
mis en déroute par 'Amr, Mohammad Ibn Abî Bakr tomba entre
les mains de l'ennemi qui l'enferma vivant dans la peau d'un âne,
et le ballot fut jeté dans le feu jusqu'à ce qu'il fût
réduit en cendres. De cette manière le gouvernement d'Egypte
sortit du contrôle de 'Alî pour passer sous celui de Mu'âwiyeh.
'Âyechah fut dramatiquement affligée par la nouvelle du
sort tragique qu'avaient réservé à son frère
'Amr Ibn al-'Âç et Mu'âwiyeh. Dans sa douleur inextinguible,
elle invoquera désormais la malédiction sur eux à
chaque prière.(150) On dit que
la tête grillée du frère de 'Âyechah fut amputée
du corps et envoyée à 'Âyechah comme cadeau. A la vue
de ce cadeau macabre, elle n'oubliera plus jamais sort de son frère
et ne mangera plus jamais de viande rôtie jusqu'à sa mort.
L'Empiétement
de Mu'âwiyeh sur Basrah
'Alî fut autant profondément attristé par l'assassinat
tragique de son fidèle Général, Mâlik al-Achtar,
et par la mort cruelle de Mohammad Ibn Abî Bakr, que courroucé
par la conduite traîtresse de Mu'âwiyeh dans son empiétement
sur l'Egypte. Il se sentit dans l'incapacité de réparer le
mal, puisqu'il ne pouvait pas rassembler une armée contre Mu'âwiyeh,
malgré tous les discours éloquents qu'il avait vainement
prononcés quotidiennement pendant cinquante jours pour inciter les
gens à pendre les armes. Son cousin, 'Abdullâh Ibn 'Abbâs,
le Gouverneur de Basrah, laissant la charge de son poste à son chancelier,
vint à Kûfa pour réconforter 'Alî.
Profitant de l'absence de 'Abdullâh de Basrah, Mu'âwiyeh,
qui guettait la moindre occasion de créer des difficultés
à 'Alî dépêcha l'un de ses capitaines, nommé
'Abdullâh Hadhramî, à la tête de deux mille cavaliers
pour prendre Basrah. Le chargé d'affaires, ne disposant pas de forces
suffisantes pour faire face à l'envahisseur, lui abandonna la ville,
et demanda un secours urgent au Calife. Une force de secours fut envoyée
d'urgence par 'Alî. Elle était dirigée par Jariya Ibn
Qidamah.
Après une bataille dure et sanglante, Hadhramî fut défait
et chercha refuge dans un château avoisinant, qui fut encerclé
et incendié. Le rebelle et soixante-dix soldats qui s'y étaient
réfugiés avec lui périrent dans les flammes. La ville
fut reprise par les forces de 'Alî, et 'Abdullâh Ibn 'Abbâs,
étant entre-temps revenu de Kûfa, reprit son poste. Ces événements
eurent lieu en l'an 38 de l'Hégire.
D'Autres Révoltes des
Khârijites
La même année, les Khârijites se révoltèrent
par grands groupes contre 'Alî, en cinq ou six occasions, et à
chaque fois ils furent exterminés et dispersés. Le plus remarquable
de ces soulèvements fut celui de Khirrit qui avait incité
les Persans, les Kurdes et les Chrétiens d'Ahwâz et de Ram
Hurmuz à lever l'étendard de la rébellion. Une armée
fut dépêchée à Basrah pour mater la révolte.
Khirrit fut tué dans la bataille, et l'autorité du Calife
fut restaurée.
La Politique Agressive de
Mu'âwiyeh
En l'an 39 de l'Hégire, Mu'âwiyeh lança plusieurs
raids sans résultats notables contre le territoire de 'Alî.
Ces raids visaient tantôt à faire des ravages dans le pays,
tantôt à prélever la Zakât chez les gens, tantôt
à montrer à 'Alî la force supérieure de Mu'âwiyeh.
L'objectif principal de ces incursions était de contrarier 'Alî
et en même temps, de susciter chez ses citoyens un sentiment d'insécurité
sous son règne. Quelque huit ou dix raids de ce genre furent lancés
dans les différentes parties du territoire sous domination de 'Alî
pendant cette année-là.
Par exemple, Sufiyân Ibn 'Awf fut envoyé à la tête
d'une grande force pour ravager le territoire s'étendant de Hît
à Anbâr et à 'Ayn Tamr. 'Abdullâh Ibn Masûd
Fizârî fut envoyé pour collecter la Zakât chez
les bédouins de Taymah. Zohak Ibn Qays eut pour mission de surprendre
les citadelles de Tha'labiyyeh et de Qatqatana. Pendant la saison du Pèlerinage,
un fonctionnaire était chargé de guider les pèlerins
dans leurs rites de Pèlerinage à la Mecque. Qothâm
Ibn 'Abbâs, le gouverneur de 'Alî, fut obligé de renoncer
à l'accomplissement de ses devoirs pendant que le fonctionnaire
de Mu'âwiyeh, 'Othmân Ibn Chaybah Abdarî conduisait les
rites.
La force dépêchée par 'Alî pour contenir ces
actes vexatoires, arriva alors que les Syriens avaient déjà
tourné les talons vers la Syrie. Ils furent toutefois poursuivis
et rattrapés à Wadî-l-Qorâ où, après
quelques escarmouches, ils prirent la fuite. Quelques-uns d'entre eux furent
capturés et conduits comme prisonniers au Calife qui les échangea
contre ses hommes détenus par Mu'âwiyeh. Bien que ces raids
n'aient pas toujours abouti au succès, le but dans lequel ils avaient
été organisés était atteint dans une grande
mesure, puisque les gens laissaient voir désormais plus que jamais
leur tiédeur pour la cause de 'Alî et qu'ils ne faisaient
rien pour repousser les envahisseurs qui voulaient les forcer à
prêter serment d'allégeance à Mu'âwiyeh.
Une fois, pour repousser les envahisseurs, le capitaine de 'Alî
les avait poursuivis jusqu'à Ba'lbak, au coeur du territoire syrien,
avant de retourner en Irak, par Riqqah, sans avoir rencontré aucune
opposition. En représailles, Mu'âwiyeh fit une incursion dans
la profondeur du territoire de 'Alî et campa même pendant plusieurs
jours à Mossoul pour montrer son mépris pour le pouvoir de
'Alî. Il retourna à Damas sans être inquiété
pour son incursion.
Les Raids de Mu'âwiyeh
au Hidjâz
Au début de la quarantième année de l'Hégire,
Mu'âwiyeh envoya un officier cruel de son armée avec trois
mille cavaliers pour s'emparer de Médine et de la Mecque, les villes
sacrées du Hidjâz, et pour lui obtenir l'allégeance
de leurs habitants. Lorsque Bosar s'approcha de Médine, le gouverneur
de cette ville, Abû Ayyûb s'enfuit à Kûfa, et
Bosar entra à Médine sans opposition. Après avoir
mis très cruellement quelques Médinois à mort, il
menaça les notables de la ville de se livrer à un massacre
général, s'ils refusaient de reconnaître Mu'âwiyeh
comme étant leur Calife. Ainsi, furent-ils contraints de prêter
serment d'allégeance à Mu'âwiyeh. Ensuite, il marcha
sur la Mecque et y agit de la même façon.
Et une fois que le serment d'allégeance des Mecquois à
Mu'âwiyeh eut été extorqué, le tyran se dirigea
vers le Yémen où il décapita plusieurs milliers de
partisans de 'Alî. 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs, le représentant
de 'Alî au Yémen parvint à s'enfuir à Kûfa,
mais il laissa derrière lui ses deux petits-fils qui tombèrent
finalement dans les mains du tyran et furent mis à mort d'une façon
on ne peut plus barbare, en même temps que leur serviteur bédouin
qui avait osé protester contre l'assassinat de sang-froid de ces
deux garçons.
'Alî, ayant appris la nouvelle de cette incursion, dépêcha
immédiatement une armée commandement de Jariya Ibn Qidâmah,
mais il était trop tard pour arrêter les outrages. Bosar était
déjà sur le chemin de retour en Syrie lorsque l'armée
de 'Alî arriva au Yémen. Jariya poursuivit les Syriens à
Najrân où ils avaient été accueillis à
bras ouverts. A son approche, ils prirent la fuite, mais Jariya procéda
à l'exécution de ceux parmi les habitants dont la complicité
avec la horde de Mu'âwiyeh qu'ils avaient invitée était
évidente, ainsi que de ceux qui s'étaient révolté
contre le Gouverneur légal.
Jariya se dirigea ensuite vers la Mecque à la poursuite des fuyards,
mais ils étaient déjà partis, là aussi. Il
demanda aux Mecquois de renier le serment d'allégeance qu'ils venaient
de prêter à Mu'âwiyeh et de renouveler leur hommage
à 'Alî. Après quoi il partit pour Médine, où
Abû Horayrah, l'un des membres de la faction d'opposition, qui conduisait
la prière quotidienne pour le compte de Mu'âwiyeh, se cachait
quelque part. Jariya obtint des habitants le serment d'hommage à
al-Hassan, le fils de 'Alî, et quitta Médine, après
un séjour de quatre jours, pour retourner à Kûfa. Abû
Horayrah réapparut après le départ de Jariya et conduisit
les prières comme avant.
Le sort cruel subi par les deux garçons de 'Obaydullâh
(un cousin de 'Alî) affligea énormément leur père
et leur mère, et accabla 'Alî, peut-être plus que tous
les autres soucis qui rongeaient son coeur. Il invoqua le courroux de Dieu
sur Bosr, priant Dieu qu'il perde sa raison, et il la perdra effectivement,
puisqu'il deviendra définitivement fou baveux. Pendant sa démence,
il réclamait sans cesse son épée. Ses amis lui fournissaient
une épée de bois et une autre creuse pleine d'air. Le misérable
frappait son épée de bois contre l'autre, et croyait qu'il
avait tué un ennemi à chaque coup.
La Mauvaise Conduite
de 'Abdullâh Ibn 'Abbâs
Cependant il y avait quelques chagrins de plus en perspective pour 'Alî.
Des plaintes lui parvinrent, faisant état de fraudes et de détournements
de fonds aux dépens du trésor public à Basrah. Le
Calife convoqua le gouverneur de cette ville pour qu'il lui soumette les
comptes du Trésor. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs reçut
la convocation dédaigneusement, et au lieu d'accéder à
la demande, il déserta son poste et s'enfuit vers la Mecque en emportant
une grande fortune avec lui. Il fut poursuivi par les habitants de Basrah,
mais après un court combat il parvint à arriver à
destination sans subir davantage d'ennuis. 'Alî fut très mortifié
par cette conduite de son cousin 'Abdullâh Ibn 'Abbâs. 'Obaydullâh
Ibn 'Abbâs, le dernier gouverneur du Yémen, un autre cousin
de 'Alî qui lui était encore loyal fut envoyé pour
remplacer le fuyard.
La Défection de 'Aqîl
Presque à la même époque une autre grande calamité
frappa 'Alî. «Son frère 'Aqil se rendit chez Mu'âwiyeh
qui le reçut à bras ouverts et lui alloua de grands revenus.
'Aqîl n'invoqua aucun autre motif à sa défection que
le fait que son frère 'Alî ne l'entretenait pas proportionnellement
à sa qualité». ("History of the Saracens" de Simon
Ockley, p. 326).
«'Aqîl se plaignait auprès de 'Alî de la faiblesse
de ses ressources et le priait de lui accorder un supplément d'allocation
du trésor public. 'Alî repoussa cette demande, mais devant
l'insistance répétée de son frère, il lui demanda
un jour de le rencontrer pendant la nuit pour qu'ils s'introduisent dans
la nuit dans la maison d'un riche voisin, où 'Aqîl trouverait
tout ce qu'il lui manquait. "Es-tu sérieux?" lui demanda 'Aqîl
avec un mélange de surprise et d'indignation. "Le Jour des Comptes,
lui répondit 'Alî, il sera beaucoup plus facile de me défendre
contre l'accusation d'un seul individu que contre le cri collectif de toute
la communauté musulmane, propriétaire de ce trésor
dont tu me demandes de te servir". Selon d'autres versions, lorsque 'Aqil
sollicita de son frère l'augmentation de sa pension, ce dernier
lui demanda d'attendre un moment, et se retira dans sa maison pour en revenir
tout de suite après, avec un fer porté au rouge qu'il tendit
à 'Aqh en lui demandant de le prendre avec ses mains. 'Aqh refusa,
naturellement. 'Alî lui dit alors: "Si tu ne peux pas supporter une
chaleur produite par l'homme, comment veux-tu que j'accepte de m'exposer
à un feu allumé par Dieu". 'Aqîl constatant que sa
requête ne serait pas satisfaite, quitta Kûfa et rejoignit
Mu'âwiyeh». ("Mohammadan History" de M. Price).
Les
Plans des Khârijites en vue de se débarrasser des Gouvernants
Le règne de 'Alî fut marqué par des conflits continuels.
On ne le laissa jamais vivre et gouverner en paix. La révolte de
'Âyechah, Talhah et Zubayr, la rébellion et les outrages traîtres
de Mu'âwiyeh et de 'Amr Ibn al-'Âç, les soulèvements
des fanatiques Khârijites, la froideur et l'apathie de ses propres
citoyens, l'infidélité de son cousin 'Abdullâh Ibn
'Abbâs, et enfin le plus pénible de tout, la défection
de son frère 'Aqîl, l'accablèrent énormément.
Ces difficultés se succédant rapidement, accaparaient son
esprit.
Cependant, les Khâiijites étaient impatients de détruire
le gouvernement de 'Alî en particulier, et tous les gouvernements
en général, étant donné qu'ils ne reconnaissaient
aucun pouvoir ou autorité en dehors de ceux de Dieu, conformément
à leur doctrine fondée sur cette devise: "La hukma illâ
lillâh", c'est-à-dire, "le commandement appartient à
Dieu seul". Ils s'attendaient à ce que ceux qu'ils appelaient "les
gouvernants impies" ('Alî et Mu'âwiyeh, à leur avis)
périssent dans le conflit qui les opposait et que le règne
du Seigneur prévaille à la fin. En ayant assez de mener une
vie retirée, trois d'entre ces fanatiques se rencontrèrent
par hasard dans l'enceinte sacrée de la Ka'bah. Ils évoquèrent
amèrement le sang qui avait été répandu en
vain à Nahrawên et sur d'autres champs de bataille, et déplorèrent
le règne de la tyrannie impitoyable et de l'apostasie (selon leurs
termes) sur le monde musulman.
Subitement une idée illumina le visage de l'un d'entre eux avec
un miroitement d'espoir. Il s'expliqua: «Il est inutile de pleurer
les pertes que nous avons subies. Nous devons agir pour redresser les torts.
Il ne faut pas que notre sang soit répandu en vain. Que chacun de
nous tue l'un des trois oppresseurs des croyants. L'Islam peut être
encore libéré et le règne de la droiture peut être
encore établi ». Les deux autres approuvèrent avec
enthousiasme la suggestion. Les trois zélateurs s'engagèrent
par serment à sacrifier leur vie pour leur cause et dirent que le
seul moyen valable pour restaurer l'unité et la paix en Islam était
la destruction des trois "apostats ambitieux" - Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn
al-'Âç et 'Alî. Chacun d'eux promit de tuer, sa victime
désignée au jour et à l'heure fixés, avec une
arme empoisonnée afin de s'assurer d'un coup mortel.
Les trois conspirateurs - Borâq Ibn 'Abdullâh al-Taymî,
'Amr Ibn Bakr al-Taymî et 'Abdul-Rahmân Ibn Muljim se proposèrent
de tuer respectivement Mu'âwiyeh, 'Amr Ibn al-'Âç et
'Alî. Le troisième vendredi du mois de Ramadhân prochain
fut fixé comme date de l'exécution de leur plan haineux.
Leur attentat devrait avoir lieu pendant la prière du matin dans
les mosquées de Damas, Fostat et Kûfa. Ayant empoisonné
son sabre, chacun d'eux se dirigea vers sa destination: Borâk vers
Damas, 'Amr vers Fostat et 'Abdul-Rahmân vers Kûfa.
Attentat contre la Vie de
Mu'âwiyeh
Une fois arrivé à Damas, Borâq se rendit le matin
du jour fixé et se mêla aux fidèles. Dès qu'il
put, il poignarda Mu'âwiyeh à l'aine. Il crut que le coup
était fatal, mais tel ne fut pas le cas. En effet, le chirurgien
de Mu'âwiyeh, ayant examiné sa blessure, déclara que
sa vie pourrait être sauvée soit par cautérisation,
soit en buvant une potion qui le rendrait impotent à vie. Mu'âwiyeh
avait à choisir entre les deux solutions, et il choisit de boire
la potion. Il devint ainsi impotent pour le restant de sa vie. Le coupable
avait été arrêté sur le champ. On lui coupa
les mains et les pieds et il fut renvoyé chez lui à Basrah,
où quelques années plus tard, il eut un fils. Le Gouverneur
de Basrah de l'époque le mit alors à mort en lui disant:
«Maudit! Tu as engendré un fils pour toi, alors que tu avais
rendu le Calife impotent. Tu dois mourir».
Attentat contre
la Vie de 'Amr Ibn al-'Âç
'Amr Ibn Bakr, le second conspirateur, était à la mosquée
de Fostat le vendredi fixé du mois de Ramadhân. Il porta un
coup avec son arme à l'imam pendant qu'il accomplissait la prière.
La victime mourut sur-le-champ, mais ce n'était pas 'Amr Ibn al-'Âç,
lequel n'avait pas pu venir ce jour-là parce qu'il souffrait de
coliques, douleurs auxquelles il dut de rester en vie. C'était Kharijah
qui conduisait la prière à la place de 'Amr Ibn al-'Aç.
L'assassin fut capturé et conduit devant 'Amr Ibn al-'Âç,
dans sa cour où il découvrit son erreur: «C'est toi
que je visais, Ô tyran!», s'écria le prisonnier en voyant
'Amr Ibn al-'Âç, lequel lui répliqua calmement: «Tu
m'a visé, mais le Seigneur t'a visé», et il ordonna
qu'on l'exécutât immédiatement.
Attentat contre la Vie de
'Alî
Le troisième des conspirateurs, 'Abdul-Rahmân Ibn Muljim,
s'accommoda, à son arrivée à Kûfa, avec une
femme, une belle servante de la secte Khârijite, dont le père,
le frère et d'autres proches parents avaient été tués
à Nahrawân. 'Abdul-Rahmân tomba follement amoureux de
cette demoiselle et lui proposa le mariage. Qatam, comme on l'appelait,
répondit que son mari ne pourrait être que celui qui lui apporterait
une dot consistant en la tête de 'Alî, trois mille dirhams
en argent, un esclave et une servante. Il accepta tout de suite les conditions.
Qatam le présenta alors à deux autres mécréants,
l'un nommé Werdân, un Khârijite disposé à
se venger lui-même de 'Alî, et l'autre nommé Chuhayb.
Tous les deux s'apprêtèrent avec joie, à aider 'Abdul-Rahmân
dans son entreprise infâme. Les trois hommes se rendirent à
la mosquée le matin du vendredi fixé, et lorsque 'Alî
apparut pour diriger la prière, Werdân et Ibn Muljim parvinrent
à se placer juste derrière lui pour la prière. Dès
que celle-ci eut commencé, Werdân porta un coup à 'Alî,
mais le manqua. Le second coup fut administré par 'Abdul-Rahman.
Il fut d'une précision fatale.
Le coup toucha la tête, au même endroit où 'Alî
avait été blessé dans une bataille du vivant du Prophète.
Dans la confusion générale s'ensuivit, les trois assassins
parvinrent à s'échapper. Wardân courut vers sa maison,
mais il fut suivi par un poursuivant qui le rattrapa et le tua. Chuhayb
fuit pour de bon et on n'entendra plus parler de lui. 'Abdul-Rahmân
se cacha pendant un certain temps. Lorsqu'on demanda à 'Alî
qui était son assassin, il répondit: «Vous le verrez
bientôt».
'Abdul-Rahmân ayant été découvert caché
dans un coin de la mosquée avec son sabre taché de sang,
on lui demanda s'il était le coupable. Il hésita un moment,
mais fut vite contraint par sa conscience à reconnaître sa
culpabilité. On l'arrêta et on l'emmena devant 'Alî
qui confia sa détention à son fils al-Hassan à qui
il ordonna, avec sa clémence habituelle: «Fais en sorte qu'il
ne lui manque rien, et si je meurs des suites de ma blessure, fais en sorte
qu'il meure d'un seul coup».
On dit que la blessure était fatale, et elle le sera effectivement.
'Alî dit qu'il avait soif, et on lui apporta un verre de sirop. En
même temps le prisonnier demanda un peu d'eau à boire. Avec
la générosité qui lui était coutumière
et qui était un trait caractéristique de sa vie, 'Alî
lui offrit son propre verre de sirop.
Les Présages
de 'Alî relatifs à sa Mort
Durant tout le mois de Ramadhân pendant lequel il fut assassiné,
il eut plusieurs présages de sa mort et, en privé, il laissa
échapper, de temps en temps, quelques mots à ce propos. Une
fois qu'il avait été victime d'un sérieux malaise,
on l'entendit dire: «Hélas mon coeur! On a besoin de patience,
car il n'y a pas de remède à la mort». Peu avant le
vendredi 19 de ce mois-là, il était sorti de sa maison tôt
le matin, pour aller à la mosquée.
«On dit qu'à sa sortie les oiseaux domestiques s'étaient
montrés particulièrement bruyants dans la cour, et que l'un
de ses serviteurs ayant lancé sur eux un gourdin pour les faire
taire, 'Alî lui dit: "Laisse-les, leurs cris ne sont que des lamentations
présageant ma mort"». ("History of the Saraceens" de S. Ockley,
p. 328).
La Mort de 'Alî en
l'An 40 H.
'Alî fut blessé le vendredi 19 Ramadhân de l'an 40
H., à la mosquée de Kûfa où il s'était
rendu pour conduire la prière du matin comme d'habitude. Il fut
immédiatement ramené chez lui. Il survécut trois jours
à sa blessure.
«Là, il fit venir ses fils, al-Hassan et al-Hussayn, à
ses côtés et leur conseilla de rester fermes dans leur piété,
de se résigner à la Volonté de Dieu, et d'être
bons envers leur frère cadet, al-'Abbâs, le fils de sa femme
Hanifite. Ensuite, il écrivit son testament, et continua à
prononcer le nom du Seigneur jusqu'à ce qu'il ait rendu le dernier
soupir». ("Annals of the Early Caliphate" de W. Muir, p. 414).
Il mourut des suites de sa blessure, le lundi 21 Ramadhân, à
l'âge de soixante-trois ans.
«Ses restes mortels furent ensevelis à environ sept kilomètres
de Kûfa, et plus tard une très belle tombe, couverte par une
mosquée dotée d'une magnifique dôme, fut dressée
au-dessus de son tombeau. Ce site devint une ville importante, appelée,
al-Najaf al-Achraf (Machhad 'Alî), ou le Sépulcre de 'Alî,
et il fut enrichi et embelli par plusieurs monarques persans». ("Successors
of Mohammad" de W. Irving, p. 187).
On dit que le Sépulcre de 'Alî avait été
maintenu dissimulé durant le règne des Omayyades.
L'Oeuvre Littéraire de
'Alî
«'Alî jouit d'une grande réputation de sagesse parmi
de tous les Musulmans sans distinction de tendances. Il subsiste encore
de lui un recueil de cent sentences qui a été traduit de
l'arabe en turc et en persan. Il y a également un recueil de vers
de lui, colligés sous le titre d' "Anwâr al-'Aql". La bibliothèque
"Bodleian" conserve un livre volumineux contenants ses sentences. Mais
son plus célèbre écrit a pour titre "Jafr wa Jam".
Il est écrit sur un parchemin avec des caractères mystiques
mélangés à des figures, et il relate ou symbolise
tous les grands événements survenus ou à survenir
depuis l'avènement de l'Islam jusqu'à la fin du monde. Ce
parchemin, qui fut déposé chez sa famille, n'est pas encore
déchiffré. Ja'far al-Çâdiq avait en effet réussi
à l'interpréter partiellement, mais l'explication complète
en est réservée au douzième Imam, surnommé
"Al-Mahdî" ou "Le Grand Guide». ("History of the Saracens"
de S. Ockley, p. 332).
Les savants dans la langue arabe doivent beaucoup de reconnaissance
à 'Alî qui a fixé les règles de la composition
correcte de la langue arabe en construisant(151)
la grammaire dont l'absence constituait un grand défaut pour la
littérature, et dont le manque se faisait profondément sentir
pour l'écrivain.
Des Anecdotes de la Vie
de 'Alî
Les anecdotes suivantes de la vie de 'Alî sont principalement
tirées de "Oriental Table Talk" (livre traduit en anglais par Jonathan
Scott Esqr, voir "Oriental Collections" d'Ouseley)(152):
Un jour, alors que Mohammad et 'Alî mangeaient des dattes ensemble,
le premier plaça les noyaux sur l'assiette du second inconsciemment.
Ayant fini leur repas, le Prophète dit: «Celui qui a le plus
de noyaux a mangé le plus». «Non, lui dit 'Alî,
celui qui a mangé le plus, c'est sûrement celui qui a avalé
aussi les noyaux».
Un Juif dit un jour au vénérable 'Alî, en discutant
sur la vérité de leurs religions respectives: «Vous
vous êtes mis à vous disputer avant même d'avoir enseveli
le corps de votre Prophète». 'Alî lui répondit:
«Nos divisions étaient la conséquence de sa perte,
et ne concernaient pas notre foi; mais vous, la boue de la Mer Rouge n'avait
pas encore séché sur vos pieds que vous vous êtes mis
à crier à l'adresse de Moïse: "Fais-nous des dieux semblables
à ceux des idolâtres afin que nous les adorions"». Le
Juif se sentit confus.
Un jour, une personne se plaignit auprès de 'Alî en lui
disant: «Un homme a déclaré qu'il avait rêvé
qu'il couchait avec ma mère. Ne puis je pas lui infliger une punition
selon la Loi ?» «Quelle punition?, lui répondit 'Alî.
Mets-le au soleil et frappe son ombre, car que peut-on infliger à
un crime imaginaire, sinon un châtiment imaginaire?».
Une Décision Ingénieuse
de 'Alî
On attribue la décision suivante à l'ingéniosité
de 'Alî:(153) «Deux voyageurs
s'étaient assis pour manger. L'un avait cinq pains, l'autre en avait
trois. Un étranger leur demanda la permission de manger avec eux,
et ils acceptèrent sa requête avec hospitalité. Après
le repas, l'étranger laissa huit pièces d'argent pour sa
participation au repas et partit. Le voyageur qui avait cinq pains prit
cinq pièces et en laissa trois à l'autre, lequel voulait
absolument avoir la moitié de l'argent laissé par l'étranger.
L'affaire fut portée devant 'Alî pour qu'il la jugeât,
et il prononça le jugement suivant: "Que le propriétaire
des cinq pains prenne sept pièces d'argent et l'autre une seule".
C'était la proportion exacte de ce que chacun d'eux avait offert
à l'étranger. En effet, en divisant chaque pain en trois
parts, les huit pains firent vingt-quatre parts. Et étant donné
que chacun des trois participants avait mangé une portion égale
à celle de chacun des deux autres, chaque portion était du
tiers de la totalité, soit huit parts. L'étranger avait donc
mangé sept parts des cinq pains et seulement une part des trois
pains, et c'est de cette manière que le Calife divisa l'argent entre
les deux propriétaires des pains». ("History of the Saracens"
de S. Ockley, p. 336).
«La chevalière de 'Alî portait l'inscription:(154)
"L'Omnipotent Dieu est Excellent", ou selon un autre récit: "Le
Royaume appartient à l'Unique Tout-Puissant Seigneur". Il avait
l'habitude de balayer le Trésor Public et d'y prier ensuite, dans
l'espoir qu'on témoignerait (en sa faveur) qu'il n'aurait pas gardé,
cachée aux Musulmans la propriété de l'Etat qu'il
renfermait.(155)
On attribue à 'Alî la citation de cinq cents vingt-six
hadiths rapportés directement du Messager de Dieu.(156)
Quelques
hadiths relatifs aux mérites de 'Alî, tirés de "Târîkh
al-Kholafa'"
de
Jalâl-ul-Dîn As-Suyûtî
traduits de l'arabe (en anglais) par Major H.S. Jarret
Edition de Calcutta - 1881
1. Ahmad Ibn Hanbal dit: «Ce qui nous a été
transmis concernant les mérites de 'Alî, n'a été
égalé par les mérites d'aucun des Compagnons du Messager
de Dieu». (Al-Hâkim) personne autant qu'il a révélés
concernant 'Alî. Trois cents versets ont été révélés
au sujet de 'Alî».
3. Al-Tabarânî et Abû Hatim rapportent qu'Ibn
'Abbâs a dit: «Jamais le Seigneur n'a révélé
les termes "Ô vrais Croyants" sans que 'Alî y soit compris
comme étant leur maître et leur chef. Le Seigneur a réprouvé
à divers endroits les Compagnons du Prophète, mais IL n'a
jamais mentionné 'Alî sans approbation».
4. Al-Tirmithî, al-Nasâ'î et Ibn Majah, citant
Habchi Ibn Jonada, ont rapporté que le Messager de Dieu avait dit:
«'Alî est de moi et je suis de 'Alî».
5. Al-Tabarânî rapporte, dans "Awsat", citant Jâbir
Ibn 'Abdullâh, que le Messager de Dieu a dit: «Les gens sont
de souches diverses, mais moi et 'Alî, sommes d'une seule souche».
6. Al-Tabarânî rapporte dans "Awsat" et "Çaghîr"
qu'Om Salma a relaté: «J'ai entendu le Messager de Dieu dire:
"'Alî est avec le Coran et le Coran est avec 'Alî. Ils ne se
sépareront pas avant qu'ils arrivent à la fontaine de Kawthar
au Paradis"».
7. Ibn Sa'd rapporte que 'Alî a dit: «Par Allah,
jamais un verset du Coran n'a été révélé
sans que je voie maintenant ce qu'il a révélé et à
propos de qui il a été révélé, car mon
Seigneur m'a doté d'un coeur sage et d'une langue éloquente».
8. Ibn Sa'd et d'autres rapportent d'Ibn Tofayl, que 'Alî
a dit: «Interrogez-moi sur le Coran, car il n'y a pas un verset dont
je ne sache pas s'il a été révélé la
nuit ou le jour, dans les plaines ou sur les montagnes».
9. Al-Tirmithî et al-Hâkim rapportent de 'Alî
que le Prophète a dit: «Je suis la Cité du Savoir,
et 'Alî en est la Porte».
10. Ibn Mas'ûd rapporte que le Prophète a dit: «Regarder
'Alî est un acte de dévotion».
11. Ibn 'Asâkir, citant le témoignage d'Abû
Bakr, écrit: «Le Prophète dit: "Regarder 'Alî
est un acte de piété».
12. Muslim rapporte que 'Alî a dit: «Par Celui qui
a fendu les graines et créé l'âme, le Prophète
m'a promis que ne m'aimera qu'un vrai Croyant et que ne me détestera
qu'un hypocrite».
13. Al-Tirmithî rapporte qu'Abû Sa'id al-Khudrî
a dit: «Nous avions l'habitude de reconnaitre les hypocrites à
leur haine pour 'Alî».
14. Al-Tabarânî, citant le témoignage d'Om
Salma, rapporte que le Prophéete a dit: «Celui qui aime 'Alî
m'aura aimé et celui qui déteste 'Alî m'aura détesté,
et celui qui m'aura détesté aura détesté le
Seigneur».
15. Abû Ya'lâ et Al-Bazzâr, citant Sa'd Ibn
Abî Waqqâç, rapportent que le Messager de Dieu a dit:
«Celui qui injurie 'Alî, m'injurie aussi».
16. Ahmad rapporte, et al-Hâkim le confirme, qu'Om Salma
a dit: «J'ai entendu le Messager de Dieu dire: "Celui qui injurie
'Alî, m'injurie aussi"».
17. Sa'id lbn al-Mussyyab rapporte que 'Omar Ibn al-Khattâb
avait l'habitude d'implorer Dieu de le préserver d'une situation
difficile dans laquelle le père d'al-Hassan ('Alî) n'aurait
pas été présent pour la résoudre, et qu'il
dit un jour: «Personne parmi les Compagnons, à part 'Alî,
n'avait l'habitude de dire "Interrogez-moi"».
18. Al-Tabarânî rapporte dans "Al-Awsat" qu'Ibn 'Abbâs
a dit: «'Alî possédait dix-huit qualités éminentes
qui n'étaient communes à aucun autre de ce peuple».
19. Al-Bazzâr rapporte en citant Sa'd, que le Messager
de Dieu a dit à 'Alî: «Il n'est permis à personne
ayant l'obligation d'accomplir l'ablution totale d'entrer dans la mosquée,
excepté moi et toi».
20. Abû Ya'la rapporte qu'Abû Horayrah a relaté
que 'Omar lbn al-Khattâb avait dit: «'Alî a été
doté de trois choses dont si je ne possédais qu'une seule,
elle me serait plus précieuse que si on m'avait donné des
chameaux de haute race». Lorsqu'on lui demanda quelles étaient
ces trois choses, il répondit: «Son mariage avec Fâtimah,
la fille du Prophète, son autorisation de rester à la mosquée
dans le cas où cela me l'est interdit, et le fait d'avoir porté
l'Etendard le jour de Khaybar».
21. Les deux Cheikhs (Al-Bokhârî et Muslim), se référant
à Sa'd Ibn Abî Waqqâç, rapportent que le Messager
de Dieu, ayant décidé de laisser derrière lui 'Alî
Ibn Abî Tâlib comme son Lieutenant pendant l'expédition
de Tabûk, 'Alî lui dit: «Ô Messager de Dieu! Me
laisses-tu derrière, parmi les femmes et les enfants?». Le
Prophète répondit: «N'es-tu pas content d'être
à moi ce qu'Aaron avait été à Moïse, à
cette différence près qu'il n'y aura pas de Prophète
après moi?».
22. Selon Sah Ibn Sa'd, le Messager de Dieu dit, le jour de Khaybar:
«Je confierai sûrement l'Etendard, demain, à un homme
entre les mains duquel le Seigneur accordera la victoire, un homme qui
aime Dieu et Son Prophète et que Dieu et Son Prophète aiment».
Les gens passèrent la nuit à s'interroger sur i'identité
de celui d'entre eux à qui l'Etendard serait confié. Une
fois que l'aube se fut levée, ils se hâtèrent chez
le Prophète, chacun d'eux espérant être l'heureux élu.
«Où est 'Alî le fils Abû Tâlib?» demanda-t-il.
Ils lui dirent: «Il souffre d'un mal aux yeux». Il dit: «Faites-le
venir». Ils l'amenèrent et le Messager de Dieu projeta un
peu de sa salive sur ses yeux et pria pour lui. 'Alî fut établi
parfaitement, comme s'il ne souffrait de rien, et le Prophète lui
remit l'Etendard.
23. Citant Sa'd Ibn Abî Waqqâç, Muslim relate
que lorsque le verset: «Venez! Appelons nos fils et vos fils,
nos femmes et vos femmes, etc...» (Sourate Âle 'Imran,
verset 61) fut révélé, le Messager de Dieu convoqua
'All, Fâtimah, al-Hassan et al-Hussayn et dit: «Ô Mon
Dieu! ils sont ma Famille».
24. Al-Tirmithî et al-Hâkim confirment, en se référant
à Borayda, que le Messager de Dieu dit: «Le Seigneur m'a ordonné
l'amour de quatre hommes et m'a déclaré qu'IL les aime».
On lui demanda: «Ô Messager de Dieu! Nomme-les». Il répondit:
«'Alî en fait partie (il le répéta trois fois),
Abû Thârr, al-Miqdâd et Salmân».
25. Abû No'aym rapporte dans "Al-Dalâ'il", en se
référant au père de Ja'far Ibn Mohammad que: Deux
hommes ayant eu une altercation, furent amenés devant 'Alî
qui s'assit au pied d'un mur. Un homme lui ayant dit: «Le mur va
tomber», il répondit: «Va au ... Dieu est le Protecteur».
Il jugea entre les deux parties et s'en alla. Le mur tomba après
son départ.
26. Al-Tabarânî rapporte dans "Awsat", et Abû
No'aym dans "Al-Dala'il", en citant Zadan, que pendant que 'Alî relatait
un hadith, un homme l'accusa de parier faussement. 'Alî lui dit:
«Pourrais-je appeler l'anathème sur toi, si j'ai menti?».
Il répondit: «Appelle-le». 'Alî le maudit, et
lorsqu'il se retira de l'endroit sa vue l'avait quitté.
27. Abûl-Qâcim al-Zajjâjî relate dans
ses "Dictées" que 'Alî travailla sur les principes de la langue
arabe, "La Grammaire de la Langue Arabe".
Notes
192. "Habîb al-Sayyâr"; "Rawdhat al-Çafâ'";
"Ma'ârij al-Nubuwwah".
193. "Kachf al-Ghummah".
194. Selon Yanâbî' al-Mawaddah (édition
de Bombai, p. 107), ces propos furent prononcés par Prophète
à l'occasion de la victoire de 'Alî à Khaybar, avec
d'autres louanges. Voir "Habîb al-Sayyâr".
195. "Târîkh al-Khamîs"; "Rawdhat
al-Çafâ"; "Habîb a-Sayyâr"; "Rawdht al-Ahbâb".
196. "Al-Tabarî"; "Abul-fidâ'; "Ibn
Athîr".
197. "Suyûtî".
198. "Al-Durr al-Manthûr"; "Târîkh
al-Khamîs"; "Rawdhat al-Ahbâb".
199. "Rawdhat al-Ahbâb".
200. "Rawdhat a-Ahâb".
201. "Al-'Allamah al-'Abbâcî".
202. "Rswdhat a-Ahbâb"; "Habîb al-Sayyâr";
"A'tham al-Kûfî"; "Manâqib-Murtazawi".
203. "Histoire of Islam" de Zakir Hussayn, vol.
II, p. 150.
204. "Abul-Fidâ'"; "Târîkh al-Khamîs".
205. "Al-Tirmithî"; "Ahmad Hanbal"; "Al-Tabarî";
"Tafsîr Ma'âlim al-Tafsîr" d'A'lâm al-Warâ;
"Abul-fidâ'".
206. "Ibn Khaldûn"; "Ibn Athîr"; "Habîb
al-Sayyâr".
207. "Habîb al-Sayyâr"; "Rawdhat al-Çafâ";
"Tafsîr al-Kach-châf".
208. "Ibn Athîr".
209. "Ibn Khaldûn"; "Tabarî".
210. "Abul-Fidâ'"; "Ibn Khaldûn"; "Rawdhat
al-Ahbâb".
211. "Rawdhat al-Ahbâb".
212. Ici allusion est faite au Commandement contenu
dans la sourate al-Charh qui dit:
1- «N'avons Nous pas ouvert ton cur?
2-3 Ne t'avons Nous pas débarrassé de ton fardeau qui
pesait sur ton dos?
4- N'avons-Nous pas exalté ta renommée?
5- Le bonheur est proche du malheur.
6- Oui, le bonheur est proche du malheur.
7- Lorsque tu es libéré de tes occupations, lève-toi
pour prier.
8- et recherche ton Seigneur avec ferveur».
Dans le verset 7, Dieu a commandé au Prophète de désigner
son successeur.
213. "Tafsîr Kabîr"; "Tafsîr
al-Durr al-Manthûr"; "Tafsîr Nîchâpûrî";
"Al-Sîrah al-Halabiyyah".
214. Selon al-Suyûtî: «Ô
Dieu! Soit l'ami de quiconque est l'ami de 'Aî, et soit l'ennemi
de quiconque est l'ennemi de 'Alî».
215. "Michkât"; "Khaçâ'iç
al-Nasâ'î"; "Rawdhat al-Ahbâb"; "Rawdhat al-Çafâ".
216. "Tafsîr al-Tha'labî"; "Tafsîr
al-Kach-châf"; "Al-Baydhâwî"; "Al-Madârik".
217. "Al-Tirmithî"; "Ibn Jarîr";
"Çahîh Muslim"; "Al-Suyûtî".
218. "Al-Suyûtî".
219. Dans sa traduction d' "Al-Koran", Sale
fait suivre du commentaire suivant les versets 5-10 de la Sourate al-Dahr
(Al-Insân). La traduction de ces versets par Sale:
5. «Mais les justes boiront à une coupe (de vin), mélangé
avec (de l'eau de) Kawthar,
6. une fontaine à laquelle boiront les serviteurs de Dieu...
7. Ils tiennent leur promesse, et redoutent un Jour dont le mal sera
répandu très loin.
8. Ils nourrissent le pauvre, l'orphelin et le captif pour l'amour
de Dieu, (en disant):
9. "Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu seul: nous n'attendons
de vous ni récompense ni gratitude;
10. Oui, nous redoutons, de la part de notre Seigneur, un jour menaçant
(et) calamiteux».
La note de Sale, tirée d'al-Baydhâwi, sur les versets
7-10:
«On relate qu' al-Hassan et al-Hussayn, les petits-fils de
Mohammad, étant à un moment donné malades tous les
deux, le Prophète, entre autres, leur rendit visite. Les visiteurs
demandèrent à 'Alî de faire un vu à Dieu pour
la guérison de ses fils. Sur ce, 'Alî, Fâtimah et Fidhdhah,
leur bonne, firent le vu de jeûner trois jours si les deux malades
allaient mieux. Or, il arriva qu'ils guérirent effectivement. La
promesse fut accomplie avec un tel scrupule que le premier jour, n'ayant
pas de provisions à la maison, fut obligé d'emprunter trois
mesures d'orge à un certain Siméon, un Juif de Khaybar. Fâtimah
en moulut une mesure le même jour et cuisit cinq gâteaux pour
le repas. Et alors qu'ils étaient assis devant ces gâteaux
pour rompre leur jeûne après le coucher du soleil, un pauvre
se présenta à eux. Ils lui donnèrent leur pain et
passèrent la nuit sans rien manger, se contentant de boire de l'eau.
Le lendemain, Fâtimah, cuisit une deuxième mesure pour la
même raison, mais un orphelin les pria de lui donner quelque chose
à manger et ils lui offrirent leur repas, et passèrent une
deuxième nuit sans manger. La troisième jour ils donnèrent
tout leur repas à un captif affamé. A cette occasion Jibrâ'îl
(l'Ange Gabriel) révéla au Prophète la sourate ci-dessus
et informa Mohammad que Dieu le félicitait pour les vertus de sa
famille».
Concernant la promesse de Dieu dans le verset 6, lisez le récit
de la découverte miraculeuse par 'Alî d'une fontaine pour
l'appro-visionnement en eau de ses armées dans le désert
sablonneux de la Mésopotamie, dans le second volume.
220. Un noble exemple de la générosité
d'al-Hassan et de son ardeur à satisfaire Dieu en accomplissant
toutes les vertus mentionnées dans Ses commandements, se trouve
dans le récit suivant, entre des milliers d'autres relatifs aux
Saints descendants du Prophète:
«Un serviteur d'al-Hassan Fils de 'Alî fit tomber sur
son maître un plat bouillant alors qu'il s'asseyait à table.
Craignant la colère d'al-Hassan, il tomba sur ses genoux et se mit
à répéter ces mots: "Le Paradis est pour ceux qui
refrènent leur colère". Al-Hassan répondit: "Je ne
suis pas en colère". Le serviteur poursuivit: "Et pour ceux qui
pardonnent aux gens". "Je te pardonne" dit al-Hassan. Le serviteur sembla
toutefois décidé à finir le contenu de quelques versets
coraniques en ajoutant: "Car Dieu aime les bienfaisants". "Puisque c'est
ainsi, fit al-Hassan, je t'affranchis et je te donne quatre cents pièces
d'argent". L'esclave citait les versets 133-134 de la Sourate Âle
'Imrân: «Hâtez-vous vers le pardon de votre Seigneur
et vers un Jardin large comme les cieux et la terre, préparé
pour ceux qui craignent Dieu; pour ceux qui font l'aumône, dans l'aisance
ou dans la gêne; pour ceux qui maîtrisent leur colère;
pour ceux qui pardonnent aux hommes - Dieu aime ceux qui font le bien».
221. "Rawdhar al-Ahbâb".
222. "Al-Tabarî"; "Abul-Fidâ'";
"Ibn Athîr".
223. "Al-Tabârî"; "Rawdhat al-Çafâ'".
224. "Abul-Fidâ'"; "Ibn Athîr".
225. "Al-Milal wal Nihal"; "Charh Nahj al-Balâghah"
d'Ibn Abi Hadîd; "Charh Mawâqif"; "Târikh Mudhaffarî"
de Châhâb id-Dine; "Ibn Abî al-Dam".
226. "Rawdhat al-Ahbâb"; "Madârij
al-Nubwwah".
227. "Rawdhat al-Çafâ"; "Madârij
al-Nubuwwah".
228. "Ibn Khaldûn"; "Al-Tabarî";
"Abu-Fidâ'".
229. Une grande partie des Musulmans considère
cette phrase de 'Omar comme un geste de séparation de l'orthodoxie
établie par le Prophète qui avait ordonné à
tout le monde à suivre le Coran et sa Famille, en déclarant:
«Je vous laisse deux grands Préceptes dont chacun dépasse
l'autre en grandeur: le Livre de Dieu et ma Famille. Ils ne se sépareront
pas jusqu'à ce qu'ils me rencontrent au Paradis».
230. Il est dit que ce verset fut descendu à
la suite d'une dispute entre Abû Bakr et 'Omar concernant la nomination
du gouverneur d'une ville, au cours de laquelle ils élevèrent
la voix si haut en présence du Prophète qu'on pensa qu'il
convenait d'interdire de telles indécences dans l'avenir (Sale).
Le non-respect de ce Commandement conduit le Prophète à rappeler
l'avertissement à cette occasion.
231. "Ibn Athîr"; "Al-Bokharî";
"Al-Mich-kât", etc.
232. "Ibn Khaldûn".
233. "Madârij al-Nubuwwah"; "Rawdhat al-Ahbâb".
234. "Fat-hul-Bârî"; "Al-Bokhârî";
"Rawdhat al-Ahbâb"; "Madârij al-Nabuwwah".
235. "Madârij al-Nubuwwah"; "Rawdaht al-Çafâ".
236. "Al-Tabarî"; "Ibn Khaldûn".
237. "Habîb al-Sayyâr"; "Madârij
al-Nubuwwah".
238. "Rawdhat al-Ahbâb"; "Madârij
al-Nubuwwah".
239. "Rawdhat a-Ahbâb"; "Madârij
al-Nubuwwah"; "Ma'ârij al-Nubuwwah".
240. "Life of 'Alî", par Dar Qutni wal
Razi, p. 739; "Life of 'Alî", éd. Khadimal Talim Press, Lahore;
"Madârij al-Nubuwwah".
241. "Kachf al-Ghummah" (sorce Shî'ite);
"Ibn Hajar al-'Asqalânî"; "Al-Tabarî"; "Abul-Fidâ'";
"Ibn Athîr"; "Ibn Khaldûn"; "Târîkh al-Khamîs"
(sources sunnites).
242. "Hayât al-Qulûb" (source Shî'ite).
243. "Waqidî"; "Al-Sîrah al-Halabiyyah
(sources sunnites).
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